Jours de combat de Paco Ignacio Taibo II

Jours de combat de Paco Ignacio Taibo II.

Rivages, collection Noir, mai 2000, 288 pages, 8,65 €, ISBN 978-2-7436-0626-8. Días de combate (1976) est traduit de l’espagnol (Mexique) par Marianne Millon.

Genres : littérature mexicaine, roman policier.

Paco Ignacio Taibo II naît le 11 janvier 1949 Gijón en Espagne mais sa famille (fuyant la dictature franquiste) émigre au Mexique (lorsqu’il a 9 ans). Il a les deux nationalités (espagnole et mexicaine) et il est considéré comme un écrivain mexicain. Il est journaliste, professeur universitaire d’histoire, écrivain et militant politique (socialiste). Il écrit un premier livre en 1967 mais Jours de combat (Días de combate) qui paraît en 1976 est son premier roman noir et le premier tome de la série du détective privé Héctor Belascoarán Shayne (10 tomes entre 1976 et 2005, regroupés dans Todo Belascoarán (2010). Une autre série policière avec José Daniel Fierro contient 2 tomes (1987 et 1993), plusieurs autres romans (historiques ou autres), nouvelles, biographies, bandes dessinées… Pourquoi Paco Ignacio Taibo II ? Parce que son père, Paco Ignacio Taibo I, est également écrivain mais aussi dramaturge, journaliste, gastronome et il a travaillé pour la télévision mexicaine jusqu’en 1968 (il est mort en 2008 à Mexico).

Une fois n’est pas coutume, je mets le résumé de l’éditeur. « Un beau jour, Héctor Belascoarán Shayne quitte son épouse et son emploi, loue un bureau qu’il partage avec un plombier et s’établit détective privé. Il se sent investi d’une mission : retrouver le ‘Cervo’, l’étrangleur qui assassine des femmes de conditions et d’âges variés dans les rues de Mexico. Héctor, qui se situe, selon ses propres termes, ‘dans la lignée des détectives inductifs, presque métaphysiques, à caractère impressionniste’, poursuit sa quête par des chemins détournés : il participe à un jeu télévisé sur les ‘grands étrangleurs de l’histoire du crime’, embauche une assistante diplômée en philosophie et… rencontre la fille à la queue de cheval. »

J’ai découvert quelques infos sur Héctor. Il a 31 ans. Il était ingénieur à la General Electric. Il est borgne. Son colocataire de bureau, le plombier, est Gilberto Gómez Letras. Il est Mexicain (Héctor) d’origine basque (Belascoarán, son père était un capitaine de marine basque) et irlandaise (Shayne, sa mère était une chanteuse de folk irlandaise). Il ressemble aux personnages de « Hammett pour le côté politique et de Chandler pour le côté moral, mais il fait aussi référence à Simenon pour les aspects du quotidien. » (Jean Tulard, Dictionnaire du roman policier, 1841-2005 p. 682). Il lit Les Aventuriers de Malraux (p. 15 de Jours de combat). Il a un jeune frère, Carlos Brian et une sœur Elisa.

Mais parlons un peu de ma lecture et de mon ressenti. « Il passa son arme dans sa ceinture en évitant que le viseur le gêne aux testicules puis sortit lentement dans le froid. » (p. 13). Ah ah, c’est bien un truc de mecs, ça, mais j’adore ! Je suis sûre que je vais aimer ce roman et Héctor ! Mais, j’ai une petite question : il fait froid à Mexico ? Eh bien oui, entre mi-novembre et début février, c’est apparemment la saison fraîche avec des températures entre 6 et 22°, et comme Héctor entend des chants de Noël, j’en déduis que l’histoire débute en décembre.

Un premier meurtre, une adolescente de 16 ans avec ce message « Le Cervo assassine. » (p. 21) puis cinq autres meurtres, en peu de temps… et, à chaque fois, un message différent. « Qu’est-ce qui avait poussé l’assassin ? Pourquoi s’était-il déchaîné ? » (p. 22). Héctor lit tous les journaux, découpe des articles, arpente la ville en particulier la nuit, se dispute avec ses amis qui ne comprennent pas sa démission et sa séparation, est convoqué dans un studio de télévision « pour participer au Grand Prix des soixante-quatre mille pesos » (p. 39). Héctor s’est mis en tête d’arrêter le Cervo, le tueur étrangleur, mais « Des morts sans lien, survenues à des heures différentes, dans divers secteurs de la ville, même mode opératoire, notes similaires. » (p. 43).

