Le Baron Perché de Claire Martin

Le Baron Perché de Claire Martin.

Jungle (Steinkis), janvier 2021, 128 pages, 16,95 €, ISBN 978-2-82222-998-2.

Genres : bande dessinée française, histoire.

Claire Martin étudie à l’École Émile Cohl et obtient un diplôme de dessinateur concepteur en 2019. Elle est autrice et illustratrice. Le Baron Perché est sa première bande dessinée, une adaptation de Il Barone Rampante (1957) d’Italo Calvino. Plus d’infos sur son blog.

Ombreuse, en Italie, au milieu du XVIIIe siècle. Côme et Blaise Laverse du Rondeau vivent dans un beau domaine avec leurs parents, Konradine et Arminius, Baron d’Ombreuse. L’aîné, Côme, 12 ans, est en conflit avec son père et s’enfuit du manoir pour vivre dans les arbres. « Je ne mettrai plus jamais les pieds sur le sol. Désormais, je ne vivrai que dans les arbres. » (p. 14), d’où son surnom de Baron Perché.

Il rencontre Violette qui vit chez sa tante et une bande d’enfants pauvres qui volent des fruits et qui surnomment Violette, La Capelinette.

Les années passent (dans les arbres). Côme mûrit, il construit une maison perchée, il adopte un chien qu’il appelle Optimus Maximus, il chasse et aide les pauvres, il accueille « Jean des Bruyères, le célèbre brigand » (p. 46) dont la passion est en fait de lire des romans et l’été de ses 18 ans, il empêche même le feu de ravager la forêt et le village avec l’aide des villageois.

Mais, un jour, il apprend que des réfugiés espagnols vivent un peu plus loin, eux aussi dans des arbres.

J’ai tout aimé dans cette bande dessinée, l’histoire (je n’ai pas lu le roman de Calvino mais je me le note !), les dessins, les couleurs, l’ambiance, l’humour (Côme est perché dans les arbres mais il est aussi un peu parfois perché dans sa tête !). Ce conte philosophique montre la liberté, l’indépendance et la conviction de Côme qui ne dérogera jamais à la règle de ne plus jamais mettre les pieds sur le sol. Pour ça, il va devoir être inventif et il y a des moments drôles. Il va aussi découvrir les auteurs français des Lumières, l’amitié, l’amour, la solidarité avec les villageois ou les réfugiés espagnols.

Une très belle bande dessinée que je vous conseille donc vivement et que je mets dans les challenges classiques : 2021 cette année sera classique et Les classiques c’est fantastique (puisque cette BD est une adaptation d’un roman italien paru en 1957), les challenges bandes dessinées : BD, La BD de la semaine (bien qu’en pause estivale) et Des histoires et des bulles (catégorie 11, une adaptation littéraire, 2e billet) ainsi que dans Challenge de l’été #2 (Italie) et Jeunesse young adult #10.

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Rouges estampes de Jean-Louis Robert, Carole Trébor et Nicola Gobbi

Rouges estampes : une enquête pendant la Commune de Paris de Jean-Louis Robert, Carole Trébor et Nicola Gobbi.

Steinkis, mars 2021, 128 pages, 19 €, 978-2-36846-353-6.

Genres : bande dessinée franco-italienne, Histoire, policier.

Jean-Louis Robert, né en 1945, est historien, professeur universitaire et auteur. Il est spécialiste de l’histoire sociale de la Première guerre mondiale et de l’histoire de la Commune de Paris. L’éditeur dit qu’il « travaille à une grande histoire de la Commune entièrement inédite à paraître en 2021 ».

Carole Trébor, née en 1973, est historienne (spécialiste de l’URSS et de la Russie), professeure universitaire en histoire de l’art, autrice de littérature jeunesse (romans, albums illustrés) et documentariste. J’avais beaucoup aimé La lignée (Nina Volkovitch 1) en 2012 et ça me fait penser que je n’ai pas lu la suite.

Nicola Gobbi, né en 1986 à Ancône en Italie (dans les Marches), est auteur et dessinateur mais il vit maintenant à Paris. Il est possible de le suivre sur sa page FB (en italien).

