Zov de Pavel Filatiev

Zov – L’homme qui a dit non à la guerre de Pavel Filatiev.

Albin Michel, novembre 2022, 224 pages, 19,90 € (*), ISBN 978-2-22648-101-6. Zov (2022) est traduit du russe par Gisèle Tokarev. (*) « L’intégralité des droits d’auteur seront reversés à des ONG venant en aide aux victimes de la guerre en Ukraine. » (site de l’éditeur et 4e de couverture).

Genres : littérature russe, témoignage, Histoire.

Pavel (Olegovitch) Filatiev (Павел Олегович Филатьев) naît le 9 août 1988 à Volgodonsk dans l’oblast de Rostov dans le sud de la Russie. Élevé dans une famille de militaires, il s’engage et participe à la guerre en Tchétchénie à la fin des années 2000 puis donne sa démission et élève des chevaux pendant 10 ans. En février 2022, il est parachutiste basé en Crimée et son unité est envoyée dans le centre de l’Ukraine pour faire la guerre. C’est cela qu’il raconte dans Zov. Son livre écrit en russe est disponible librement et gratuitement sur les sites Vkontakte et Gulagu.net (voir ci-dessous) et, depuis août 2022, Pavel Filatiev est exilé à Paris.

J’ai voulu lire ce livre après avoir vu / entendu l’auteur invité au 28’ par Élisabeth Quin sur Arte le 22 novembre [lien vers l’émission, voir les 13 premières minutes).

Introduction de l’éditeur : « Dans ce livre, Pavel Filatiev ne décrit que les événements dont il a été témoin et auxquels il a participé dans les deux premiers mois de la guerre en Ukraine en tant que membre du 56e régiment d’assaut aéroporté. Il n’a pas souhaité porter de jugement sur la suite de la guerre puisqu’il n’en a pas été un témoin direct. » (p. 6). À noter qu’Albin Michel est le premier éditeur à publier Zov en dehors des deux plateformes russes qui l’ont mis en ligne librement en langue russe, l’auteur l’a mis en ligne sur sa page Vkontakte ou VK (l’équivalent de FB en Russie) avant de quitter la Russie et le fondateur de l’association Gulagu.net l’a aussi mis en ligne librement.

Introduction de l’auteur. « Alors que j’écris ces lignes, je suis revenu du front ukrainien depuis un mois et demi. Oui, je sais bien qu’il ne faut pas employer le mot ‘guerre’ parce qu’il est interdit en Russie, mais je continuerai à le faire malgré tout. Que les choses soient claires : j’ai trente-trois ans et, toute ma vie, j’ai dit ce que je pensais, même si c’était à mes dépens, je ne suis pas ‘comme il faut’ et je ne peux rien y faire. Donc, c’est la guerre, l’armée russe tire sur l’armée ukrainienne qui riposte, obus et roquettes explosent sur le territoire ukrainien. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu le bruit que font un obus ou une roquette lorsqu’ils s’approchent de vous. Sinon, vous ne savez pas ce que vous perdez : sentir l’air vibrer et siffler de façon inoubliable, sentir ses entrailles se retourner et sa respiration s’arrêter. Ensuite, si la chance est de votre côté, entendre l’explosion et vous dire que vous avez eu du bol d’être resté entier et de ne pas avoir reçu un éclat d’obus. Dans le cas contraire, ce n’était pas votre jour. Bref, c’est un sacré truc… Pendant ce temps, des militaires meurent des deux côtés et des civils aussi, ceux qui ont le ‘bonheur’ de vivre là où un certain monsieur a eu l’idée de commencer une guerre et de l’appeler ‘opération spéciale’. Sans oublier, bien sûr, tout ce qui va avec : la faim, les maladies, les nuits sans sommeil, le manque d’hygiène, un taux d’adrénaline qui dérape sans arrêt, épuisant les ressources de l’organisme pour lui donner force, rapidité et vitesse de réaction. Ce n’est que plus tard, quant on quitte les zones de combat, vidé, pressé comme un citron qu’on réalise qu’on a bousillé sa santé à jamais. Il y a aussi la pression morale exercée par la conscience sur l’âme et le cœur – si ces mots ont un sens pour vous. Alors, sans le vouloir, on se demande pourquoi et au nom de quoi on est là. Dans quel but on risque sa vie, on corrompt son karma qui n’était peut-être déjà pas au meilleur de sa forme. Je vais vous raconter dans quelles conditions j’ai pu voir cette guerre et dans quelles circonstances je m’y suis retrouvé.Je suis conscient que j’engage ma responsabilité en diffusant des informations sur mon activité militaire mais me taire serait laisser le nombre de victimes continuer à augmenter. » (p. 7-8).