Alors que son enquête n’avance pas et qu’il dîne avec Carlos et Elisa, son appartement est la cible de mitraillettes et la police débarque. « Monsieur Belascoarán, vous qui êtes quelqu’un d’intelligent, je ne comprends pas que vous vous soyez mis dans ce pétrin. Il faut laisser ces choses-là aux professionnels. Moi… je ne serais pas aller à votre usine pour vous apprendre votre métier d’ingénieur… […] Et puis, si j’étais ingénieur, je ne perdrais pas mon temps à faire ce métier… Ce métier ingrat. […] Vous nous mettez dans une situation gênante, ennuyeuse, vous savez ?… » (p. 122). « Qui était-ce ? Et ne venez pas me raconter qu’il s’agit de l’étrangleur. Les étrangleurs ne tirent pas à la mitraillette. Qui était-ce ? Héctor aussi les épaules. – Je vous ai posé une question. – Je ne sais pas. Moi non plus, je ne crois pas à cette histoire d’étrangleur. […] – J’ai bien envie de vous retirer votre licence, votre arme, et de vous mettre en prison pendant plusieurs mois, le temps de tirer tout ça au clair. – Vous ne pouvez pas, répondit Héctor en souriant. Je dois me présenter samedi à la finale du Grand Prix des soixante-quatre mille pesos. – D’accord, d’accord, dit le policier en souriant à son tour. » (p. 123). « Vous voulez que je vous dise, monsieur Belascoarán ? Moi aussi, j’aime bien les romans policiers. Bonne chance pour samedi. […] – Quelqu’un vous en veut, mon ami… […] – Mais ce n’est pas ce salaud d’étrangleur. Lui, il ne tue que des femmes, dit la tête du commandant de la police qui resurgit dans l’embrasure de la porte entrouverte pour disparaître immédiatement. » (p. 124), sûrement mon passage préféré parce qu’il y a un petit côté surréaliste. Avec « Il n’avait jamais été aussi seul, jamais aussi diaboliquement seul qu’en ce moment. Jamais aussi désespérément seul que maintenant. Dans la pièce sans lumière, où le froid circule allégrement, s’engouffrant par la fenêtre aux vitres cassées ; dans la nuit tendue de silences et de bruits lointains, les paumes moites, Héctor Belascoarán Shayne contemple son image désolée dans le miroir brisé doucement illuminé par le néon lointain de la rue. Pourtant, c’est de sa solitude que lui vient sa force, et il en a toujours été ainsi. » (p. 124-125).

Et quelqu’un veut vraiment la peau d’Héctor puisque le restaurant chinois dans lequel il déjeune avec Elisa explose ! « Maintenant il avait un ennemi en face de lui, pas une ombre. Un ennemi qui avait quelque chose contre lui. Un ennemi intime, personnel, que l’on pouvait haïr. Maintenant on voulait sa peau. Maintenant il pouvait se défendre. Il ne s’agissait plus de jouer avec le danger, avec les ombres chinoises, avec la sensation de la mort. » (p. 148-149).

Mais, lorsque l’étrangleur envoie son journal à Héctor, il livre des informations précieuses au détective ! Il vit dans une belle maison, son chat s’appelle Emmanuel, il a un majordome, il met 21 minutes pour aller au travail en voiture (une Dodge), travail dans lequel il a des responsabilités, il joue au squash dans un club, il se veut cultivé et raffiné… Héctor pourra-t-il utiliser ces informations ? Alors qu’un imitateur sévit lors du septième meurtre. « Vais-je partager l’enfer avec ce triste imitateur ? Est-ce une astuce policière ? » (p. 197).

