Liberté sur parole d’Octavio Paz.
Gallimard, collection Poésie n° 75, novembre 1971, 192 pages, ISBN 978-2-07031-789-9. Poèmes traduits de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert et revus par l’auteur. Préface de Claude Roy. C’est cette édition que je lis.
Gallimard, collection Du monde entier, réédition en 1990 (apparemment bilingue), 264 pages, 14,70 €, ISBN 978-2-07072-177-1, traduction et préface de Jean-Clarence Lambert.
Genres : littérature mexicaine, poésie, classique.
Octavio Paz naît le 31 mars 1914 à Mexico au Mexique. Il lit dès l’enfance et étudie à l’Université nationale autonome du Mexique. Il a 17 ans lorsqu’il crée sa première revue littéraire Barandal (en 1931), puis une deuxième Cahiers du val de Mexico (en 1933), date à laquelle son premier recueil de poèmes est publié. Une autre revue suivra (littéraire et politique), Vuelta, fondée en 1976 et qui s’arrête en 1998 (à la mort de Paz). Octavio Paz est profondément contre la violence et l’oppression (ce qui déplaît fortement à certains régimes politiques). Il est considéré comme le plus grand poète de langue espagnole du XXe siècle et je suis très contente de l’avoir lu. Il écrit aussi de nombreux essais et traduit de la poésie japonaise (Matsuo Bashô) et chinoise (Tchouang-tseu). Entre autres prix littéraires, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1990. Il meurt le 19 avril 1998 à Mexico.
Ce recueil Liberté sur parole contient le texte Liberté sur parole, voici comment il commence : « Là où cessent les frontières, les chemins s’effacent. Là commence le silence. J’avance lentement et je peuple la nuit d’étoiles, de paroles, de la respiration d’une eau lointaine qui m’attend où paraît l’aube. » (p. 15), c’est très beau, je suis séduite (c’est la première fois que je lis de la poésie mexicaine). « Inutile de fermer les yeux, ou de retourner parmi les hommes : cette lucidité ne m’abandonne plus. […] Là où s’effacent les chemins, où s’achève le silence, j’invente le désespoir, l’esprit qui me conçoit, la main qui me dessine, l’œil qui me découvre. […] » (p. 16).
Puis :
1. Condition de nuage (1939-1955) : Le tournesol (4 poèmes), Semences pour un hymne (12 poèmes), Pierres éparses (3 poèmes). Certains poèmes se lisent vite comme ceux de genre haïkus (3 lignes), le premier étant « Le jour ouvre la main / Trois nuages / Et ce peu de paroles. » (p. 23) et il y en a d’autres plus loin. Certains poèmes plus longs se lisent et se relisent : Octavio Paz a des éléments, des inspirations que je ne connais pas mais je comprends à peu près ce qu’il veut dire, l’amour, les jours qui se suivent, les saisons et les éléments ont de l’importance, la parole et la liberté aussi bien sûr.
2. Aigle ou soleil ? (1949-1950) : introduction (2 textes), Sables mouvants (4 poèmes), Aigle ou Soleil ? (19 poèmes). Voici comment cette section débute : « Je commence et recommence. Mais je n’avance pas. Chaque fois qu’elle atteint les lettres fatales, la plume recule : un interdit improbable me ferme le chemin. Hier, investi des pleins pouvoirs, j’écrivais sans peine […]. Aujourd’hui, je lutte seul avec une parole. Celle qui m’appartient, celle à laquelle j’appartiens […] » (p. 45). Liberté (aigle) ou manque (perte) de liberté (soleil) ? Culture hispanique (aigle) ou culture indigène (soleil) ? Octavio Paz joue sur les mots et avec les mots. J’ai ressenti un petit côté kafkaïen durant cette nuit d’insomnie par exemple : « Je me relève : il est à peine une heure. Je m’allonge, mes pieds sortent de la chambre, ma tête perfore les murs. Je m’étends dans l’immensité comme les racines d’un arbre sacré, comme la musique, comme la mer. La nuit se peuple de pattes, de dents, de griffes, de ventouses. Comment défendre ce corps trop grand ? Que font, à des kilomètres de distance mes orteils, mes doigts, mes oreilles ? Je me rétrécis lentement. Le lit craque, mon squelette craque, les charnières du monde grincent. […] » (p. 52). Qu’en pensez-vous ? En tout cas, nous avons ici de la poésie libre, en fait en prose, comme autant d’histoires surréalistes qui parlent d’amour, de folie, de nuit, de prison… « On nous dit : un sentier droit ne mène jamais à l’hiver. Maintenant, mes mains tremblent. Les mots me pendent de la bouche. Donne-moi un petit siège et un peu de soleil. » (p. 92). Je comprends que le petit siège correspond à la culture hispanique et le soleil à la culture amérindienne.