« Paris, mars 1871. Ils sont des centaines d’artistes qui s’engagent dans la révolution de Paris. Depuis le Second Empire, ils sont en lutte contre l’académisme qui trône dans les salons officiels et ils réclament la totale liberté d’ l’Art. […] Pour vivre, ils se font modèles, peintres en décors, dessinateurs… Connaissant le sort du peuple, ils sont sensibles à l’idée de la République sociale. » (p. 3). Un an après, la guerre contre les Prussiens est terminée et l’Alsace et la Lorraine ont été abandonnées à l’Empire allemand. Raoul Avoir, le narrateur, est sur l’Austerlitz à Brest, un bateau prison et il écrit à sa mère ses souvenirs.

Après la guerre, les Parisiens n’ont pas de travail et mangent des rats… Les enfants ne vont plus à l’école, ils sont obligés de travailler pour aider leurs parents… Raoul Avoir a abandonné ses études de Droit, au grand dam de son père, et vivote avec ses amis artistes (Félix Bracquemond, Jules Vallès, Philippe Cattelain, André Gil…). « Tu aurais dû finir tes études de Droit, Raoul, tu serais moins dans la mouise ! – C’est sûr, si j’avais fini mon Droit, vous seriez tous en prison à l’heure qu’il est ! J’aurais été encore plus impitoyable que mon père ! – En attendant de nous condamner, fais-nous voir ton dessin ! » (p. 13).

Raoul – surnommé Mie de pain car il gommait tout le temps ses dessins – est nommé nouveau commissaire du commissariat de Plaisance, réquisitionné par les citoyens dans le 14e arrondissement de Paris. Leur objectif est de « fonder […] une police honnête, estimée de tous, ne s’occupant que d’assurer la sécurité des Parisiens, même des plus pauvres, et de poursuivre les délits et les crimes. » (p. 29). Mais un assassin rôde dans Paris… « Il ne faudrait pas qu’il profite de l’anarchie de votre révolution pour tuer en toute impunité. » (p. 26).

Finalement, c’est une guerre civile entre les militaires attachés au gouvernement replié à Versailles (surnommés les Versaillais, avec un drapeau tricolore) et les citoyens du peuple de Paris (les Communards, avec un drapeau rouge). « La guerre commence… Il va falloir organiser une offensive. On ne va pas les laisser fusiller les nôtres sans régir. » (p. 43). Raoul et ses amis citoyens espèrent une République sociale, du travail, de la nourriture, un toit et la justice pour tous ; ils ont de belles idées mais certains sont parfois excessifs et surtout ils sont considérés comme des terroristes par le gouvernement versaillais mené par Thiers.

Pourquoi Rouges estampes ? La bande dessinée est en noir et blanc mais il y a des esquisses de rouge (par exemple, des nez, des oreilles, ou un chariot que l’on suit de case en case p. 16) et certains dessins sont entièrement dans différents tons de rouge (par exemple, l’artiste tueur en train de peindre sur un corps féminin p. 12). Et pour estampes, un des amis de Raoul, Félix Bracquemond, est peintre, graveur, amateur d’art japonais (il est d’ailleurs l’initiateur du japonisme en France) et il y a des clins d’œil à l’art japonais comme les fleurs de cerisiers. Parmi mes dessins préférés, celui en pleine page du réverbère allumé (p. 33) ou deux estampes en pleine page aussi (p. 98-99).

En mars, j’ai vu le film d’animation Les damnés de la Commune (d’après la bande dessinée de Raphaël Meyssan parue en 2019) et dans Rouges estampes, j’ai retrouvé Victorine, Louise Michel, le peuple parisien qui défend les canons qu’il a lui-même achetés par souscription populaire et les soldats versaillais… « Vous ne tirerez pas sur le peuple ! […] Ne tirez pas les gars ! » (p. 22). Et j’ai encore appris pas mal de petits détails mais ce sont en partie les petites histoires qui font la grande Histoire, n’est-ce pas ?

Mais Rouges estampes n’est pas qu’une bande dessinée historique, des jeunes femmes sont torturées et assassinées et Raoul enquête. Les victimes sont modèle, prostituée, ouvrière… « Les trois crimes pourraient être liés. Toute cette mise en scène abjecte… S’il y a un meurtrier dans la ville, il ne va pas s’arrêter. Il faut prévenir les citoyens. – Si on publie l’information, on risque de créer une panique dans Paris… » (p. 76). En fin de volume, il y a une galerie des personnages et « La mémoire de la Commune ».

