Journal des frères Goncourt

Journal ou Mémoires de la vie littéraire des frères Goncourt.

Rédigé de 1851 à 1895 mais n’est publié qu’en 1887. Publication en 3 tomes chez Bouquins.

Genres : littérature française, journal intime, classique.

L’aîné, Edmond Louis Antoine Huot de Goncourt naît le 26 mai 1822 à Nancy dans la Meurthe. Il meurt le 16 juillet 1896 à Draveil en Seine et Oise (d’une embolie pulmonaire fulgurante) et, durant l’inhumation à laquelle assistent les hommes politiques de l’époque (Clemenceau, Poincaré, entre autres) Émile Zola fait une oraison funèbre. Le cadet, Jules Huot de Goncourt naît le 17 décembre 1830 à Paris. Il meurt le 20 juin 1870 à Paris (d’une paralysie due à la syphilis). Les deux frères sont enterrés au cimetière de Montmartre.

Jules commence le Journal et après sa mort, Edmond le continue. Les deux frères publient ensemble Histoire de la société française pendant la Révolution (1854), Portraits intimes du XVIIIe siècle (1857), Histoire de Marie-Antoinette (1858), L’art du XVIIIe siècle (1859-1870), Charles Demailly (1860), Sœur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1865), Idées et sensations (1866), Manette Salomon (1867), Madame Gervaisais (1869), puis Edmond publie seul La fille Élisa (1877), La Du Barry (1878), La duchesse de Châteauroux et ses sœurs (1879), Les frères Zemganno (1879), La maison d’un artiste (1881), La Saint-Hubert (d’après sa correspondance et ses papiers de famille, 1882), Chérie (1884), La femme au XVIIIe siècle (1887) et Madame de Pompadour (1888), des œuvres appartenant au courant du naturalisme (et, remarquez, beaucoup d’histoires de femmes).

Edmond et Jules de Goncourt photographiés par Nadar

Les deux frères étudient au lycée Condorcet et ont de nombreux amis écrivains ou artistes (Théodore de Banville, Maurice Barrès, Alphonse et Léon Daudet, Gustave Flaubert, Paul Gavarni, Gustave Geffroy, Roger Marx, Guy de Maupassant, Octave Mirbeau, Auguste Rodin, Ivan Tourgueniev, Émile Zola, entre autres, source Wikipédia). Le dimanche, ils animent un salon littéraire Le Grenier. Ils sont célèbres pour la création du Prix Goncourt mais celui-ci est créé par le testament d’Edmond de Goncourt en 1892. Ainsi la Société littéraire des Goncourt, dite Académie Goncourt, est officiellement fondée en 1902 et le premier prix Goncourt est proclamé le 21 décembre 1903.

Le Journal que j’ai lu en numérique commence en décembre 1851.

2 décembre 1851. Rue Saint-Georges, tôt le matin. « Mais qu’est-ce qu’un coup d’État, qu’est-ce qu’un changement de gouvernement pour des gens qui, le même jour, doivent publier leur premier roman. Or, par une malechance ironique, c’était notre cas. » Quelle malchance, effectivement ! « Votre roman… un roman… la France se fiche pas mal des romans aujourd’hui, mes gaillards ! » (leur cousin Blamont). Comble de malchance, « Et dans la rue, de suite nos yeux aux affiches, car égoïstement nous l’avouons, — parmi tout ce papier fraîchement placardé, annonçant la nouvelle troupe, son répertoire, ses exercices, les chefs d’emploi, et la nouvelle adresse du directeur passé de l’Élysée aux Tuileries — nous cherchions la nôtre d’affiche, l’affiche qui devait annoncer à Paris la publication d’En 18, et apprendre à la France et au monde les noms de deux hommes de lettres de plus : Edmond et Jules de Goncourt. L’affiche manquait aux murs. » Gloups !

15 décembre 1851. « — Jules, Jules… un article de Janin dans les Débats ! C’est Edmond qui, de son lit, me crie la bonne et inattendue nouvelle. Oui, tout un feuilleton du lundi parlant de nous à propos de tout et de tout à propos de nous, et pendant douze colonnes, battant et brouillant le compte rendu de notre livre avec le compte rendu de la Dinde truffée, de M. Varin, et des Crapauds immortels, de MM. Clairville et Dumanoir : un feuilleton où Janin nous fouettait avec de l’ironie, nous pardonnait avec de l’estime et de la critique sérieuse ; un feuilleton présentant au public notre jeunesse avec un serrement de main et l’excuse bienveillante de ses témérités. » Ah, voici le début de la célébrité ! Même si ce n’est pas l’idéal…

21 décembre 1851. Après une visite à Janin, les frères Goncourt sont introduits chez madame Allan, une actrice qui vit rue Mogador. Et puis la course folle pour rencontrer le « directeur du Théâtre-Français, auquel nous sommes parfaitement inconnus », aller chez Lireux, chez Brindeau, puis de nouveau au Théâtre-Français, tout ça pour être lus et joués au théâtre.

23 décembre 1851. « Ce n’est pas gentil, ça ! »

Fin janvier 1852. « L’Éclair, Revue hebdomadaire de la Littérature, des Théâtres et des Arts, a paru le 12 janvier. », leur journal, enfin ! Mais, dans les locaux du journal, ils passent leur temps « à attendre l’abonnement, le public, les collaborateurs. Rien ne vient. Pas même de copie, fait inconcevable ! Pas même un poète, fait plus miraculeux encore ! » Zut, leur carrière démarre bien mal… « Nous continuons intrépidement notre journal dans le vide, avec une foi d’apôtres et des illusions d’actionnaires. » mais, évidemment, l’argent vient à manquer. Pourtant Nadar commence à y publier des caricatures.

Août 1852. Victor Hugo, en exil, envoie une lettre à Janin.

22 octobre 1852. « Le Paris paraît aujourd’hui. C’est, croyons-nous, le premier journal littéraire quotidien, depuis la fondation du monde. Nous écrivons l’article d’en-tête. »

Janvier 1853. « Les bureaux du Paris, d’abord établis, 1 rue Laffitte, à la Maison d’Or, furent, au bout de quelques mois, transférés rue Bergère, au-dessus de l’Assemblée Nationale. » et plus loin, « À l’heure présente, le journal remue, il ne fait pas d’argent, mais il fait du bruit. Il est jeune, indépendant, ayant comme l’héritage des convictions littéraires de 1830. C’est dans ses colonnes l’ardeur et le beau feu d’une nuée de tirailleurs marchant sans ordre ni discipline, mais tous pleins de mépris pour l’abonnement et l’abonné. Oui, oui, il y a là de la fougue, de l’audace, de l’imprudence, enfin du dévouement à un certain idéal mêlé d’un peu de folie, d’un peu de ridicule… un journal, en un mot, dont la singularité, l’honneur, est de n’être point une affaire. »

20 février 1853. « Un jour de la fin du mois de décembre dernier, Villedeuil rentrait du ministère en disant avec une voix de cinquième acte : — Le journal est poursuivi. Il y a deux articles incriminés. L’un est de Karr ; l’autre, c’est un article où il y a des vers… Qui est-ce qui a mis des vers dans un article, ce mois-ci ? — C’est nous ! disions-nous. — Eh bien ! c’est vous qui êtes poursuivis avec Karr. » Pas facile, la vie d’auteurs, poètes, dramaturges, critiques littéraires… Voici un extrait des vers incriminés : « Croisant ses beaux membres nus / Sur son Adonis qu’elle baise ; / Et lui pressant le doux flanc ; / Son cou douillettement blanc, /Mordille de trop grande aise. » Je rappelle que « baiser » signifiait à l’époque « embrasser ». « Il nous fallait un avocat », c’est sûr ! Heureusement avec un bon avocat : « En ce qui touche l’article signé Edmond et Jules de Goncourt, dans le numéro du journal Paris, du 11 décembre 1853. Attendu que si les passages incriminés de l’article présentent à l’esprit des lecteurs des images évidemment licencieuses et dès lors blâmables, il résulte cependant de l’ensemble de l’article que les auteurs de la publication dont il s’agit n’ont pas eu l’intention d’outrager la morale publique et les bonnes mœurs. Par ces motifs : Renvoie Alphonse Karr, Edmond et Jules de Goncourt et Lebarbier (le gérant du journal) des fins de la plainte, sans dépens. Nous étions acquittés, mais blâmés. »

