Gentlemind 2 de Díaz Canales, Valero et Lapone

Gentlemind 2 de Díaz Canales, Valero et Lapone.

Dargaud, février 2022, 72 pages, 18 €, ISBN 978-2-20508-724-6.

Genre : bande dessinée espagnole.

Juan Díaz Canales est le scénariste. Il naît en 1972 à Madrid (Espagne). Après avoir étudié l’animation, il devient scénariste et dessinateur de bandes dessinées. Du même auteur : Blacksad et Corto Maltese entre autres.

Teresa Valero est la co-scénariste. Elle naît le 23 juillet 1969 à Madrid (Espagne). Elle travaille pour le dessin d’animation (Corto Maltese, Nanook parmi les séries animées et Astérix et les Vikings, Bécassine parmi les films d’animation) puis se tourne vers le scénario de bandes dessinées. Du même auteur : Sorcelleries (3 tomes).

Antonio Lapone est le dessinateur et le coloriste. Il naît le 24 octobre 1970 à Turin (Italie). Après avoir été dessinateur pour une agence de publicité, il se lance dans la bande dessinée. Il vit en Belgique. Plus d’infos sur son blog, Lapone Art.

Lorsque j’ai lu Gentlemind 1, je ne pensais pas mettre si longtemps pour lire le tome 2… mais, voilà, c’est chose faite ! Le premier tome se déroulait entre 1939 et 1944 et le lecteur faisait la connaissance principalement d’Arch Parker (dessinateur), Navit (son amie), H.W. Powell (riche industriel, propriétaire du magazine Gentlemind), Waldo Trigo (avocat portoricain) et sa sœur Gabriela (activiste).

Brooklyn, New York, 1945, Navit devenue Gina Powell (dans le 1er tome) a hérité de Gentlemind à la mort de son époux mais ça ne plaît pas à l’équipe de rédaction (que des hommes) et Arch est quelque part en Europe (en train de se battre… ou mort…).

Gina veut absolument moderniser le vieillissant Gentlemind pour en faire un magazine moderne avec de la fiction. Mais elle ne veut pas faire comme la concurrence, Esquire qui mise sur l’érotisme et Amazing Stories qui mise sur l’imaginaire (en particulier la science-fiction et le fantastique).

Juin 1945, John Doe doit écrire une histoire de fiction pour chaque numéro mais Robert Hearn du New York Times dévoile que John Doe est en fait l’avocat Waldo Trigo, or il est Portoricain et des échauffourées ont lieu entre les Portoricains qui manifestent et la police…

Décembre 1945, Gina a réussi son coup avec « Homme de papier, la nouvelle fiction américaine, Capote, Faulkner, Steinbeck, Hemingway, Fitzgerald, Chandler, Salinger, Camus, Bradbury » (p. 12), excusez du peu ! À noter que Camus, Français né en Algérie, est assimilé à cette « nouvelle fiction américaine ».

Juin 1947, le magazine est en plein essor et publie Gus Greene, Joe Clayton, Ira B. Philips, C.C. Fuse, Carson Ravitch, Arthur McVoy, Bruce Enoch, Alexander Foxton, des noms que, je l’avoue, je connais moins que ceux cités plus haut.

Août 1949, Gina est blessée lorsqu’elle voit un numéro spécial d’Esquire proposant « une anthologie des plus belles pin-up d’Arch Parker ». (p. 14). Pendant ce temps-là, les Portoricains continuent de manifester pour leurs droits.

Juin 1950, Gentlemind titre « Vous les hommes êtes tous égaux. » (p. 15). Mais les manifestants portoricains ont été arrêtés par la police et Gabriela, blessée par balle, est à l’hôpital. Robert Hearn rend visite à Waldo Trigo en prison et veut lui faire dire une opinion politique. « Il n’y a pas de patrie, Hearn. Il y a des hommes qui écrasent d’autres hommes et des hommes qui se défendent, c’est tout. J’embrasserai cette cause, mais je ne ferai mienne aucune langue, aucune terre. Et la seule arme que je compte utiliser pour cela, c’est l’écriture. » (p. 19).

D’autres histoires se rajoutent à celle de Gentlemind comme celle de Jo, la nouvelle secrétaire, ou celle de Maggie Kenwood, la photographe, amie du docteur Karl Penrod Wolf, le chirurgien des stars. Et, en mars 1951, Robert Hearn qui a quitté The New York Times et Maggie Kenwood sont en Une, quant à Jo, elle est devenue rédacteur en chef.

Les ventes de Gentlemind ont augmenté de 30 %, les annonceurs publicitaires sont revenus à 60 % mais rien n’est gagné, un nouveau concurrent arrive en 1953. « Votre Esquire, votre Gentlemind… – Non, non, donnez-moi ce Playboy dont tout le monde parle. » (p. 37). Gentlemind survit grâce aux Unes avec Charlie Chaplin ou Elvis et au retour d’Arch Parker mais fin des années 60, début des années 70, d’autres magazines paraissent comme Mad, People, Rolling Stone et plus personne ne veut de Gentlemind, « une revue vieillotte » (p. 53).

Un récit riche en émotion et rebondissements qui, à travers les 30 ans de parution de Gentlemind (jusqu’en 1975), raconte la vie aux États-Unis, la vie des Américains, des ‘presque’ Américains (des réfugiés allemands, parfois d’anciens nazis sur qui retombe leur passé), des ‘pas encore’ Américains (les Portoricains qui ont continué la lutte). Le tout dirigé par une femme qui malheureusement s’endurcira et se perdra… Une très belle suite (et fin) enrichissante et bien menée.

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Noukette) et les challenges BD 2022, Mois espagnol et sud-américain et Les textes courts.

