L’edda poétique

L’edda poétique, textes présentés et traduits par Régis Boyer.

Fayard, janvier 1992, 686 pages, 34,50 €, ISBN 978-2-21302-725-8.

Genres : littérature scandinave, poésie, classique, fantastique.

Régis Boyer naît le 25 juin 1932 à Reims. Il étudie le français, la philosophie et l’anglais (licences), les lettres modernes (agrégation) et les lettres (doctorat). Il devient enseignant universitaire de français (Pologne, Islande, Suède). Puis professeur de langues, de littératures et de civilisation scandinaves à la Sorbonne et directeur de l’Institut d’études scandinaves de la Sorbonne. Il est linguiste, auteur, traducteur et membre du comité scientifique de la revue Nordiques (créée en 2003). Il meurt le 16 juin 2017 à Saint Maur des Fossés.

Ces textes plutôt islandais mais aussi norvégiens sont traduits du norrois. Le vieux norrois (ou vieil islandais) « correspond aux premières attestations écrites d’une langue scandinave médiévale » (source Wikipédia). Le vieux norrois « désigne la langue du Danemark, de la Norvège et de la Suède ainsi que des colonies scandinaves comme l’Islande pendant l’âge des Vikings (vers 750-1050), le haut Moyen-Âge et le Moyen-Âge central (vers 1050-1350) » (source Wikipédia).

Les Vikings de Norvège font des excursions en Islande, Angleterre et Suède. Les Vikings, c’est « rapts, pillages, tueries, batailles, abordages, beuveries » (p. 68) mais c’est aussi des sagas et de la poésie (edda).

Pourquoi ces textes sont plutôt islandais ? « Ce qu’il importe absolument de ne jamais oublier dès que l’on aborde la mythologie nordique à travers les seuls textes islandais qui nous la révèlent […] (p. 70). J’en déduis que les anciens scandinaves (qui parlaient donc le norrois) n’écrivaient pas à part les Islandais. Mais il y a quelques eddas norvégiennes comme l’edda d’Egill, fils de Grímr, enfant précoce, poète, grand guerrier viking et magicien (runes).

Les eddas, ce sont deux manuscrits du XIIIe siècle mais les histoires racontées se déroulent entre le IXe et le XIe siècles. Le premier rédigé en 1230 est un « manuel d’initiation à la mythologie nordique destiné aux jeunes poètes » (p. 71). Edda signifierait « aïeule, et donc mère de tout savoir » (p. 71) mais il existe deux autres étymologies. Et fin du XIIIe siècle (original rédigé entre 1210 et 1240), le « Codex Regius » qui « contient les grands poèmes nordiques sacrés et héroïques » (p. 73) soit « edda poétique » ou « edda ancienne ».

Issus de la tradition orale (Ixe-Xe siècles), ces poèmes en norrois ont parfois été retranscrits au XIIIe siècle avec des erreurs, des oublis… « Il est évident qu’avant d’avoir été rédigés ces poèmes ont couru de bouche à oreille pendant des siècles, avec toutes les incompréhensions, tous les ajouts, refontes, interpolations et déformations que cela suppose. » (p. 73-74). Certains poèmes étaient récités ou chantés.

Alors les Vikings, des barbares ? Dans certains cas oui, mais leur poésie est délicate, subtile, rigoureusement construite même si je n’ai pas tout compris avec les termes techniques !

Les eddas, c’est partir à la découverte des hommes mais aussi des géants, des nains, des alfes (esprits des morts), des valkyries, etc. Fertilité, culte phallique, famille et vie quotidienne, sagesse, héroïsme, surnaturel, etc. C’est tout ça les eddas.

« Jeune, je fus jadis. / Je cheminai solitaire ; / Alors je perdis ma route ; / Riche je me sentis / Quand je rencontrai autrui : / L’homme est la joie de l’homme. » (strophe 47 p. 177 de Les dits du Très-Haut), « un des plus beaux thèmes, des plus positifs aussi, des Hávamál » (note p. 177).