L’auteur attache de l’importance aux bruits, aux odeurs, au froid, aux sensations, comme pour ancrer son histoire dans le quotidien. Le lecteur découvre une ville de México froide (c’est l’hiver), dangereuse, en 1976 mais est-ce que ça a changé depuis ? Et apprend vraiment beaucoup de choses sur le Mexique. Pourquoi n’ai-je pas lu cet auteur plus tôt ? Pourtant je le connaissais de nom, je l’avais déjà vu sur des blogs dédiés aux romans policiers et aux polars. Son style est génial et son Héctor Belascoarán Shayne aussi. J’ai un peu pensé au détective privé Heredia (qui vit avec son chat Simenon) du Chilien Ramón Díaz-Eterovic. En tout cas, je suis prête à lire les tomes suivants, et ce dans l’ordre chronologique.

Dernier billet pour le Mois Amérique latine 2022 et le Mois du polar 2022 qui va aussi dans Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 21, un roman découvert grâce à un blogueur, 2e billet), Book Trip mexicain, Challenge lecture 2022 (catégorie 22, un livre dont les personnages principaux sont d’une même fratrie, avec Héctor, Carlos et Elisa, 2e billet) et Polar et thriller 2021-2022.

Un colosse de Pascal Dessaint

Un colosse de Pascal Dessaint.

Rivages, collection Littérature, mai 2021, 128 pages, 14 €, ISBN 978-2-7436-5297-5.

Genres : littérature française, roman, Histoire.

Pascal Dessaint naît le 10 juillet 1964 à Dunkerque dans le Nord (France). Issu d’une famille ouvrière, il étudie à Toulouse (DEA d’histoire contemporaine sur la révolution culturelle chinoise). Il est auteur en particulier de romans policiers mais pas seulement (également de nouvelles, de chroniques…) depuis 1992 et reçoit plusieurs prix. Il est cofondateur des éditions Le petit écart (2017). Plus d’infos sur son site officiel.

Village de Montastruc. Deuxième moitié du XIXe siècle. Un homme et un cheval labourent. L’homme, c’est Jean-Pierre Mazas, « plus de sept pieds sous la toise » (p. 11) soit 2,20 mètres, un géant ! Il vit à la métairie de Tifaut (qui dépend de Marc Teulade, le châtelain de Montastruc) avec son épouse et leurs enfants. « […] nous avons affaire à un phénomène, pas de doute. Un phénomène, c’est cela ! » (p. 18). Jean-Pierre naît le 14 février 1847 dans « la petite métairie de Castanet » (p. 22), dans « un village situé entre Albigeois et Languedoc, à la jonction du Tarn, du Lauragais et du Pays Tolosan. » (p. 21), bref dans le Sud-Ouest. Entre 1847 et 1864, « le petit Jean-Pierre » (p. 25-26) grandit puis « Le petit Jean-Pierre n’est plus petit. » (p. 26).

C’est une enquête que mène l’auteur sur les traces de Jean-Pierre Mazas. « Je pense à ce géant depuis des années, depuis qu’au musée du Vieux-Toulouse, j’ai découvert le moulage de son grand pied dans une vitrine, Jean-Pierre Mazas chaussait du 54. » (p. 31). Pourtant il n’a pas grand-chose, un certificat de naissance, un certificat de mariage, un certificat de décès sur lesquels il y a des erreurs, quelques articles de journaux qui se contredisent… Il donne cependant de précieuses informations historiques et les événements furent nombreux durant cette période de changements politiques et sociaux, et même des informations littéraires (Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas…).

Jean-Pierre se marie en novembre 1878 avec Marie-Adèle Gérémie (qui a 15 ans et demi). Le couple a deux fils, François et Jacques-Joseph (appelé simplement Joseph) et une fille, Rosalie-Victorine. Joseph dira en 1967 « Papa était un homme débonnaire et affectueux, et il a eu une vie héroïque ! » (p. 44). Jean-Pierre est paysan et métayer mais aussi lutteur.

La lutte est à la mode et Jean-Pierre participe à des combats entre 1877 (soit avant son mariage) et jusqu’en 1885. « Marie-Adèle aurait-elle été séduite par le géant à l’occasion d’une exhibition ? » (p. 57). Jean-Pierre devient le Colosse mais il continue de travailler la terre. Il est célèbre et prend le train pour Toulouse où il se bat contre le célèbre athlète parisien, Millehomme. « Et ce sera une lutte homérique ! » (p. 71).

