Le Chrysanthème noir de Feldrik Rivat

Le Chrysanthème noir : seconde enquête de la 25e heure de Feldrik Rivat.

L’homme sans nom, septembre 2016, 448 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-918541-27.1.

Genres : policier, science-fiction, steampunk, uchronie, fantastique.

Feldrik Rivat naît le 27 juin 1978 à Thonon les Bains (Haute Savoie). Il étudie le théâtre (Cholet) puis le dessin à l’École Émile Cohl (Lyon) puis l’archéologie (Nantes et Toulouse) : un homme éclectique qui est de plus peintre (naturaliste) et écrivain ! Du même auteur : la trilogie de fantasy Les Kerns de l’oubli [site officiel], deux autres tomes des Enquêtes de la 25e heure, également aux éditions de L’homme sans nom, et des nouvelles dont Le Contrat Antonov-201 (Solaris n° 205, hiver 2018) qui reçoit le Prix Joël-Champetier.

Après avoir repris La 25e heure, je ne pouvais que lire la suite des Enquêtes de la 25e heure avec Le Chrysanthème noir (2e enquête de La 25e heure) pour le Challenge Chaud Cacao (session 2 consacrée aux auteurs francophones jusqu’au 22 août).

Janvier 1889. Eudes Lacassagne a disparu et on a retrouvé son sifflet à moineau dont il ne se sépare jamais. Il aurait été tué par son frère jumeau, Chrysostome, mais « Le corps d’Eudes Lacassagne reste introuvable. » (p. 38). Louis Bertillon, enfermé à La Salpêtrière (où travaille le professeur Jean-Martin Charcot), dûment drogué te électrocuté, épouse à l’insu de son plein gré Mileva (Anja Verica) Varasd, qui use d’hypnose et de suggestion mentale. « Louis Bertillon se remémore les consignes du jour. Il n’a qu’à suivre les instructions. Toutes les instructions. Et répondre « oui » aux questions. » (p. 8). Pendant ce temps-là, le Chrysanthème noir – surnommé le Chrys ou la CNN « La Compagnie du Chrysanthème Noir. Une compagnie nouvelle pour une société nouvelle. Une entreprise dont l’ambition ultime est de bâtir une civilisation qui mettra l’Homme au centre de tous les enjeux. » (p. 414) – continue ses agissements maléfiques et le nombre de ses membres ne cesse d’augmenter. C’est que « Travailler pour le Chrysanthème noir offre certains privilèges. » (p. 39). L’enquête ne va pas être facile à résoudre… Et, en l’absence de ses deux meilleurs hommes, Lacassagne et Bertillon, c’est Goron, le chef de le Sûreté en personne, qui doit aller enquêter sur le terrain ! « Goron n’ose pas regarder sa montre. Depuis un bon mois que ses nuits sont de plus en plus courtes. Gérer le service, remonter le moral de ses troupes, et superviser des enquêtes de plus en plus sensibles jusque sur le terrain : voilà beaucoup pour un seul homme. » (p. 150).

On retrouve avec plaisir les personnages principaux de La 25e heure, Lacassagne, Bertillon, Goron, Camille, Pinkerton, Méliès qui a également disparu et que son épouse Eugénie recherche… ; des personnages connus ont un rôle plus important comme Chrysostome Lacassagne, le frère d’Eudes, ou Gaston Tissandier, l’aérostier propriétaire de l’Agile ; et bien sûr il apparaît de nouveaux personnages comme le père Lacassagne surnommé le Notaire et qui vit dans les airs à bord de l’Albus-Altus, la famille ducale de l’Abey, Flamel, le Zouave Henri Jacob, mademoiselle Zelle qui s’occupe du Khan. « Tu es mort ! Je t’ai vu sombrer ! Démon ! Fantôme ! Je vais te renvoyer dans les Enfers que tu n’aurais jamais dû quitter ! » (p. 178).

Le président Sadi Carnot modernise la France, en tout cas Paris : téléphone, électricité ! Mais il ne sait pas que de sombres personnages tirent les ficelles (ou le sait-il ?). Il y a des êtres différents : automates, médiums, « ombres »… Et il y a aussi les premiers journaux comme Le Figaro mais certains, clandestins, font l’apologie des idées anarchistes comme Le Révolté ou Le Révolutionnaire socialiste et leurs locaux sont surveillés. Il existe une base historique réelle avec par exemple la construction du canal de Panama, ou de la Tour Eiffel pour l’exposition universelle, mais Feldrik Rivat plonge ses lecteurs dans une uchronie sombre et jouissive. « Le pari du Chrysanthème noir, en cette fin de XIXe siècle, est de permettre à la France de prendre le virage en tête. De redonner à cette nation un vernis perdu, un rêve de grandeur, et cette pointe de fierté qui la caractérise aux yeux du monde entier. Et ce pari sera remporté grâce aux sciences ténébrales. […] Le rêve du Chrysanthème Noir est le plus grand que l’homme ait jamais osé réaliser. Vaincre la mort. » (p. 219). Tout ça est une histoire d’énergie : électricité, lumière, ombre, chaleur, hyperfréquences, rayons perdus que les spectres utilisent, peut-être que l’auteur invente cette théorie ou peut-être que c’était une peur à l’arrivée de l’électricité, on a toujours peur de ce qu’on ne connaît pas. « Paris se prépare, un siècle après 1789, à connaître sa première véritable révolution… » (p. 220). Cette révolution n’est pas industrielle mais plutôt technologique : entre la photographie, le cinéma, l’électricité, le téléphone, de grandes constructions (Tour Eiffel, métropolitain, etc.), Paris représente alors la France et, un siècle après la Révolution, je dirais qu’il y a une pointe de superstition, genre il faut absolument que ça se déroule maintenant, un siècle après.

