Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand.

Aux Forges de Vulcain, collection Fiction, août 2022, 208 pages, 18 €, ISBN 978-2-373-05648-8.

Genres : littérature française, roman, Histoire.

Gilles Marchand, je vous remets ce que j’avais écrit sur Requiem pour une apache : il naît en 1976 à Bordeaux. Il est musicien, auteur et éditeur. Depuis 2010, il publie des nouvelles aux éditions Antidata. Ses précédents titres aux Forges de Vulcain : deux romans, Une bouche sans personne (2016), Un funambule sur le sable (2017) et un recueil de nouvelles, Des mirages plein les poches (2018).

Alors que j’ai vu récemment la très belle série télévisée, historique et dramatique, Les Combattantes, sur le rôle des femmes durant la Première guerre mondiale, je m’apprête maintenant à lire Le soldat désaccordé.

« Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L’image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. Personne ne pouvait le prévoir. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’Automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. De retour pour les moissons, les vendanges ou de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire, ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant, on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparés à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres. […]. » Voici comment débute ce roman, page 9, et je trouve ces phrases très fortes bien que je n’aime pas le mélange du ‘on’ et du ‘nous’, c’est soit l’un soit l’autre mais je vais m’y habituer parce que j’ai très envie de lire ce roman !

Et, à la fin de la guerre, en 1918 « Les morts officiels, les disparus, les estropiés… » (p. 10), sans oublier les fusillés, combien sont-ils en vrai ?

Le narrateur, ayant « perdu une main dès l’automne 1914 » (p. 10), ne participe plus au combat mais, malgré le fait qu’il soit fiancé à Anna, il veut continuer à aider, « je pensais que j’étais indispensable » (p. 10), alors il approvisionne, il transporte (il peut conduire des camions grâce à une prothèse) dans toute la France jusqu’en 1918. Lorsqu’après guerre, il rencontre Blanche Maupas qui veut prouver que son mari a été « fusillé à tort » (p. 11), il apprend tout d’elle : « la méthode, l’abnégation, le sens du détail, les réseaux, l’importance de l’opinion publique, les démarches judiciaires. » (p. 11). Pendant des années il travaille « pour des associations ou différents comités œuvrant à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Et je parcourais le pays afin de permettre à une famille de retrouver la dépouille d’un soldat qui n’était pas revenu. » (p. 11-12). Voilà la vie et le travail d’enquêteur de cet ancien soldat qui va redonner espoir, des informations et si possible des corps aux familles alors que le lecteur ne sait même pas son nom ! Et il est plus habitué aux « villes détruites aux clochers défoncés, les villages éventrés, les anciens hôpitaux et les asiles de campagne » (p. 15) qu’au restaurant parisien où le convie une nouvelle cliente, Jeanne Joplain, qui veut retrouver son fils Émile, disparu à Verdun en 1916 (le nombre officiel de disparus est de deux cent cinquante mille, p. 20). « Je ne pus réprimer un violent élan de désespoir. Des mères et des femmes de poilus persuadées que leur soldat était toujours vivant quelque par, j’en avais rencontré beaucoup. […] Mais retrouver un poilu vivant, cela ne m’était jamais arrivé. » (p. 18). Pourtant, c’est possible car il y avait de nombreux amnésiques, « Ça représentait un stock de tendresse laissé à l’abandon, et pour lequel on était prêt à se battre. » (p. 21). De rencontre en rencontre, l’enquêteur est le récipiendaire de « toutes les histoires qu’ils n’en pouvaient plus de garder pour eux. Tout ce qui venait hanter leurs nuits et qu’ils désiraient épargner à leur famille. » (p. 25). À travers cet enquêteur, l’auteur donne la parole aux soldats rescapés des tranchées.

Et lorsque les Français font la fête, comme en 1925, «  Ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco Chanélait, André Bretonnait, Maurice Chevaliait. » (p 53), bien vu les jeux de mots, beaucoup ne parviennent pas à s’« abandonner à cette insouciance. […] On avait beau faire semblant, on avait traversé l’enfer. » (p. 53). Et puis, Verdun… « Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’enfer. » (p. 61).

Pas facile de remonter la piste, entre les légendes comme celle de la Fille de la Lune, les délires de ceux qui ont perdu la tête mais l’enquêteur n’abandonne pas !

Estomaquée après cette lecture, je me demande encore comment un livre si magnifique peut raconter autant d’horreurs (réelles) mais «  Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. » (p. 111) et « J’ai compris que, même après la mort, il restait de l’amour. On ne sait pas quoi en faire, mais ça vaut le coup de se battre et de le nourrir. » (p. 138). Un très beau roman sur un thème, différent de la guerre en elle-même et des gueules cassées, peu abordé en littérature que je vous conseille fortement.

Pour ABC illimité (lettre G pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 11, une couverture bleue), Challenge littéraire 2023 (catégorie 11, le livre préféré d’un proche) et Les départements en lecture (Gironde, 2e billet).

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8 réflexions sur “Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

    • Tout à fait Rachel, et on a déjà eu des livres sur la Première guerre mondiale et sur les Gueules cassées mais sur les détectives qui recherchaient les traces des soldats disparus, je ne connaissais pas du tout, un thème difficile à traiter mais super bien traité, tout en humilité et comme tu dis finesse 🙂

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