27 juillet 1853. « Je vais voir Rouland pour savoir si je puis publier la Lorette sans retourner en police correctionnelle. » Enfin, « La Lorette paraît. Elle est épuisée en une semaine. C’est pour nous la révélation qu’on peut vendre un livre. »

Septembre 1853. Les deux frères accompagnent des amis à la mer, « à Veules, une pittoresque avalure de falaise, tout nouvellement découverte par les artistes. » Ils y rencontrent donc de jeunes artistes. « Veules est un coin de terre charmant, et l’on y serait admirablement s’il n’y avait pas qu’une seule auberge, et, dans cette auberge, un aubergiste ayant inventé des plats de viande composés uniquement de gésiers et de pattes de canards… Nous passons là un mois, dans la mer, la verdure, la famine, les controverses grammaticales, et nous revenons un peu refroidis avec l’humanitaire Leroy, au sujet de l’homicide d’un petit crabe, écrasé par moi sur la plage. »

Ensuite le Journal passe à l’année 1854 et continue jusqu’en 1895 (neuvième volume !) mais je n’ai pas le temps de tout lire. Par contre, ça me plaît beaucoup alors je sais que je le reprendrai de temps en temps. Ce Journal raconte le quotidien des deux frères qui n’ont pratiquement jamais été séparés, leurs relations amicales (écrivains, artistes…) mais aussi leurs rapports avec la critique (pas toujours tendre avec eux mais c’était le cas avec d’autres auteurs contemporains, par exemple Hugo et Zola en ont fait les frais), leurs virées (salons, repas mondains, promenades…), leur difficulté d’être publiés (leurs romans sont souvent adaptés au théâtre, c’était de mise à cette époque mais comment savoir si le succès serait au rendez-vous) et de tenir leur revue (littéraire et artistique) à flot, leurs démêlés avec la justice et la censure sous la Troisième République et sous le Second Empire, quelques opinions politiques (en particulier l’antisémitisme d’Edmond ami avec Édouard Drumont), des propos et indiscrétions sur les personnalités de l’époque (littéraires, artistiques, politiques…), tout ceci est donc passionnant tant au niveau historique que littéraire et souvent amusant.

J’ai effectué cette lecture pour Les classiques c’est fantastique, le thème de février étant ‘Les couples littéraires’ (je n’ai pas pris ça obligatoirement comme un homme et une femme). Elle entre aussi dans 2023 sera classique, ABC illimité (lettre J pour titre) et Challenge lecture 2023 (catégorie 23, un livre écrit à 4 mains, 2e billet).

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Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac

Illustration d’Alcide Théophile Robaudi (1847-1928)

Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac.

Nouvelle de 70 pages parue dans le journal La Presse en 1839 (le titre est alors Une princesse parisienne) avant d’être publiée dans le tome XI de La Comédie humaine en 1855 (nouvelle dédiée à Théophile Gautier). Cette Études de femmes fait partie des Scènes de la vie parisienne.

Genres : littérature française, nouvelle, classique.

Honoré de Balzac : je vous laisse consulter sa bio et mes précédentes lectures ici. LC (lecture commune) avec Maggie, Claudia et Rachel. J’en profite pour vous annoncer La Quinzaine balzacienne – organisée par les blogs La Barmaid aux lettres et Et si on bouquinait un peu – qui aura lieu du 15 au 30 juin 2023.

« Après les désastres de la Révolution de Juillet qui détruisit plusieurs fortunes aristocratiques soutenues par la Cour », la duchesse de Maufrigneuse, devenue princesse Diane de Cadignan (le nom de jeune fille de sa mère), s’est cloîtrée chez elle, un appartement avec un jardin et deux domestiques mais c’est une croqueuse d’hommes… et de leur fortune ! Elle a un fils de 19 ans, Georges de Maufrigneuse.

L’histoire commence en 1832, elle a 36 ans, elle a connu de nombreux hommes mais elle s’ouvre à l’unique amie qu’elle a gardée, la marquise d’Espard, lui avouant qu’elle n’a jamais connu un amour véritable. « À vous seule, j’oserai dire qu’ici je me suis sentie heureuse. J’étais blasée d’adorations, fatiguée sans plaisir, émue à la superficie sans que l’émotion me traversât le cœur. J’ai trouvé tous les hommes que j’ai connus petits, mesquins, superficiels ; aucun d’eux ne m’a causé la plus légère surprise, ils étaient sans innocence, sans grandeur, sans délicatesse. J’aurais voulu rencontrer quelqu’un qui m’eût imposé. » « Je suis poursuivie dans ma retraite par un regret affreux : je me suis amusée, mais je n’ai pas aimé. » « Enfin, nous voilà, répondit avec une grâce coquette madame d’Espard qui fit un charmant geste d’innocence instruite, et nous sommes, il me semble, encore assez vivantes pour prendre une revanche. »

« Ah ! je voudrais cependant bien ne pas quitter ce monde sans avoir connu les plaisirs du véritable amour, s’écria la princesse. » Alors la marquise d’Espard décide de lui présenter Daniel d’Arthez. « Daniel d’Arthez, un des hommes rares qui de nos jours unissent un beau caractère à un beau talent, avait obtenu déjà non pas toute la popularité que devaient lui mériter ses œuvres, mais une estime respectueuse à laquelle les âmes choisies ne pouvaient rien ajouter. Sa réputation grandira certes encore, mais elle avait alors atteint tout son développement aux yeux des connaisseurs : il est de ces auteurs qui, tôt ou tard, sont mis à leur vraie place, et qui n’en changent plus. Gentilhomme pauvre, il avait compris son époque en demandant tout à une illustration personnelle. »

Daniel d’Arthez fera-t-il l’affaire de la princesse de Cadignan ? « Ce qui m’a manqué jusqu’à présent, c’était un homme d’esprit à jouer. Je n’ai eu que des partenaires et jamais d’adversaires. L’amour était un jeu au lieu d’être un combat. » La marquise d’Espard organise donc la rencontre et les lecteurs vont retrouver quelques personnages de la Comédie humaine (Michel Chrestien qui fut éperdument amoureux de la princesse est mort mais on parle de lui). « Cette soirée était donnée pour cinq personnes : Émile Blondet et madame de Montcornet, Daniel d’Arthez, Rastignac et la princesse de Cadignan. En comptant la maîtresse de la maison, il se trouvait autant d’hommes que de femmes. » ou de la parité chez Balzac 😉

Malgré les manipulations et les mensonges de la princesse de Cadignan, le baron d’Arthez – qui est plus jeune qu’elle – l’aime passionnément et prend sa défense. Il la considère comme une femme libre, au caractère fort, élégante, moderne (alors que le rôle des femmes était plus que minime… Se marier, avoir des enfants, être discrètes…). « Les femmes savent donner à leurs paroles une sainteté particulière, elles leur communiquent je ne sais quoi de vibrant qui étend le sens des idées et leur prête de la profondeur ; si plus tard leur auditeur charmé ne se rend pas compte de ce qu’elles ont dit, le but a été complètement atteint, ce qui est le propre de l’éloquence. […] Ainsi la princesse avait aux yeux de d’Arthez un grand charme, elle était entourée d’une auréole de poésie. » Elle profite de sa naïveté et le prend dans ses filets, « dans les lianes inextricables d’un roman préparé de longue main ». J’ai tout aimé dans cette histoire en particulier les moments où d’Arthez, complètement sous le charme, fait sa cour à la princesse et la chute.