Le lecteur découvre la Toulouse du début des années 1880 (en 1875 il y a eu une crue et la ville était ravagée), « On se régale. On va au spectacle. Toulouse bouillonne ! » (p. 67). Et Jean-Pierre ? « Jean-Pierre est devenu riche pour un paysan de l’époque, mais il reste un paysan. Jean-Pierre attire les foules. À l’occasion, on augmente le prix des places. Jean-Pierre gagne tous ses combats. » (p. 77). Mais plus âgé, blessé (son dos a lâché…), Jean-Pierre devient une attraction de foire comme s’il était un monstre… Et c’est à Paris que le célèbre médecin Édouard Brissaud lui demande de « se présenter un matin à la Salpêtrière pour un examen complet » (p. 110). Le rapport médical est publié en 1895, « Des pages et des pages d’observations minutieuses. » (p. 115).

C’est la belle couverture qui m’a d’abord attirée puis le résumé. Je n’avais jamais entendu parler de ce colosse avant ! Et j’ai beaucoup accroché à ce récit mi-fictionnel mi-historique vraiment émouvant et à l’âpre vie rurale du XIXe siècle. De plus, je n’avais jamais lu cet auteur (qui a pourtant publié près de 30 romans, plus de 20 nouvelles…) et j’ai apprécié son style et sa façon de faire des recherches sur cet inconnu qui fut célèbre, ce géant qui a dû souffrir le martyre dans ce corps trop grand… Je vous conseille fortement ce roman ! Si vous voulez consulter d’autres avis, vous les trouverez sur Bibliosurf.

Eh bien, ce titre ne rentre apparemment dans aucun challenge mais je vais tout de même tenter le Petit Bac 2021 (catégorie Être humain pour Colosse).

Lu par d’autres : Alex et + sur Bibliosurf.

Le jardin de Hye-young Pyun

Le jardin de Hye-young Pyun.

Rivages, collection Noir, octobre 2019, 160 pages, 21 €, ISBN 978-2-7436-4872-5. The Hole (2017) est traduit du coréen par Yeong-hee Kim et Lucie Modde.

Genres : littérature sud-coréenne, roman noir, thriller.

Hye-young Pyun 편혜영 naît en 1972 à Séoul (Corée du Sud). Elle étudie l’écriture créative et la littérature coréenne à l’université Yedae de Séoul et sa première nouvelle, Essuyer la rosée, est récompensée en 2000. D’autres nouvelles reçoivent également un prix ainsi que Le jardin (Prix Shirley Jackson en 2017). Elle est autrice (nouvelles, novellas, romans). Cendres et rouge (2010) est publié chez Philippe Picquier en 2012.

« Ogui ouvre lentement les yeux. Tout est blanchâtre autour de lui. Une lumière l’éblouit. Il ferme les yeux et les rouvre. Ça lui coût une peu. Il est rassuré, il sent qu’il est en vie. » (p. 7). En effet, Ogui est à l’hôpital, il se réveille après un long coma et ne sait pas où est son épouse. Pourtant le couple vient d’acheter une maison, il est professeur universitaire, elle est journaliste. « Comment la vie peut-elle changer du tout au tout aussi rapidement ? Comment peut-elle s’effondrer, se briser en mille morceaux et disparaître dans le néant ? » (p. 23).

Sa belle-mère lui rend visite tous les jours mais il ne peut pas communiquer sauf en clignant de l’œil pour dire oui. Après plusieurs mois de rééducation, il se sent déprimé… « Il s’est beaucoup investi dans sa rééducation, mais aucune fonction physique n’est revenue. » (p. 37).

Lorsqu’Ogui retourne dans sa maison, huit mois après, elle est réaménagée, avec un lit spécial, des appareils de rééducation, une infirmière à domicile, un kiné… Sa belle-mère s’occupe de tout et paye tout. C’est un peu bizarre, non ? En tout cas, elle décide de s’occuper du jardin. « Le jardin est sens dessus dessous. Comment a-t-il pu devenir une telle jungle en huit mois ? » (p. 56). Or son épouse avait une obsession pour le jardinage et ça le dérangeait.

