Cannibale de Didier Daeninckx.
Verdier, collection Jaune, septembre 1998, 96 pages, 8,10 €, ISBN 978-2-86432-297-9.
Genres : littérature française, roman historique.
Didier Daeninckx naît le 27 avril 1949 à Saint-Denis. Il est écrivain (romans, romans policiers, nouvelles, essais) et scénariste. Engagé à gauche, il décrit le social et la réalité historiques pour que les erreurs du passé ne soient pas répétées.
En exergue : « De quel droit mettez-vous des oiseaux en cage ? De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages ? Aux sources, à l’aurore, à la nuée, aux vents ? De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ? (p. 7). Tout à fait d’accord avec Victor Hugo, un auteur que j’aime beaucoup et, comme lui, je ne supporte pas les animaux en cage !
Nouvelle-Calédonie, entre Poindimié et Tendo, des pins colonnaires, des banians, des cocotiers, « la terre rouge, le vert sombre du feuillage » (p. 9), « la barrière de corail, et au large le sable trop blanc […] autour des îlots » (p. 10). Caroz (le Blanc) et Gocéné (le Kanak), tous deux 75 ans, sont arrêtés par un barrage de rebelles de la Kanaky. Caroz doit repartir et laisser son ami continuer seul mais Gocéné va rester et raconter à ces jeunes Kanaks rebelles son histoire. En janvier 1931, il était jeune et a été emmené avec une centaine d’autres jeunes, garçons et filles ; il a été embarqué sur un bateau et débarqué à Marseille trois mois plus tard. « Je ne connaissais que la brousse de la Grande-Terre, et d’un coup je traversais l’une des plus vastes villes de France… Les lumières, les voitures, les tramways, les boutiques, les fontaines, les affiches, les halls des cinémas, des théâtres… […] le bruit, les fumées, les râles de vapeur et les sifflements des locomotives […] un peu de neige » (p. 16-17). Mais, à Paris, le groupe est pris en charge par les responsables de l’Exposition universelle et les jeunes sont enfermés « dans un village kanak reconstitué au milieu du zoo de Vincennes, entre la fosse aux lions et le marigot des crocodiles » (p. 17). Pire, ils sont dressés comme des animaux sauvages… Les jeunes qui écoutent Gocéné rigolent : « Ce n’est pas une histoire vraie, grand-père… » (p. 23). Et pourtant, si !
Gaston Doumergue, président de la République française, inaugure l’Exposition coloniale le 2 mai 1931. Entre les lions et les crocodiles (fraîchement arrivés d’Allemagne car les crocodiles du zoo parisien sont morts subitement), il y a effectivement ce village kanak et on fait croire à la population que ces humains sont des sauvages et qu’ils sont cannibales. Honte aux politiques et scientifiques de cette époque ! J’ai particulièrement aimé le discours de la jeune activiste : « Vous tous qui dites « hommes de couleur », seriez-vous donc des hommes sans couleur ? […] Il n’est pas de semaine où l’on ne tue pas, aux Colonies ! Cette foire, ce Luna-Park exotique, a été organisée pour étouffer l’écho des fusillades lointaines… Ici on rit, on s’amuse, on chante La Cabane bambou… Au Maroc, au Liban, en Afrique Centrale, on assassine. En bleu, en blanc, en rouge… » (p. 79).
Didier Daeninckx prête sa plume au vieux Gocéné pour raconter, à travers son parcours (quelque peu rocambolesque pour retrouver sa bien-aimée, Minoé), l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, de la Kanakie et de sa population afin que les lecteurs prennent conscience de ce qu’ont vécu les Kanaks, comprennent leurs revendications (près de soixante-dix ans après l’Exposition coloniale au moment où le livre est écrit), leur volonté d’indépendance et réagissent contre l’esclavage, la discrimination et le racisme. En effet, les Kanaks sont tout à fait civilisés, propres, respectueux, enjoués, pas du tout sauvages et encore moins cannibales mais les dirigeants du zoo les obligent à pousser des gémissements, des cris, à vivre nus, et ne leur donnent rien à manger… Pourtant, un Français, un Blanc, François Caroz, va prendre la défense de Gocéné (les deux hommes deviendront amis, à la vie à la mort), et, à Paris, un autre Français, un Noir du Sénégal, Fofana, va aider les hommes en fuite, sans poser de questions, par charité et amour du prochain, simplement.
Cannibale est un livre primordial qui apporte et qui importe. Je lirai sûrement la suite, Le retour d’Ataï (Verdier, 2002), qui explique les revendications du peuple kanak.
Je mets cette lecture dans le Challenge lecture 2021 dans la catégorie 56 parce que vu le nombre de pages, il se lit en un jour (ce que j’ai fait).