L’Archipel des Solovki de Zakhar Prilepine

L’Archipel des Solovki de Zakhar Prilepine.

Actes Sud, collection Lettre russes, septembre 2017, 832 pages, 26 €, ISBN 978-2-330-08188-1. Obitel (2014) est traduit du russe par Joëlle Dublanchet.

Genres : littérature russe, roman historique.

Zakhar Prilepine Захар Прилепин naît le 7 juillet 1975 dans le village d’Ilinka (oblast de Riazan). Il étudie la linguistique à l’Université d’État de Nijni Novgorod et publie ses premiers textes en 2003 : des nouvelles dans des journaux et des magazines. Linguiste, journaliste, écrivain mais aussi activiste bolchevik depuis 1996 : il est arrêté plusieurs fois mais reçoit de nombreux prix littéraires et serait l’écrivain préféré des Russes en ce début de XXIe siècle. Du même auteur chez Actes Sud (très envie de lire d’autres titres) : San’kia (2009), Des chaussures pleines de vodka chaude (2011), Le singe noir (2012) et Une fille nommée Aglaé (2015). Si vous comprenez le russe, son site officiel, sinon une page en français 😉

L’arrière-grand-père de l’auteur, Zakhar Petrovitch, a été prisonnier au camp de Solovki. « Ce camp fut créé en 1923 dans les îles de l’archipel des Solovki par le pouvoir soviétique. Il était implanté dans un haut lieu monastique existant depuis le XVe siècle. Situé au milieu de la mer Blanche, à 500 kilomètres de Saint-Pétersbourg et à 160 kilomètres du Pôle Nord, c’est là que « l’archipel du goulag commença son existence maligne, et bientôt il aurait des métastases dans tout le corps du pays », écrira plus tard Soljénitsyne. » (note 1, p. 10).

« Lorsque je pense à tout cela aujourd’hui, je comprends combien est court le chemin qui mène à l’Histoire, mais en fait, elle est tout à côté. J’avais côtoyé mon arrière-grand-père, lui avait vu en face les saints et les démons. […] De sa voix rauque et ample mon arrière-grand-père brossait, en deux, trois phrases, un tableau du passé parfaitement clair et évocateur. L’expression qu’il avait alors, ses rides, sa barbe, le duvet sur sa tête, son petit rire qui évoquait le bruit d’une cuiller en fer raclant le fond d’une poêle, tout cela avait bien plus de sens que son discours lui-même. » (p. 11).

Vous avez déjà lu beaucoup de livres sur la Russie du XXe siècle, sur l’Union Soviétique, vous avez lu tout Soljénitsyne et d’autres écrivains et poètes dissidents, vous pensez tout savoir sur cette période mais vous n’avez pas encore lu L’Archipel des Solovki de Zakhar Prilepine ? Il vous le faut absolument ! L’auteur a confronté les récits, les comptes-rendus, les rapports, les notes, les archives. « Mais après tout, qu’est-ce que la vérité, sinon ce dont on se souvient ? » (p. 13). Et il a abordé le sujet de façon lyrique, romanesque et ça c’est novateur !

On suit donc Vassili Petrovitch, le jeune Artiom affectueusement surnommé Tioma (il en a pris pour 3 ans), Afanassiev un poète, d’autres gars pas très recommandables et quelques popes dépossédés de leur monastère mais qui habitent toujours sur l’île. Les conditions de vie sont abominables… Les hommes se tuent à la tache, sont mal nourris, mal soignés… Mais Artiom va rencontrer Gallia, une prisonnière (les femmes étaient détenues dans un autre lieu).

Le responsable du camp, Alexandre Nogtev : « […] un reptile comme on en rencontre rarement, même parmi les tchékistes. Il accueillait lui-même chaque convoi et tuait un homme de sa propre main à l’entrée du monastère, d’un coup de revolver – pan ! – et il riait. » (p. 44).

Le contremaître Sorokine : « Artiom ne regarda même pas ce qui se passait, il entendit seulement qu’on frappait quelqu’un de vivant et sans défense et que ça faisait un bruit effroyable. Et à l’âge qu’il avait – vingt-sept ans –, il n’était toujours pas habitué. » (p. 87).