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La bibliomule de Cordoue de Lupano et Chemineau

La bibliomule de Cordoue de Lupano et Chemineau.

Dargaud, Hors collection, novembre 2021, 264 pages, 35 €, ISBN 978-2-50507-864-7.

Genres : bande dessinée française, Histoire.

Wilfrid Lupano naît le 26 septembre 1971 à Nantes (Loire Atlantique). Il étudie la littérature, la philosophie, l’anglais et se lance dans le scénario de bandes dessinées. Il reçoit plusieurs prix. Parmi ses titres : Little Big Joe (2001-2002), Alim le tanneur (2004), Le singe de Hartlepool (2012), Un océan d’amour (2014), Les vieux fourneaux (2014-2020, série en cours), entre autres. Récemment j’ai lu l’excellent Blanc autour. Plus d’infos sur The Ink Link, qu’il a cofondé avec un médecin, une experte santé autrice et une dessinatrice.

Léonard Chemineau naît en 1982 en France. Il est ingénieur de l’environnement et du développement durable. Sa première bande dessinée (il est auteur et dessinateur) paraît en 2012. Sur cette BD, il est dessinateur. Plus d’infos sur sa page FB et son tumblr.

Christophe Bouchard naît le 19 octobre 1972 à Rennes. Il est coloriste depuis 2005.

Cordoue, fin du Xe siècle. Les Omeyyades « ont fait de l’émirat d’al-Andalus un califat » (p. 3). « Cordoue est à son apogée et rayonne dans le monde entier sur les plans scientifique, politique et culturel » (p. 4) mais le calife Al-Hakam II meurt de façon suspecte et son fils, Hicham II, 11 ans et de santé fragile, est intronisé mais il vit reclus et c’est le vizir al-Mansur qui règne.

Tarid est le bibliothécaire de Cordoue depuis 40 ans mais il se trame des choses et, avec la jeune copiste Lubna, il essaie de faire sortir le plus de livres possible de la citadelle. Au même moment, Marwan se présente à l’entrée de l’Alcazar avec une mule récalcitrante et il est assommé par Lubna. Hop ! Les livres sont chargés sur la mule, « … beaucoup trop pour une telle bête » (p. 20) et Tarid s’enfuit avec la mule et de nombreux livres.

Tarid et la mule, Lubna et Marwan qui les ont rejoints, partent pour Batalyaws (Badajoz) mais le trajet n’est pas de tout repos et le vizir al-Mansur envoit des hommes armés à leur poursuite. « Je ne sais pas où tu comptes aller, Tarid… mais si tu crois qu’un rat de bibliothèque obèse peut traverser al-Andalus en échappant à mes armées… tu te berces d’illusions… » (p. 75).

Malheureusement la majorité des livres que Tarid n’a pas pu sauver sont brûlés… « Il est fini, le temps des bavardages scientifiques ! De ces sacrilèges qui éloignent le croyant du message de Dieu ! Fini le temps où l’on s’aveuglait avec cet héritage d’anciennes civilisations perdues ! Fini le temps des Grecs, des Juifs et des Chrétiens ! Assez de tout ça ! […] » (p. 88). « Rends grâce à Dieu en débarrassant le monde de ces écrits blasphématoires ! Embrase l’ultime bûcher ! – Qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu ! » (p. 89). Quelle abomination, c’est surtout la volonté du vizir ! Brûler des livres, ce n’est pas parce qu’ils dérangent un dieu quel qu’il soit, c’est parce qu’ils dérangent un ou des humains qui ne veulent pas que le peuple apprenne, étudie, s’instruise, s’élève et aussi se divertisse…

Tarid, Lubna, Marwan, et même la mule lorsqu’elle ne pense pas à les manger, ont chacun leur vision des livres et de la culture mais ils vont tout faire pour aller au bout et en sauver le plus possible au péril de leur vie. Il y a aussi de l’humour et, en particulier, une histoire entre la mule et le mathématicien Al-Khuwarizmi !

En fin de volume, une longue postface de Pascal Buresi éclaire le lecteur sur les Omeyyades, Abbassides, Chiites, sur l’esclavage musulman du Moyen-Âge, l’islam durant la période de la fin du 7e siècle au tout début du 10e siècle, la politique, les campagnes militaires… « Quoique régulièrement attaquées, les bibliothèques ne disparaissent pas, elles changent seulement de propriétaires. » (p. 263).

Cette bande dessinée, au-delà de son contenu artistique et historique, est un beau livre, relié, aux tranches bleues, avec un signet. L’histoire de cette bibliomule et de ces compagnons de route – Tarid, Lubna et Marwan – est très bien racontée et dessinée, les couleurs sont chaudes contrairement à ce que la couverture bleue (couleur froide) laisse à penser. J’ai plongé avec plaisir dans cette histoire passionnante qui m’a appris des choses intéressantes. Le savoir est inestimable et, même si certains ont voulu le détruire par le passé et d’autres veulent toujours le détruire à notre époque, il reste toujours, il grandit même, il ne cesse de vivre, de grandir et il n’a pas de prix !

Vous n’êtes pas convaincus ? Allez lire cet article sur le site de Dargaud avec illustrations, extraits, vidéo et d’autres infos comme la pile des livres à sauver de Lupano et celle de Chemineau.

Pour les challenges BD : La BD de la semaine et Des histoires et des bulles (catégorie 28, une BD autour de l’art parce que pour moi, le savoir et tous ces beaux livres, avec des dessins, avec de belles couvertures parfois ornées de pierres précieuses, c’est de l’art). Plus de BD de la semaine chez Noukette.