Certains (journalistes, critiques) démontent le livre – sans doute sans l’avoir réellement lu ou sans l’avoir lu entièrement – en disant que l’auteur fictionnalise son histoire… Et alors ? C’est son livre, il écrit ce qu’il veut ! Mais je me rends compte, en lisant son introduction qu’il mêle témoignage (qui semble sincère) et humour ce qui me convient très bien, histoire de ne pas lire que des horreurs…

L’auteur raconte les « Deux mois de boue, de faim, de froid, de sueur, la mort omniprésente. » (p. 11) qu’il a vécus avant d’être évacué car sa blessure à l’œil s’était infectée, « deux mois en première ligne » (p. 13). Lors de l’évacuation en bus, il a pu « réfléchir à ces deux derniers mois de ma vie, à ce qu’ils représentaient, à quoi ils m’avaient servi ; je me demandais si j’avais fait quelque chose de bien ou de mal, pourquoi j’avais participé à cette aventure et comment je m’étais retrouvé là-bas. Depuis ce moment, un monologue intérieur fait de mauvaise conscience, de patriotisme et de bon sens ne s’arrête pas. » (p. 13). En lisant le récit de Pavel Filatiev, je ressens bien ce qu’il a vécu, ses questionnements, sa prise de conscience et je ne remets pas en cause son patriotisme car chacun a le droit (je ne parle pas de devoir) d’aimer son pays, sa langue, son histoire, sa culture quels que soient les événements.

À propos de ses questionnements, je voudrais encore citer cet extrait : « Si l’on s’en tient aux réponses toutes faites, je suis un militaire, un parachutiste obligé d’obéir aux ordres, qui n’a pas le droit d’avoir peur et de ne pas partir à la guerre quand elle est déclarée, je dois servir le bien de mon pays et défendre le peuple de Russie. Mais le bon sens s’en mêle, soulignant les contradictions et soulevant des questions. » (p. 13-14). Je ne vois ni romantisme ni patriotisme exacerbés, simplement un homme intelligent qui réfléchit et qui est lucide. Et je pense que le livre va continuer dans cette voie.

En se questionnant, Pavel Filatiev répond avec discernement à des questions importantes comme « L’Ukraine menaçait-elle la Russie ? », « Si nous n’avions pas attaqué l’Ukraine, elle nous aurait attaqué ? », « L’Ukraine est gangrenée par le nazisme et la population russe est discriminée ? » (p. 14-16) et ses réponses sont bien différentes de celles assénées par le Kremlin, les médias russes et que les Russes se répètent pour se convaincre !

« […] je veux tout raconter avec sincérité, sans cacher les émotions et les pensées qui me traversent. » (p. 22), il donne aussi des informations militaires et je comprends qu’il ait demandé l’asile politique en France car, en Russie, c’est le peloton d’exécution qui l’attend…

En tout cas, dès le début des combats, c’est un sacré bordel ! Qui tire, les Russes ou les Khokhols (« nom péjoratif que les Russes donnent aux Ukrainiens », note p. 28) ? Que veulent dire les fusées de signalisation rouges ou blanches ? Personne ne le sait ! Désorganisation, communications coupées (il le répète plusieurs fois, c’est un peu embêtant pour les lecteurs mais sûrement que pour les soldats c’est très grave car ils sont vraiment coupés du monde et ne savent absolument rien), pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments, manque de sommeil, froid, du matériel obsolète, aucune organisation… Des Russes qui tirent sur des Russes… « Qui répondra de ces morts et de ces blessés ? » (p. 72).