« Aux Solovki, Artiom commença brusquement à comprendre que ce qui survivait, ce n’était vraisemblablement que les sentiments innés, ceux qui avaient grandi en même temps que les os, les veines, la chair, tandis que les idées étaient les premières à se désagréger. » (p. 126).

Bon sang, je pourrais écrire encore plein d’extraits !!! Je note simplement ma phrase préférée ; elle sonne comme un terrible coup de tonnerre… « C’est vraiment pour ça que nous avons fait la révolution ? » (p. 155).

Un pavé, plus de 830 pages, que j’ai eu du mal à lire à cause de son poids mais que je voulais absolument lire, et plus qu’un coup de cœur, je dirais CHEF-D’ŒUVRE ! La littérature russe a offert depuis quatre siècles (XVIIe et XVIIIe mais surtout XIXe et XXe) des chefs-d’œuvres magnifiques, romanesques ou pas, poétiques, historiques, il y a même eu des précurseurs dans la science-fiction par exemple, et je suis sûre que le XXIe siècle sera encore un grand siècle littéraire pour cet immense pays !

C’est le premier roman que je lis pour le Défi littéraire 2018 de Madame lit puisque janvier concerne la littérature russe et le dernier pour 1 % rentrée littéraire 2017. Je le mets aussi dans le Petit Bac 2018 pour la catégorie Lieu et bien sûr dans Un hiver en Russie et dans Voisins Voisines (pour la Russie).

PS : un mot que je ne connaissais pas : ondatra (p. 63), c’est un rat musqué qui peut faire 30 à 40 cm de long, ouah, c’est du costaud cette bestiole !

32 réflexions sur “L’Archipel des Solovki de Zakhar Prilepine

  1. Yv dit :

    J’ai lu deux livres de Z. Prilepine, des recueils de chroniques et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne mâche pas ses mots. Au pays de Poutine, ce n’est pas vraiment bien vu.

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    • Eh bien, il est catalogué bolchevik depuis 1966 et a été emprisonné ce qui ne l’empêche pas d’être parmi les auteurs russes préférés des Russes et il est lucide sur les conditions de vie, sur les goulags, etc.

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  2. Si tu faisais des mots croisés, tu connaitrais déjà l’ondatra !! Un livre qui me plairait certainement, le poids me fait réfléchir (mes pauvres poignets). Ou alors, il faudrait que j’emprunte une liseuse à la bibli.

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    • Et voilà, tout le monde sait que je ne fais pas de mots croisés 😛 J’en ai eu fait, il y a… très très longtemps, mots croisés et mots fléchés… J’ai pensé à le lire en numérique mais la bibliothèque ne le proposait pas et j’avais vraiment envie d’avoir le livre papier mais, comme tu dis, les poignets… 😥 Mais peut-être qu’il faut souffrir un peu pour apprécier la littérature russe ? 😉

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  3. Excellent le choix des passages qui résument bien le livre. Je suis d’accord avec toi : c’est vraiment un chef-d’œuvre.
    SAN’KIA était déjà un très très grand roman, et Prilepine s’est encore surpassé dans L’ARCHIPEL DES SOLOVKI !
    Et je vois que tu as remarqué le SITE sur PRILEPINE 🙂
    José-Dominique

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    • Merci José-Dominique, ce livre est tellement bien écrit que j’aurais pu mettre plein d’autres extraits mais je ne voulais pas trop dévoiler. Site officiel en russe, je décrypte les caractères cyrilliques mais je ne comprends que quelques mots de russe… Et toi ?

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  4. moustafette dit :

    J’avais repéré ce livre, mais au vu de l’ampleur du dossier, pas assez de temps pour me lancer dans ce pavé pour le défi de janvier. Mais je le lirai, ça c’est sûr !

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    • Quand j’ai repéré ce livre, je me suis dit : pour les vacances de fin d’année, et puis j’ai lu d’autres choses et j’ai dû le commencer le 28 décembre (2017) donc ça fait une lecture de longue durée 😉

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  5. vagueculturelle dit :

    Je ne connaissais pas ce récit mais le thème m’intéresse beaucoup. Je vais noter le titre. Merci pour la découverte et merci pour ta participation à mon Hiver russe 🙂

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