Monstrueuse féerie de Laurent Pépin

Monstrueuse féerie de Laurent Pépin.

Flatland, collection La Tangente, octobre 2020, 102 pages, 8,50 €, ISBN 978-2-490426-12-6.

Genres : littérature française, fantastique, novella, premier roman.

Laurent Pépin est un psychologue clinicien de 40 ans qui réside à Saintes en Charente Maritimes. Monstrueuse féerie est son premier roman (une novella est un court roman) ; un mot sur la couverture du livre : c’est une illustration de Kawanabe Kyôsai (1831-1889), un artiste japonais. Deuxième titre à paraître chez Flatland : L’angelus des ogres en avril 2021 (déjà écrit) et troisième titre : Clapotille (en cours d’écriture).

Un petit garçon terrifié par son père fait entrer les Monstres dans sa tête. « Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. Je ne le fais pas vraiment exprès. Mais tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite. Parce qu’il y a quelque chose en eux qui nous fascine, qui nous comble, ou du moins qui absorbe notre esprit logique en polarisant nos réflexions. Quand ils sont là, c’est trop tard. Ils ne sortent plus et la terreur grandit. » (début du roman, p. 5).

Le petit garçon est devenu adulte, tant bien que mal, et il est « psychologue dans le service pour malades volubiles du Centre psychiatrique, et [son] travail de recherche, au-delà des interventions à but thérapeutique, consistait pour l’essentiel à établir des ponts entre la poésie classique ou contemporaine et le contenu délirant des décompensations poétiques des patients du Centre. Je n’aime pas dire : « les patients ». Je les appelle les Monuments, en général. » (p. 10).

Comme il a du mal à communiquer avec les gens considérés comme normaux, sa vie au milieu des Monuments lui convient très bien. En plus il a rencontré une Elfe et vit un conte de fée. Mais, lorsque sa mère meurt d’un cancer, il souffre de problèmes de peau, d’accès de panique… et l’Elfe disparaît, le laissant seul et désemparé. « Quand je disparais, ça ne veut pas dire que je n’existe plus ou que tu n’existes plus. » (p. 24).

L’auteur va alterner les chapitres de l’adulte qui vit mal la séparation et de l’enfant envahi par les Monstres. Car, pour surmonter tout ça, il faut comprendre les traumatismes de l’enfance et aussi les traumatismes vécus par les parents. Mais ce n’est pas facile du tout… « Il n’y avait rien d’autre dans le monde que les Elfes, les Monstres et les Monuments. » (p. 40). Et c’est toujours terrifiant !

Les relations parents-enfants et les relations de couple sont parfois disproportionnées et toxiques… surtout quand l’un des protagonistes a des problèmes mentaux. « – J’ai des problèmes avec des souvenirs… Ils m’empêchent d’exister, c’est vrai. Mais j’existe quand tu es avec moi. – Il faut exister le reste du temps aussi. Je ne peux pas vivre comme ça. Je ne veux pas. » (p. 53) et « Je savais que j’avais tort mais j’étais prisonnier de moi-même. » (p. 64).

Lecteurs, venez rencontrer les patients, je veux dire les Monuments, Didier, Pierrot, Pierrette, Henri, Jean-François, Blanche, Christine, Paulette et leur psychologue qui aurait bien besoin d’être soigné lui aussi !

Désenchanté, ce psychologue à l’imagination débordante, passionné de poésie et de musique, tenaillé entre la colère, la peur et le désespoir, cite aussi bien Boris Vian que Harry Potter. En tout cas, la toile que l’auteur tisse entre son personnage psychologue, les patients Monuments, les Monstres, l’Elfe et les lecteurs fait presque peur parce qu’elle enveloppe vraiment tout : « Comment faire pour empêcher les Monstres de me hanter ? » (p. 77) et qu’il sera difficile de s’en dépêtrer après la lecture ! Monstrueuse féerie est un monstrueux roman sur les humains, le monde dans lequel ils vivent et les mondes qu’ils créent pour eux-mêmes ou pour les autres (il y a d’ailleurs une monstrueuse revisitation du conte Hansel et Gretel). Pour vivre heureux, faut-il « tuer » le père, « tuer » la mère, « tuer » l’enfant que l’on était ? Mais, attention, parce que finalement, « Ne devient pas fou qui veut. » (p. 98) !