« Il est temps que je vous explique mon rapport à la guerre. Comme n’importe quel militaire doué de bon sens, j’ai une opinion négative de la guerre. Bien sûr, tout ce qui est lié aux activités militaires me plaît, comme à la majorité des hommes, parce que j’ai baigné dedans toute mon enfance. Mais, comme on dit, ‘ceux qui parlent haut et fort de la guerre sont ceux qui ne la feront pas’. » (p. 97). Je comprends que, pour beaucoup d’hommes, l’armée c’est une famille, la camaraderie, et pour certains sûrement aussi l’obéissance, une façon de les canaliser. « D’une façon générale, je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de cette guerre contre l’Ukraine, je n’y vois pas la moindre raison et je dirais même que j’étais contre le rattachement de la Crimée (c’est d’ailleurs en Crimée que j’écris ces lignes) […]. De plus, les Ukrainiens sont le peuple le plus proche des Russes […]. Mon arrière-grand-père, à qui je dois mon prénom Pavel, était un koulak d’Ukraine. Il a fait la première guerre mondiale (qui d’ailleurs n’a rien apporté d’autre à notre pays que mort et souffrance), […]. Depuis un siècle, le pouvoir est passé de main en main et, aujourd’hui, son arrière-petit-fils Pavel est expédié dans sa patrie d’origine pour y sacrifier sa santé, encore un fois pour rien. » (p. 97-98). Qui peut douter de la sincérité de l’auteur ? Et plus loin, lorsqu’il parle de l’état de santé de son père, militaire, invalide à cinquante-deux ans qui n’a droit à aucune aide, je peux vous dire qu’il n’est pas tendre envers les décideurs, « […] l’État l’avait tout simplement oublié, comme beaucoup d’autres qui avaient laissé leur peau et leur santé, non pas pour des yachts, des palais et du luxe, mais pour assurer un avenir heureux à leur grand pays et à son peuple qui avait tant souffert. Ce peuple dont les ancêtres avaient vaincu le fascisme et lui avaient laissé en héritage la devise : ‘Pourvu qu’il n’y ait pas de guerre !’ » (p. 116).

Sûrement mon passage préféré. « Même si presque tout le pays sait que l’armée russe est une vraie maison de fous, on trouve toujours des gens comme moi pour s’y engager en pensant que ce n’est peut-être pas si mal, que les choses se sont arrangées. » (p. 160). « Malheureusement, il y en a aussi qui sont tout à fait satisfaits de la façon dont les choses s’y passent, qui consacrent toute leur vie à faire carrière, qui ont obtenu le grade de commandant ou mieux et qui, à l’approche de la retraite, ne veulent pas tout perdre. C’est sur eux que tient ce système pourri. Ce sont eux qui ont cru qu’avec le bordel qui règne au ministère de la Défense nous pourrions envahir l’Ukraine en trois jours… » (p. 161).

Alors, ce n’est pas de la ‘grande littérature’ – l’auteur le sait et le dit lui-même, « Je ne suis pas un écrivain et j’ai décidé de publier un livre dans lequel je raconte la réalité de la guerre. Mon récit va être lu par le monde entier. » (p. 211), bon peut-être pas en Corée du Nord ! – mais c’est un témoignage très intéressant, que dis-je c’est le seul témoignage d’un soldat russe sur la guerre qui fait encore rage en Ukraine ! « Une longue confession » écrit le journal Le Monde. À lire donc, si vous êtes curieux, si vous souhaitez avoir un autre son de cloche que celui officiel. C’est homme a dit non à la guerre et il raconte le pourquoi du comment en prenant tous les risques. Et en fin de volume, il exhorte le peuple russe à ne plus être attentiste, à raisonner et à dire également non à la guerre, non à l’ignominie, non à ceux qui gouvernent et ne pensent qu’à l’argent et à leur bien-être. J’espère que Pavel Filatiev pourra être apaisé (et soigné) et heureux en France.

À lire : Le Don paisible de Mikhaïl Cholokhov que l’auteur conseille page 201. Je vois que l’intégrale est parue chez Omnibus.

À écouter : Wrong Side Of Heaven de Five Finger Death Punch, un groupe de metal états-unien formé en 2005, à Las Vegas dans le Nevada, par le guitariste d’origine hongroise Zoltán Báthory et le batteur Jeremy Spencer avec Iva Moody au chant, un groupe que je ne connaissais pas et que je découvre (vidéo ci-dessous), un titre conseillé par l’auteur page 204.

J’apprends (page 212) l’existence d’une église du ministère de la Défense russe. C’est une cathédrale en fait, la 3e plus haute église orthodoxe sur Terre (les deux autres étant la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et la cathédrale de Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg). Elle est située à Koubinka (à 75 kilomètres à l’ouest de Moscou) dans le parc Patriot (« parc d’attractions à thème militaire, créé à des fins de propagande », note p. 213, surnommé le Disneyland militaire russe…) (photo trouvée sur internet ci-contre).

