Winter is coming de William Blanc

Winter is coming : une brève histoire politique de la fantasy de William Blanc.

Libertalia, collection Poche, avril 2019, 144 pages, 8 €, ISBN 978-2-37729-091-8.

Genres : essai, fantasy.

William Blanc, né en 1976, est historien, doctorant en histoire médiévale, conférencier et auteur. Du même auteur au éditions Libertalia : Charles Martel et la bataille de Poitiers (2015), Les Historiens de Garde (2016), Le Roi Arthur, un mythe contemporain (2016), Super-Héros, une histoire politique (2018) et Les Pirates expliqués aux enfants, petits et grands (2019).

Dans cet essai bien documenté, érudit (mais à la portée de tous), l’auteur virevolte sur les différences entre science-fiction et fantasy, les visions fantasmées (Moyen-Âge, futur), l’artisanat et la beauté (très importants), les révolutions industrielles en particulier en Angleterre (la première révolution industrielle), le travail dans les sociétés capitalistes, les guerres modernes (XXe siècle) qui sont des guerres industrielles, la disparition des sociétés paysannes, les super-héros, l’écologie, etc. Il y a de nombreuses références, des réflexions sur la beauté et la créativité (indispensables) et sur la pensée (sur les contestations étudiantes aussi, en Europe, aux États-Unis) car tout cela a influencé la fantasy et l’évolution de la fantasy (comme de la science-fiction bien sûr). L’auteur convoque évidemment J.R.R. Tolkien mais aussi William Morris, Ursula Le Guin, Michael Moorcock, etc.

Un extrait édifiant : « De nos jours, on essaie toujours de séparer les deux facultés : nous demandons à un homme de ne faire que penser ; à un autre, de ne faire que travailler, et nous appelons le premier un homme honnête, l’autre un manœuvre, tandis que l’ouvrier devrait souvent penser, et le penseur, souvent travailler ; tous les deux seraient ainsi des honnêtes hommes dans la meilleure acceptation du mot. Avec notre manière de voir, nous en faisons deux êtres malhonnêtes ; l’un enviant son frère, l’autre le méprisant ; le gros de la société est ainsi constitué de penseurs morbides et de travailleurs misérables. » (p. 19). John Ruskin, 1853 ! Rien n’a changé, n’est-ce pas ?

La littérature fantasy a commencé en Angleterre avec des hommes engagés comme John Ruskin donc ou William Morris qui inspira J.R.R. Tolkien ou C.S. Lewis, une « gauche révolutionnaire (et souvent libertaire) » (p. 27). « Imaginer des mondes, écrire des contes et rêver d’un passé merveilleux, c’est donc, pour lui [Morris] déjà préparer les masses à l’avenir. » (p. 28) : vous comprenez pourquoi la fantasy est politique ! L’auteur rapproche aussi la fantasy au surréalisme, il cite par exemple L’éléphant de Célèbes de Max Ernst (1921).

Après la littérature – et comme pour la science-fiction – la fantasy s’est déclinée au cinéma (dans les années 70), incluant les longs métrages d’animation, avec des films se déroulant dans des mondes post-apocalyptiques mi science-fiction mi fantasy comme Les sorciers de la guerre de Ralph Bakshi (1977) et Nausicaä de la Vallée du vent de Hayao Miyazaki (1982 pour le manga et 1984 pour le film d’animation).

Le merveilleux et la lutte contre le totalitarisme est partout : dans la première trilogie de La guerre des étoiles, dans Le seigneur des anneaux, dans Harry Potter entre autres ! Mais l’auteur déplore que ça soit très vite devenu une industrie… Littérature, cinéma, animation jeux de rôle, jeux vidéo, franchises, produits dérivés… Il y a une marchandisation à outrance (ce qui, à mon avis, n’enlève rien à la qualité des œuvres, peut-être pas toutes, ou de façon inégale) mais cette marchandisation à outrance est ce que dénonçait Morris…

C’est pour lutter contre cette politique de masse que G.R.R. Martin a souhaité « réagir et proposer une version repolitisée de la fantasy » (p. 62). Il commence avec Armageddon Rag (1983), un polar fantastique contemporain mais qui emprunte à la fantasy (le nom du groupe de musique est Nazgûl, le chanteur est surnommé Le Hobbit et leurs chansons font référence au Seigneur des anneaux et à Led Zeppellin). Puis, à partir de 1996, arrive Le trône de fer et l’auteur se concentre « sur les conflits opposants les différentes maisons nobles des Sept Couronnes […] il n’existe pas de camp du bien, pas de solution parfaite, mais des actions que les gouvernants doivent assumer. » (p. 65).

On le voit, la fantasy est toujours d’actualité et a des messages à nous faire passer – tant politiques qu’écologiques – même si elle reste une littérature de « L’Évasion » (référence à Tolkien, p. 78-79). « Les dragons et les Hobbits ont donc toujours été des animaux politiques. Ils le seront encore pour longtemps. » (p. 79).

Il y a d’intéressants chapitres bonus en fin de tome sur les dragons, les jeux de rôle, les Wargames, sur Conan de Robert E. Howard (une autre fantasy politique) et sur la métaphore de l’hiver dans la fantasy (Jessie Winston, James Georges Frazer, J.R.R. Tolkien, G.R.R. Martin, T.S. Elliot, C.S Lewis, les eddas…), métaphore similaire en science-fiction avec par exemple le nouvel âge glaciaire post-atomique.

Ce que j’ai noté, ci-dessus, ce ne sont que quelques pensées et quelques extraits que je voulais garder pour moi et que je partage avec vous mais si vous lisez cet essai passionnant, vous lirez la fantasy (ou vous verrez des films et des séries apparentés à la fantasy) avec un esprit différent, presque neuf !

Une lecture enrichissante que je mets dans les challenges Rentrée littéraire janvier 2019, Littérature de l’imaginaire et Summer Short Stories of SFFF (S4F3) #5.

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