Pour les autres challenges : Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 11, une bande dessinée ou un roman graphique), Challenge lecture 2022 (catégorie 41, un livre dont le titre comporte le nom d’une ville), Jeunesse young adult #11, Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Cordoue) et Un genre par mois (le thème de janvier est fantasy ou aventure et j’ai lu cette BD le 29 janvier).

Blanc autour de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert

Blanc autour de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert.

Dargaud, Hors collection, janvier 2021, 144 pages, 19,99 €, ISBN 978-2-50508-246-0.

Genres : bande dessinée française, Histoire.

Wilfrid Lupano naît le 26 septembre 1971 à Nantes (Loire Atlantique). Il étudie la littérature, la philosophie, l’anglais et se lance dans le scénario de bandes dessinées. Il reçoit plusieurs prix. Parmi ses titres : Little Big Joe (2001-2002), Alim le tanneur (2004), Le singe de Hartlepool (2012), Un océan d’amour (2014), Les vieux fourneaux (2014-2020, série en cours), entre autres. Plus d’infos sur The Ink Link, qu’il a cofondé avec un médecin, une experte santé autrice et une dessinatrice.

Stéphane Fert est passé par les jeux de rôle, les Beaux-Arts, l’animation avant de devenir dessinateur de bandes dessinées. Ses autres titres : Morgane (2016), Quand le cirque est venu (2017), Peau de mille bêtes (2019). Plus d’infos sur son Instagram.

1832, Canterbury dans le Connecticut, « trente ans avant l’abolition de l’esclavage » (p. 3). Dans le nord des États-Unis, les Noirs sont libres (l’esclavage a été aboli) mais n’ont pas de droits citoyens.

Après l’affaire Nat Turner, un Noir qui savait lire et écrire et qui a fomenté une rébellion au Sud, rébellion qui a coûté la vie à une soixantaine de Blancs (hommes, femmes, enfants, vieillards), des mesures contre les Noirs sont prises et le racisme bat son plein alors que de l’autre côté les abolitionnistes veulent faire bouger les choses.

Lorsque Sarah, une adolescente noire, entre dans la classe de mademoiselle Crandall, à l’école pour jeunes filles de Canterbury, les jeunes filles blanches sont curieuses ou inquiètes ou affolées. Quant à leurs parents, c’est pire, il n’est pas question qu’on éduque les négresses, elles se croiraient égales aux filles blanches et deviendraient orgueilleuses. Pas question de laisser des jeunes filles blanches dans cette école .

Eh bien, pas de problème pour « Prudence Crandall, directrice de l’école pour filles de Canterbury » (p. 23), après les vacances de printemps, elle « n’accueillera que des jeunes filles de couleur » (p. 29), ah ah bien joué !

Vu les protestations de partout et les articles dans les journaux, il n’y a au début que deux élèves, Sarah qui habite Canterbury et Eliza qui arrive de Griswold. Puis Jeruska de Rhode Island. Mais la colère gronde parmi la population… « Vous voyez ? Il va nous en arriver de partout… » (p. 47). Avec Maggie et sa grande sœur, ça fait encore deux de plus, puis Dorothy, etc.

La presse et les blogs ont beaucoup parlé de cette bande dessinée depuis le début de l’année et j’avais très envie de la lire dès sa parution mais je n’ai pas été retenue sur NetGalley (on ne peut pas être retenu à chaque fois, il faut laisser de la lecture aux autres) et il a fallu que j’attende mon tour dans les réservations de la bibliothèque (ça peut prendre du temps).

Blanc autour est inspiré d’une histoire vraie, une histoire de femmes, de femmes noires, une histoire bouleversante, une émancipation, parfaitement resituée avec le texte humaniste et documenté de Wilfrid Lupano et surtout les dessins tout en douceur et couleurs de Stéphane Fert, le tout pas dénué d’humour. Ça parle d’un pan de l’histoire des États-Unis, de la condition des Noirs en Amérique, des femmes en particulier, de l’esclavage, de la ségrégation, de l’abolitionnisme, c’est à lire absolument.

J’aime bien la servante, Maria, elle ne veut pas étudier car elle ne s’en sent pas capable intellectuellement mais c’est une travailleuse, elle coupe du bois aussi bien que Hezekiah Crandall, le père de Prudence, et elle n’a pas sa langue dans la poche !

À la fin, une postface avec le contexte historique. Sarah Harris fut la première jeune fille noire à intégrer la Canterbury Female Boarding School. Beaucoup de ces jeunes filles continuèrent leurs études et certaines devinrent professeurs. Le mouvement abolitionniste était lancé et ceux qui voulaient y nuire galvanisaient en fait le mouvement. Malheureusement, près de 200 ans après ces événements, encore beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’école et à l’instruction.

D’autres avis sur Les blablas de Tachan, Le blog de Galléane, Dans la bibliothèque de Noukette, Délivrer des livres, Depuis le cadre de ma fenêtre, Des livres, des livres !, Doucettement, D’une berge à l’autre, Enna lit, Le jardin de Natiora, Mademoiselle lit, Ma petite médiathèque, Mes pages versicolores, Tours et culture, Un dernier livre avant la fin du monde, et j’en ai oublié c’est sûr (vous pouvez vous signaler en commentaire). 31st floor.

Je fais mon retour dans La BD de la semaine après trois semaines sans avoir pu participer et je mets cette BD dans le challenge Des histoires et des bulles (catégorie 21, une BD sur un thème autour de la femme) ainsi que dans le Petit Bac 2021 (catégorie Couleur).

Melvina de Rachele Aragno

Melvina de Rachele Aragno.

Dargaud, Hors collection, août 2020, 192 pages, 19,99 €, ISBN 978-2-50508-372-6. Melvina (2019) est traduit de l’italien par Claudia Migliaccio.