Je mets cette lecture dans ABC illimité (lettre Z pour titre), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 28, un témoignage, 5e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 19, un livre dont les bénéfices sont reversés à une association), Le tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines (Russie).

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La valise de Sergueï Dovlatov

La valise de Sergueï Dovlatov.

La Baconnière, avril 2021, 176 pages, 14 €, ISBN 978-2-88960-045-8. Chemodan Чемодан (1986) est traduit du russe par Jacques Michaut-Paternò et la traduction a été révisée par Annick Morard.

Genres : littérature russe (soviétique), nouvelles, humour.

Sergueï Donatovitch Dovlatov (Сергей Донатович Довлатов) naît le 3 septembre 1941 à Oufa en Bachkirie (Union soviétique) d’une mère arménienne et d’un père russe aux origines juives. Déplacée pendant la guerre en Bachkirie, la famille retourne à Léningrad (Saint-Pétersbourg) après 1945. Dovlatov étudie le finnois à l’université, fait son service militaire (une nouvelle du recueil La valise en parle) puis devient journaliste. Il est aussi romancier et nouvelliste. Il quitte l’Union soviétique en 1979 et passe par l’Italie avant de rejoindre son épouse et leur fille à New York (une nouvelle du recueil La valise en parle) où il meurt le 24 août 1990. Parmi ses titres, Le livre invisible. Le journal invisible (1977), Le compromis (1981), La Zone. Souvenirs d’un gardien de camp (1982), Le domaine Pouchkine (1983), Le colonel dit que je t’aime (1983), L’étrangère (1986), La filiale (1990).

Alors que je lisais pas mal de littérature russe dans les années 80 et 90, je ne connais pas cet auteur mais je me rends compte qu’il est traduit en français depuis quelques années seulement (années 2000 aux éditions du Rocher et années 2010 à La Baconnière).

Le narrateur a 36 ans et il quitte la Russie, enfin l’Union soviétique. « Chaque partant a droit à trois valises. » (p. 7). Seulement ? Mais finalement une seule valise lui suffit. Après avoir vendu, donné, jeté, sa vie tient dans une valise ! Heureusement ses manuscrits étaient « depuis longtemps envoyés clandestinement à l’Ouest » (p. 8). La valise ficelée voyage donc à Rome en Italie où elle est glissée sous le lit pendant trois mois puis à New York aux États-Unis où elle finit, toujours non ouverte, au fond d’un placard. C’est quatre ans plus tard que le narrateur l’ouvre. « J’examinais la valise vide. Karl Marx au fond. Brodsky sur le couvercle. Et entre les deux, une vie foutue, inestimable, unique… » (p. 9). Remarquez que, même s’il considère sa vie comme foutue, elle lui est toutefois inestimable et unique. « C’est alors que les souvenirs, comme on dit, refirent surface. » (p. 10), ces souvenirs étant liés aux huit objets sortis de la valise.

Les chaussettes finlandaises en crêpe – Lorsqu’il était étudiant à Leningrad, Assia (une étudiante étrangère) est tombée amoureuse de lui et lui a présenté des amis. Parmi eux, Fred Kolesnikov qui fait des trafics. Et voici notre narrateur embarqué embarqué dans une histoire avec deux Finlandaises et leurs chaussettes à « soixante kopecks la paire » (p. 20).

Les chaussures du maire – Voici ce que répondait l’historien Karamzine lorsqu’on lui demandait « En deux mots, que se passe-t-il en Russie : On vole. » (p. 27). Eh bien, les « solides chaussures soviétiques destinées à l’exportation » (p. 28), le narrateur les a volées au maire. Il explique dans quelles circonstances et, au passage, vous apprendrez tout sur la confection d’une sculpture monumentale en marbre. Vous en préféreriez une de Lénine ou de Lomonossov ?

Un costume croisé tout à fait convenable – Lorsqu’il était journaliste, le narrateur devait assister à des obsèques et rédiger des articles « de portée sociale » (p. 44) mais, comme il est toujours mal habillé, son directeur lui reproche de compromettre l’intégrité du journal. « La rédaction n’a qu’à m’acheter une veste. Mieux encore, un costume. Pour ce qui est de la cravate, c’est d’accord, je l’achèterai moi-même. » (p. 44). Il fallait oser, n’est-ce pas ? Et il obtient son « complet croisé, sobre, de marque est-allemande » (p. 54).