Attirée par ce qu’en disait l’éditeur : « Avis aux amateurs : conte pour adultes teinté de pataphysique, de psychanalyse, de poésie et d’humour noir. », j’ai émis le souhait de lire Monstrueuse féerie et je remercie Laurent Pépin (que je ne connaissais pas du tout avant d’avoir un échange avec lui sur le groupe FB Nouveau Monde) de m’avoir envoyé son premier roman qui fut une grande claque ! Mais, comme j’aime lire des fictions sur le monde aliéniste (plutôt historique) et psychiatrique (je parle de fictions et pas de documents car je n’y comprendrais sûrement pas grand-chose…), je me suis sentie à l’aise à la lecture de ce récit presque kafkaïen (surtout à cause des cafards), enfin à l’aise façon de parler tant il est déstabilisant et un brin horrifique. Par certains côtés, cette lecture m’a d’ailleurs fait penser à un premier roman américain lu récemment, Une cosmologie de monstres de Shaun Hamill, et à une bande dessinée lue la semaine dernière et qui sera sur le blog mercredi prochain (pour La BD de la semaine), Journaux troublés de Sébastien Pérez et Marco Mazzoni, qui traite de la psychiatrie de façon différente mais aussi avec poésie. Mais je vous laisse découvrir tout ça par vous-mêmes et, si vous le souhaitez, lire une interview de Laurent Pépin sur L’ours danseur.

Une lecture que je mets dans 1 % rentrée littéraire 2020, le Challenge du confinement (case Contemporain), Littérature de l’imaginaire #8 (pour le côté fantastique horreur) et Maki Project 2020 (novella, imaginaire).

Ils l’ont lu : Le chien critique, La lectrice compulsive, L’ours danseur.

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Le Novelliste #1 – les nouvelles anglaises

Une année de génie de George Griffith (1857-1906)

De son nom complet, George Chetwynd Griffith-Jones est un auteur anglais de science-fiction plus connu pour ses longs romans. A Genius for a Year (juin 1896) est une nouvelle publiée sous le pseudonyme de Levin Carnac dans le Pearson’s Magazine (1896-1939). Elle est traduite pour la première fois en français par Leo Dhayer et illustrée d’origine par Arthur Kemp Tebby (1865-1935). Depuis cinq ans, Sydney March travaille sur une toile les représentant lui et sa sœur, Sylvia, mais il n’est jamais satisfait… « Les personnages sont morphologiquement parfaitement corrects, mais ils ne sont pas vivants. Aucune lumière n’habite leur regard, aucun mouvement n’est susceptible d’animer leur membre. » (p. 40). De son côté, John Sturman, ami d’enfance de March, amoureux de Sylvia, aimerait être un grand écrivain pour ravir sa bien-aimée à Marcus Algar, l’auteur à la mode. Que manque-t-il à un artiste inspiré et talentueux pour être un génie ?

Visite au Black Museum (auteur anonyme)

Dynamite and Dynamiters (février 1894) est une nouvelle publiée dans The Strand Magazine n° 38 de février 1894. Elle est traduite de l’anglais par Roland Vilére et est illustrée par Jacques Camoreyt (1855-1930). Après une série d’attentats en Angleterre, New Scotland Yard a ouvert un musée dans lequel les visiteurs peuvent voir les armes et les engins avec lesquels les Dynamiteurs commettent leurs actes répréhensibles. « Dans son bureau du Home Office, les bâtons de dynamite voisinent avec les détonateurs et toutes sortes d’engins infernaux. » (p. 106). Un récit enlevé sous forme d’article de propagande dans un journal.

Plus noir que l’enfer d’Edith Nesbit (1858-1924)

The Power of Darkness (avril 1905) est une nouvelle fantastique publiée dans The Strand Magazine n° 172 d’avril 1905. Elle est traduite de l’anglais par Nellie d’Arvor et illustrée par Arthur Watts (1883-1935). Rose quitte Paris en train pour rendre visite à sa famille. Tous ses proches et ses admirateurs sont sur le quai pour lui dire au revoir. Parmi eux Edward et Vincent. « Ne sommes-nous pas tous – sans le moindre espoir – amoureux d’elle ? » (p. 120). Après le départ de Rose pour Cannes, Vincent invite son ami Edward au musée Grévin. « On se laisserait facilement aller à avoir peur en jouant à envisager l’impossible… » (p. 129). Une réflexion efficace sur la peur.

Comment écrire une nouvelle de Robert Barr (1849-1912)

How to Write a Short Story est un article publié en mars 1897 dans The Bookman. Il est traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque et illustré par James Abbott McNeill Whistler (1834-1903). « Je pense qu’une nouvelle correctement construite doit permettre à l’imagination du lecteur d’assister l’auteur dans son travail. » (p. 188) et « Il me semble que le lecteur devrait user de son intelligence lorsqu’il lit une nouvelle, tout comme l’auteur est sensé le faire en l’écrivant. » (p. 189). Vaste débat, j’ai l’impression aussi qu’une nouvelle est moins facile à lire – ou du moins à appréhender – qu’un roman. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Dans Why read at all ? de Lewis Baumer (paru dans Punch of the London Charivari, décembre 1909-février-mars 1910) – traduit en À quoi bon les lire ? par Leo Dhayer, on découvre des auteurs britanniques peu connus qui seront dans les prochains numéros de Le Novelliste : (Thomas Henry) Hall Caine, Robert Smythe Hichens, William Tufnell Le Queux ; j’ai hâte !

