Une suite d’événements de Mikhaïl Chevelev.
Gallimard, collection Du monde entier, janvier 2021, 176 pages, 18 €, ISBN 978-2-07017-848-3. Posledovatel’ nost sobytï (2015) est traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs.
Genres : littérature russe, premier roman.
Mikhaïl Chevelev naît en 1959 en Russie (alors Union Soviétique). Il étudie à l’Institut des langues étrangères de Moscou et devient traducteur et interprète puis il devient reporter et participe (auteur et éditeur) au magazine satirique Samizdat. Il est maintenant journaliste indépendant et romancier. Après avoir lu son 2e roman, Le numéro un, je ne pouvais que me tourner vers cette Suite d’événements.
Pavel et Tania s’apprêtent à écouter les informations au journal de vingt heures. « ‘… des inconnus… L’église de l’Épiphanie de Nikolskoe, un village de la région de Moscou… les otage… il y a des enfants… n’ont pas énoncé leurs exigences… Ils veulent des pourparlers avec des intermédiaires…’ Seigneur Dieu… ça fait huit ans que rien de tel ne s’était produit… depuis Beslan… Et puis j’entends mon nom. Et un autre nom qui m’est familier. » (p. 12).
1996. Une délégation de journalistes du journal Courrier de Moscou et de l’émission télévisée Regard est envoyée en Tchétchénie pour la fin de la guerre. Tout se passe à peu près bien et des prisonniers russes peuvent même rentrer avec eux, Sergueï et deux Oleg, Vadim étant gardé un peu plus longtemps. « Dix-sept postes de contrôle plus tard et autant de bouteilles de vodka achetées dans les petits bazars installés au bord des routes pour payer notre passage, nous arrivons le soir à Makhatchkala » (p. 34).
2015. Vadim et son groupe ont pris en otage plus de cent personnes dans l’église du village de Nikolskoe et il ne veut parler qu’à Evgueni Stepine et Pavel Volodine. Évidemment les deux journalistes sont recherchés par l’armée. Est-ce qu’ils connaissent Vadim Pétrocitch Sereguine ? Bien sûr, c’est eux qui l’ont fait libérer en 1996 mais ils ne l’ont pas revu depuis une quinzaine d’années…
En fait Vadim a trahi la Russie, il s’est converti à l’islam et il est du côté des Tchétchènes. C’est sans espoir, il n’hésitera pas à faire tout sauter et à tuer les cent adultes et les douze enfants prisonniers dans l’église. « Tu as perdu la boule, Vadim » (p. 81). Mais la revendication de Vadim et de son groupe est simple. « Nous exigeons que le président de la Fédération de Russie passe à la télévision et demande pardon pour les deux guerres : la guerre en Tchétchénie et la guerre en Ukraine. Après ça, tous les otages seront libérés. Sinon ils seront tués. – Mais tu comprends bien qu’il n’ira jamais prononcé une telle phrase à la télé ? » (p. 95). Je rappelle que la guerre en Ukraine (Crimée et Donbass) a démarré en février 2014 et, au-delà de la Crimée et du Donbass en février 2022.
J’ai bien aimé les traits d’humour et les dialogues sans détour. « Avec vous autres, c’est toujours pareil, je ne savais rien, je n’ai rien vu et d’ailleurs j’étais contre… Et résultat, le cimetière est plein… » (p. 148). Mikhaïl Chevelev est journaliste, dissident, et il a écrit dans ce premier roman ce qu’il ne pouvait pas écrire dans ses papiers (on ne dit plus article, on dit papier). La nouvelles Russie est-elle vraiment une démocratie ? La liberté d’expression existe-t-elle ou la censure est-elle toujours omniprésente ? Quid des guerres et des milliers (millions ?) de morts depuis le début du XXIe siècle ? Les deux guerres mondiales du XXe siècle et la faillite du communisme n’ont-elles pas servi de leçons ? Pourquoi toujours tant de violences, de corruptions et d’horreurs ? Qui est responsable, le pouvoir en place et ses sbires, ceux qui ont élu ce pouvoir, ceux qui ne disent rien et qui laissent faire, ceux qui s’en lavent les mains et s’enrichissent ? Et qu’est-ce qui pousse au terrorisme ?
Le roman est construit avec un compte à rebours de la prise d’otages, les rencontres entre Pavel et Vadim, et des flashbacks mettant en scène l’un ou l’autre des deux hommes ou les deux puisqu’ils se sont déjà rencontrés par le passé. Il y a une espèce d’imbrication, les deux hommes sont liés qu’ils le veulent ou non, et l’auteur montre sûrement que les Russes et leurs anciens voisins soviétiques sont également liés… même si parfois c’est de façon radicale.
Dans la postface, Ludmila Oulitskaïa, autrice russe, parle « du terrorisme individuel et du terrorisme d’État au XXIe siècle » (p. 167) et questionne les lecteurs : où se trouve la justice ? « le mal engendre le mal » (p. 168), c’est une escalade, ne sommes-nous pas tous responsables ?
Elle l’a lu : Alex de Mot-à-mots, d’autres ?
Une lecture pour le Mois Europe de l’Est que je mets aussi dans ABC illimité (lettre U pour titre), Challenge lecture 2023 (catégorie 28, un livre sans happy end, 2e billet), Polar et thriller 2022-2023 et Mois du polar (parce que c’est un roman plutôt suspense et thriller même s’il n’y a pas d’enquête policière), Tour du monde en 80 livres (Russie) et Voisins Voisines 2023 (Russie).