De son côté, Ogui qui n’a rien à faire, pense et se souvient, son enfance, sa mère morte, son père plus que distant, ses études, sa rencontre avec son épouse, ses études, son métier de professeur de géographie… mais « Sa femme lui manque. Elle lui manque terriblement. » (p. 73).

Mais revenons au jardin puisque c’est le titre. Sa belle-mère y creuse un trou énorme… Le voisinage s’interroge. Veut-elle planter un arbre ? Elle dit que c’est pour créer un étang… Oqui est inquiet. « Lui qui pensait avoir connu beaucoup d’épreuves, il pressent aujourd’hui que beaucoup d’autres l’attendent. Et que les souffrances passées ne sont rien à côté de celles à venir. » (p. 101). Et il a bien raison !

Ce roman est comparé à Misery de Stephen King. Construit comme un thriller psychologique, il fait effectivement froid dans le dos ! Le suspense s’installe peu à peu jusqu’à la chute. Mais le récit, bien loin du classique états-unien, est très coréen, très troublant, donc totalement différent c’est pourquoi il est à découvrir absolument !

Pour le Challenge coréen #2 et Polar et thriller 2021-2022.

Ils l’ont lu : Alex, Alice, Dasola, Ingannmic, Lune, Richard, entre autres.

Pacifique de Stéphanie Hochet

Pacifique de Stéphanie Hochet.

Rivages, mars 2020, 112 pages, 17 €, ISBN 978-2-7436-4992-0.

Genres : littérature française, roman.

Stéphanie Hochet naît en mars 1975 à Paris. Elle étudie le théâtre élisabéthain puis enseigne en Grande-Bretagne. Autrice depuis 2001, elle tient des chroniques (Magazine des livres, BSC News, Muze qui n’existe plus mais que j’aimais beaucoup, Libération, Lire…) et anime des ateliers d’écriture. Du même auteur : Éloge du chat (2014), Un roman anglais (2015), Éloge voluptueux du chat (2018) entre autres. Plus d’infos sur son blog.

« Je noue le hachimaki aux couleurs de notre Japon éternel autour de mon casque. J’effectue ce geste avec lenteur et solennité, sans pensées, sans émotions. Le froid dans mes veines, le temps s’est arrêté, je suis une fleur de cerisier poussée par le vent. » (p. 11). Voici le début de ce très beau roman ou comment parler de la guerre de façon imagée et poétique ! 27 avril 1945. Le soldat Kaneda Isao, 21 ans, a concrétisé son rêve de « piloter au sein de l’armée du Japon » (p. 18).

Isao a été élevé par sa grand-mère maternelle, Yumiko, issue d’une famille de samouraïs. Grâce à l’enseignement qu’il a reçu, vous allez tout comprendre sur l’esprit et l’honneur japonais : yamato, bushido, seppuku, kenjutsu (art martial noble)… Avec le professeur Mizu, 20 ans, l’enfant Isao étudie le latin, le grec, le japonais, l’anglais, les mathématiques et découvre Shakespeare en même temps que le théâtre nô. Il va pratiquer le kendô. Isao sort très peu et n’a pas d’amis alors sa grand-mère lui offre un lapin, ce qui apporte un peu d’amour dans la vie assez martiale d’Isao.

J’aimerais m’attarder sur le lapin, Usagi (ce qui signifie tout simplement lapin en japonais) avec trois extraits que je trouve magnifiques. « Ébahissement devant l’animal blanc et brun, ramassé en une boule d’où émergent deux oreilles élégantes comme de fines feuilles de bananier. Je caresse durant des heures son pelage d’une infinie douceur, et cette joie éveille chez moi un amour jamais éprouvé. Enfouissant mon visage dans la fourrure de l’être frêle, je m’enivre de son odeur de foin, de sa chaleur de mammifère. Sous mes baisers, l’animal grince des dents de bonheur et cette tendresse partagée devient une source de réconfort inespéré. J’aime ce corps vibrant sous mes mains, accessible, chérissable, intensément présent. » (p. 39-40). « Usagi court autour de mes jambes, sa fourrure soyeuse frôle ma peau. Je caresse le rectangle de poils entre les yeux. Il s’immobilise, attentif à mon geste, grince des dents de plaisir […]. Si son corps trapu rend sa démarche pataude, il est capable d’accélérations phénoménales. Il m’évoque une créature mi-céleste, mi-terrienne, méconnue des hommes. » (p. 45). « Grand-mère me voit caresser le crâne d’Usagi, me pencher sur son museau, l’embrasser pendant des heures. » (p. 55).