Balzac, très fier de cette œuvre, écrivait à madame Hańska : « C’est la plus grande comédie morale qui existe » et, comme pour se moquer de ses lecteurs (un peu trop curieux de tout savoir), termine par une géniale pirouette, tout le talent de Balzac. Un amour peut-il être véritable et heureux s’il est né de manipulations, séductions et mensonges ?

À noter que Les secrets de la princesse de Cadignan a été adaptée par Jacques Deray en 1982 avec Claudine Augier (Diane de Cadignan), Marina Vlady (marquise d’Espard), Françoise Christophe (comtesse de Montcornet), François Marthouret (Daniel d’Arthez), Pierre Arditi (Émile Blondet) et Niels Arestrup (Rastignac).

Pour 2023 sera classique, ABC illimité (lettre H pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 15, une relique de ma PàL, tous les Balzac que je n’ai pas encore lus sont des reliques de ma PàL puisque je les ai depuis les années 1980), Challenge lecture 2023 (catégorie 18, une lecture commune, avec Maggie et Rachel) et Les départements français en lecture (Balzac est né à Tours en Indre et Loire).

Hernani de Victor Hugo

Hernani de Victor Hugo.

Hetzel, 1889, 170 pages, lu en numérique.

Genres : littérature française, théâtre, classique.

Victor Hugo naît le 26 février 1802 à Besançon dans le Doubs. Il grandit à Paris mais la famille séjourne régulièrement en Italie et en Espagne car le père est général d’Empire. Il écrit de la poésie depuis l’adolescence et écrit dans son journal « Je veux être Chateaubriand ou rien », il est devenu Victor Hugo. Il étudie les mathématiques puis la littérature. Avec ses deux frères aînés, Abel et Eugène, il fonde en 1819 Le Conservateur littéraire, une revue royaliste. Il épouse Adèle Foucher, son amie d’enfance, en 1822 et le couple a 5 enfants. Connu pour ses grands romans, Le dernier jour d’un condamné (1829), Notre-Dame de Paris (1831), Les misérables (1862), Les travailleurs de la mer (1866) et Quatrevingt-treize (1874), Victor Hugo est aussi célèbre pour sa poésie (6 recueils entre 1828 et 1883), son théâtre (6 pièces entre 1827 et 1838) et ses opinions politiques (il œuvre pour la République, défend le droit des femmes et prononce plusieurs discours à l’Assemblée). Il crée le journal L’Événement en 1848 mais va s’exiler à Bruxelles puis sur l’île de Jersey et sur l’île de Guernesey où il se bat contre les inégalités sociales et la peine de mort. De retour en France, il est élu à l’Assemblée nationale ; il est considéré comme un des plus grands auteurs de la littérature française et comme un homme politique important (il avait l’idée d’une Europe unifiée). Il meurt le 22 mai 1885 à Paris laissant une œuvre considérable connue dans le monde entier.

Pour Les classiques c’est fantastique, le thème de ce mois d’octobre est « Victor H. vs Marcel P. » et j’ai choisi Victor Hugo parce que je le trouve plus complet et plus éclectique au niveau littéraire (cependant les deux auteurs ont en commun leur santé fragile). J’ai d’abord eu envie de lire de la poésie puis je me suis tournée vers le théâtre avec Hernani.

Que nous dit la préface rédigée en 1830 ? Art nouveau, poésie nouvelle, théâtre nouveau, Victor Hugo est non seulement engagé en politique mais il est aussi un grand défenseur de la liberté en littérature. Mais le théâtre était un risque car « le public des livres est bien différent du public des spectacles » (p. 3). L’art, la poésie, le théâtre, la littérature ont la même devise que la politique : « Tolérance et liberté. » (p. 3) car « La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète. » (p. 3).

Espagne, en 1519. À Saragosse, Doña Sol de Silva et Hernani s’aiment mais la dame est fiancée à Don Ruy Gomez de Silva, duc de Pastraña… Comment échapper à ce mariage ?

Hernani est un drame romantique en 5 actes joué pour la première fois à la Comédie Française le 25 février 1830 (publication de la pièce la même année).

Doña Sol de Silva, d’abord fiancée à Don Carlos, roi d’Espagne, doit épouser le duc de Pastraña, son vieil oncle, riche, mais qu’en bonne héroïne romantique, elle n’aime pas car elle est fidèle à Hernani.

Hernani, noble banni, est un héros romantique, un maudit. Son père a été tué par le père de Don Carlos.

« Suis-je chez Doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? Dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ? » (Don Carlos à la duègne Doña Josefa, p. 12). J’apprécie les rimes et le rythme.

Don Carlos oblige Doña Josefa (une bourse ou la lame d’un poignard) afin d’espionner les deux jeunes amants. Mais Hernani, réfugié en Catalogne, ouvre son cœur et son âme à sa bien-aimée.

« Et tout enfant, je fis
Le serment de venger mon père sur son fils.
Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles !
Car la haine est vivace entre nos deux familles.
Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or c’est en vain que les pères sont morts,
La haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue. » (p. 20).

Il y a de l’humour, par exemple quand Don Carlos, excédé d’être à l’étroit dans l’armoire, étouffant et n’entendant presque rien, ouvre la porte avec fracas. Les deux hommes se toisent mais le duc de Pastraña rentre chez lui. « Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse ! » (Doña Sol de Silva, p. 25).

Don Carlos, qui est le roi, convainc le vieux Pastraña qu’il est venu lui demander conseil suite à la mort de l’empereur germanique et, beau joueur envers son rival, dit que Hernani est un homme de sa suite.

« Je viens, tout en hâte, et moi-même,
Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,
Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit ! » (p. 30).

Mais Hernani est chef de brigands alors Don Carlos veut sa peau et, le lendemain soir, lui tend une embuscade avec ses hommes sous la fenêtre de Doña Sol.

« Non ! Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte !
Ah ! Pour vous au visage une rougeur me monte !
Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ?
Venir ravir de force une femme, la nuit !
Que mon bandit vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si Dieu faisait le rang à la hauteur du cœur,
Certes, il serait le roi, le prince, et vous le voleur ! » (p. 48).

Elle ne se laisse pas faire la Doña Sol, une jeune femme moderne ! Et elle ne s’arrête pas là.

« Roi Carlos, à des filles de rien
Portez votre amourette, ou je pourrais fort bien,
Si vous m’osez traiter d’une façon infâme,
Vous montrer que je suis dame, et que je suis femme ! » (p. 49).

Hernani tient tête aussi à Don Carlos mais il se rend compte qu’il ne peut entraîner Doña Sol avec lui.

« Ah ! Ce serait un crime
Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme !
[…]
— Hernani ! Tu me fuis. Ainsi donc, insensée,
Avoir donné sa vie et se voir repoussée !
Et n’avoir, après tant d’amour et tant d’ennui,
Pas même le bonheur de mourir près de lui !
— Hernani, hésitant.
Je suis banni, je suis proscrit ! Je suis funeste ! » (p. 60).

Résignée, Doña Sol accepte d’épouser le vieux duc de Pastraña… Mais un page vient faire une annonce.

« Monseigneur, à la porte,
Un homme, un pèlerin, un mendiant, n’importe,
Est là qui vous demande asile. » (p. 71).

Comme vous le voyez, rien n’est terminé ! Doña Sol pardonnera-t-elle à Hernani ? Mais il y aura d’autres rebondissements ! Par exemple, le quatrième acte se déroule au tombeau de Charlemagne à Aix-La-Chapelle et il y a un monologue de Don Carlos (scène 2) mais Hernani et les Conjurés sont là. Qui deviendra empereur ? Le cinquième acte est de retour à Saragosse pour la noce mais qui sont les mariés ?

« Écoutez l’histoire que voici.
Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ? » (p. 142).

Je vous laisse découvrir cette célèbre pièce de Victor Hugo, rythmée, dynamique, ne manquant pas d’humour et de bons mots. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi mais j’ai pensé parfois à Molière, cependant le style de Victor Hugo est plus moderne et plus romantique. Il voulait écrire non pas des tragédies classiques mais des drames romantiques. Vous pouvez consulter l’article Wikipédia sur la bataille d’Hernani car le théâtre de Victor Hugo avait ses détracteurs.

