La papeterie Tsubaki d’Ito Ogawa.
Philippe Picquier, août 2018, 384 pages, 20 €, ISBN 978-2-8097-1356-5. ツバキ文具店 Tsubaki bunguten (2016) est traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako.
Genres : littérature japonaise, roman.
OGAWA Ito 小川 糸 naît en 1973 à Yamagata (Japon). Avant d’écrire des romans pour les adultes, elle écrit des chansons et des albums pour enfants. Ses trois premiers romans : Le restaurant de l’amour retrouvé (2009, Philippe Picquier 2013), Le ruban (2011, Philippe Picquier 2016) et Le jardin arc-en-ciel (2014, Philippe Picquier 2016).
Kamakura, préfecture de Kanagawa. Amemiya Hatoko, 25 ans, est surnommée Poppo (Hato et Poppo signifient pigeon, oiseau qu’elle n’aime pas du tout !). « La famille Amemiya est une lignée d’écrivains calligraphes qui remonte, paraît-il, à l’époque d’Edo, au XVIIe siècle. […] Depuis, les femmes Amemiya sont écrivains publics et calligraphes de génération en génération. » (p. 13). Hatoko est la onzième génération. Après les morts de sa grand-mère qui l’a élevée (qu’elle appelle L’Aînée) et de Tante Sushiko, Hatoko est revenue de l’étranger (le Canada si j’ai bien compris) où elle étudiait et a repris la boutique (depuis six mois). Parmi ses premiers clients, une vieille dame, un soir d’été, qui lui demande de rédiger une lettre de condoléances suite au décès de Gonnosuke, un singe recueilli par un couple d’amis, ce n’est pas banal.
« Si l’enveloppe est un visage, le timbre est le rouge à lèvres qui donne le ton. En se trompant de rouge à lèvres, on fiche en l’air le reste du maquillage. Ce n’est qu’un petit timbre mais tellement important. Dans son choix se concentre, dit-on, la sensibilité de l’expéditeur. » (p. 74).
Hatoko a une amie, sa voisine, plus âgée, madame Barbara. Ensemble, elles se baladent, vont au restaurant et papotent. J’aime beaucoup la réponse à la question « Quelle est votre saison préférée » : « Toutes, a-t-elle répliqué du tac au tac. Au printemps, les cerisiers sont beaux et en été, on peut se baigner. À l’automne, on mange plein de bonnes choses et l’hiver, le calme règne et les étoiles sont magnifiques. Moi, je suis une gourmande incapable de choisir. Alors printemps, été, automne et hiver, j’aime toutes les saisons. » (p. 88). C’est que le roman est construit en quatre parties qui correspondent chacune à une saison car les quatre saisons sont très importantes au Japon.
La papeterie est une boutique classique qui vend du papier, des crayons, des stylos, etc., avec l’activité d’écrivain public et calligraphie en plus. Les lecteurs néophytes apprendront des choses sur les hiraganas, les katakanas et les kanjis (les trois sortes de caractères utilisés par les Japonais). De mon côté, j’ai appris des choses sur le papier, l’encre, les formules à utiliser, le choix des timbres et les plumes, en particulier la plume de verre dont je n’avais jamais entendu parler ! La plume de verre a été inventée par Sasaki Sadajirô (« un artisan spécialisé dans la fabrication de clochettes en verre ») en 1902 et « Elle a immédiatement été adoptée en France et en Italie. » (p. 103).
Page 145, l’autrice confond restaurant italien et restaurant espagnol : elle dit que c’est un restaurant italien mais si vous y buvez du vin rouge espagnol et du xérès, et si vous y manger du jamón ibérico, vous êtes plutôt dans un restaurant espagnol ! Cette confusion m’a fait sourire car une amie japonaise confondait restaurant français et restaurant italien mais c’était à cause de la couleur des drapeaux (les Japonais confondent souvent le bleu et le vert).
Un des très beaux passages du roman est « la tournée des sept divinités du bonheur de Kamakura » pour le Nouvel An ancien avec Hatoko, madame Barbara, son amie prof Panty et le Baron (p. 211 et suivantes). Prêts pour la balade ? « Tout de même, qu’est-ce qu’il y a comme temples à Kamakura ! On pourrait dire sans exagérer que la ville entière n’est qu’un immense cimetière. Partout des temples. Il ne faut pas s’étonner que tant de gens prétendent avoir vu des fantômes. » (p. 216). C’est à ce moment-là que je me suis rappelée avoir visité avec beaucoup de plaisir cette ville et le Kôtoku-in, le temple avec le Daibutsu, l’immense statue en bronze de Bouddha qui a près de 800 ans ! (je vous mets une de mes photos).
Un jour, un jeune italien, Agnello (Agno) entre dans la boutique et donne plus de cent lettres à Hatoko car sa mamma (une Japonaise mariée à un Italien) a entretenu une correspondance pendant des années avec la grand-mère de Hatoko qui va découvrir L’Aînée sous un jour nouveau. « Poppo, la vie nous réserve bien des surprises ! » (Panty, p. 340).
Ce roman, charmant, délicat, très agréable à lire, est lui aussi rempli de surprises ! Déjà, remettre l’écriture au goût du jour à notre époque dans un Japon si connecté, il fallait le faire ! Et puis la couverture, très belle, est vraiment attirante ; une papeterie, vous pensez bien, c’est comme une librairie, c’est un haut-lieu de perdition ! J’avais l’impression d’y être, d’ailleurs, surtout lorsque Hatoko écrit le soir, après la fermeture, et je ne sais pas pourquoi mais je sentais parfois la présence de L’Aînée, comme si elle observait par-dessus l’épaule de Hatoko pour voir ce qu’elle écrivait et comment elle l’écrivait (c’est qu’il y a tant de codes à respecter).
Et si nous écrivions à nouveau des lettres et des cartes postales ?
Mon dernier billet pour Un mois au Japon 2020. Je remercie Noctenbule de m’avoir envoyé ce beau roman et je vous mets le lien vers sa note de lecture.