Il y a quelques noms connus comme Ódinn, Thórr, Loki, Freyja (déesse)… mais sinon je dois avouer que la lecture fut difficile avec tous ces noms ! Heureusement qu’il y a des notes en bas de page ! Si les notes avaient été en fin de volume, leur lecture eut été impossible… Les Vikings furent une grande civilisation européenne antique (de langue indo-européenne) mais je dois admettre mon inculture…

« Pour revenir une fois encore sur l’idée centrale de ce livre, je retrouve ici, par excellence, ce composé qui me paraît tellement caractéristique , de réalisme (voyages en mer, expéditions vikings), de mystère (valkyries et métempsychoses) et d’art élaboré qui en est la marque. » (p. 281). Il y a la création du monde, le grand arbre Yggdrasill, les prouesses de Thórr, etc.

une des prouesses de Thórr : « Indomptable arriva / Au thing des dieux / Ayant le chaudron / Qu’avait possédé Hymir ; / Et chaque automne, / Les dieux suprêmes / Pourront bien boire / La bière chez Aegir. » (strophe 39 p. 436 in Le chant de Hymir).

Pour conclure, je voudrais parler de Ragnarök (un nom connu) : fin du monde ? Fin de ce monde ? « On peut, si on lit ragna rökr, entendre « crépuscule des puissances, des dieux » ; mais la leçon , plus fréquente, ragna rök signifie « destin des puissances », ou, mieux encore, « Consommation du Destin des Puissances » dont le sens est plus satisfaisant. » (p. 501). Donc pas de fin absolue ? « Non, et voici le plus émouvant. Cette mort ne va pas sans transfiguration, une résurrection suit cette apocalypse : « Le temps va ramener l’ordre des anciens jours. » Aux Scandinaves du monde viking, comme à tout l’héritage indo-européen, le néant était inadmissible. […]. » (p. 503).

Ce livre est sur mes étagères depuis 15 ans (ou plus !) et peut-être que je ne l’aurais jamais lu s’il n’y avait pas eu le challenge Les classiques c’est fantastique (poésie en août). La lecture a été difficile, laborieuse même (le livre est gros, lourd et je m’y suis prise en plusieurs fois pour le lire) mais tellement enrichissante ! C’est sûr que ça aurait été plus simple et rapide de lire un petit livre de haïkus japonais anciens ! Mais je vous conseille ces eddas, peut-être des extraits pour se rapprocher un peu de ces voisins scandinaves dont on se sait pas grand-chose à part les polars et quelques séries télévisées policières…

Je mets cette lecture dans Cette année, je (re)lis des classiques, dans le Challenge de l’été (Islande, Norvège), dans Contes et légendes #2 (légendes scandinaves) et dans Littérature de l’imaginaire #8.

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Sanglant hiver de Hildur Knútsdóttir

Sanglant hiver de Hildur Knútsdóttir.

Thierry Magnier, collection Grands romans, mai 2017, 352 pages, 16,50, ISBN 979-1-03520-037-4. Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün.

Genres : littérature islandaise, littérature jeunesse, science-fiction.

Hildur Knútsdóttir naît en 1984 en Islande mais étudie au Guatemala et voyage en Amérique du Sud. Elle vit ensuite en Allemagne (Berlin) et au Portugal (Tavira) avant de retourner en Islande étudier la création littéraire. Elle écrit pour la jeunesse et pour les adultes.

Samedi commence les vacances d’hiver et le mois de l’abattage, une ancienne tradition islandaise. Bergljót, Magga et Thóra, 16 ans, sont invitées à une soirée avec Grímur, le plus beau garçon du collège. Mais Bergljót ne pourra pas aller à la fête : elle est au chalet de Snæfellsnes avec son jeune frère Bragi, 11 ans, pour l’anniversaire de leur père, Thórbergur. Leur mère doit les rejoindre mais bizarrement ils n’arrivent à joindre personne au téléphone. « Il doit y avoir un problème de réseau. » (p. 53). Alors que père et fils jouent au foot avec des habitants du village proche du chalet, ceux-ci se mettent tous à vomir. Thórbergur et Bragi, qui ne sont pas touchés, comprennent qu’il se passe quelque chose et fuient. « C’est comme si le monde entier était mort. » (p. 79). De retour à Reykjavík, ils découvrent dans leur immeuble un survivant, Heidar, qui veut rejoindre ses parents sur l’île Vestmann.

On a ici une histoire de zombies mangeurs d’humains somme toute classique mais agréable à lire. Le point fort est que l’action se déroule en Islande avec peu de personnages mais bien travaillés. Ce qui est surprenant : l’Islande est une île, pas énorme, et les survivants veulent se réfugier sur une île encore plus petite (les îles Vestmann sont un archipel de 18 îles situées dans l’océan Atlantique au sud-ouest de l’Islande). De plus, certains survivants pensent à une invasion extra-terrestre.