La pièce Hernani a été jouée de nombreuses fois au théâtre aux XIXe et XXe siècles. Elle a aussi été adaptée en opéra par Giuseppe Verdi en 1844 (vidéo ci-dessous).

En plus de Les classiques c’est fantastique cité ci-dessus, cette agréable lecture entre dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Hernani), dans les deux nouveaux challenges (illimités) : ABC illimité (pour la lettre H avec Hugo) et Les départements français en lectures (pour le Doubs).

L’œuf de cristal de H.G. Wells

L’œuf de cristal de H.G. Wells.

Mercure de France, 1899, 35 pages (lecture numérique). The Crystal Egg (1897) est traduit de l’anglais par Henry-D. Davray.

Genres : littérature anglaise, nouvelle, fantastique, science-fiction.

Herbert George Wells, plus connu sous son nom de plume H. G. Wells, naît le 21 septembre 1866 à Bromley dans le Kent (Angleterre). Son père est jardinier puis commerçant (porcelaines, articles de sport) et joueur de cricket professionnel. Il découvre la lecture dès l’enfance et est placé en apprentissage (chez un marchand de tissus, ce qui ne lui plaît pas), heureusement il peut ensuite étudier les Sciences à Londres, en particulier la biologie, la physique, la géologie et la zoologie (il participe à la création de la Royal College of Science Association et en devient même le premier président en 1909). Il s’intéresse à une société meilleure, au socialisme, fréquente William Morris (dont j’ai lu La source au bout du monde) et Jerome K. Jerome, enseigne au Pays de Galles puis à Londres et rencontre Maxim Gorki en Russie. Après un livre scolaire de biologie et des articles humoristiques dans des revues, il commence à écrire de la fiction. Très connu pour ses romans et ses nouvelles de science-fiction (il est considéré comme le père de la SF contemporaine), il est aussi essayiste (œuvres politiques, sociales, historiques et de vulgarisation scientifique), dessinateur et concepteur de jeux. Il meurt le 13 août 1946 à Londres laissant une œuvre conséquente, La machine à explorer le temps (The Time Machine, 1895), L’île du docteur Moreau (The Island of Doctor Moreau, 1896), L’homme invisible (The Invisible Man, 1897), La guerre des mondes (The War of the Worlds, 1898), Quand le dormeur s’éveillera (When the Sleeper wakes, 1899), Les premiers hommes dans la Lune (The First Men in the Moon, 1901), La guerre dans les airs (The War in the Air, 1908) et tant d’autres.

Dans le quartier des Sept Cadrans, une petite boutique, C. Cave, naturaliste et marchand d’antiquités. En vitrine, des objets hétéroclites voire surprenants et « une masse de cristal façonnée en forme d’œuf et merveilleusement polie. Cet œuf, deux personnes arrêtées devant la vitrine l’examinaient : l’une, un clergyman grand et maigre ; l’autre, un jeune homme à la barbe très noire, au teint basané et de mise discrète. Le jeune homme basané parlait en gesticulant avec vivacité et semblait fort désireux de voir son compagnon acheter l’article. » (p. 2).

Monsieur Cave vend cet œuf cinq guinées mais il n’est plus en vente car un acheteur venu dans la matinée l’aurait déjà retenu. Mécontents, madame Cave, le beau-fils et la belle-fille de monsieur Cave veulent absolument vendre l’œuf et profiter de l’argent mais l’œuf a disparu et « la discussion se changea en une pénible scène » (p. 9).

Mais ne restons pas dans le mensonge, monsieur Cave a simplement confié l’œuf « à la garde de M. Jacoby Wace, aide-préparateur à St Catherine’s Hospital, Westbourne Street » (p. 10), un ami qui connaissant madame Cave a accepté de « donner asile à l’œuf » (p. 11).

Mais qu’a donc cet œuf de spécial ? Pourquoi exerce-t-il une telle fascination ?

L’œuf aurait dû être à l’abri mais Jacoby Wace reste un « jeune savant investigateur » (p. 19) et ne peut s’empêcher d’étudier l’objet et sa phosphorescence…

The Crystal Egg parut d’abord dans New Review en mai 1897 puis dans le recueil Tales of Space and Time avant d’être traduit en français en 1899, puis publié dans le pulp américain Amazing Stories en mai 1926. Dans cette nouvelle, H.G. Wells brosse un portrait dramatique de la famille Cave et traite des prémices de l’infiniment petit que l’humain ne connaît pas encore. Le lecteur est ici dans le merveilleux (britannique) de la fin du XIXe siècle, à la limite entre fantastique et science-fiction voire fantasy avec des descriptions surprenantes et imagées qui amènent à réfléchir. Un an après, l’auteur écrit La guerre des mondes et fait venir les Marsiens (nom d’époque) sur Terre.

Vous pouvez lire L’œuf de cristal dans Les chefs-d’œuvre de H.G. Wells (Omnibus SF, 2007) ou librement en numérique, par exemple sur Bibliothèque numérique romande (BNR) ou Wikisource (français) ou l’écouter en audio sur LittératureAudio.com ou même le lire en anglais sur ce Wikisource.

Si j’ai choisi de lire une nouvelle de H.G. Wells, c’est pour honorer à la fois Les classiques c’est fantastique (en mai, tour d’Europe, avec donc ici l’Angleterre), La bonne nouvelle du lundi (ça fait longtemps !) et le nouveau challenge H.G. Wells mais cette lecture entre aussi dans 2022 en classiques, Littérature de l’imaginaire #10 et Les textes courts.

À noter que The Crystal Egg fut adapté en 1951 par Charles S. Dubin (1919-2011) pour la série télévisée américaine Tales of Tomorrow (saison 1, épisode 9, en NB, 24 minutes) donc je mets cette œuvre dans Les adaptations littéraires. Et vous pouvez visionner l’épisode ci-dessous.

Vie et poésie de Taras Chevtchenko

Genres : littérature ukrainienne, poésie, classique.

Taras Hryhorovytch Chevtchenko (en ukrainien : Тара́с Григо́рович Шевче́нко) naît le 25 février 1814 (9 mars dans le calendrier grégorien) à Moryntsi (région de Tcherkassy, Ukraine) dans une famille paysanne. Il est orphelin jeune (sa mère meurt en 1823 et son père en 1825). Il devient serviteur à Vilnius (Lituanie) et son employeur l’envoie à l’université de Vilnius pour qu’il suive les cours du peintre Jan Rustem (1762-1835) puis à l’Académie impériale des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg avec les cours du peintre Evgeny Nikolaevich Chiriaev (1887-1945).

Taras Chevtchenko est poète, peintre, ethnographe et humaniste. Il est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne. Il est aussi une figure emblématique dans l’histoire de l’Ukraine puisqu’il marque le réveil national du pays au XIXe siècle. Sa vie et son œuvre font de lui une icône de la culture de l’Ukraine et de la diaspora ukrainienne au cours des XIXe et XXe siècles. La principale université ukrainienne porte son nom depuis 1939, c’est l’Université nationale Taras-Chevtchenko à Kiev fondée en 1834 (photo ci-dessus, dans quel état est-elle maintenant ?…).

Sa vie n’est pas de tout repos, il recueille pour la Commission d’archéologie de Kiev les monuments historiques et les traditions folkloriques de l’Ukraine mais ses poèmes satiriques et ses idées politiques subversives (il milite pour l’abolition du servage et l’égalité sociale) déplaisent au tsar Nicolas Ier qui lui interdit d’écrire et de peindre… Il est alors exilé (d’abord à Orenbourg près de la mer Caspienne puis près de la mer d’Aral au Kazakhstan puis à nouveau au bord de la mer Caspienne à Novopetrovskoïe). Mais cela lui permet d’étudier les Kazakhs et il écrit et peint en cachette.

Il laisse une œuvre culturelle, littéraire (248 poèmes) et artistique ainsi que la création de l’alphabet ukrainien (mille ans après la création de l’alphabet cyrillique). Il meurt le 26 février 1861 (10 mars dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg (Russie), surveillé par la police du tsar.

