Ténèbre de Paul Kawczak

Ténèbre de Paul Kawczak.

La Peuplade, janvier 2020, 320 pages, 19 €, ISBN 978-2-924898-49-9.

Genres : littérature franco-québécoise, premier roman, Histoire.

Paul Kawczak naît le 12 novembre 1986 à Besançon (Franche-Comté) dans une famille d’origine polonaise. Il étudie la littérature en France puis en Suède. Il est poète, romancier et enseigne la littérature à l’Université du Québec à Chicoutimi (Saguenay). Du même auteur : L’extincteur adoptif (2015, recueil de textes) et Un long soir (2017, micro-récits).

1885, conférence de Berlin, les terres africaines sont partagées. « […] les majestés occidentales tranchèrent à vif la chair ; […] Angleterre, France, Belgique, Italie, Portugal, Espagne, Allemagne se lancèrent sans réserve dans la dévoration. » (p. 17).

Suite à des conflits locaux, en particulier entre Belges et Français, mais les Anglais ne sont pas en reste, le roi Léopold II envoie Pierre Claes, « un excellent géomètre, extrêmement prometteur » (p. 19) pour matérialiser et dessiner le tracé exact de la frontière nord du Congo alors belge. Pierre Claes est né à Bruges, il a moins de 30 ans et le 20 mars 1890 il arrive en Afrique. Port de Matadi puis Léopoldville où il contracte la malaria et où il rencontre Xi Xiao, un bourreau chinois originaire de la province de Guangdong (Canton) reconverti en maître tatoueur, qui devient son ami.

Le voyage est d’abord fluvial, Congo, Ubangui, Mbomou jusqu’à la source. Ensuite terrestre avec des porteurs Bantous. « L’Afrique était déjà mutilée, mais il fallait décider, tracer et enregistrer chaque kilomètre de frontière afin d’apaiser les tensions territoriales dont les voisins français et britanniques souhaitaient profiter pour envenimer une situation à leur avantage. » (p. 39).

Dans cette Afrique bigarrée, il y a bien sûr des Noirs (de différentes ethnies), des Belges, des Français, des Britanniques, des Allemands (dont un fumier qui tire une balle dans la tête du chimpanzé qu’il avait adopté), mais aussi un capitaine de bateau polonais, Jósef Teodor Konrad Korzeniowski (qui a son rôle à jouer) et, on l’a déjà vu, le Chinois Xi Xiao, et aussi beaucoup d’animaux dont la majorité sont dangereux (mais pas plus que les humains finalement). Ce récit extraordinaire fait même croiser Baudelaire, Hugo, Verlaine (dans les souvenirs belges et français de Vanderdorpe avec Manon Blanche) avec plusieurs clins d’œil à la littérature de la fin de ce XIXe siècle.

Mais revenons à Pierre Claes. Abandonné par son père adoptif (l’homme qui a épousé sa mère), le jeune homme hait les Blancs au Congo, qui « ne valaient à ses yeux guère plus que des excroissances improbables de vie dans la chaleur africaine, polypes puants de Léopold II, agents vides de la cancérisation du monde moderne. La prolifération fiévreuse et stérile d’une Europe malade sur le reste de la planète. » (p. 86). Pourtant « Raciste, Pierre Claes l’était certainement, comme tout colonial de sa génération, mais sa haine se portait ailleurs que sur les Noirs. » (p. 105). D’ailleurs, j’ai apprécié son amitié avec Mpanzu, le mécanicien du Fleur de Bruges.

Ténèbre est un premier roman très réussi qui se lit d’une traite (sans vilain jeu de mots). C’est un roman historique et géographique bien construit, un roman de voyage bien documenté, un récit d’amour et de haine (parfois érotique), de passions et de drames. Un coup de cœur donc et j’ai également bien aimé les flashbacks et les passages oniriques mais « Ce monde était une abomination. » (p. 208). Le tout forme un roman puissant, violent, charnel, viscéral même (l’Afrique a été « découpée » et Xi Xiao découpe les corps et peut-être les âmes aussi). « Tout, autour d’eux, était devenu mort, peine et violence. » (p. 244). Paul Kawczak emmène ses lecteurs loin dans la ténèbre (暗黑).

