Cuisine tatare et descendance d’Alina Bronsky

Cuisine tatare et descendance d’Alina Bronsky.

Actes Sud, collection Lettres allemandes, mars 2012, 336 pages, 23,40 €, ISBN 978-2-330-00530-6. Die Schärfsten Gerichte der Tatarischen (2010) est traduit de l’allemand par Isabelle Liber. Je l’ai lu en poche : Babel, n° 1610, avril 2019, 336 pages, 8,70 €, ISBN 978-2-330-12024-5.

Genres : littérature allemande, roman.

Alina Bronsky naît en 1978 à Iekaterinbourg (Sibérie, Russie). Elle est journaliste et autrice. Depuis quelques années, elle vit en Allemagne (elle écrit en allemand) avec ses trois enfants (à qui elle parle en russe). Son premier roman : Scherbenpark (2008) réédité sous le titre Broken Glass Park (2010). D’autres romans suivent mais peu sont traduits en français : Cuisine tatare et descendance (Actes Sud, 2012) que j’avais repéré mais pas lu, Le dernier amour de Baba Dounia (2019) et Ma vie n’est pas un roman (Actes Sud Junior, 2019).

« Quand ma fille Sulfia m’a annoncé qu’elle était enceinte et qu’elle ne savait pas de qui, je me suis concentrée sur la manière dont je me tenais. J’étais assise bien droite, les mains dignement croisées sur les genoux. » (p. 11). Voici comment débute ce roman narré par Rosalinda, la mère de Sulfia, une belle Russe d’origine Tatare, orpheline, mais qui avec son mari, Boris Kalganov, élève sa fille en bonne Soviétique.

Rosalinda ne sait pas quoi faire de son unique enfant, une fille de 17 ans qui se retrouve enceinte on ne sait comment vu qu’elle est vilaine et idiote (sic). Un rêve peut-être… « J’ai regardé Sulfia d’un air sévère et préoccupé, mais elle est restée les yeux rivés sur ses pieds minuscules. Ce genre de choses arrivait parfois, je le savais. » (p. 13).

En plus, la famille (donc trois personnes, Rosalinda, Kalganov et Sulfia) habite dans un appartement collectif avec une langue de vipère, Klavdia…

Poudre de moutarde dans un bain brûlant, bouillon de feuilles de laurier, aiguille à tricoter, Rosalinda a tout essayé, même l’aide de Klavdia, mais… « L’enfant, une petite fille de trois kilos deux pour cinquante-et-un centimètres, est né par une froide nuit de décembre 1978, à la maternité n° 134. Dès le début, j’ai senti que ce bébé serait de ceux qui survivent à tout, par principe et sans concession. Cette petite n’était pas comme les autres, et elle avait une voix très puissante. » (p. 20).

La petite, c’est Anna, ou Anja, mais contre toute attente, Rosalinda lui préfère un prénom tatare : Aminat, en hommage à sa grand-mère caucasienne.

Rosalinda va élever Aminat, à sa façon à elle : elle est un peu tyrannique, ou tout du moins résolument têtue. Par deux fois, Sulfia s’enfuit avec sa fille, et Rosalinda fait tout pour la récupérer et en avoir la garde. C’est qu’elle aimerait à travers Aminat avoir la fille parfaite que Sulfia n’a jamais été… « Elle devait être la plus douée, la plus jolie et la plus intelligente. Une enfant soviétique affranchie de toute nationalité, disait Kalganov fièrement. Au fond, même si nos raisons étaient différentes, nos espoirs – étrangement – étaient les mêmes quand il s’agissait de notre petite-fille. » (p. 34). « Je considérais comme de mon devoir d’éduquer Aminat, de l’aider à distinguer le bien du mal. Ce n’est pas pour rien que j’avais un diplôme d’éducatrice. » (p. 68).

Toutefois, Rosalinda et Sulfia feront des efforts pour redevenir une « famille civilisée » mais le monde s’effondre lorsqu’en laissant une lettre, Kalganov annonce qu’il quitte le domicile conjugal car il a rencontré une autre femme et que Sulfia, mariée, veut partir avec Aminat. « Qu’allais-je devenir sans Aminat ? Dans cette ville, sur cette terre ? Si Aminat s’en allait, toutes les couleurs et tous les murmures qui peuplaient ma vie disparaissaient. Et plus rien n’avait de sens. » (p. 159).

Vous l’aurez compris d’après le titre, ce roman parle aussi de la culture tatare et de la cuisine tatare même si Rosalinda essaie de gommer les traditions tatares de sa vie et d’être une bonne Soviétique. Rosalinda raconte les années 80 en Union Soviétique et les années 90 en Allemagne (Aminat a 12 ans lorsqu’elle arrive en Allemagne avec sa mère et sa grand-mère) : se rajoute donc l’exil et les difficultés de vivre dans un autre pays mais Rosalinda a toujours de la ressource et n’est pas du tout modeste ! « La fille de John disait que j’étais une perle. Chose qu’évidemment, je savais déjà. » (p. 258).

Ma phrase préférée. « J’ai réfléchi au problème pendant deux jours et cinq heures. Aminat avait raison : mon erreur avait toujours été de faire trop de projets pour les autres. Ils ne tenaient pas le rythme. Qu’à cela ne tienne : je pouvais réaliser tous les projets que j’avais formés pour moi. » (p. 290). Indécrottable, Rosalinda, quelle énergie tout au long de sa vie !

Et un de mes passages préférés. Lorsque les trois générations de femmes, en route vers l’Allemagne, font une escale à Moscou et découvrent le grand restaurant à la mode, devant lequel la foule fait la queue (mais les Soviétiques sont habitués) et où tout est servi dans des boîtes en carton ; attention aucun nom n’est prononcé par la narratrice.

Après avoir lu Le dernier amour de Baba Dounia (coup de cœur en 2019), j’avais très envie de lire Cuisine tatare et descendance : eh, bien coup de cœur pour lui aussi et 2e note de lecture pour Les feuilles allemandes.

Comme dans Le dernier amour de Baba Dounia, Alina Bronsky donne la parole à une « vieille » dame quoique Rosalinda est une jeune grand-mère puisqu’elle a moins de 50 ans au début du roman (mais environ 75 ans vers la fin). J’ai aimé le style, l’humour, les personnages, l’histoire, les détails, tout est vraiment parfait dans cette histoire, même la traduction, alors je vous conseille vivement cette romancière allemande d’origine russe. Son roman est sans concession, aussi bien sur les relations familiales et le comportement de Rosalinda (elle veut tout gérer, tout décider) que sur les difficultés de vivre dans l’univers soviétique (promiscuité, manque de tout, corruption…). Les traditions et la gastronomie tatares y ont une petite place mais importante et ce roman est en fait un régal culinaire et littéraire.

Et aussi pour Challenge du confinement (case Contemporain), Des livres (et des écrans) en cuisine et Voisins Voisines 2020 (Allemagne).

8 réflexions sur “Cuisine tatare et descendance d’Alina Bronsky

  1. Grâce à ton billet, ce titre remonte bien plus haut dans ma liste !
    Je veux le lire depuis longtemps, j’aime beaucoup ce genre de livres où plusieurs cultures s’emmêlent.
    Merci pour ta participation 🤗

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