Suite à la parution de son premier recueil de poèmes, Kobzar (en ukrainien Кобзар) en 1840, il est surnommé Kobzar qui signifie barde, c’est-à-dire un artiste qui chante en s’accompagnant de la kobza (ancien instrument de musique d’Europe de l’Est)… même s’il ne jouait pas de cet instrument !

Extraits de quelques-uns de ses poèmes

Le Caucase (1845) traduit par Eugène Guillevic. Terriblement d’actualité ! « Notre âme ne peut pas mourir, / La liberté ne meurt jamais. […] La vérité se lèvera ! / La liberté se lèvera ! […] Mais les rivières pour l’instant / Coulent toutes pleines de sang. […] Beaucoup de soldats y sont morts. / Combien de pleurs ? Combien de sang ? […] Luttez ; vous vaincrez ; Dieu vous aide ! / Avec vous sont la vérité, / La liberté sacrée, la gloire ! ».

Le soir (1876), traduit par Émile Durand pour la Revue des Deux Mondes (3e période, tome 15, p. 941). « La mère, autour de la maison, / A couché les petits enfants ; / Elle-même dort près d’eux. / Tout bruit s’éteint… Seuls, la jeune fille / Et le rossignol veillent encore. » Bien que la construction de cette poésie soit différente, elle me fait un peu penser à un haïku.

Marianne (1876), traduit par Émile Durand pour la Revue des Deux Mondes (3e période, tome 15, p. 942-944). Marianne est fille unique, belle, et sa mère veut la marier mais elle voit Pètre, un Cosaque, en cachette. « Pourquoi pleures-tu, mon bel oiseau ? lui demandait Pètre. Elle le regardait, et, souriante : – Je n’en sais rien moi-même ! – Tu penses peut-être que je t’abandonnerai ? Non, j’irai avec toi et je t’aimerai tant que je vivrai. »

Le testament (1921), traduction anonyme. « Quand je mourrai, enterrez-moi / Dans une tombe au milieu de la steppe / De ma chère Ukraine, / De façon que je puisse voir l’étendue des champs, / Le Dniéper et ses rochers, / Que je puisse entendre / Son mugissement puissant. ».

Le destin (sans date), traduit par Myroslawa Maslow. « Nous n’avons pas été sournois, / Nous avons marché tout droit, nous n’avons pas / Un seul grain de mensonge avec nous… ».

L’Hérétique (Jan Hus) (sans date), traduit par Sophie Borschak et René Martel. « Des flots de sang coulèrent, / Éteignirent l’incendie, / Et les Germains se partagèrent / Les tristes décombres / Et les orphelins. […] Mais, dans les décombres de jadis, / L’étincelle de fraternité couvait. / Elle couvait, elle attendait / Des mains fortes et hardies. / Elles vinrent. Alors jaillit, / Du plus profond des cendres, / La belle flamme, le cœur hardi, / Les yeux d’aigle intrépides. / Tu as allumé, Ô sage, / Le flambeau de la liberté / Et de la vérité. » Jan Hus (1372-1415) est un théologien et réformateur religieux tchèque qui fut excommunié, condamné pour hérésie et brûlé sur le bûcher. Il est considéré comme le précurseur du protestantisme.

Il est possible de lire la poésie de Taras Chevtchenko dans Œuvres choisies (DNIPRO, 1978, 320 pages, traduction d’Henri Abril, Nina Nassakina et Cazimir Szymanski, version bilingue et illustrée) et dans Kobzar (Éditions Bleu et Jaune, 2015, 130 pages, traduction et annotations de Darya Clarinard, Justine Horetska, Enguerran Massis, Sophie Maillot et Tatiana Sirotchouk).

Et pour finir, le portrait d’Ira Frederick Aldridge (1807-1867), acteur sénégalais-américain, un des plus grands interprètes du théâtre de William Shakespeare, que Taras Chevtchenko a réalisé au pastel en 1858 (il a rencontré l’acteur lors de sa tournée européenne qui l’a conduit jusqu’en Russie). Vous pouvez voir d’autres peintures de Chevtchenko sur WikiArt.

J’espère que ce billet vous a plu et je le dépose dans les challenges 2022 en classiques et Les classiques c’est fantastique #2 (le thème d’avril est « les enfants du siècle », ici le XIXe siècle) et Les textes courts.

Défi du 20 février 2022

Après une première année de l’atelier d’écriture Le défi du 20 en 2021, je continue avec les nouvelles consignes et le nouveau joli logo coloré (créé par Soène) chez Passiflore, où vous pouvez consulter toutes les infos.

En janvier, c’était 1 peintre, eh bien en février, c’est 2 poètes. Avec le Nouvel an lunaire (faussement appelé Nouvel an chinois) et le printemps qui arrive, j’ai envie de vous parler de 2 poètes japonais, des haïkistes, c’est-à dire des poètes qui écrivent des haïkus.

Déjà, je dois vous expliquer ce qu’est un haïku, n’est-ce pas ? C’est un poème très court, en 3 vers construits chacun de 5 puis 7 puis 5 syllabes ce qui fait au total 17 syllabes (ou mores). Le haïku contient absolument un élément de saison (le kigo) sinon ce n’est pas un haïku mais un moki (c’est qu’au Japon, tout est codifié, la poésie, la peinture, le thé, etc.).

Je ne vais pas vous parler à nouveau de Buson, je vais choisir deux autres haïkistes mais quand même parmi les plus connus pour ne pas vous perdre.

Bashô 芭蕉 (qui signifie ‘bananier’, de son vrai nom MATSUO Bashô, connu donc sous son prénom, ce qui est rare pour les Japonais qui utilisent systématiquement le nom de famille), naît en 1644 à Iga-Ueno (préfecture de Mie, au sud-est de l’île Honshû). Il meurt le 28 novembre 1694 à Ôsaka (région du Kansai sur l’île Honshû). Il n’a alors que 50 ans mais il laisse à la postérité des poèmes, des carnets de voyages et une école de poésie.

Bashô, Buson, Issa et Shiki sont les quatre grands haïkistes classiques japonais parce que chacun a apporté une évolution au haïku. Petit retour en arrière : au XVIe siècle, Sôkan est célèbre pour ses haïkus comiques (voire vulgaires). Au XVIIe siècle, Bashô crée une nouvelle forme de haïku (le style s’appelle shôfû), plus dans la contemplation et l’émotion de l’observation de la Nature et des éléments naturels, bref des poèmes tout en subtilité et beauté simple (mais cela n’empêche pas l’humour). C’est que Bashô pratique le bouddhisme Zen et qu’il fonde une école de poésie (dans son ermitage de Kukagawa dès 1680). Il est aussi auteur de carnets de voyages, agrémentés de haïkus, dont le plus célèbre est Le chemin étroit du Bout-du-Monde (Oku no hosomichi 奥の細道 / おくのほそ道) rédigé en haïbun (mélange de haïkus et de prose poétique) après un voyage au printemps 1689. Six recueils de poèmes sont parus entre 1672 et 1694, ainsi que sept recueils de poèmes en kasen (Bashô et les élèves de son école) entre 1684 et 1698, et sept journaux de voyages entre 1685 et 1694 dont plusieurs sont heureusement traduits en français (recueils ou anthologies, parfois en édition bilingue). Parmi ses haïkus les plus connus, le très beau Paix du vieil étang / Une grenouille plonge / Bruit de l’eau.

Passons maintenant Buson et Issa (nés au XVIIIe siècle) pour découvrir Shiki (XIXe siècle).