3. À la limite du monde (1937-1958) : introduction (2 poèmes), La saison violente (8 poèmes). Nous retrouvons ici de la poésie plus classique. « Dans la lumière filtrée par les feuilles, / poissons somnambules et absorbés, / passent des hommes, femmes, enfants, bicyclettes. / Ils vont tous, nul ne s’arrête. / Chacun a sa petite affaire : / le cinéma, la messe, le bureau, la mort, / se perdre en d’autres bras, / en d’autres yeux se retrouver, / se souvenir qu’on est un être vivant, l’oublier. / Personne ne veut atteindre la fin, / où la fleur est fruit, le fruit lèvres. » (p. 122). Cette partie est plus sombre, peut-être plus imaginative aussi. « […] voici l’homme qui tombe et se lève et se repaît de poussière et rampe, / l’insecte humain qui troue la pierre, qui troue les siècles et que la lumière carie, / voici la pierre cassée, l’homme cassé, la lumière cassée. » (p. 154). Je pense qu’ici, Paz est désabusé par les violences, le fascisme, les exactions politiques de tous bords…
4. Pierre de soleil (1957, traduction de Benjamin Péret) : un long poème plus note, notice, vie et œuvre d’Octavio Paz. « je cherche sans trouver, j’écris dans la solitude, / il n’y a personne, le jour tombe, l’année tombe, / je tombe avec l’instant, je tombe au fond, / invisible chemin sur des miroirs / qui répètent mon image brisée, / je marche sur des jours, des instants parcourus, / je marche sur les pensées de mon ombre, / je piétine mon ombre en quête d’un instant » (p. 163). C’est beau, c’est triste, peut-être l’auteur se cherche-t-il une place, une autre place dans ce monde…
J’ai lu la préface de Claude Roy après avoir lu le recueil parce que je voulais un œil neuf, un œil ouvert pour cette poésie mexicaine et cet auteur que je lisais pour la première fois, pour m’en imprégner, pour essayer de comprendre par moi-même, mais c’est vrai que cette préface explique des choses sur la vie, les influences (hispaniques et indiennes, révolutions mexicaine et espagnole, ouvertures sur l’Europe, les États-Unis et l’Asie) et l’œuvre d’Octavio Paz, un auteur que je relirai, c’est sûr. Grâce à un grand-père intellectuel indigéniste, à un père avocat qui voyage aux États-Unis, à une tante française qui lui fait découvrir la littérature française, Octavio Paz est, dès l’enfance, ouvert au monde, aux autres, au passé aussi. « Vie vagabonde, entre le Mexique, les États-Unis, la France, le Japon, l’Inde. » (p. 10), il a oublié l’Espagne puisque Paz y est allé durant la révolution (1937). Je comprends mieux les inspirations de Paz, la recherche des racines indiennes comme la poésie nahuatl (Aztèque), sa philosophie, son idéalisme, le côté surréaliste (il était ami avec André Breton, entre autres), son vécu (en France, Espagne, Inde…). « L’homme n’est homme que parmi les hommes. » (p. 13).
Une très belle lecture (et découverte) pour Les classiques c’est fantastique #3 (en août, le thème est sur un air latino, chaleur et lectures qui chantent, direction la littérature classique d’Amérique du sud), mais aussi pour 2022 en classiques, Challenge lecture 2022 (catégorie 37, un livre publié l’année de notre naissance, Liberté sur parole a été publié en 1966), Les textes courts (Condition de nuage fait 42 pages avec la préface, Aigle ou soleil 72 pages, À la limite du monde 42 pages, Pierre de soleil 34 pages) et Un genre par mois (en août, un classique).
Oui le seul prix Nobel mexicain d’ailleurs… c’est fou… je suis passée à côté de sa maison comme de ses poèmes… j’y suis jamais arrivée… 😉
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Oh, tu as vu sa maison en passant ou tu l’as visitée ? C’est dommage pour sa poésie, j’ai vraiment beaucoup aimé, une très belle découverte et il mérite le Nobel de littérature 🙂 Tu as essayé de les lire ceux qui sont dans ce recueil ou d’autres ? Parce qu’il a eu plusieurs périodes dans sa vie et dans son œuvre (un peu comme Picasso avec sa peinture) 😉
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Oh elle ne se visite pas… hélas… donc en passant… oh il y a bien longtemps que j’ai lu cette poésie… donc aucune idée de quelle époque… 😉 …peut-être essayer celles que tu proposes… 😉
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Ah, dommage, elle est sûrement habitée… Peut-être que, quand tu as lu, ce n’était pas le bon moment, peut-être essayer à nouveau, oui 😉
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Oui il faudrait
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Quand tu auras le temps, l’envie, ne pas se forcer, simplement pour le plaisir 🙂
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Ca donne très envie !!!
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Oh, oui, une très belle découverte pour moi, coup de cœur 🙂
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Je ne pense décidément jamais à la poésie, mais ça a eu l’air d’être une belle découverte !
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Oh oui, L’ourse, très belle découverte, et coup de cœur, bref chef-d’œuvre 🙂
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Je voulais aussi présenté de la poésie (Pablo Neruda) mais le temps m’a manqué.
Merci de mettre ce genre à l’honneur avec ce très grand poète.
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Merci Fanny, dommage pour Pablo Neruda, une prochaine fois peut-être 😉 De mon côté, je suis ravie d’avoir découvert Octavio Paz 🙂 Bon weekend 🙂
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Quelle belle idée que d’avoir choisi de la poésie !
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Merci Moka, ça m’a semblé une évidence 🙂
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