Mars violet d’Oana Lohan

Mars violet d’Oana Lohan.

Les éditions du Chemin de fer, collection Les pas perdus, avril 2021, 176 pages, 16 €, ISBN 978-2-490356-24-9.

Genres : littérature franco-roumaine, premier roman.

Oana Lohan naît à Arad en Roumanie. Elle est dessinatrice et Mars violet est son premier roman. Elle vit à Paris.

Bucarest, 1989. « Ça a été tout un cirque grotesque la Révolution roumaine. Les prétendus terroristes, le procès des Ceauşescu et leur fusillade. Rien ne collait, c’était gros comme une maison et ça foutait les jetons. » (p. 20). Durant ces événements, Lucia, 20 ans, a perdu son demi-frère, 21 ans, une balle dans le dos… C’est difficile pour elle car elle avait déjà perdu sa mère, psychiatre, d’un cancer, et son père est mort il y a plus d’un an. Il ne lui reste que sa grand-mère bien-aimée et bien sûr ses amis. « La mort, c’est peut-être le seul truc pour lequel, malgré tout, on n’est jamais préparé. On sait que ça existe et ce que ça veut dire mais quand on est devant c’est dur et terriblement triste. » (p. 73). Lucia prépare le concours de l’école d’architecture mais elle l’a déjà raté deux fois… Et elle pense à quitter la Roumanie, « ce pays de dingues » (p. 24).

Le roman fait des allers-retours entre décembre 1989 (le fil conducteur), le passé (années 80) et l’exil (années 2000 et 2010). Ce qu’il y a de surprenant, c’est cette impression que Lucia a écrit son journal, non pas dans un cahier (de façon linéaire) mais sur des feuilles volantes qui se seraient envolées justement, mélangées et qui n’auraient pas été triées pour construire ce roman. Alors, oui, il faut suivre mais le tout donne un petit côté surréaliste, précisément le surréalisme roumain (digne de Cioran et Ionesco).

Après un premier exil à Strasbourg, Lucia retourne en Roumanie au début des années 2000. Le retour, c’est, après les années sombres, « la lumière fantastique » (p. 51), « les marchés », « l’amour inconditionnel et extrême des Roumains pour les mômes, les bêtes et les situations hautement improbables », « la disponibilité des Roumains à une forme de mélancolie slave, suave et truffée d’une tristesse nuance noir macadam chaud qui brûle, le tout trempé d’alcool fort » (p. 52), entre autres. Je ne suis jamais allée en Roumanie mais j’ai rencontré des Roumains et je les reconnais dans ces descriptions.

J’ai aimé la place qu’Oana Lohan donne aux saisons, aux arbres et aux fleurs, à l’architecture, à la nourriture, à la littéraire (Mircea Eliade, auteur roumain que je connais peu est cité parmi d’autres auteurs et ça m’a donné envie de le lire).

« Le lendemain s’écoule avec des hauts et des bas, voir cette ville s’animer et avoir peur de se faire tirer dessus tout le temps, c’est un high dingue, comme sous l’effet d’une drogue forte et efficace. » (p. 62). Comme vous le voyez, ce roman est totalement différent de Ni poète ni animal d’Irina Teodorescu (Flammarion, 2019) qui pourtant parle aussi de la révolution de 1989, des souvenirs d’enfance et d’adolescence, de l’exil. Le style et le langage d’Oana Lohan sont plus populaires (dans le bon sens du terme) et on ressent bien son enthousiasme et son plaisir d’écrire.

L’histoire officielle ? « C’est comme si on voyait les traces laissées sur une table par quelques bouteilles d’alcool sans vraiment savoir de quelle boisson il s’agissait précisément. Tu finis, certes, bourré mais tu ne sais pas et tu ne peux pas savoir ce qui t’a rendu bourré. De la poésie barbare. » (p. 81).

La liberté ? « Dans ce monde, l’idée même de liberté est fracassante […] dans la réalité immédiate, la liberté ne s’applique nulle part. Tu es juste libre de ne pas l’être. » (p. 86).

Les souvenirs ? Lucia a de sa grand-mère des souvenirs « précieux et indestructibles. De ceux qui rythment la vie, lui donnent de la force et adoucissent les moments de tristesse. » (p. 90) même si « les souvenirs se mélangent, se parasitent et c’est carrément flou, ça fait comme des courts-circuits et ça saute. » (p. 106) et… comme le courant n’est pas continu, le tout donne un récit alternatif !

J’espère vous avoir donné envie de lire ce beau roman sur la Roumanie et l’âme roumaine et, comme Oana Lohan est aussi une artiste, il y a 12 dessins en noir et blanc sur des pages cartonnées rouges (6 au début et 6 à la fin), des dessins réalistes et expressifs.

Une excellente lecture pour le Challenge de l’été #2 (Roumanie), Challenge lecture 2021 (catégorie 21, un livre dont le titre comporte un mois de l’année avec Mars), Petit Bac 2021 (catégorie Couleur pour Violet) et Voisins Voisines 2021 (Roumanie).

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