Shiki 子規 (qui signifie ‘petit coucou’), de son vrai nom Masaoka Tsunenori (donc connu lui aussi sous un prénom de plume), naît le 17 septembre 1867 à Matsuyama (préfecture d’Ehime, île Shikoku) dans une famille de samouraïs. Lorsqu’il étudie la littérature à Tôkyô, il rencontre l’écrivain Natsume Sôseki. Shiki est non seulement poète mais aussi critique littéraire, journaliste dès 1892 et fondateur de la revue littéraire Hototogisu en 1897 (Hototogisu signifie ‘Coucou’ et la revue a perduré après sa mort). Auteur de haïkus (fin du XIXe siècle mais qui influenceront le XXe siècle), Shiki est considéré comme un théoricien qui a rénové le haïku et a innové avec le tanka (poème similaire au haïku mais sans rimes et contenant 31 mores sur cinq vers). De plus, il rompt (vous avez compris que l’histoire du haïku est faite de ruptures et d’innovations) avec le romantisme du XVIIIe siècle et privilégie la Nature et la liberté, il est donc le fondateur du haïku moderne. Il meurt le 19 septembre 1902 à Tôkyô, il n’a que 35 ans, mais il laisse une œuvre importante (25000 haïkus, des monographies…) et il existe des éditions françaises (recueils, anthologies, certaines en édition bilingue). Parmi ses haïkus, voici Dites-leur / que j’étais un mangeur de kakis / qui aimait les haïkus !

Je mets ce billet un peu spécial dans les challenges 2022 en classiques et Les textes courts.

J’espère que ce voyage poétique au Japon vous a plu et qu’il vous aura donné envie de (re)découvrir le haïku. Les autres billets à consulter chez Passiflore et rendez-vous le 20 mars avec le thème 3 chanteurs (ci-dessous, le tableau des thèmes pour l’année).

La messe de l’athée d’Honoré de Balzac

La messe de l’athée d’Honoré de Balzac.

Pour la LC (lecture commune) du 20 février avec ClaudiaLucia, Maggie, Miriam et Rachel. Lecture en numérique in Œuvres complètes d’Honoré de Balzac, La Comédie humaine, dixième volume, première partie Études de mœurs, troisième livre, 1855, pages 74-89. Sur Wikisource (30 pages, illustré).

Genres : littérature française, nouvelle, classique.

Honoré de Balzac naît le 20 mai 1799 à Tours (Touraine). Romancier, dramaturge, journaliste, critique littéraire, imprimeur, cofondateur de la Société des gens de lettres (en 1837), il est plus spécialement connu pour sa Comédie humaine (près de 100 romans et nouvelles) dans laquelle il analyse ses contemporains (bourgeoisie, commerçants, ouvriers, petites gens…) et la montée du capitalisme, plutôt dans le genre réaliste mais en abordant aussi parfois les côtés philosophique, poétique et même fantastique. Il inspire entre autres Gustave Flaubert (parallèles entre L’éducation sentimentale et Le lys dans la vallée ou entre Madame Bovary et Une femme de trente ans), Marcel Proust et Émile Zola. Il dévore les livres depuis l’enfance et étudie le Droit puis se consacre à la littérature. Il y a tant d’autres choses à dire sur Balzac mais je vous laisse les découvrir dans la biographie Honoré de Balzac, le roman de sa vie de Stefan Zweig ou ailleurs. Il meurt le 18 août 1850 à Paris. Je (re)lis Balzac de temps en temps. En février 2010, j’avais publié une note de lecture de La maison du Chat-qui-pelote (pour un autre challenge concernant les classiques), en octobre 2020, une note de lecture de Gobseck (Pour Les classiques c’est fantastique, Balzac vs Flaubert) et tout récemment Le cabinet des antiques et La peau de chagrin (pour les lectures communes avec Maggie).

La messe de l’athée est une nouvelle parue en 1836 dans La Chronique de Paris. Fondée par Balzac en 1835, cette revue littéraire (et politique) avait aux commandes non seulement Balzac mais aussi le critique littéraire Gustave Planche (1808-1857), le jeune Théophile Gautier (1811-1872) et les grands illustrateurs Honoré Victorien Daumier (1808-1879), Jean-Jacques Grandville (1803-1847) et Henri Monnier (1799-1877). Le premier numéro paraît le 1er janvier 1836 avec des textes de Victor Hugo (1802-1885), d’Alphone Karr (1808-1890) et ce ceux cités ci-dessus. La nouvelle est publiée en 1837 dans le tome XII des Études philosophiques (Delloy et Lecou) puis en 1844 dans le tome X des Scènes de la vie parisienne (édition Furne de La comédie humaine).

Mais un peu de place pour La messe de l’athée et ses principaux personnages, trois beaux personnages d’hommes, Desplein, Bianchon, Bourgeat.

Alors que la médecine s’enseigne et se transmet, un grand chirurgien, Desplein, est mort emportant avec lui ses secrets et son savoir-faire, « une méthode intransmissible » (p. 2) parce que, audacieuse comparaison de Balzac, les chirurgiens sont comme les acteurs, ils « n’existent que de leur vivant et [leur] talent n’est plus appréciable dès qu’ils ont disparu. » (p. 2-3).

Desplein était un athée « pur et franc » (p. 6), un athée comme les gens d’église ne le supporte pas… C’est que Desplein doutait, étudiait et qu’il découvrit « deux âmes dans l’homme » (p. 6). C’est pourquoi il est mort « dans l’impénitence finale » (p. 6) comme « beaucoup de beaux génies, à qui dieu puisse-t-il pardonner. » (p. 6). Pourtant l’homme pouvait être « prodigieusement spirituel » (p. 8).

C’est pourquoi Balzac choisit une énigme, une anecdote, pour honorer le chirurgien en chef, en la personne d’un des élèves auxquels il s’était attaché à l’hôpital : Horace Bianchon, interne à l’Hôtel-Dieu. Un jeune provincial, pauvre mais brave, droit, joyeux, sobre et travailleur (à l’époque, on disait vertueux).

Un jour Bianchon voit Desplein entrer dans l’église Saint-Sulpice « vers neuf heures du matin » (p. 11), ce qui est surprenant car « l’interne qui connaissait les opinions de son maître, et qui était Cabaniste en dyable par un y grec (ce qui semble dans Rabelais une supériorité de diablerie) » (p. 11-12) et il le trouva « humblement agenouillé, et où ?… à la chapelle de la Vierge devant laquelle il écouta une messe, donna pour les frais du culte, donna pour les pauvres, en restant sérieux comme s’il se fût agi d’une opération. » (p. 12). Imaginez l’étonnement de Bianchon !

Le soir, enfin, durant le repas au restaurant, après d’infimes précautions et « d’habiles préparations » (p. 12), Bianchon donne son opinion sur « la messe, en la qualifiant de momerie et de farce » (p. 12). Desplein « prit plaisir à se livrer à toute sa verve d’athée » (p. 13) avec des « plaisanteries voltairiennes » (p. 13). Bianchon, surpris, pense qu’il a rêvé le matin. Mais trois mois après cet épisode, un médecin de l’Hôtel-Dieu met les pieds dans le plat : « Qu’alliez-vous donc faire à Saint-Sulpice, mon cher maître ? » (p. 13). Alors l’année suivante, même jour, même heure que la première fois, Bianchon espionne Desplein qui se rend à Saint-Sulpice !

Je ne vous en dit pas plus. Il faudra lire cette jolie nouvelle de Balzac pour découvrir le mystère du « bocal aux grands hommes » (p. 16) dans la rue des Quatre-Vents (quartier de l’Odéon, 6e arrondissement de Paris).

Le lecteur découvre ici un Balzac plus cérébral, plus scientifique mais qui laisse toujours sa place à la belle écriture, la belle littérature et à une spiritualité qui ne doit rien à l’Église (le dilemme entre science et religion) mais à la sensibilité, l’empathie et les pensées vertueuses que l’on porte en soi, ceci même si l’on vit dans « les marécages de la Misère » (p. 17).

