Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran.
Decrescenzo éditeurs, collection Micro-fictions, juin 2015, 162 pages, 12 €, ISBN 978-2-36727-033-3. Bihaengun (2012) est traduit du coréen par Kette Amoruso et Lucie Angheben.
Genres : littérature sud-coréenne, nouvelles.
KIM Ae-ran 김애란 naît en 1980 à Incheon en Corée du Sud. Source Wikipédia : « Elle a fait son entrée en littérature avec une nouvelle intitulée La porte du silence (Nokeuhaji anneun mun), publiée dans la revue Changbi, remportant le prix littéraire de Daesan pour étudiants en 2002. Elle est récompensée par le prix de l’écriture Daesan en 2003 pour Maison inconnue (cette nouvelle a aussi été traduite et publiée sous le titre : Quatre locataires et moi). C’est avec sa première nouvelle, Cours papa, cours ! (Dallyeora abi, 2005) et l’obtention du prix littéraire Hankook Ilbo dès 2005 que Kim Ae-ran a commencé à se faire un nom dans le monde de la littérature coréenne. En 2008, elle remporte le prix Lee Hyo-seok pour sa nouvelle Le couteau de ma mère (Kaljaguk). Dans sa postface à Cours papa, cours !, le critique littéraire Kim Dong-shik la décrit comme ‘l’auteure qui détruit la grammaire du roman traditionnel’. » Chez Philippe Picquier : Ma vie palpitante (2014) et chez Decrescenzo éditeurs : Ma vie dans la supérette (2013) et Chansons d’ailleurs (2016).
Les Goliath asiatiques – « La mousson s’abattit peu après le décès de mon père. » (p. 11). Pluies diluviennes… Comment va-t-on faire pour la tombe ? « […] personne ne mettait le nez dehors. » (p. 12). La mère et le fils (le narrateur, un adolescent) vivent dans un appartement acheté par le père il y a vingt ans mais l’immeuble Gangsan, construit à la va-vite, est vétuste et va être détruit ; il ne sont plus que les deux à y habiter… Plus d’électricité, plus de gaz, encore un peu d’eau mais « Nous étions conscients que notre séjour ici ne pouvait s’éterniser. » (p. 16). Au bout de deux semaines de pluie, sans aucun contact avec l’extérieur, la mère devient apathique et ne parle plus… Le fils ne sait même pas si elle se nourrit, il ne sait pas quoi faire pour l’aider… Après un mois de pluie et une nuit d’orages, la pluie s’arrête un peu mais, depuis la véranda, le fils voit que le village a disparu ! « Et si la digue avait cédé ? » (p. 32). Il fabrique un radeau avec trois portes et embarque avec le corps de sa mère mais rien que de l’eau et de la boue à l’horizon… Pas d’humains, pas d’hélicoptères… Seulement des Goliath, des grues de travaux dont les pieds sont dans l’eau. Au bout de deux jours, seul et à bout de force, il s’effondre. « Que faire et où aller ? Je n’en avais pas la moindre idée. Peut-être, étais-je arrivé au plus loin que je pouvais. C’était fini. Mon voyage s’arrêtait là. […] Combien de temps allais-je tenir ? Qu’éprouvait-on en rendant son dernier soupir ? Et qu’adviendrait-il de mon corps ? […] » (p. 49). Dans une situation apocalyptique, la tension monte de plus en plus.
Comment se passe ton été ? – La narratrice, Mi-young, se prépare pour les funérailles d’un ami d’enfance lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique de son seonbae (ami universitaire) dont elle n’a pas de nouvelles depuis deux ans. Après la conversation, les souvenirs remontent à la surface. Elle avait 20 ans, elle arrivait dans une ville qu’elle ne connaissait pas pour étudier à l’université et c’est à « la soirée de bienvenue aux nouveaux étudiants » (p. 59) qu’elle a rencontré Jun. Elle était amoureuse de lui mais il avait déjà une petite amie… Pour faire plaisir à son seonbae, elle participe à contre-cœur à une émission débile pour la télévision… Ensuite, ce sont des souvenirs d’enfance avec Min-su, sa meilleure amie, et Byeong-man, le copain de classe décédé, qui reviennent.
Les insectes – Un couple de jeunes mariés emménage dans un immeuble appelé la Villa des Roses mais le quartier va faire « l’objet d’un programme de rénovation urbaine » (p. 96). Je ne sais pas comment sont construits les immeubles en Corée du Sud mais, apparemment, au bout de 30 ans, ils sont décrépis et doivent être rénovés ou démolis (voir Les Goliath asiatiques plus haut) et je ne pourrais pas habiter dans un logement qui donne sur un précipice de 10 m… avec en plus des travaux en bas… La femme est la narratrice, elle raconte les bruits, les odeurs de nourriture, même « le silence des pots de plantes qui prenaient le soleil aux fenêtres » (p. 94) et aussi, les insectes… « perceptibles mais impossibles à attraper. » (p. 97). Une erreur page 103 (elle parle du bruit incessant des voitures) : « je m’en suis plain auprès de mon mari », plain sans t à la fin ? La femme est enceinte, ce n’était pas prévu pour tout de suite mais elle va garder le bébé. Cependant, avec tous les insectes, « comment élever convenablement un enfant dans ces conditions ? » (p. 111).
Trente ans – Après avoir reçu un paquet, Su-in, la narratrice – qui a maintenant trente ans – repense à Seong-haw, son Eonni, c’est-à-dire sa camarade de chambre à la fac (de cinq ans plus âgée) qu’elle n’a pas vue depuis dix ans et qui vient d’avoir un bébé. Elle lui répond même si elle n’est pas sûre d’envoyer la lettre. « Au cours de ces 10 dernières années, j’ai déménagé six fois, cumulé une dizaine de petits boulots, fréquenté deux hommes. Voilà ce que j’ai fait. Il n’y a rien d’autre. Le bilan de ma jeunesse me laisse un sentiment de désarroi. En quoi ai-je évolué ? Plus dépensière que jamais, incapable de faire confiance et portée sur les jolies choses, je me demande avec anxiété si je ne suis pas devenue une adulte insignifiante. […] Je m’inquiète d’être la seule à faire fausse route, au risque de n’arriver à rien. » (p. 134). J’ai l’impression que, comme au Japon, la barre des 30 ans est très importante pour les femmes en Corée du Sud. Et je suis sidérée de voir comment les étudiants galèrent pour obtenir leur diplôme (ils se sont endettés) et, ensuite, trouver un travail adéquat donc ils se contentent de petits boulots mal payés alors qu’ils ont étudié durant cinq ans ou plus… « Voilà à quoi étaient réduits des étudiants pleins d’avenir. Au XXIe siècle et en plein cœur de Séoul, de surcroît. » (p. 148).
Il me semble que c’est la première fois que je lis cette autrice. Son écriture précise – et parfois poétique – est cependant glaçante, elle claque et les chutes de ces micro-fictions (des nouvelles donc) sont terribles ! La vie semble vraiment difficile et compliquée à Séoul. Résolument à découvrir ! Dommage que le Challenge coréen n’existe plus pour partager cette lecture…
Pour La bonne nouvelle du lundi, Challenge de l’été – Tour du monde (3e niveau, dernière lecture d’Asie, challenge terminé), Challenge lecture 2022 (catégorie 1, un livre dont le titre est une question), L’été lisons l’Asie (MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE avec la Corée du Sud et MENU D’AOÛT : IMAGINONS L’ASIE avec recueil de nouvelles), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour le point d’interrogation), Les textes courts (chacune des 4 nouvelles fait une quarantaine de pages).