Genres : bande dessinée italienne, fantastique.

Rachele Aragno naît en 1982 à Pise en Toscane (Italie). Elle dessine depuis l’enfance et étudie à l’École internationale de bande dessinée de Rome. Elle travaille pour des éditeurs indépendants américains et européens. Melvina est sa première bande dessinée en tant qu’autrice et illustratrice.

Melvina en a marre d’être une enfant et que ses parents ne l’écoutent jamais et décident pour elle. D’ailleurs ses parents se disputent en prévision d’un déménagement dont ils ne lui ont même pas parlé et son chat Ottavio se sauve par la fenêtre. Melvina le poursuit sur les toits et entre par la fenêtre dans un appartement inconnu où l’attendent un vieil homme, Otto, un renard, une chouette et une belette (il me semble) vêtus comme des humains. « Je suis si heureux que tu sois là ! Ensemble, nous pourrons affronter Malcapé ! » (p. 12). Otto explique à Melvina que, lorsqu’il était enfant, il ne supportait pas que son grand-père et son père tuent des animaux à la chasse. Un jour, sous un arbre, un étrange enfant lui a remis un livre pour faire revenir à la vie les animaux mais Otto ne savait pas qu’il y avait une contrepartie à payer. « Otto ! C’est un plaisir de te revoir ! Tu me reconnais ? Je suis le Grand Malcapé, souverain d’Aldiqua. Je vois que mon livre t’a été utile. Je suis ici pour te rappeler notre pacte. C’est l’heure d’honorer ton engagement. » (p. 25). Le pacte ne peut être rompu que par l’élue… Melvina ?

Otto et Melvina sont projetés dans un autre monde peuplé de tous les êtres trompés par Malcapé. Benjamino, un corbeau, les accompagne au château de la reine mais il n’a pas la langue dans la poche. « […] tu es encore une enfant superficielle qui s’attache aux apparences. » (Benjamino, p. 50). Parce que « c’est normal de vouloir grandir, mais il faut du temps et de l’expérience… » (Otto, p. 67).

Melvina, Otto et Benjamino parcourent un monde dangereux mais opèrent des exploits jusqu’aux marais métaphysiques où Melvina devra affronter Malcapé dont la proposition est… simple et alléchante. « Tout le monde pourra obtenir tout ce qu’il veut, sans aucun effort, sans avoir besoin de se battre. » (p. 159). Trop facile ! Melvina se laissera-t-elle tenter, elle qui veut grandir pour qu’enfin on l’écoute ?

Aventure, amitié, fantastique (et clins d’œil à la littérature fantastique comme Alice au pays des merveilles ou Harry Potter) sont au rendez-vous dans cette très belle bande dessinée dont les dessins (si j’ai bien compris) sont réalisés à la peinture à l’eau (après le crayonné et l’encrage). Vous pouvez lire une instructive interview de Rachel Aragno sur à voir à lire. Elle considère que tout le monde peut lire Melvina, petits et grands, et je suis d’accord avec elle parce que c’est une histoire universelle, celle de l’enfance et de la volonté de grandir (mais il ne suffit pas uniquement de grandir physiquement pour véritablement grandir, n’est-ce pas ?). Les personnages sont attachants, les décors sont beaux et l’histoire questionne non seulement sur le fait de grandir mais aussi sur notre relation avec les êtres qui nous entourent (famille, amis, inconnus) et les animaux. En lisant Melvina, j’ai un peu pensé à Raven & l’ours de Bianca Pinheiro. Dommage que la fin arrive trop vite ! Mais une petite question : est-ce que, quand on est grand (adulte), on est vraiment écouté, entendu ?

Pour La BD de la semaine et les challenges BD, Des histoires et des bulles (catégorie 38, une BD avec un prénom dans le titre), Jeunesse young adult #10, Littérature de l’imaginaire #9 et Petit Bac 2021 (catégorie Prénom pour Melvina).

Plus de BD de la semaine chez Moka. Caro avait lu cette BD en juin.

Atar Gull de Nury et Brüno

Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle de Nury et Brüno.

Dargaud, collection Long Courrier, octobre 2011, 88 pages, 16,95 €, ISBN 978-2-20506-746-0.

Genres : bande dessinée française, Histoire, adaptation d’une œuvre littéraire.

Fabien Nury naît le 31 mai 1976 en France. Il étudie le commerce dans une grande école à Paris mais devient scénariste de bandes dessinées, W.E.S.T., Je suis légion, Il était une fois en France… Des BD historiques ou science-fiction ou policières. Il est aussi scénariste pour le cinéma.

Bruno Thielleux, dit Brüno, naît le 1er mars 1975 à Albstadt en Allemagne mais il est Français (son père y est militaire). Il étudie les arts plastiques à l’École Estienne à Paris puis à Rennes. Il débute sa carrière de dessinateur en 1996 mais il est aussi scénariste. Plus d’infos sur son site officiel.

Laurence Croix naît le 29 janvier 1974 à Châteaubriant en Loire-Atlantique. Elle est coloriste et travaille avec de nombreux auteurs de bandes dessinées (Apollo, Brüno, Jean Dufaux, Li-An…).

1830. Afrique. « Moi, Atar Gull, je ne pleurerai jamais. Jamais. » (p. 4).

Monsieur Benoît, capitaine de la Catherine, fait du trafic de « bois d’ébène » (p. 11). Atar Gull est une des marchandises, il est vendu par Van Hop pour 100 guinées et pourra en rapporter 500 « au bas mot » (p. 17) à la Jamaïque. Mais le brick du capitaine Benoît est attaqué par une goélette sans pavillon. C’est la Hyène du capitaine Brulart, un pirate qui embarque plusieurs esclaves pour les vendre à son compte. Bon, sur les 100 du départ, il n’en reste plus que 17… dont Atar Gull – fils du roi des petits Namaquas – qui est acheté « par monsieur Tom Will, planteur à Greenwiew » (p. 46).