Le ceinturon d’officier – « Durant l’été 1963, dans le sud de la République des Komis » (p. 61), le narrateur fait son service militaire en tant que surveillant de camp. Il doit accompagner (à pieds) un zek (un prisonnier) du baraquement 14 « qui est devenu fou » (p. 62) à l’asile de Iosser. Mais, avec Tchouriline, son collègue, ils s’arrêtent pour boire et il y a… un incident. « On entendit un bruit sourd, un craquement de bois mort… le pistolet tomba à terre. » (p. 68). En tout cas, le narrateur est blessé à la tête, au bras et il récupère ce ceinturon orné d’une boucle en laiton.

La veste de Fernand Léger – Nikolaï et Nina Tcherkassov, connus dans le monde du théâtre sont amis avec les parents du narrateur (les parents de l’auteur travaillent tous deux au théâtre en tant que metteur en scène et actrice). Leur fils Andreï naît en mars 1941 et le narrateur en septembre 1941. C’est l’histoire « d’un prince et d’un miséreux » (p. 79). Andreï (Andriouchka) et le narrateur grandissent ensemble et deviennent amis. « Nous courions dans le jardin, mangions des groseilles, jouions au ping-pong, attrapions des scarabées. […] nous allions à la plage […] jouions avec la pâte à modeler sous la véranda. » (p. 82). Lorsqu’il est adulte, Nina Tcherkassov lui offre une vieille veste ayant appartenu au peintre Fernand Léger.

La chemise en popeline – L’auteur se souvient de la rencontre avec Elena Borissovna, une « des agitateurs politiques qui passaient de maison en maison, histoire de persuader les gens d’aller voter le plus tôt possible » (p. 96) mais lui ne se presse pas et même parfois ne va pas voter. Finalement, ce jour-là, aucun des deux jeunes gens n’a voté ! « Nous avons derrière nous vingt ans de mariage. Vingt ans d’isolement réciproque et d’indifférence à l’égard de la vie. » (p. 102) et une fille, Katia. Ici, j’ai remarqué une faute : « nous attaquâme » (p. 99).

La chapka – Un jour que le narrateur arrive à la rédaction du journal qui l’emploie, ses collègues lui apprennent que Raïssa, leur dactylo, s’est empoisonnée. « Non mais Raïssa, quoi ! Une fille jeune, en pleine santé ! » (p. 113). Ensuite son cousin l’emmène à l’hôtel Sovietskaïa pour rejoindre Sofa, Rita et Galina Pavlovna qui réalisent un film documentaire mais après une chute – « le sol était-il glissant ? Ou mon centre de gravité trop haut ? » (p. 117) – le narrateur se retrouve aux urgences de la rue Gogol et il repart avec la chapka qui était à son cousin Boria, enfin pas tout à fait !

Les gants d’automobiliste – Alors que le narrateur représente le journal Le Constructeur de turbines, il est abordé par Ioura Schlippenbach qui décide que sa carrure et son 1m94 conviennent pour le rôle principal de son film amateur de dix minutes. Voici le journaliste embarqué dans un rôle d’acteur, déguisé et maquillé ! « Qu’est-ce que je dois dire ? – Ce qui te vient à l’esprit. Les mots n’ont pas d’importance. L’important c’est la mimique, les gestes… » (p. 139). Il lui restera ces gants d’automobiliste.

Dans ces huit nouvelles, le narrateur est bien sûr un alter ego de l’auteur mais il y mélange réalité et fiction. J’ai aimé les souvenirs de l’auteur, sa façon de les raconter (avec des éléments fictifs tout à fait plausibles), ses digressions et surtout son humour (les auteurs russes (soviétiques) n’étant pas particulièrement réputés pour leur humour ! À part quelques-uns comme Dovlatov ou Bokov). Il y a 8 pages d’illustrations en noir et blanc, ma préférée est celle page 78 (Le ceinturon d’officier).

Les romans et les nouvelles de Sergueï Dovlatov n’ont pas été publiés en Union soviétique (que ses articles journalistiques). C’est seulement en 1989 (moins d’un an avant sa mort) que le magazine littéraire, Zvezda, publie un de ses textes grâce à un de ses amis, Andreï Arev (1940-…) qui est présent dans le recueil La valise. Zvezda (Звезда́ signifie étoile) est un magazine littéraire fondé en janvier 1924 à Saint-Pétersbourg et qui existe toujours, d’ailleurs si vous lisez le russe voici le lien vers le site officiel.