Toutefois je voudrais revenir sur une phrase (je l’ai soulignée ci-dessous) qui m’a interpellée dès le début du roman (heureusement quand même que j’ai continué ma lecture !). « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc […]. » (p. 12). L’auteur pense ça, OK, c’est son droit mais je ne suis pas d’accord, je pense que les auteurs peuvent écrire sur le thème qui leur plaît et qui les intéresse. Par exemple, dans Cartographie de l’oubli de Niels Labuzan (un premier roman également), l’auteur français parle très bien de la colonisation allemande en Namibie et des populations noires (ce roman m’a passionnée et j’ai appris beaucoup de choses), pas besoin d’être Allemand ou Africain pour s’emparer de ce sujet ! En ce moment, il y a des polémiques sur qui a le droit de parler de tel pays ou de tel thème, qui a le droit de traduire, je trouve ça immonde, un auteur a le droit d’écrire sur ce qu’il veut et un traducteur qui maîtrise la langue qu’il doit traduire est approprié à traduire même s’il n’est pas de la même nationalité ou du même genre que l’auteur d’origine (et quand j’écris auteur et traducteur, je prends ça pour du neutre, ça inclut autrice et traductrice, et cette autre polémique me saoule aussi mais c’est une autre histoire !).

Bref, je ne peux vous conseiller qu’une chose : lisez Ténèbre de Paul Kawczak, un auteur que je vais suivre (d’ailleurs j’ai aimé tous les livres que j’ai lus publiés par La Peuplade, maison d’édition québécoise).

Pour le Challenge lecture 2021 (catégorie 38, un livre sur le thème du voyage, 2e billet) et À la découverte de l’Afrique.

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15 réflexions sur “Ténèbre de Paul Kawczak

  1. aifelle dit :

    Le voilà ce fameux livre ! Je le note, sans urgence. Je pense que tout auteur peut s’emparer d’un sujet, après c’est au lecteur de savoir s’il est intéressé ou pas.

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    • J’espère que tu le liras, Aifelle, et que tu seras autant emballée que moi 🙂 Oui, tu as raison, et même je pense que si un lecteur n’est pas intéressé par un thème, un pays, etc., il passe son chemin quel que soit l’auteur (et le traducteur) 😉

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  2. Eh bin je suis tout à fait d’accord avec toi pour le dernier point… c’est assez troublant cette polémique sur la légitimité… bref…
    En tout cas ce livre semble bien vraiment !

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  3. Je suis bien d’accord avec toi. Tout auteur a droit de parler du sujet qui l’intéresse, tout traducteur a droit de traduire le texte de son choix. Tout lecteur peut lire ce qu’il veut.
    Avec plus ou moins de bonheur, je le reconnais. Je me souviens avoir lu le roman d’une autrice finlandaise, qui parlait de l’occupation allemande en France pendant la seconde guerre mondiale, Son héroïne ne comprenait pas pourquoi les Français n’avaient pas accepté que des femmes mariées, dont les maris étaient prisonniers en Allemagne, aient des liaisons avec des soldats allemands. Pour elle, c’était tout naturel.

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    • Cette polémique actuelle (écriture, traduction…) est à gerber c’est pourquoi j’ai bien aimé ton texte. Ah oui, ils sont bizarres, les Finlandais, peut-être que la fidélité n’existe pas chez eux… Quel est le titre du roman et le nom de l’autrice ? Bon weekend de Pâques et caresses aux félins 🙂

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    • Merci de ton soutien, Cristie, quelques jours après avoir publié ce billet, Elisabeth Quint a invité une romancière noire (qui vit en Suisse il me semble) et elles ont parlé de ces polémiques, c’est dommage j’ai oublié le nom de cette romancière…

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