Le lecteur alterne entre les chapitres écrits par Bergljót et ceux écrits par Bragi car ils vont être séparés et Bragi ne partira pas avec les autres survivants sur les îles Vestmann.

Une lecture divertissante, pour ce roman post-apocalyptique horreur qui permet de découvrir Reykjavík, la capitale islandaise, les îles Vestmann, en hiver en plus, et les moyens de survivre (on ne sait jamais, ça peut être utile !).

À la fin de ce premier tome, il y a encore beaucoup de questions (l’Islande est-elle le seul pays touché ou le monde entier est concerné ?) alors j’ai bien l’intention de lire le deuxième tome de ce diptyque !

Mon passage préféré est celui avec le chien, Spassky (p. 242 et suivantes) pour sa tendresse et son humanité. « Tout le monde semblait apprécier Spassky. Il avait redonner le sourire aux habitants des îles Vestmann. Sa langue qui haletait, ses petits yeux noirs brillant de joie les poussaient à jouer avec lui et à oublier, ne serait-ce qu’un instant, ceux qui étaient morts. » (p. 266).

Une lecture pour le Challenge de l’épouvante, le Défi littéraire 2018 de Madame lit (février est pour l’Islande), les challenges Jeunesse Young Adult #7, Littérature de l’imaginaire et Voisins Voisines 2018 (Islande).

Les enfants de Dimmuvík de Jón Atli Jonassón

EnfantsDimmuvikComme je le disais hier, j’ai eu deux claques littéraires en 2015. Voici la deuxième :

Les enfants de Dimmuvík de Jón Atli Jonassón.

Noir sur blanc, collection Notabilia, mars 2015, 90 pages, 11 €, ISBN 978-2-88250-381-7. Börnin i Dimmuvík (2013) est traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson.

Genres : littérature islandaise, novella.

Jón Atli Jonassón naît en 1972 à Reykjavík (Islande). Il est dramaturge et scénariste.

La narratrice est une vieille dame, elle n’est pas veuve mais son mari est dans un service de gériatrie depuis des années et ne se souvient plus d’elle. « Mais est-ce qu’une personne peut en porter une autre ? Et, si oui, pendant combien de temps ? » (p. 18). Aujourd’hui elle enterre son frère. « Le voyage jusqu’à ce petit village de la campagne sera bien le dernier que j’entreprendrai de ma longue vie. » (p. 14). Et les souvenirs remontent à la surface. Une crique, en 1930, elle avait douze ans. Dimmuvík, c’est le nom que les enfants donnaient à cette crique, ou Grimmuvík, la crique mauvaise. La vie est rude, le climat difficile, la lande parsemée de fissures et de crevasses, la faim fait gronder les ventres ; le frère de 10 ans Tómas et la sœur de 6 ans Hugrún souffrent de malnutrition et de rachitisme, le dernier petit frère meurt le jour de sa naissance et la mère se laisse dépérir, les moutons de la bergerie tombent malades et le père doit les abattre… « […] la bergerie. J’y entrai et contemplai le vide. C’était à présent le témoignage silencieux de notre situation sans espoir. » (p. 45).

RentreeLitteraire2015Mes deux passages préférés

« Je ne savais pas grand chose, mais je savais quand même que la différence entre nous et les autres espèces animales ne pouvait pas être grande. […] Nous faisions partie d’un tout vivant. » (p. 40-41). Puis « Je ne sais pas grand chose sur les bêtes. Mais je pense qu’elles sont doués de sentiments tout comme nous. » (p. 42).

« Je pense que c’est notre souffrance qui suscite les questions qu’on se pose sur l’origine et la fin et la fin de la vie sur terre. Celui qui veut en savoir plus sur sa propre origine devra connaître l’origine de la vie sur terre. J’ai lu ça une fois, longtemps après être partie de la crique. Dans un livre que j’ai oublié. » (p. 64).

VoisinsVoisines2016À la fin de ma lecture, je suis sous le choc… De cette vie rude et sans espoir avec ce terrible constat : « C’est la seule chose à avoir quelque valeur au bout du compte. Sa propre histoire. Quand on l’oublie, on s’est oublié soi-même du même coup. Comme mon mari. » (p. 78). Bien que court, ce récit est dense, intense, étouffant, il fait froid dans le dos ! Mais cette histoire de survie réjouit les amateurs de littérature islandaise !

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2015 et Voisins Voisines.