Le lecteur découvre aussi le travail acharné, obstiné, que doit fournir un étudiant (très) pauvre pour « accaparer des connaissances positives afin d’avoir une immense valeur personnelle, pour mériter la place à laquelle j’arriverais le jour où je serais sorti de mon néant. » (p. 18). C’est finalement une histoire touchante et émouvante, pas seulement celle de Desplein, celle de Bianchon mais aussi (et surtout) celle du pauvre et bon Bourgeat avec son « caniche mort depuis peu de temps » (p. 23), le seul être qui était dans sa vie, quelle tristesse… Combien d’humains avec une vie si pauvre, si seule, si triste et pourtant si pleine de bonté ?

Une histoire dans laquelle il faut se prémunir des riches, des jaloux, des égoïstes, des calomnieux, des méchants, ce qui n’a pas changé à notre époque !

Quelques mots sur Desplein. Médecin et chirurgien inspiré de l’anatomiste et chirurgien Guillaume Dupuytren (1777-1835), il apparaît entre autres dans Ferragus (1833) et dans L’interdiction (1836).

Quelques mots sur Horace Bianchon. Il naît en 1797 à Sancerre et apparaît dans La comédie humaine en 1837 dans César Birotteau (il est le cousin d’Anselme Popinot, employé de César Birotteau et assiste à un bal). Il apparaît ensuite régulièrement, encore étudiant (Le père Goriot en 1834, Illusions perdues en 1837-1843…) ou en tant que médecin (Étude de femme en 1830, La peau de chagrin en 1831, Splendeurs et misères des courtisanes en 1838-1847, La cousine Bette en 1846-1847 et Le cousin Pons en 1847…) et devient un grand médecin parisien. J’ai toujours trouvé incroyable les entrelacements et entrecroisements de personnages que Balzac a créés, c’est énorme !

Une très belle lecture, courte mais émouvante, que je mets dans 2022 en classiques, Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 8, un livre dans ma PàL depuis plus de 5 ans, depuis 35 ans même ! comme tous les titres de Balzac que je n’ai pas encore lus, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 8, un classique de la littérature française) et Les textes courts.

L’aventure de la bande mouchetée d’Arthur Conan Doyle

L’aventure de la bande mouchetée d’Arthur Conan Doyle.

In Les aventures de Sherlock Holmes (p. 233-268), Archipoche, collection Classique, mars 2019, 393 pages, ISBN 978-2-37735-265-4. Nouvelles traduites de l’anglais par Jeanne de Polignac et Gaston Simoes de Fonseca. Préface et textes du cahier central illustré de Bernard Oudin.

Genres : littérature anglo-écossaise, littérature policière, nouvelle.

Arthur Conan Doyle naît Arthur Ignatius Conan Doyle le 22 mai 1859 à Édimbourg (Grande-Bretagne). Son père écossais catholique est peintre et sa mère, d’origine irlandaise, est mère au foyer (10 enfants). Il étudie chez les Jésuites mais devient agnostique. Il étudie ensuite la médecine et exerce tout en écrivant (romans, nouvelles, théâtre, entre autres). Il est anobli en 1902 par le roi Édouard VII (Chevalier de l’ordre du Très vénérable ordre de Saint-Jean) et meurt le 7 juillet 1930 à Crowborough (Sussex). Son œuvre est trop abondante pour que je la cite ici mais il est très connu pour Sherlock Holmes, le professeur Challenger et pour ses nouvelles et ses contes.

Cette enquête est une des premières de Sherlock Holmes et John Watson mais elle n’avait pas été relatée plus tôt parce que Watson était tenu au secret. Il explique bien sûr pourquoi il a été relevé de ce secret et lance immédiatement l’aventure de très bon matin.

Avril 1883. Une jeune cliente s’est présentée à l’aube à Baker Street et « Mme Hudson a donné le branle et, ayant été brusquement tirée de son lit, elle s’est vengée sur moi, et moi sur vous. » (p. 234).

La jeune femme, dans la trentaine, semble vieillie prématurément et a assurément très peur. « Je m’appelle Hélène Stoner, et je vis chez mon beau-père, le dernier rejeton d’une des plus vieilles familles saxonnes d’Angleterre, les Roylott, de Stoke Moran, famille fixée sur les confins ouest du Surrey. » (p. 237).

Après avoir perdu sa mère il y a huit ans, Hélène Stoner a perdu sa sœur jumelle il y a deux ans, dans des circonstances étranges et non élucidées. « Oh ! Dieu, Hélène ! C’était la bande ! La bande mouchetée » (p. 243) furent ses dernières paroles avant de rendre l’âme malgré les soins de leur beau-père, médecin. Ces bruits qu’elle entendait la nuit avaient-il un lien avec les bohémiens installés dans le parc du domaine ?

Or, s’étant installée tout récemment dans la chambre de sa sœur à cause de travaux dans la sienne, Hélène a entendu les même bruits et sifflements dont sa sœur lui avait parlé avant sa mort. Imaginez son angoisse !

Holmes et Watson étant d’accord pour s’occuper de cette « affaire bien obscure et sinistre » (p. 247), ils vont se rendre à Stoke Moran le jour même. Mais avant de partir, ils sont carrément menacés par « le docteur Grimesby Roylott, de Stoke Moran » (p. 248) qui a suivi sa belle-fille ! « Ça m’a l’air d’un homme fort aimable. […] Cet incident donne un charme de plus à notre enquête […] » (p. 249) ironise Holmes.

Lorsque je lis une histoire de Sherlock Holmes, je suis toujours épatée de la concision de John Watson (d’Arthur Conan Doyle donc) mais, le tout, en citant plein de détails, minutieusement, et en utilisant parfois l’humour. Il est bon ici de préciser que, n’ayant pas tous les détails importants, Héléna ne les connaissant pas non plus, Holmes a dû « raisonner sur des données insuffisantes » (p. 265) et « [ses] premières conclusions [étant] tout à fait erronées » (p. 265), il s’est d’abord lancé sur une fausse piste, ce qu’il reconnaît honnêtement devant Watson. De mon côté, je n’avais rien deviné (alors que j’avais déjà lu ce titre il y a des années !!!). Et vous ?

Pour le challenge Les classiques c’est fantastique #2, le thème de décembre est « Élémentaire mon cher Watson ! », j’en déduis donc – à la manière de Sherlock Holmes 😛 – qu’il faut lire un ou des titres de Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle. J’ai choisi L’aventure de la bande mouchetée parce que j’ai lu que c’était le titre préféré de l’auteur (et parmi les titres préférés des fans de Sherlock Holmes) mais je me suis rendu compte en rapatriant d’anciens billets sur le blog (hier) que je l’avais déjà lu en 2010, ce que j’avais complètement oublié !

Cette lecture entre aussi dans 2021 cette année sera classique, A year in England, British Mysteries #6, Challenge lecture de mademoiselle Farfalle (catégorie 17, un classique de la littérature anglaise – j’avais lu le tome 2 de La Source au bout du monde de William Morris mais je n’ai pas encore ouvert le carton dans lequel il y a le cahier avec la note de lecture au brouillon…), Les textes courts et Le signe des trois – Sherlock Holmes (un « vieux » challenge, créé en 2010, mais qui est toujours valide puisqu’il est illimité et pour lequel j’ai republié d’anciens billets).

Atar Gull de Nury et Brüno

Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle de Nury et Brüno.

Dargaud, collection Long Courrier, octobre 2011, 88 pages, 16,95 €, ISBN 978-2-20506-746-0.

Genres : bande dessinée française, Histoire, adaptation d’une œuvre littéraire.

Fabien Nury naît le 31 mai 1976 en France. Il étudie le commerce dans une grande école à Paris mais devient scénariste de bandes dessinées, W.E.S.T., Je suis légion, Il était une fois en France… Des BD historiques ou science-fiction ou policières. Il est aussi scénariste pour le cinéma.

Bruno Thielleux, dit Brüno, naît le 1er mars 1975 à Albstadt en Allemagne mais il est Français (son père y est militaire). Il étudie les arts plastiques à l’École Estienne à Paris puis à Rennes. Il débute sa carrière de dessinateur en 1996 mais il est aussi scénariste. Plus d’infos sur son site officiel.