Ce Tom Will est un humaniste et il traite bien ses esclaves, du moins mieux que les autres planteurs… On parle déjà des « abolitionnistes », des « nègres marrons » mais il y a de nombreuses exactions…

Cette bande dessinée possède des couleurs chatoyantes et quelques personnages hauts en couleurs mais c’est surtout la vengeance d’Atar Gull qui est terrible ! « Moi, Atar Gull, je suis ton bourreau, et ton supplice sera plus long que le mien la été. » (p. 83).

Atar Gull est une adaptation du roman éponyme d’Eugène Sue, un roman de 400 pages paru en 1831 (disponible librement sur Wikisource). Roman maritime (avec une sacrée tempête puis un abordage par des pirates), roman social sur la traite des Noirs et récit d’une vengeance impitoyable, Eugène Sue a accompli un coup de maître en « dénonçant » toute la chaîne aussi bien noire que blanche (du côté des Noirs il y a les tribus qui se font des guerres incessantes et qui pratiquent le cannibalisme ou vendent aux hommes blancs les prisonniers des autres tribus, et du côté des Occidentaux il y a la traite d’êtres humains et l’esclavage). Nury, Brüno et Laurence Croix rendent parfaitement l’intensité dramatique de cette histoire qui se déroule au début du XIXe siècle.

Une très belle adaptation lue pour Les classiques c’est fantastique #2 (le thème d’août est de l’écrit à l’écran en passant par les cases) que je mets également dans La BD de la semaine et les challenges 2021, cette année sera classique, À la découverte de l’Afrique (les Namaquas viennent d’Afrique australe, c’est-à-dire Namibie et Afrique du Sud), BD, Challenge de l’été #2 (voyage en Jamaïque), Des histoires et des bulles (catégorie 49, une BD avec des pirates) et Les textes courts.

Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

Les âges perdus 1 – Le fort des Landes de Jérôme Le Gris et Didier Poli

Les âges perdus 1 – Le fort des Landes de Jérôme Le Gris et Didier Poli.

Dargaud, Hors collection, mars 2021, 56 pages, 14,50 €, ISBN 978-2-50507-322-2.

Genres : bande dessinée française, Histoire, science-fiction.

Jérôme Le Gris est le pseudonyme de Jérôme Le Maire, né en 1971. Il étudie à Louis Lumière. Il est réalisateur (courts métrages et longs métrages) et scénariste de bandes dessinées. Chez Glénat : Horacio d’Alba (3 tomes), Serpent Dieu (3 tomes), Jeanne d’Arc, Malicorne.

Didier Poli naît en 1971 à Lyon. Il étudie les arts appliqués à Émile Cohl puis aux Gobelins. Il est illustrateur, il travaille pour l’animation, le jeu vidéo et la bande dessinée. Chez Glénat, de la mythologie avec Athéna, Bellérophon et la chimère, Dionysos, Eros et Psyché, Gilgamesh, Héraclès, Jason et la toison d’or, Narcisse & Pygmalion, L’Odyssée.

Abbaye de Cluny. « Quelques heures avant l’an mille. » (p. 4). Armen de Cilicie est moine copiste et enlumineur. C’est avec horreur qu’il voit des météorites s’écraser sur Terre. Tout s’embrase ! « Alors le temps de ‘L’Obscure’ commença. Et les rares qui y survécurent se cachèrent comme des bêtes… Trouvant refuge au cœur de grottes profondes où ils vivaient désormais apeurés et perdus. » (p. 5).

Au bout de plusieurs siècles « de peur et de confusion » (p. 7), la lumière du soleil revient et les humains survivants peuvent enfin sortir. L’humanité appelle cette nouvelle période « les âges perdus ». (p. 7).

Les clans de chasseurs cueilleurs se partagent à tour de rôle les lieux de vie en respectant la loi d’Ægis. Le clan de Primus de Moòr arrive au Fort des Landes dans le sud d’Anglia mais c’est pour l’instant le territoire du clan des Lunes conduit par la guerrière Arghana… En plus il y a des bêtes féroces qui ont proliféré après l’embrasement (un peu comme des animaux préhistoriques).

Primus pense qu’il faut se sédentariser grâce à l’agriculture (faire pousser l’engrain, un genre de blé) et ne plus vivre en nomades comme les troupeaux d’animaux et subir les famines. « Les clans […] ne craindront plus jamais la faim. Voilà ce que la culture maîtrisée de l’engrain pourrait un jour nous offrir. » (p. 20).

Mais Elaine, la fille de Primus, craint que le Conseil et les autres clans ne soient pas d’accord… C’est elle la narratrice et elle a raison : Caratacos, le guerrier qu’elle doit épouser, doit combattre Arghana.

Mais Primus a un secret : des parchemins anciens ! (planche, p. 34). « Nous ne survivrons pas aux âges à venir, Elaine, sans retrouver ces connaissances perdues. » (p. 34).

Les clans vont-ils se faire la guerre alors qu’il n’y a jamais eu de guerre depuis l’Obscure ? Pour Elaine, Faucon et Haran, l’histoire continue dans un monde inconnu et dangereux.

Ma phrase préférée. « Tout en ce monde était entrelacé. »

Le fort des Landes est une bande dessinée historique alternative, une bande dessinée d’aventure proche de la science-fiction (puisque le récit est rétro-apocalyptique). Et finalement, cette histoire alternative se rapproche de la réalité préhistorique puisque des humains se sont bien sédentarisés, ont pratiqué l’agriculture puis l’élevage et sont devenus « propriétaires » ce qui bien sûr a déclenché des jalousies et des guerres dans l’humanité.