C’est grâce à Noctenbule que j’ai découvert cette bande dessinée à la fois historique et policière et je suis ravie d’avoir pu la lire. Les événements se sont déroulés il y a seulement 150 ans et ils furent sanglants… Mais il est bon de les rappeler et, donc, je vous invite à lire cette excellente bande dessinée bien documentée et bien dessinée.

Pour La BD de la semaine et les challenges BD, Des histoires et des bulles (catégorie 18, une BD avec une couleur dans le titre mais elle peut aller aussi dans les catégories 28, 33, 35, 50), Petit Bac 2021 (catégorie Couleur), Polar et thriller 2020-2021.

Conduite interdite de Chloé Wary

Conduite interdite de Chloé Wary.

Steinkis, mars 2017, 144 pages, 18 €, ISBN 978-2-36846-090-0.

Genres : bande dessinée, roman graphique.

Chloé Wary est toute jeune, elle est étudiante en Arts appliqués.

Nour est une jeune femme saoudienne. Pendant cinq ans, elle a vécu à Londres avec ses parents car son père y travaillait. Elle a étudié la photographie. Mais c’est le retour au pays et Nour n’a plus de liberté, elle n’a plus le choix de sa propre vie. Son père l’a inscrite à l’université de littérature arabe. « De toute façon, ça n’a pas d’importance. Pour les filles, la seule chose qui compte c’est l’honneur de la famille. » lui dit-il. La seule solution, si elle veut échapper à la tutelle de son père, c’est de se marier et de tomber sous la tutelle d’un autre homme… Mais il faut trouver un mari coopératif. « C’est comme se condamner à une vie de soumission… » Heureusement sa tante lui présente un jeune homme qui a étudié la médecine aux États-Unis. Quelques mois plus tard, Nour est l’épouse du Dr. Muhammad Al-Hadad. Mais son rôle de femme au foyer ne la satisfait pas…

« L’Arabie saoudite est le seul pays au monde où il est interdit aux femmes de conduire » annonce la quatrième de couverture. Depuis novembre 1990, un groupe d’une quarantaine de femmes, « Women2drive » [lien], revendique le droit de conduire. Nour est parmi ces femmes qui vont tenter la liberté à leurs risques et périls. Elles ont pris le volant, elles ont roulé dans les rues de Ryad, elles ont été arrêtées… Est-ce que, dix-sept ans plus tard, la situation a évolué ? C’est en lisant Révolution sous le voile de Clarence Rodriguez (First, 2014) que Chloé Wary a découvert les témoignages de ces femmes dont elle a eu envie de parler dans cette première bande dessinée vraiment réussie et respectueuse.

Cette bande dessinée m’a beaucoup plu : Chloé Wary s’est sentie concernée par les conditions de ces femmes inconnues, invisibles sous leur abaya, et elle plante bien le décor. Ses dessins ressemblent à ceux de la Libanaise Zeina Abirached mais Chloé Wary a développé son propre style, réaliste et lumineux, ce qui rend l’histoire optimiste même si ces femmes n’ont pas encore eu gain de cause… Et puis c’est un plaisir de découvrir une maison d’éditions que je ne connaissais pas (j’avais toutefois aperçu en librairie la couverture de Là où se termine la terre d’Alain et Désirée Frappier et celle d’Amélia, première dame du ciel d’Arnu West alors il faudra que je regarde plus en détail les parutions de Steinkis) et une nouvelle venue dans le monde de la bande dessinée. Et surtout, je compatis avec le combat de ces femmes, elles méritent d’être libres et indépendantes !

Une lecture pour les challenges BD et Raconte-moi l’Asie. De plus j’ai intégré, depuis la semaine dernière, le groupe La BD de la semaine dans lequel je retrouve des blogueuses et blogueurs lecteurs de BD que je suis depuis des années ! (Mes notes de lecture de bandes dessinées seront donc plutôt publiées le mercredi à partir de maintenant).