Laurence Croix naît le 29 janvier 1974 à Châteaubriant en Loire-Atlantique. Elle est coloriste et travaille avec de nombreux auteurs de bandes dessinées (Apollo, Brüno, Jean Dufaux, Li-An…).

1830. Afrique. « Moi, Atar Gull, je ne pleurerai jamais. Jamais. » (p. 4).

Monsieur Benoît, capitaine de la Catherine, fait du trafic de « bois d’ébène » (p. 11). Atar Gull est une des marchandises, il est vendu par Van Hop pour 100 guinées et pourra en rapporter 500 « au bas mot » (p. 17) à la Jamaïque. Mais le brick du capitaine Benoît est attaqué par une goélette sans pavillon. C’est la Hyène du capitaine Brulart, un pirate qui embarque plusieurs esclaves pour les vendre à son compte. Bon, sur les 100 du départ, il n’en reste plus que 17… dont Atar Gull – fils du roi des petits Namaquas – qui est acheté « par monsieur Tom Will, planteur à Greenwiew » (p. 46).

Ce Tom Will est un humaniste et il traite bien ses esclaves, du moins mieux que les autres planteurs… On parle déjà des « abolitionnistes », des « nègres marrons » mais il y a de nombreuses exactions…

Cette bande dessinée possède des couleurs chatoyantes et quelques personnages hauts en couleurs mais c’est surtout la vengeance d’Atar Gull qui est terrible ! « Moi, Atar Gull, je suis ton bourreau, et ton supplice sera plus long que le mien la été. » (p. 83).

Atar Gull est une adaptation du roman éponyme d’Eugène Sue, un roman de 400 pages paru en 1831 (disponible librement sur Wikisource). Roman maritime (avec une sacrée tempête puis un abordage par des pirates), roman social sur la traite des Noirs et récit d’une vengeance impitoyable, Eugène Sue a accompli un coup de maître en « dénonçant » toute la chaîne aussi bien noire que blanche (du côté des Noirs il y a les tribus qui se font des guerres incessantes et qui pratiquent le cannibalisme ou vendent aux hommes blancs les prisonniers des autres tribus, et du côté des Occidentaux il y a la traite d’êtres humains et l’esclavage). Nury, Brüno et Laurence Croix rendent parfaitement l’intensité dramatique de cette histoire qui se déroule au début du XIXe siècle.

Une très belle adaptation lue pour Les classiques c’est fantastique #2 (le thème d’août est de l’écrit à l’écran en passant par les cases) que je mets également dans La BD de la semaine et les challenges 2021, cette année sera classique, À la découverte de l’Afrique (les Namaquas viennent d’Afrique australe, c’est-à-dire Namibie et Afrique du Sud), BD, Challenge de l’été #2 (voyage en Jamaïque), Des histoires et des bulles (catégorie 49, une BD avec des pirates) et Les textes courts.

Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

Quand nous nous réveillerons d’entre les morts de Henrik Ibsen

Quand nous nous réveillerons d’entre les morts de Henrik Ibsen.

Actes Sud-Papiers, janvier 2005, 80 pages, 13,20 €, ISBN 978-2-7427-5285-0. Når vi døde vågner (1899) est traduit du norvégien par Eloi Recoing.

Genres : théâtre norvégien, classique.

Henrik Ibsen naît le 20 mars 1828 à Skien (Norvège). Ruiné par ses affaires et de mauvaises spéculations, le père Ibsen devient alcoolique et la mère se réfugie dans la religion. Le jeune Henrik est apprenti en pharmacie et fait des études de médecine mais devient finalement dramaturge et directeur artistique du théâtre de Bergen puis du théâtre de Christiana (Oslo). Puis il s’intéresse au socialisme, au syndicalisme et voyage en Europe, Copenhague (Danemark), Rome (Italie), Dresde puis Munich (Allemagne) où il écrit plusieurs pièces. Il est considéré comme un auteur libéral et réaliste. Il meurt le 23 mai 1906 à Christiania (Oslo, Norvège).

Je ne comprends absolument pas le norvégien mais le titre original ouvrirait sur une « équivoque temporelle ouvrant à la fois sur le passé, le présent et le futur. » (note liminaire, p. 5).

L’acte I se déroule dans une station balnéaire avec le maître sculpteur Arnold Rubek, son épouse Maja et l’inspecteur des bains.

Matin d’été dans le nord de la Norvège, vue sur le fjord. Le couple Rubek a pris son petit-déjeuner et boit du Champagne (lui) et de l’eau de Seltz (elle) en lisant chacun son journal mais quel silence… et quel ennui ! Car, depuis que Rubek a fini son chef-d’œuvre, Le Jour de la Résurrection, il tourne comme un lion en cage, ne trouve « aucun repos nulle part » (p. 13) et est « devenu proprement un sauvage pour finir » (p. 13). Mais le hoberau Ulfheim, chasseur d’ours, leur propose de l’accompagner à la montagne plutôt que de faire du cabotage. « Non, venez plutôt avec moi dans la montagne. Là-haut, pas de présence humaine, pas de souillure humaine. » (p. 24). Rubek a un échange avec une cliente de l’hôtel qu’il a connue par le passé, Irène, qui l’appelle Arnold.

Les actes II et III se déroulent près d’un sanatorium en montagne avec les mêmes (sauf l’inspecteur des bains).

Le couple Rubek est au bord d’un lac de montagne. Maja va partir à la chasse avec le hobereau Ulfheim, son serviteur Lars (le valet de chasse) et les deux chiens. Mais, avant, elle a une discussion avec son époux. « […] tu es laid, Rubek. » (p. 38), « Peu à peu t’es venue cette méchanceté dans le regard. » (p. 39). En fait Maja fait une crise de jalousie à cause d’Irène. « Tu es bien difficile à satisfaire, Maja ! Bien difficile ! » (p. 44). Quant à Rubek, il est prêt à la séparation d’avec Maja puisqu’il a retrouvé Irène et il n’y a qu’elle qui peut lui redonner l’inspiration, du moins le pense-t-il. « Tu as la clef ! Tu es la seule à l’avoir ! (Suppliant). Aide-moi – à revenir à la vie ! » (p. 59).

Vous le voyez le tiret dans l’extrait ci-dessus ? Henrik Ibsen en utilise de nombreux pour marquer l’hésitation ou l’interruption. D’autant plus qu’Irène n’est pas sur la même longueur d’ondes que Rubek. « (impassible, comme avant). Rêves creux – inutiles – rêves morts. Notre vie commune ne connaîtra pas de résurrection. » (p. 59). Mais aussi bien Maja que Rubek devraient prendre garde à leur petit jeu car « au début, rien n’est dangereux. Mais, tout à coup, on arrive à un étranglement et alors, impossible d’avancer ou de reculer. » (p. 70).

Sous-titré : un épilogue dramatique en trois actes, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts est la dernière pièce d’Ibsen. Rédigée en 1899, elle est publiée en 1900 et jouée au Hoftheater à Stuttgart (Allemagne) le 26 janvier 1900.

Rubek est un grand artiste reconnu dans le monde entier mais il a perdu de sa superbe depuis qu’il ne crée plus rien et Maja, sûrement plus jeune, s’ennuie avec lui… Chacun va se laisser tenter de son côté, Maja par l’aventure bien plus excitante que la prison dorée dans laquelle elle a l’impression de vivre, Rubek par le passé qui le rattrape mais lui échappe. L’auteur se reconnaît-il en Rubek ? Je ne sais pas. Je ne connais que trop peu l’œuvre de Henrik Ibsen pour l’affirmer ou l’infirmer. J’ai bien aimé (même si je n’ai pas grand-chose de plus à dire) et je lirai d’autres de ses pièces dans le futur (si vous avez un titre incontournable à me conseiller !).

Pour 2021, cette année sera classique, Challenge de l’été #2 (voyage en Norvège, dans une station balnéaire puis au bord d’un lac de fjord et en montagne), Challenge lecture 2021 (catégorie 25, une pièce de théâtre, 2e billet), Challenge nordique et Les textes courts.