Bel abîme de Yamen Manai

Bel abîme de Yamen Manai.

Elyzad, septembre 2021, 120 pages, 14,50 €, ISBN 978-2-49227-044-4.

Genres : littérature tunisienne, roman.

Yamen Manai naît le 25 mai 1980 à Tunis (Tunisie) dans une famille cultivée (parents professeurs). Dès l’enfance, il aime la lecture et la poésie. Il étudie les nouvelles technologies de l’information à Paris et écrit en français. Ses romans – qui ont reçu plusieurs prix littéraires – sont considérés comme des contes philosophiques qui amènent les lecteurs à réfléchir (dictatures, fanatismes religieux, écologie). Du même auteur, les deux très beaux romans, La marche de l’incertitude (2010) et La sérénade d’Ibrahim Santos (2011) et L’amas ardent (2017) que je n’ai pas encore lu. PS : rencontre avec l’auteur en octobre 2022.

La voix est celle d’un adolescent de 15 ans arrêté pour avoir tiré avec un fusil sur quatre hommes (qu’il a blessés). « Mon avenir était déjà condamné bien avant tout ça. Pourquoi ? Parce que je suis né ici, dans ce pays, parmi ces gens, parmi vous. » (p. 12). En prison, il répond aux questions de son avocat, maître Bakouche. Puis à celle d’un psy, le docteur Latrache. « Qu’on reprenne les choses dans l’ordre ? Quel ordre donnez-vous aux choses ? Dans ce pays sens dessus dessous, vous me semblez bien sûr de vous. » (p. 17).

Comme pratiquement tous les enfants qu’il connaît, il est battu dès l’enfance, par son père, professeur à l ‘université, par sa mère, par son grand frère… « Mais quand Bella est arrivée dans ma vie, je rêvais qu’elle était à mes côtés. » (p. 28). Enfin un peu d’amour dans sa vie.

Ce récit, dur, poignant, c’est « une déferlante de violence » (p. 31-32), « une folie contagieuse » (p. 32) parce que cet ado sensible (à la cause animale et à l’écologie, mais pas que) raconte des scènes de violence vraiment atroces comme ce caméléon jeté vivant dans un feu (p. 33) ou la façon dont les animaux du zoo sont traités (p. 35-36) ou la façon dont les enfants sont maltraités par tous (parents, frères plus grands, professeurs…).

Et malgré toutes ces horreurs, il développe de l’humour. « Vous connaissez Tchekhov, monsieur Bakouche ? […] Non, ce n’est pas la marque d’une vodka, c’est un écrivain russe. » (p. 38).

Mais, le drame… « Bella était mon amie. Bella était mon amour. Bella était tout ce qui a compté et qui ne comptera plus. » (p. 44).

Ce roman raconte la violence de tout un pays, la violence d’humains imbus d’eux-mêmes et de leur petit savoir, la violence que supportent les mal-aimés, ceux qui ne mouftent pas, ceux qui baissent la tête, ceux qui se laissent martyriser parce qu’il n’ont pas d’autres solutions… Bien sûr, tout cela est affreux mais l’auteur et le narrateur ado insistent bien sur Bella, c’est elle l’élément central, l’élément déclencheur, et si j’ai pleuré c’est sur son funeste sort… pas sur les humains.

Cet ado, malheureux comme les pierres, qui n’a pas sa langue dans sa poche, est d’une grande lucidité. « C’est grâce à Bourguiba. […] Mais si c’est un homme qui a libéré toutes ces femmes, c’est qu’elles n’étaient pas prêtes. Il fallait que ces femmes se libèrent elles-mêmes et d’elles-mêmes. » (p. 68-69). « J’espérais que ma mère se libère bien davantage. Ce n’est pas parce qu’elle travaillait qu’elle était libre. Sa vie était une forme d’esclavage. […] J’aurais tant aimé qu’elle se soulève, qu’elle se dresse contre les abus du paternel, pas forcément ceux qu’il commettait à mon égard, mais déjà ceux qu’il lui faisait subir. J’aurais aimé qu’elle lui réclame sa part de bonheur, d’amour […]. » (p. 70).

Bel abîme est le premier roman de cette rentrée littéraire d’automne que je lis. Il est construit comme un monologue puisque l’adolescent (dont on ne connaît pas le (pré)nom) répète les questions qui lui sont posées (par l’avocat ou le psy) avant d’y répondre (sincèrement et en dénonçant la violence et l’injustice). Ce roman court (à peine plus de 100 pages) est d’une rare intensité et suscite une grande émotion tant il est bouleversant.

Une lecture pour Challenge de l’été #2 (Tunisie) et À la découverte de l’Afrique (Tunisie). Elle l’a lu et aimé : Usva.

15 réflexions sur “Bel abîme de Yamen Manai

    • Merci beaucoup pour votre visite et ce commentaire, j’ai mis à jour le lien dans mon billet, bon weekend et bonne continuation à l’équipe d’Elyzad, bravo pour votre travail éditorial 🙂

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