Je recommande à nouveau Le Novelliste (dont j’ai déjà parlé ici et ici), un très beau recueil de nouvelles, ouvrage soigné, illustré et différent des publications actuelles. Que je mets dans La bonne nouvelle du lundi et dans les challenges British Mysteries 2018, Cette année, je (re)lis des classiques, Littérature de l’imaginaire.

En ce qui concerne le Challenge de l’été et S4F3 #4, j’ai « fractionné » la lecture – ou plutôt les billets – car certaines choses entrent dans des challenges et pas d’autres (par exemple ces nouvelles britanniques entrent dans British Mysteries et dans les classiques mais pas De cuivre et d’ambre de Dominique Warfa publié précédemment), j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur (les deux billets étant tout de même conséquents).

De cuivre et d’ambre de Dominique Warfa

De cuivre et d’ambre de Dominique Warfa.

In Le Novelliste #1, novembre 2017, 208 pages, 12 €. Pages 10 à 39, 3 illustrations en noir et blanc de Christine Luce, nouvelle écrite pour Le Novelliste en juin 2017.

Genres : littérature belge, nouvelle, science-fiction.

Dominique Warfa naît le 30 avril 1954 à Liège (Belgique). Il étudie les Lettres et l’histoire de l’Art. Il est écrivain depuis les années 70 (nouvelles plutôt science-fiction, essais), critique littéraire et aussi informaticien. Plus d’infos sur sa page FB.

« Cet été-là, nous avons tué une petite fille. C’était en 1963, je venais d’avoir dix ans, et Simon, mon compagnon de jeu, en comptait à peine onze. » (p. 10, premières phrases). Petit citadin, Théo, le narrateur, passe ses vacances d’été chez des cousins à la campagne. Il aime la lecture et l’aventure, il est curieux, a beaucoup d’imagination et a « accumulé à Pairemont de nombreuses découvertes sur la vie, l’univers et le reste… » (p. 12). Son imagination galopante lui fait imaginer tant de choses pour se divertir, un sous-marin, une fusée, des espions, des êtres étranges… ! « Ce fut l’été de toutes les surprises – des aventures les plus incroyables. Et en définitive les plus tragiques. » (p. 17).

Une nouvelle parfaitement équilibrée avec, pour le lecteur, la découverte des personnages, des lieux, l’aventure, le suspense, la montée en puissance et puis le silence et la culpabilité, parfois ce sont ces choses qui forgent une vie. Dominique Warfa est un excellent novelliste, je vous le conseille (même s’il y a parfois des mots belges qu’un Français a du mal à comprendre, vous saviez qu’un colon c’est un pigeon ?).

Je vous avais déjà un peu parlé de Le Novelliste édité par l’association Flatland (basée à Tourcoing) : ici (avec Le Vivarium) et ici mais je n’avais pas encore rédigé de notes de lecture sur son contenu (c’est qu’elle était encartonnée avec mes livres). Comme je vous l’avais déjà dit, c’est une belle « revue littéraire de patrimoine et de création », soignée, riche, avec des nouvelles anciennes (patrimoine) et des nouvelles récentes (création) et un roman à suivre en trois parties.

Après le sommaire, l’Ours et un édito genre grosse présentation de 6 pages, De cuivre et d’ambre est la première nouvelle de ce premier numéro. Vous ne trouvez pas que cuivre et ambre, ça sonne un peu steampunk ? Alors, il y a bien une machine et un peu de vapeur mais nous ne sommes pas dans un univers steampunk, nous sommes dans la campagne ardennaise belge au début des années 60 et il vous faudra lire cette nouvelle pour savoir ce qui est arrivé à Sylvie, une gamine de six ans qui voulait absolument jouer avec les deux garçons, et à quoi correspondent le cuivre et l’ambre !

Par contre, Le Novelliste #2 qui était d’abord annoncé pour mai 2018 est repoussé à septembre 2018 (info ici et ici), c’est normal quand on fonctionne avec une toute petite équipe, il faut tout faire et ce n’est pas facile, mais je félicite Leo pour son excellente idée et son excellent travail pour Le Novelliste #1. J’attends le #2 avec impatience mais le temps d’attente me permet de continuer ma lecture du #1 😉

Une lecture pour La bonne nouvelle du lundi (Martine, je sais que la SF n’est pas ta tasse de thé mais c’est une incroyable nouvelle) que je mets dans le Challenge de l’été et dans le S4F3 #4 (j’y mets le volume complet, 208 pages, et je rajouterai les autres liens au fur et à mesure de mes lectures) ainsi que dans Littérature de l’imaginaire.