Dovlatov (Довлатов), un film biographique réalisé par Alexeï Alexeïevitch Guerman (1976-…) est récompensé à Berlin (Ours d’argent de la meilleure contribution artistique pour les costumes et les décors, à la Berlinale de février 2018) et à Moscou (Aigle d’or de la meilleure actrice dans un second rôle pour Svetlana Khodtchenkova, 17e cérémonie des Aigles d’or en janvier 2019) et il est présenté à Paris (16e Semaine du nouveau cinéma russe en novembre 2018). J’aimerais le voir un jour.

Une exceptionnelle lecture que je mets dans Challenge de l’été #2 (Russie), Petit Bac 2021 (catégorie Objet pour Valise), Les textes courts (le livre compte 176 pages mais chaque nouvelle contient dans les 20 pages en moyenne) et Voisins Voisines 2021 (Russie).

Je mets aussi La valise dans le Mois américain. Pourquoi ? Parce que Sergueï Dovlatov a émigré à New York et c’est en y ouvrant sa valise que les souvenirs de ces huit nouvelles lui sont revenus, nouvelles écrites donc à New York, qui n’auraient pas été publiées en Union soviétique mais qui ont été publiées sans problème aux États-Unis, parce que les exilés d’Europe de l’Est (Russes ou autres), c’est ça aussi l’Amérique.

Ah ! La belle journée ! d’Elena Pavlovna Gertik

Ah ! La belle journée ! d’Elena Pavlovna Gertik.

Flammarion, Albums du Père Castor, 1934, 30 pages (numérique), réédition en 2012.

Genre : album illustré franco-russe.

Elena Pavlovna Gertik naît le 18 février 1897 à Saint-Pétersbourg en Russie. Fuyant la révolution bolchevique, elle arrive en France en 1923. Elle est dessinatrice et travaille régulièrement avec d’autres autrices et illustratrices comme Rose Celli (1895-1982), Lida (1899-1955), Marguerite Reynier (1881-1950) et Nathalie Parain (1897-1958). Elle meurt accidentellement le 2 avril 1937 à Paris.

Françoise et Jacques se préparent pour promener Boum, leur chien, avec maman. Le collier, la balle, tout est prêt. Ils croisent une marchande de ballons et se dirigent vers le bois où il y a un jardin zoologique. Des ours, des pélicans… Puis ils vont dans la prairie pour pique-niquer. Et passent ensuite l’après-midi au parc pour enfants où Jacques fait une promenade à dos d’âne pendant que Françoise et maman assistent à un spectacle de Guignol. Et, après un dernier tour de manège, il faut rentrer car papa doit les attendre. Ah, quelle belle journée !

Cet album illustré – dans les tons pastels – propose non seulement une histoire (toute simple mais agréable) mais aussi du coloriage, c’est-à-dire de terminer les images inachevées, ceci avec quatre crayons de couleurs (rose, bleu, jaune, marron) qui peuvent créer chacun « cinq tons différents (très clair, clair, moyen, foncé, très foncé) » ainsi que des mélanges (il y a des conseils en introduction, par exemple marron puis bleu donnent du gris).

Ce genre d’albums existent-ils encore de nos jours ? En tout cas, c’était idéal pour que les enfants deviennent à la fois lecteurs et artistes.

J’aimerais lire Album magique dessiné avec Nathalie Parain et qui développe le principe du Bolchtchebine kartinki ou images magiques (ce sont deux feuilles transparentes qui se superposent, en général une bleue et une rouge, et qui montrent une image différente), vous connaissez ?

Je mets cette lecture dans 2021, cette année sera classique, Challenge Cottagecore (catégorie 2, Retour aux sources, avec des histoires qui se déroulent en pleine campagne, dans la forêt), Jeunesse Young Adult #10 et Les textes courts.

Aux jeunes gens de Piotr Kropotkine

Aux jeunes gens de Piotr Kropotkine.

Temps Nouveaux (Paris), 1904, 42 pages. Date d’origine : 1881.

Genres : littérature russe, essai politique et sociologique.