Les dessins sont beaux, expressifs, les couleurs correspondent parfaitement au récit qui est prenant et j’ai très envie de lire la suite ! Le problème maintenant, c’est l’attente…

Sur Les âges perdus – Les grains de la discorde, une interview des auteurs et une dizaine de pages d’extraits. Je remercie NetGalley et Dargaud car j’ai pu lire cette belle bande dessinée en numérique.

Un excellent premier tome pour La BD de la semaine et les challenges BD, Des histoires et des bulles (catégorie 35, une BD historique mais elle aurait pu aller dans la catégorie 9, une BD de SFFF), Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Lieu pour les Landes), Printemps de l’imaginaire francophone et Les textes courts. Plus de BD de la semaine chez Noukette.

 

La fuite du cerveau de Pierre-Henry Gomont

La fuite du cerveau de Pierre-Henry Gomont.

Dargaud, Hors collection, septembre 2020, 192 pages, 25 €, ISBN 978-2-50508-360-3.

Genres : roman graphique français, Histoire, science, fantastique.

Pierre-Henry Gomont naît en 1978 en France. Il étudie le commerce puis la sociologie mais se lance dans la bande dessinée (dessinateur et scénariste) en autodidacte en 2011. De briques et de sang (2010, épilogue), Kirkenes (2011), Catalyse (2011), Crematorium (2012), Rouge Karma (2014), Les nuits de Saturne (2015, adaptation du roman de Marcus Malte), Pereira prétend (2016) et Malaterre (2018) pour lesquels il reçoit plusieurs prix.

18 avril 1955, Albert Einstein meurt. Thomas Stolz Harvey, anatomopathologiste à l’hôpital de Princeton, le médecin chargé de l’autopsie, décide de voler le cerveau d’Einstein pour l’étudier, comprendre son fonctionnement et peut-être connaître la gloire. L’auteur précise qu’il a « pris certaines libertés avec des faits historico-scientifiques fort bien documentés ».

Dehors, le brouhaha de centaines de journalistes. Dans la salle d’autopsie, « un silence de cathédrale ». Vite, le cerveau dans un bocal avant la conférence de presse. C’est que Einstein n’a pas fait don de son corps à la science et a demandé à être incinéré.

Stolz rapporte le cerveau chez lui mais Einstein apparaît et lui parle. « Tu veux regarder ce que j’ai dans la caboche, c’est ça ? […] Formidable ! On va faire ça ensemble, tous les deux. » En fait, Stolz pense à son amie, le Dr Marianne Ruby qui, elle, est neurologue.

Mais le FBI s’en mêle et voilà Stolz, le cerveau et le fantôme d’Einstein (visibles par tous) en cavale ! « Ce qu’on va faire, mon garçon, c’est se mettre un peu au vert. Quelques jours, pas plus. Le temps que ce petit monde se calme. » Et en effet, ils sont bien tranquilles « dans un recoin isolé du Minnesota » puis dans un asile en ruine « au fin fond du Kansas » où vit le Dr Seward, un ancien professeur de Stolz, quelque peu dérangé. « Votre cerveau. Il nous en faut un neuf. Nous allons le cloner. »

Bon, j’avoue que ne n’ai pas tout compris au niveau scientifique (en particulier sur les cellules gliales) mais je me suis régalée avec les dessins vraiment expressifs et avec ce road movie rocambolesque fictif mais inspiré de la vérité historique puisque le cerveau d’Albert Einstein a bien été volé par Stolz durant l’autopsie. L’auteur parle de science et d’éthique, un scientifique a-t-il le droit de tout faire, même d’aller à l’encontre des dernières volontés d’un humain, d’un autre scientifique (qui détestait la bêtise plus que tout, ça, ça me plaît). C’est drôle, c’est enlevé et…. j’imagine très bien tout ça en film d’animation !

Une très belle lecture pour La BD de la semaine et Challenge BD, Challenge lecture 2021 (catégorie 14, un roman graphique), Littérature de l’imaginaire #9 et Printemps de l’imaginaire francophone 2021. Plus de BD de la semaine chez Noukette.

Bartleby le scribe de José-Luis Munuera

Bartleby le scribe de José-Luis Munuera.

Dargaud, Hors collection, février 2021, 72 pages, 15,99 €, ISBN 978-2-50508-618-5.

Genres : bande dessinée espagnole, adaptation d’un classique états-unien.

José-Luis Munuera naît le 21 avril 1972 à Lorca dans la région de Murcie (Espagne). Il étudie les Beaux-Arts à Grenade. Il est fan d’Astérix, de Spirou et Fantasio et aime le dessin humoristique. Du même auteur : Les Potamoks avec Joann Sfar, Merlin avec Joann Sfar puis Jean-David Morvan, Sir Pyle S. Culape avec Jean-David Morvan, Nävis avec Jean-David Morvan et Philippe Buchet, Spirou et Fantasio avec Jean-David Morvan, Les Campbell, Zorglub… Il est scénariste et dessinateur. Son blog n’est plus mis à jour depuis octobre 2007.

Cette bande dessinée sera en librairie le 19 février et je remercie NetGalley et Dargaud de m’avoir permis de la lire en avant-première.

