On dirait que l’aube n’arrivera jamais de Paolo Rumiz

On dirait que l’aube n’arrivera jamais – Cahier de non-voyage de Paolo Rumiz.

Arthaud, août 2020, 208 pages, 13 €, ISBN 978-2-0815-1960-2. Il veliero sul tetto. Appunti per una clausura (2020) est traduit de l’italien par Béatrice Vierne.

Genres : littérature italienne, récit, témoignage.

Paolo Rumiz naît le 20 décembre 1947 à Trieste (Italie). Il est journaliste, écrivain et grand voyageur. Il a reçu de nombreux prix littéraire et plusieurs de ses titres sont parus en français, Aux frontières de l’Europe (2011), L’ombre d’Hannibal (2012), Pô, le roman d’un fleuve (2014), Le phare, voyage immobile (2015), La légende des montagnes qui naviguent (2017), Comme des chevaux qui dorment debout (2018), Appia (2019) dont j’ai entendu parler mais c’est la première fois que je lis cet auteur.

« Pendant le confinement, je me suis évadé, je l’avoue. J’ai scié les barreaux et hop, dehors. » (p. 11) « […] en me donnant des visions panoramiques de l’avenir. Et surtout en éveillant ma conscience d’être un privilégié uniquement parce que j’avais un toit sur ma tête et un garde-manger plein. Mais le vrai, le superbe don de cette pandémie, qui n’a pas été qu’une catastrophe, mais aussi un précieux avertissement, ce fut l’occasion de réfléchir. » (p. 11-12).

Voici donc le journal de bord de Paolo Rumiz, le cahier de ce non-voyage, ou plutôt de ce voyage intérieur (chez lui et en lui-même). Les Italiens sont confinés chez eux (l’auteur vit à Trieste), la frontière avec la Slovénie est fermée (l’auteur fait normalement du vélo) et ses voyages en Europe sont annulés, l’auteur n’a plus qu’à écrire, « […] j’ai tout le temps voulu à ma disposition. Il n’y a rien de plus beau qu’un ouvrage que l’on commence. » (p. 18). « J’ai décidé de m’autoconfiner strictement. Je ne bougerai pas de chez moi. J’ai soixante-douze ans, catégorie ‘à risques’, et je dois donner l’exemple. » (p. 19).

Mais ses yeux restent ouverts sur le monde et sur ce qu’il se passe dans sa ville (Trieste), ses voisins grâce aux balcons, les hôpitaux et les personnels soignants, sa mère morte loin de lui et de ses petits-fils, les idées fascistes qui prolifèrent, ses conversations au téléphone, ses comparaisons entre les comportement en Italie et les comportements dans les autres pays d’Europe (voir ci-dessous), les souvenirs qui remontent à la surface, les violences domestiques qui explosent, et les oiseaux qu’il observe… « […] l’homme s’aperçoit qu’il n’est rien au milieu de que qui l’entoure, mais en même temps, il s’aperçoit que sa centralité contribue à garantir la continuité du monde. » (p. 33) et il n’a pas sa langue dans sa poche, « […] on ne reste pas chez soi uniquement pour soi, mais aussi pour les autres. Ce qui différencie vraiment les gens, c’est de le comprendre. La liberté, ce n’est pas faire ce qu’on veut. » (p. 38).

Parfois il s’inquiète. « Et l’Europe, elle restera debout ? Car enfin, l’Europe, la voici réunie uniquement par la peur. C’est désormais le couvre-feu général. Tout le monde aura dansé jusqu’au bout. L’Espagne par gaieté, les Allemands pour raisons économiques, la France drapée dans sa grandeur, l’Angleterre à cause du cynisme d’une classe dirigeante composée de privilégiés. » (p. 49-50), bien vu ! « Comment peut-on ne s’apercevoir de la réalité que lorsqu’elle se transforme en urgence ? Je tremble pour cette Union au sein de laquelle je n’entends aucune voix s’élever pour donner une information calme, autorisée, univoque. Tout le monde avance en ordre dispersé. Au Sud, nous péchons par imprévoyance, mais au Nord ils pèchent par arrogance. » (p. 64). Je précise que l’auteur écrit tout ça en mars 2020, à chaud et ça me rappelle que le livre que j’avais lu en mai 2020 était aussi d’un auteur italien, Contagions de Paolo Giordano.

Le printemps arrive (29 mars). « J’ai de ma fenêtre des visions extraordinaires. D’un seul et même coup d’œil, les Alpes, la fin de la Méditerranée, l’Europe centrale, les terres du couchant apportant les vents de l’Atlantique […]. » (p. 72).

Jour après jour, Paolo Rumiz livre ses pensées, ses idées pour un monde meilleur, un monde laïque dans lequel chacun serait libre et égal aux autres. Il ne croit pas aux dirigeants et aux nations mais aux Européens, oui, aux jeunes en particulier. Il raconte aussi son quotidien, le plaisir de cuisiner, d’écrire, de regarder par la fenêtre, d’être en contact avec les amis de partout grâce à internet. Avec finesse, il raconte les désordres, les absurdités mais aussi les belles choses, la magie du rêve et de l’imaginaire, et il y met de la poésie et de l’humour. Il raconte le libraire qui a reçu l’autorisation de livrer des livres, « Le monde s’est arrêté et quand l’angoisse s’unit à la quarantaine, les livres deviennent importants, ils tiennent compagnie, ils font voyager. » (p. 107). L’auteur parle aussi de poésie, de musique, d’écologie… Une belle lecture, inspirante.

Vous allez me dire que les confinements sont terminés, que le covid est en bout de course et qu’il n’est peut-être pas très utile de lire ce livre maintenant, après coup, mais, justement, après cette lecture, le lecteur peut s’interroger : qu’est devenu « le monde d’après » ? Est-il comme on l’espérait ? Meilleur, plus juste, plus sain ? « un monde de sobriété bienvenue, dans le respect de la finitude du monde. » (p. 126). Ou tout est revenu comme avant et cela n’aura finalement pas servi à grand-chose sauf pour quelques penseurs ?

Je note quelques titres, au cas où, pour les lire : Les somnambules de Christopher Clark que l’auteur mentionne page 45, Le déclin de l’Occident d’Oswald Spengler mentionné page 65, Pougatchev de Sergueï Essenine dont l’auteur publie une poésie page 86, Les œufs fatidiques de Boulgakov cité page 114 et Pèlerin parmi les ombres de Boris Pahor cité page 177.

Pour ABC illimité (lettre O pour titre), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 4, une (auto)biographie), Challenge lecture 2023 (catégorie 54, un livre tiré d’une histoire vraie), Petit Bac 2023 (catégorie Moment de la journée pour Aube, 2e billet), Tour du monde en 80 livres (Italie).

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