La sauvagière de Corinne Morel Darleux

La sauvagière de Corinne Morel Darleux.

Dalva, août 2022, 144 pages, 17 €, ISBN 978-2-4925-9673-5.

Genres : littérature française, premier roman (pour adultes).

Corinne Morel Darleux naît le 1er octobre 1973 à Paris mais vit dans la Drôme. Elle obtient un doctorat (PhD) britannique et étudie à l’ESC Rennes (école de commerce). Elle est autrice (romans adultes et jeunesse, essais), journaliste et militante écosocialiste (conseillère régionale en Rhône-Alpes puis en Auvergne-Rhône-Alpes entre 2010 et 2021). Plus d’infos sur son blog, Revoir les lucioles.

Depuis six mois, après un accident, la narratrice se repose dans une maison forestière isolée en montagne, et depuis trois jours « Stella et Jeanne se sont volatilisées. Je suis seule dans la maison et je tourne en rond.3 (p. 13). Pourtant, elle agit comme si elles étaient encore là (par exemple, elle prépare trois tasses de chicorée). L’hiver arrive et il n’y a pratiquement plus rien dans le jardin… Pour subvenir à ses besoins, elle doit puiser 3dans les réserves d’oignons et de pommes de terre remisés avant l’hiver3 (p. 19).

Flashback, six mois auparavant lorsque Stella et Jeanne l’ont trouvée accidentée et l’ont amené dans la maison. « Nous étions très différentes et pourtant nous fonctionnâmes rapidement comme des âmes sœurs ; connectées par je ne sais quel mycélium clandestin. » (p. 48-49). Mais les deux femmes ne parlent pas et la narratrice les considère comme « des êtres de nature » (p. 54). Cependant, le calme, la vie frugale, la nature, tout cela lui convient parfaitement par rapport à la folie de la vie citadine, « des foules toxiques, du bruit nauséabond des villes et de leurs désastres plastiques. » (p. 71).

Mais, au début de l’hiver, Jeanne commence à sortir nue toutes les nuits… « Elle revenait invariablement de ses opérations en forêt chargée de plantes sauvages, de champignons et de proies variées. Son agilité à la chasse intimait le respect. Mais ses escapades nocturnes donnaient à toutes ces qualités une coloration énigmatique, vaguement inquiétante. » (p. 60).

Nous sommes ici dans univers onirique, un huis-clos en pleine nature, qui se déroule sur trois saisons, l’été, l’automne et l’hiver, chacune ayant des influences et des perceptions diférentes sur le comportement de la narratrice mais l’autrice ne donne pas vraiment de réponses aux lecteurs même s’il y a un petit indice pages 61 et 71 et le fait qu’elle parle de deux lunes (donc j’ai deviné l’état de la narratrice à moins que je me trompe).

C’est joli à lire et il y a un développement poétique de l’écologie et des animaux (que nous, humains, sommes aussi) mais je suis dubitative… De plus, comme vous l’avez vu, je dis « la narratrice » car l’autrice ne dit pas qui elle est, quel est son prénom, je trouve ça un peu impersonnel et je n’arrive pas à m’attacher à elle, à me retrouver en elle. Cette lecture est agréable, originale mais… désolée, un peu vaine. Cependant, les éditions Dalva continuent leur travail éditorial féminin original et je dois dire que la couverture est tentante.

Pour Un genre par mois (en novembre, c’est du contemporain) et ABC illimité (titre avec la lettre S).

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Trinity, Trinity, Trinity d’Erika Kobayashi

Trinity, Trinity, Trinity d’Erika Kobayashi.

Dalva, mai 2021, 220 pages, 20 €, ISBN 978-2-492596-05-6. ィ、トリニティ、トリニティ (Shûeisha, 2019) est traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon.

Genres : littérature japonaise, roman, science-fiction.

Erika Kobayashi naît le 24 janvier 1978 à Tôkyô (Japon). Son premier roman, Madame Curie to chôshoku o (Petit-déjeuner avec Madame Curie, non traduit en français), paraît en 2014 (Shûeisha). Trinity, Trinity, Trinity reçoit le 7e Tekken Heterotopia Literary Prize en 2020. Elle est aussi mangaka et artiste plasticienne et a déjà exposé. Ses thèmes de prédilection sont Thomas Edison, Marie Curie et le nucléaire. Plus d’infos sur son site officiel.

Cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Tôkyô 2020. Une vieille dame est hospitalisée, sa fille et sa petite-fille (13 ans) sont à son chevet, mais elle ne les voit pas vraiment, ne les reconnaît pas, ne sait pas où elle est. Pendant ce temps-là, « […] le relais de la flamme olympique. […] Les spectateurs filment avec leurs smartphones et agitent de petits drapeaux nippons tandis qu’on leur rappelle de prendre garde au coup de chaleur et de bien s’hydrater. » (p. 20-21). Coup de chaleur ? Bien s’hydrater ? Ah, personne ne pouvait savoir en 2019 (date de parution du roman) donc pas de coronavirus ici et les Jeux de Tôkyô ont bien lieu en 2020 et pas en 2021 (ce qui donne une saveur particulière au récit).

La narratrice, la fille de la vielle dame, est inscrite sur Trinity, une plateforme un peu spéciale dont le slogan est « l’essentiel est invisible pour les yeux » (p. 33), une phrase essentielle à la lecture de ce roman. Mais alors qu’elle prend la ligne Saikyô, la narratrice voit un vieil homme qui « serre entre ses doigts une pierre noire et luisante. […] Il ne va quand même pas asperger le wagon de matière radioactive ? » (p. 38). Cela fait neuf ans que des seniors sont apparus avec la ‘pierre d’infortune’, « C’était l’année du grand séisme, du tsunami et de l’accident nucléaire de Fukushima » (p. 41). L’autrice développe une analyse des catastrophes et de leurs conséquences sur le moyen et long terme.

Ces seniors sont atteints de TRINITY. « Le nom de cette maladie était une longue locution anglaise. Laquelle avait pour acronyme TRINITY. Trinity. Ce n’est qu’une fois baptisée que la maladie avait enfin révélé sa vraie nature. » (p. 69). De plus en plus de personnes âgées sont touchées, certaines sont même filmées. « Qu’ainsi débute la révolte des invisibles. » (p. 106). Mais les ‘séniors Trinity’ ne sont-ils pas des terroristes et « Leur prochain objectif était-il le relais de la flamme olympique ? Ou la cérémonie d’ouverture ? Les rumeurs faisaient rage. » (p. 113). Or, alors qu’elle ne peut plus marcher depuis sa chute… « Maman a disparu. » (p. 137) !

La vallée de Saint-Joachim en Bavière, les travaux de Marie Curie, le radium… c’était au début des années 1920, il y a 100 ans… « Si on avait fait des choix différents à cette époque, le présent serait-il différent de sa version actuelle ? » (p. 165-166). On ne le saura jamais… à moins qu’il existe un (des) monde(s) parallèle(s) dans le(s)quel(s) les choix étaient différents.

Je ne sais pas si j’ai tout compris dans ce roman très particulier mais il donne à réfléchir et je retiens que tout est lié, le passé, le présent, le futur et qu’une question reste lancinante tout du long : et si ce que l’on pense être une bénédiction pour l’humanité serait en fait mauvais. Comme le radium dont on a pensé qu’il guérissait. Quant aux Jeux olympiques, ils réunissent des sportifs du monde entier (presque) mais à Berlin en 1936, le nazisme fut mis en avant, à Munich en 1972, il y a eu un attentat terroriste et des morts, on peut donc à juste titre se questionner. Les personnes âgées déboussolées de 2020 étaient jeunes lors des premiers Jeux olympiques de Tôkyô en 1964 (en prévision desquels de nombreux lieux ont été détruits).

De plus les Japonais sont traumatisés par les bombes larguées en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki mais le radium et même le plutonium 235 avaient été très bien accueillis par le passé (on apprend d’ailleurs quelque chose de surprenant à la fin de ce roman). Quant aux personnes âgées, elles sont très nombreuses alors qu’arriverait-il si quelque chose (maladie, folie…) s’emparait d’elles ? Trinity, Trinity, Trinity est un roman vraiment atypique qui surprend et qui envoûte. Et puis, il y a aussi un thème très présent, celui de la femme, de la féminité, ce n’est pas pour rien si les personnages principaux (et pratiquement les seuls du roman) sont trois générations de femmes, grand-mère, mère, fille et leurs difficultés à se comprendre, à communiquer. Les liens, comme les radiations, seraient-ils invisibles ?

J’espère que, comme moi, vous prendrez plaisir à lire cet OLNI (Objet littéraire non identifié) même s’il n’est pas facile à aborder. En plus, j’ai découvert cette maison d’éditions toute récente (mai 2021) qui veut « [mettre] à l’honneur des autrices contemporaines. À travers leurs textes, elles nous disent leur vie de femme, leur relation à la nature ou à notre société. Elles écrivent pour changer le monde, pour le comprendre, pour nous faire rêver. » Très belle idée.

Pour le Challenge de l’été #2 (Japon, 2e billet), Challenge lecture 2021 (catégorie 9, un livre dont l’action se passe durant les vacances d’été, 2e billet mais il entre aussi dans les catégories 12, 15, 39), Littérature de l’imaginaire #9 et S4F3 #7.