Dans les eaux du lac interdit de Hamid Ismaïlov

EauxLacInterditDans les eaux du lac interdit de Hamid Ismaïlov.

Denoël, mai 2015, 126 pages, 12 €, ISBN 978-2-207-12592-2. Yerzhan (2011) devenu The Dead Lake (2014) est traduit de l’anglais par Héloïse Esquié.

Genre : littérature ouzbèke.

Hamid Ismaïlov naît le 5 mai 1954 à Tokmok au Kirghizstan mais il est Ouzbek. Expulsé d’Ouzbekistan au début des années 90 à cause de ses idées trop démocratiques, il s’exile avec sa famille en Russie, puis en France, en Allemagne et enfin en Angleterre. Il dirige maintenant à Londres le service Asie centrale de la BBC. Il est journaliste et écrivain (romans, poésie, contes). Plus d’infos sur son site officiel, http://www.hamidismailov.com/.

Un voyageur traverse « les steppes immenses du Kazakhstan en train » (p. 7). Après quelques jours de voyage, un garçon qui semble avoir douze ans monte dans le train et joue du Brahms au violon. Malgré sa petite taille, le garçon a en fait vingt-sept ans. Il s’appelle Yerzhan, il est né à Kara-Shagan dans l’est du Kazakhstan et à vécu – avec sa mère devenue mutique – près de la gare où son grand-père, Pépé Daulet, était cheminot. Yerzhan va raconter sa vie, les légendes racontées par Mémé Ulbarsyn et leur voisine, Mémé Sholpan. Yerzhan joue de la dombra depuis l’âge de trois ans et du violon depuis l’âge de quatre ans, il sait lire et écrire, il a même appris le russe et le bulgare ; il aurait pu être un génie ! Mais, pas loin de chez eux, il y a la Zone et un jour, il s’est baigné dans les eaux vertes du lac mort. « C’était un lac magnifique qui s’était formé après l’explosion d’une bombe atomique. Un lac de conte de fées, au beau milieu de la steppe plane et régulière, une étendue d’eau vert émeraude où se reflétaient les rares nuages égarés. Ni mouvement, ni vagues, ni rides, ni tremblement – rien qu’une surface luisante, vert bouteille, habillée seulement du reflet prudent des visages des garçons et des filles qui se penchaient pour voir le fond depuis la rive. » (p. 67). Et Yerzhan va devenir différent… « Il avait arrêté de grandir. » (p. 74).

AsieCentraleAttention, l’auteur est né au Kirghizstan mais il est Ouzbek et le train de ce roman roule au Kazakhstan. Ces trois pays sont en Asie centrale (sur la carte ci-contre, vous pouvez les repérer en orange clair, violet et vert). « Pour quelqu’un qui n’a jamais vécu dans la steppe, il est difficile de comprendre comment il est possible de survivre au milieu d’un tel désert. Mais ceux qui y vivent depuis des générations savent que la steppe est riche et changeante. Que le ciel au-dessus est multicolore. Que l’air tout autour est fluide. Que la végétation est variée. Que les animaux qui la parcourent et la survolent sont innombrables. » (p. 45-46).

L’enfance de Yerzhan, c’est la voie ferrée, la steppe, les chevaux, les chameaux, le violon, les oncles ivres, et puis les explosions, les ruines et les nuages… « Des nuages de plomb […] Des nuages creux, que ni le tonnerre ni les éclairs ne venaient traverser » (p. 28). À cette époque, le credo soviétique était « Non seulement on va rattraper les Américains, mais on va les surpasser » et il fallait absolument être prêts pour la troisième guerre mondiale. En fait, une grande partie de l’Asie centrale a été utilisée pour des essais nucléaires : près de 500… Les humains, les animaux, la végétation, l’eau, le sol, tout a été pollué, pire : irradié… Comment raconter l’indicible ? Comment dire l’impensable ? « Quels mots peuvent transmettre la mélancolie profonde du soir dans la steppe traversée par un train solitaire ? » (p. 91). C’est avec beaucoup de poésie et de tendresse que Hamid Ismaïlov livre ce conte moderne, un conte cruel et bien triste, un conte dans lequel la princesse, Aisulu, est séparée de son prince charmant, un enfant contraint de rester enfant… Je comprends bien pourquoi les auteurs de science-fiction soviétiques, et russes maintenant, aiment écrire des histoires post-apocalyptiques (j’en ai lu quelques-unes, il faudra que je vous en parle).

RaconteMoiLAsieUne lecture pour le challenge Raconte-moi l’Asie que je vais proposer dans Lire le monde organisé par Sandrine (Yspaddaden) du blog Tête de lecture.

Publicité