Lorsqu’il a 16 ans, « Isao-san, je suis fière de toi. Tu accompliras de grandes choses. Je t’ai donné l’éducation que j’aurais aimé transmettre à un fils. Pense à moi et deviens un homme valeureux. » (la grand-mère, p. 60-61). Il y a une fierté devant l’endoctrinement patriotique depuis le plus jeune âge. Et Isao retourne chez ses parents pour intégrer le lycée puis l’école militaire de pilotage Yokaren (hikô yokâ renshûsei) : il a 17 ans et il est plus triste de quitter Usagi que sa famille. « Après avoir serré dans mes bras mes parents et mon frère, j’embrasse une dernière fois Usagi que je dois laisser derrière moi. C’est la séparation la plus difficile, la plus intime, la plus silencieuse. Le lapin pourra-t-il vivre sans moi ? La question me tourmente. » (p. 71).

Mais ne vous fiez pas à toute cette tendresse, ce roman est un roman sur la guerre dans le Pacifique, sur les kamikaze (de kami, dieux, et kaze, vent) et sur l’abnégation militaire. « Nous sommes appelés des « fleurs de cerisier ». […] Nous deviendrons des végétaux délicats, des corolles époustouflantes […]. Nous deviendrons l’image même de la fragilité qui vit le temps d’un soupir et meurt avec légèreté. » (p. 81).

Que dire devant une telle beauté ? Mais le soldat Kaneda va être pris de questionnement, de doute, d’angoisse…

Contrairement à Le ballet des retardataires de Maïa Aboueleze (note de lecture publiée hier) qui ne m’avait pas convaincue, Pacifique m’a énormément plu et m’a transportée au Japon dans le Pacifique en temps de guerre. Je fais le parallèle entre les deux parce que ce sont deux livres sur le Japon écrit par deux Françaises.

Pour les challenges Animaux du monde #3 (pour Usagi le lapin) et Petit Bac 2020 (catégorie Lieu pour l’océan Pacifique).

 Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 15.

La conspiration des médiocres d’Ernesto Mallo

La conspiration des médiocres d’Ernesto Mallo.

Rivages, collection Rivages noir, avril 2018, 202 pages, 18 €, ISBN 978-2-7436-4350-8. La conspiración de los mediocres (2015) est traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton.

Genres : littérature argentine, roman policier.

Ernesto Mallo naît le 16 août 1948 à La Plata près de Buenos Aires (Argentine). Né dans une famille très pauvre, il ne peut pas aller à l’école et enchaîne les petits boulots avant de découvrir le théâtre dans les années 70 puis l’écriture dans les années 2000. Il est dramaturge, journaliste et écrivain. Plus d’infos (en espagnol) sur le site officiel de l’auteur (inaccessible…).

Première moitié des années 70, Buenos Aires, Argentine. Rolf Bölle, un Allemand, ancien nazi, est retrouvé mort dans son fauteuil avec une mise en scène de suicide. « Il n’y a maintenant plus aucune théorie, plus de Dieu, de souvenirs, de sensations, de pardons, d’oublis, de monde. Le jour s’éteint. » (p. 15). Le commissaire adjoint Venancio Ismael Lascano, surnommé Perro (le chien) car il flaire tout, comprend que c’est un meurtre. Mais, comme c’est un policier intègre, il est tenu à l’écart de certaines affaires de la « Federica » (surnom de la police fédérale argentine). Pour l’affaire Böll, ses supérieurs lui refilent un assistant, Miguel Siddi, « aspirant officier, récemment promu, vingt ans, barbe de trois jours, de grand yeux » (p. 21), surnommé Tuerca à cause de sa passion pour les voitures et les courses de rallye. Au départ, Perro est mécontent mais, finalement, les deux hommes s’entendent bien et Perro est ravi de la nouvelle voiture, une Falcon verte 3.6. « Il y a quelque chose de franchement séduisant dans une voiture neuve, surtout quand on a conduit une ruine les quatre dernières années. » (p. 23). Perro contacte Marisa Frauberg, professeur universitaire qui parle six langues dont l’allemand et qui pourra traduire le carnet qu’il a trouvé chez Böll. « Les nazis étaient obsédés par le contrôle, tout devait être inventorié, catalogué, enregistré, même nous, dit-il en relevant la manche de sa chemise […]. (p. 91). Cette enquête et la rencontre de Perro avec Marisa vont bouleverser la vie de Perro et le destin du pays !