Wall Street, New York City, fin du XIXe siècle (extrait, p. 28, ci-contre). Dans cette ville de murs de plus en plus hauts, les humains, semblants tout petits, vaquent à leurs occupations et travaillent. Bartleby est embauché en renfort de Turkey et Nippers dans un office notarial et son patron en est content. « Au début, Bartleby réalisait un nombre considérable d’écritures. Il semblait insatiable comme s’il avait été longtemps affamé de copies. Il les avalait l’une après l’autre, travaillant jour et nuit, sans relâche. » (p. 22).

Mais, lorsque le notaire lui demande de collationner et vérifier les copies, Bartleby répond « Je préférerais ne pas le faire. » (p. 24) et comme le patron insiste, Bartleby insiste aussi « Je préférerais pas. » (p. 25 et suivantes). Le jeune homme travailleur, appliqué, soigneux qui refuse de sortir du cadre de son travail devient « une menace » (p. 30) cependant le notaire fait avec car il reste satisfait de son travail.

Pourtant, un dimanche, en allant à son bureau, le notaire se rend compte que Bartleby s’y est enfermé. « Ma parole ! Cet homme mange, dort et s’habille dans mon étude ! Il vit ici ! » (p. 37). Et le notaire se pose des questions. « Dans quelle misère, dans quel isolement vit Bartleby, unique spectateur de sa propre solitude ? Qui est Bartleby ? Qu’est Bartleby ? » (p. 38). La situation devient surréaliste. Plus surprenant, Bartleby décide du jour au lendemain de ne plus travailler ! Le notaire, pourtant patient, est alors contraint de le renvoyer mais Bartleby refuse de partir, en fait il ne préférerait pas !

Bartleby le scribe, l’énigmatique, est une profonde réflexion sur la conscience, le devoir et la possibilité de « la désobéissance civile » (p. 45), de la fuite possible en tant que lutte contre l’État et le capitalisme. Les dessins de Munuera sont vertigineux et l’humain ne peut que chercher sa place dans cette immensité qui le dépasse, son utilité dans une nouvelle société moderne en pleine expansion.

Bartleby a été adapté plusieurs fois au cinéma, au théâtre et a inspiré des artistes (au cinéma et en littérature), des sociologues et des philosophes. Cette bande dessinée est une très belle adaptation de Bartleby, the Scrivener: A Story of Wall Street (1853) de Herman Melville (1819-1891) que je vais lire en mars pour une lecture commune avec Noctenbule (j’ai hâte maintenant !).

« I would prefer not to » dans la version originale, « je préférerais ne pas », comme une parole positive mais avec une possible négation… Je vous laisse compulser ce qu’en ont pensé les philosophes du XXe siècle, Deleuze et Derrida en tête.

Pour La BD de la semaine et les challenges BD, 2021, cette année sera classique et Les textes courts. Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

Sur un air de fado de Nicolas Barral

Sur un air de fado de Nicolas Barral.

Dargaud, Hors collection, janvier 2021, 160 pages, 22,50 €, ISBN 978-2-20507-959-3.

Genres : bande dessinée française, Histoire.

Nicolas Barral naît le 22 décembre 1966 à Paris. Il étudie la philosophie et les mathématiques avant d’entrer à l’école d’Arts plastiques d’Angoulême. Il dessine pour OK Podium puis pour Fluide Glacial. Son premier projet de bande dessinée voit le jour en 1995. Suivent les séries Les ailes de plomb (3 tomes), Baker Street (5 tomes), Les aventures de Philip et Francis (3 tomes), Dieu n’a pas réponse à tout (2 tomes), Mon pépé est un fantôme (4 tomes), Nestor Burma (3 tomes) et un roman graphique, Les cobayes.

Portugal, août 1968. Au Fort d’Esturil, un vieil homme lit le journal. En une, la Déclaration de Bratislava. Mais en s’asseyant, il tombe et se blesse à la tête. Ce vieil homme, c’est le président Salazar, 79 ans. « L’hémorragie cérébrale a été traitée. » (p. 20). Le lecteur suit le docteur Fernando Pais. Le soir, après une rude journée de travail, il va boire un verre avec son ami Horácio Antunes et écouter du fado.

Flashback. 1958. Fernando et Horácio sont étudiants à l’université de Lisbonne, Fernando en médecine et Horácio en littérature. Ils y rencontrent Marisa qui distribue des tracts communistes. « Pour la démocratie ! Pour la liberté d’association ! […] Fernando, reviens ! T’es dingue ! C’est une communiste ! […] T’en fais pas, p’tite tête ! C’est pas contagieux ! » (p. 29). C’est après une réunion d’étudiants où Marisa les a invités que Horácio les conduit tous au Dragao de Alfama, un bar à fado encore ouvert pour boire un coup. Mais pendant que le groupe discute, boit et chante, Patricio Branco se fait tabasser dehors par des agents de la PIDE, la Polícia internacional e de defesa do Estado (en français, la Police internationale et de défense de l’État).

Les tons sont dans les bleus, jaunes, orangés et j’ai l’impression que ça représente bien le Portugal (je n’y suis jamais allée mais ça renforce l’idée d’un pays ensoleillé en bord de mer).

1968. Alors qu’il lit la dernière nouvelle de Horácio, L’enfant et la baleine, « recalée au comité de censure » (p.46), Fernando rêve de la baleine et du galopin qu’il a croisé récemment devant le siège de la PIDE. Durant le rêve, les tons sont alors gris bleus. Voyager sur le dos de la baleine, les oiseaux qui volent, rêve de liberté. Pendant ce temps-là, c’est la guerre en Angola (après celle en Guinée-Bissau). Et Fernando revoit le jeune garçon farceur, il s’appelle João Magalhẽs et vit dans une famille pauvre.