Hé, un petit tour à la librairie Flammarion ? On y rencontre J.H. Rosny aîné (*) qui tente de vendre son premier livre, L’Immolation ! Ce livre existe vraiment (couverture ci-contre). « C’est du fantastique nouveau, du merveilleux scientifique où je pars à l’assaut de l’inconnu, entame le jeune homme. » (p. 253). Suit un dialogue amusant entre Rosny et Goron (qui lui est venu acheter L’astronomie populaire de Camille Flammarion pour son neveu). « Il va falloir me donner des exemples, mon garçon, car sans cela je vais avoir du mal à suivre. Je suis un cartésien, moi, j’ai besoin de concret. – Du concret ? Vous avez des exemples ? Car le rêveur que je suis ne comprend pas, répond le jeune homme, un brin provocateur. […] » (p. 253-254).

(*) Vous pensez ne pas connaître J.H. Rosny aîné ? La guerre du feu (1909-1911), c’est lui ! « J.H. Rosny aîné » est le pseudonyme de Joseph Henri Honoré Boex né le 17 février 1856 à Bruxelles et mort le 15 février 1940 à Paris. Son cadet est « J.H. Rosny jeune », pseudonyme de Séraphin Justin François Boex, né le 21 juillet 1859 à Bruxelles et mort le 15 juin 1948 en Bretagne. Ils ont parfois écrit à quatre mains mais J.H. Rosny jeune s’est plus tourné vers l’aventure alors que J.H. Rosny aîné est considéré comme le père de la science-fiction moderne. Il reçoit le premier Prix Goncourt en février 1903 et sera même le président de l’Académie Goncourt de 1926 à sa mort en 1940 et c’est J.-H. Rosny jeune qui lui succède jusqu’en 1945. Naturalisés français, les deux frères ont la double nationalité, belge et française. Il existe un Prix Rosny aîné créé en 1980 et qui récompense des romans et des nouvelles de science-fiction francophone.

En parlant de littérature, un clin d’œil à Jules Verne : « Vous me faites une farce ? C’est une supercherie ? Vous vous payez ma tête ? s’offusque l’ingénieur [Gustave Eiffel]. J’ai un moment cru à vos histoires, mais là, messieurs, ce n’est pas sérieux ! Vous me demanderez bientôt un ascenseur pour la lune ! C’est digne d’un roman de Jules Verne ! – En effet, monsieur. Jules Verne met en verbe nos projets, pour préparer l’opinion. Pour aider nos contemporains à se représenter un avenir où le vieux monde aura disparu d’un claquement de doigts, comme au détour d’un virage en épingle à cheveux. » (p. 293).

Un autre clin d’œil littéraire : « Qui était ce gentilhomme ? demande Goron en frisant ses moustaches. – Un médecin anglais [monsieur Doyle cité 4 lignes plus haut] qui s’intéresse de près aux méthodes de la police française. Voilà bientôt quatre ans qu’il me rend visite. Quelqu’un de charmant ! – Et que fait ce médecin de nos méthodes policières ? s’enquiert Goron. – Il en fait des nouvelles, répond Bertillon en posant un épais dossier sur la table. – Des nouvelles ? – Oui, il est aussi écrivain. Il fait paraître de petites nouvelles sur un détective londonien… J’en ai lu quelques-unes… C’est habile ! Pour un peu et je dirais qu’il s’est inspiré de notre Lacassagne pour son personnage. » (p. 314).

Un de mes passages préférés : « Et l’instant est grand, car si l’on oublie de donner un sens profond à chacune de nos actions, à chacune de nos découvertes, on laisse les plus vulnérables des hommes avec une peur au ventre. Une peur dévorante, contagieuse, irrationnelle. Et cette peur, messieurs, c’est la peur de la mort. Et de cette peur naissent tous les extrémismes… » (p. 313). Ce qui rejoint : « La différence entre Croyance et Connaissance est fondamentale, précise Maspero. L’une aliène, l’autre libère. L’une n’est que dogmes et paroles, l’autre est ancrée dans tous les niveaux de la matière et ne demande que des yeux pour être vue. » (p. 268).

J’ai beaucoup aimé : la visite privée de la Tour Eiffel avec Gustave Eiffel le samedi 2 mars 1899 (p. 294-298).

Une note de lecture très longue (j’avais beaucoup à dire !) pour cette lecture dense et intense que je mets dans le Challenge de l’été, Littérature de l’imaginaire, Polar et thriller, Lire sous la contrainte (trilogies et séries de l’été) et Vapeur et feuilles de thé (pour le petit côté steampunk) avec toujours cette richesse et cette diversité incroyable : policier, historique, fantastique et science-fiction.

J’ai hâte de lire Paris-Capitale qui se déroule vingt ans après !

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