J’ai d’emblée aimé le personnage de Perro puis celui de Tuerca. Mais, en ce qui concerne les autres policiers, ouah, c’est du lourd ! On ne sait pas à qui se fier, à qui faire confiance… Tout est pourri, jusqu’aux étages supérieurs ! Et donc, Ernesto Mallo réussit son coup, une enquête difficile et une vision peu réjouissante de l’Argentine des années 70. Une étude fine et poussée sous forme de fiction, quoi de mieux pour comprendre ce pays dans lequel de nombreux nazis se sont enfuis après guerre. J’ai repéré qu’il y a trois tomes parus précédemment : L’aiguille dans la botte de foin (2009), Un voyou argentin (2012), Les hommes t’ont fait du mal (2014) et je les lirai, c’est sûr.

Mon passage préféré : « Elle ressent au fond d’elle un vide angoissant […]. Elle comprend que les idées et les mots sales de Böll l’ont atteinte. […] Elle se dit que ces gens […] sont des personnes médiocres, sans éclat, sans aucun talent, soumis et qu’on n’a au aucun mal à convaincre. Ils étaient les crève-la-dalle de l’après 14-18, ceux-là même qui se nourrissaient dans les poubelles, et dont la privation de nourriture leur avait ôté toute morale. Ces hommes qui en étaient arrivés à considérer d’autres êtres humains comme des aliments envisageables. Et, une fois qu’ils ont été plongés au plus profond de leur misère, est apparu un dément venu leur annoncer qu’ils étaient la race supérieure. Et ils l’ont cru. Et il a montré du doigt les responsables de tous leurs maux. Et ils l’ont cru. Et on leur a donné des uniformes clinquants, et des grosses bottes, des ceinturons austères et des symboles qui faisaient froid dans le dos, pour que tous les craignent. Et ils les ont portés. Et on leur a donné des défilés, des étendards et des drapeaux. Et on a mis dans leurs mains des triques, des pistolets, des fusils et des mitrailleuses. Et on leur a demandé d’être rapides, efficaces et cruels. Et ils l’ont été. Et on les a invités au banquet, à prendre part à la fête, aux mises en scène monumentales où le leader convainquait les foules que le monde était à eux et qu’ils n’avaient plus qu’à se servir. » (p. 150-151).

Une excellente lecture pour le Mois espagnol et sud-américain (que je suis contente d’honorer même si je ne publie que ce billet mais j’aimerais quand même (re)voir un film) que je mets également dans le challenge Polar et thriller 2018-2019.

L’affaire Mayerling de Bernard Quiriny

L’affaire Mayerling de Bernard Quiriny.

Rivages, janvier 2018, 272 pages, 20 €, ISBN 978-2-7436-4228-0.

Genre : littérature belge.

Bernard Quiriny naît le 27 juin 1978 à Bastogne en Belgique. Il est docteur en Droit, professeur universitaire de Droit, critique littéraire, responsable des pages livres dans Chronic’Art, auteur (romans, nouvelles) et lauréat de plusieurs prix littéraires.