Par petites touches, le lecteur apprend des choses sur le Portugal, endoctrinement des enfants, politique dictatoriale, répression policière, opération Perroquet, résistance… « Écoutez, je suis loin d’approuver les méthodes employées par le régime. Mais je me suis juré, il y a dix ans, de ne plus me retrouver mêlé à la politique. » (p. 112). Plus la lecture avance, plus l’action se densifie, jusqu’à l’horreur. En tout cas, au Portugal, il y a un proverbe : « O último a sair que apague a luz [Le dernier qui s’en va éteint la lumière] et, bien sûr, tout se termine avec un fado.

5 ans de travail, c’est énorme ! C’est la première fois que Nicolas Barral travaille en solo, à la fois au scénario et au dessin. Pour une très belle bande dessinée inspirée de Pereira prétend d’Antonio Tabucchi, un roman historique italien paru en 1994 sur le Portugal et l’époque de Salazar avant la seconde guerre mondiale.

Je remercie NetGalley et Dargaud de m’avoir permis de lire cette bande dessinée. Le Portugal est un proche pays européen mais je ne connais pas vraiment son histoire et cette période sombre. J’ai été estomaquée parce que c’est violent, c’est triste, et en même temps Sur un air de fado est empli de tendresse pour les personnages (enfin, pour certains, pas pour les miliciens) et de poésie.

Pour La BD de la semaine et les challenges Animaux du monde #3 (pour la baleine et le chat blanc de Fernando, il y a aussi un chien de rue et des oiseaux), BD et Challenge lecture 2021 (catégorie 59, le titre comporte cinq mots mais ça pouvait aussi entrer dans la catégorie 31).

Plus de BD de la semaine chez Moka.

Gentlemind 1 de Díaz Canales, Valero et Lapone

Gentlemind 1 de Díaz Canales, Valero et Lapone.

Dargaud, août 2020, 88 pages, 18 €, ISBN 978-2-20507-637-0.

Genre : bande dessinée espagnole.

Juan Díaz Canales est le scénariste. Il naît en 1972 à Madrid (Espagne). Après avoir étudié l’animation, il devient scénariste et dessinateur de bandes dessinées. Du même auteur : Blacksad et Corto Maltese entre autres.

Teresa Valero est la co-scénariste. Elle naît le 23 juillet 1969 à Madrid (Espagne). Elle travaille pour le dessin d’animation (Corto Maltese, Nanook parmi les séries animées et Astérix et les Vikings, Bécassine parmi les films d’animation) puis se tourne vers le scénario de bandes dessinées. Du même auteur : Sorcelleries (3 tomes).

Antonio Lapone est le dessinateur et le coloriste. Il naît le 24 octobre 1970 à Turin (Italie). Après avoir été dessinateur pour une agence de publicité, il se lance dans la bande dessinée. Il vit en Belgique. Plus d’infos sur son blog, Lapone Art.

Je remercie NetGalley et l’éditeur car j’ai pu lire ce tome 1 de Gentlemind en pdf. Par contre, je ne l’ai pas lu sur ma liseuse, je l’ai lu sur le PC car je voulais la couleur !

Brooklyn, 1939. Arch Parker, dessinateur, est avec son amie, Navit, qui lui sert de modèle mais Arch n’arrive pas à vivre de son dessin. Un jour, il découvre un nouveau magazine, Gentlemind, lancé par le milliardaire H. W. Powell. « Vous savez, celui d’Oklahoma qui savait que l’acier serait le futur. » (p. 8). Le milliardaire exige de rencontrer Navit avant d’embaucher Arch.

New York, 1940. « Perdomo contre la Canasta Sugar Company Corporation. Audience présidée par l’honorable juge Jefferson. » (p. 11). Oswaldo (Waldo) Trigo gagne le procès pour l’entreprise puis accueille sa sœur Gabriela qui arrive de Porto Rico.

New York, 1942. Navit est devenue la danseuse vedette de Powell Follies, et la maîtresse du milliardaire. Et la Canasta Sugar Company continue de faire des procès pour agrandir son territoire et s’enrichir. « Regardez cet homme que vous êtes sur le point de sacrifier à la voracité de la Canasta et demandez-vous si ce que vous allez faire de lui a quelque chose à voir avec la justice. » (p. 21).

New York, été 1942. Arch s’est enrôlé et il est parti pour l’Europe ; Navit a épousé Horace Powell et est devenue madame Gina Powell.

Sur fond de guerre et, à travers l’histoire d’Arch, de Navit (Gina), de Powell et de Waldo, c’est en fait l’histoire de la revue Gentlemind qui est racontée et c’est passionnant. « Beaucoup de choses doivent changer si nous voulons que Gentlemind continue à paraître. » (p. 47). « Ensemble, nous pouvons hisser Gentlemind au sommet du paysage éditorial. » (p. 48). Gentlemind va devenir une grande revue pour les hommes et va même créer un prix, le « Gentlemind Short Fction Contest… le prix littéraire le plus important du pays pour les jeunes écrivains ! » (p. 56). En juin 1944, le premier numéro de la nouvelle édition de Gentlemind coûte 10 cents ! « Quelqu’un a un Gentlemind ? Il n’en reste pas un dans toute la ville. » (p. 66).

Les tons sont dans les bleus, les jaunes ; les dessins sont fins ; c’est très agréable à lire. J’ai particulièrement aimé les pages 28, 29 et 34 avec les couvertures des magazines et des comics de l’époque. Pas besoin de lire entre les lignes pour voir le racisme ambiant et le machisme mais, contre toute attente, Navit va réussir son projet ! J’ai hâte de lire la suite mais, à mon avis, il faudra attendre août prochain… Gentlemind 2.

Une très belle bande dessinée de la rentrée 2020 pour La BD de la semaine, le Challenge BD et le Mois américain. Plus de BD de la semaine chez Moka.