Braque et le narrateur se passionnent pour l’immobilier ; ils m’ont bien plu, ils sont ensemble un peu comme des Dupond et Dupont ! Dès le début, je trouve ce roman très amusant. « Le pas de porte d’un immeuble n’est pas un salon de thé. Dans la vraie vie, les voisins de palier se croisent et se saluent à peine. […] De plus […], un autre voisin est occupé à lire un journal sur sa terrasse du premier étage, juste au-dessus de l’entrée. Il entend donc tout ce que raconte les bavards en dessous de lui. À sa place, je ne supporterais pas d’être ainsi dérangé. » (p. 14-15).

À Rouvières, les deux filles Ramut vendent le manoir à la mort de leur mère, à une société espagnole inconnue (CFR) qui va construire un bel immeuble neuf de grand standing. « Ce n’est pas nous qui choisissons l’endroit où nous voulons vivre, c’est l’endroit qui nous choisit. » (p. 43).

Durant la lecture, je ris bien même avec les problèmes d’urbanisme et les termes d’architecture auxquels je ne connais rien ! Il y a toute une galerie de personnages tous plus intéressants les uns que les autres, dont le personnage principal c’est-à-dire l’immeuble.

« Un nouvel être est né : le Mayerling. 5 000 m² de béton. 300 tonnes d’acier. 150 fenêtres et portes-fenêtres. 300 portes intérieures. 1 500 m² de façade isolée. 200 m² de garde-corps aux balcons. 1 000 plaques de cloison. […] Et une âme noire, cachée là-dedans, dont on ignore la taille et le poids. » (p. 62).

Mais, depuis la construction du Mayerling, le quartier Voltaire est différent. Les habitants de l’immeuble sont bruyants, se disputent de plus en plus, deviennent dingues ; les chiens aboient sans discontinuité ou se laissent mourir, les chats s’enfuient ; il y a des remontées dans la tuyauterie, des odeurs pestilentielles, des fantômes, de la « délinquance inédite […] rarissime au centre-ville » (p. 149), des bagarres, des incivilités routières… Le commissaire Montorgue interrogé par Braque et le narrateur (qui écrit un livre) dit « On aurait cru qu’un aimant à délinquants était posé là. » (p. 150).

Un immeuble peut-il être vivant et en vouloir à ses habitants ? Peut-il « pourrir la vie de ses habitants » (p. 177).

J’aime particulièrement les interrogations (des voisins, des journalistes, de la police…), les différents points de vue sur les habitants (médical, psychosociologique, marxiste, esthétique, artistique) et le côté fantastique. « Que se passe-t-il au Mayerling ? Voici un immeuble magnifique, bien propre et bien blanc, avec tout le confort, protégé par un haut mur ; or, ses habitants le démolissent ; sont-ils donc fous ? » (p. 228).

Ce roman est assurément une charge contre le béton. « La civilisation du béton fait des dégâts irrémédiables. » ( p. 237). Et une réflexion sur la folie des architectes et les malversations des promoteurs immobiliers. L’architecture moderne est-elle réellement habitable pour le bien-être des occupants ?

J’ai repéré une faute (ma petite maniaquerie) : « Ce que nous ne verrez pas » (p. 35).

La plus grande joie des immeubles collectifs… Le bruit ! « Un imbécile, au dernier étage, reçoit ses amis imbéciles. Ils passent des musiques imbéciles, tiennent des conversations imbéciles et font profiter l’immeuble entier de la folle ambiance imbécile qui règne chez eux. » (p. 93) et plus loin « La fête, donc. Dès huit heures. […] les rires, les cris, les objets tombés par terre, […] une armée de soudards avaient pris possession de l’appartement du dessus. » (p. 94). Oh la la, j’ai connu ça, au-dessus, au-dessous, toutes les semaines, et même plusieurs fois dans la semaine surtout en fin de semaine (mais pas que) et bien sûr toute la nuit !

Un grand roman, génial ! L’affaire Mayerling est un roman intelligent, drôle et offre de belles références littéraires. Il est vraiment très original et j’étais presque triste de le finir et de quitter l’univers des personnages et de l’auteur… Je lirai d’autres titres de Bernard Quiriny, c’est certain ! Est-ce que vous connaissez cet auteur ? Avez-vous un (ou des) titre(s) en particulier à me conseiller ?

Une excellente lecture que je mets dans Littérature de l’imaginaire et Voisins Voisines (Belgique).