Piotr Alexeïevitch Kropotkine (Пётр Алексеевич Кропоткин) naît le 9 décembre 1842 à Moscou. Il fait des études scientifiques, il est anthropologue, géographe, géologue, zoologiste, naturaliste (et écrit donc des textes scientifiques) mais il est aussi théoricien du communisme libertaire ou anarcho-communisme (c’est-à-dire autogestion et démocratie directe en politique et production du nécessaire au besoin des individus pour l’économie). Il est arrêté plusieurs fois en Russie ainsi qu’une fois à Lyon (France). Il y a beaucoup à dire sur Kropotkine car il est issu de la noblesse militaire Riourikide (ou Rurikide) d’origine Varègue (Scandinave) mais je veux surtout donner quelques-uns de ses titres : Paroles d’un révolté (1885), La conquête du pain (1892), L’entraide, un facteur de l’évolution (1906), La guerre (1912), L’esprit de révolte (1914). Il meurt le 8 février 1921 à Dmitrov (près de Moscou).

Kropotkine écrit Aux jeunes gens en 1880 et le publie dans Paroles d’un révolté en 1881. Il est ensuite publié en 1904 par Temps Nouveaux, un journal anarchiste français dirigé par le militant Jean Grave (1854-1939).

« C’est aux jeunes gens que je veux parler aujourd’hui. Que les vieux — les vieux de cœur et d’esprit, bien entendu — mettent donc la brochure de côté, sans se fatiguer inutilement les yeux à une lecture qui ne leur dira rien. » (p. 3). Donc l’auteur s’adresse particulièrement aux jeunes gens (c’est le titre !), à ceux qui ont étudié et appris un métier, à ceux qui ne sont pas des gommeux (élégants désœuvrés et vaniteux) ou des dépravés et qui se demandent ce qu’ils vont faire de leur vie, à ceux qui veulent « appliquer un jour [leur] intelligence, [leurs] capacités, [leur] savoir, à aider à l’affranchissement de ceux qui grouillent aujourd’hui dans la misère et dans l’ignorance. » (p. 4).

Que les jeunes gens soient bien nés ou pas, qu’ils deviennent médecins, avocats, hommes de lettres, hommes de science, honnêtes artisans, le message est pour eux en priorité car l’auteur souhaite éveiller les consciences aux deux mondes différents, celui des nantis (riches, privilégiés) et celui des démunis (plus que pauvres, opprimés).

Imaginons un jeune médecin qui devrait soigner des riches et des pauvres, eh bien Kropotkine lui dit : « Si vous êtes une de ces natures mollasses qui se font à tout, qui à la vue des faits les plus révoltants se soulagent par un léger soupir et par une chope, alors vous vous ferez à la longue à ces contrastes et, la nature de la bête aidant, vous n’aurez plus qu’une idée, celle de vous caser dans les rangs des jouisseurs pour ne jamais vous trouver parmi les misérables. Mais si vous êtes ‘un homme’, si chaque sentiment se traduit chez vous par un acte de volonté, si la bête en vous n’a pas tué l’être intelligent, alors, vous reviendrez un jour chez vous en disant : ‘Non, c’est injuste, cela ne doit pas traîner ainsi. Il ne s’agit pas de guérir les maladies, il faut les prévenir. Un peu de bien-être et de développement intellectuel suffiraient pour rayer de nos listes la moitié des malades et des maladies. Au diable les drogues ! De l’air, de la nourriture, un travail moins abrutissant, c’est par là qu’il faut commencer. Sans cela, tout ce métier de médecin n’est qu’une duperie et un faux-semblant.’ » (p. 6-7).

Comprenez-vous ce message ? Connaissez-vous l’altruisme ? Ne vivez-vous pas pour l’égoïste jouissance personnelle ? Alors vous comprenez et connaissez le socialisme ! Vous pensez à l’humanité et vous pourrez sûrement aider à sortir les centaines de millions qui vivent dans les préjugés et les superstitions. Avec ce moyen : « de répandre les vérités acquises par la science, de les faire entrer dans la vie, d’en faire un domaine commun. » (p. 10).

Ce message (rédigé en 4 parties) peut faire sourire à notre époque (en particulier parce qu’on ne pense plus seulement à l’humanité mais aussi à la planète avec sa faune, sa flore, au climat…) mais je comprends la portée qu’il pouvait avoir il y a cent-quarante ans, eh oui cent-quarante ans, Kropotkine développant ses thèmes de prédilection : la collectivisation, l’entraide et la morale mais je préfère dire l’éthique, ceci pour la justice, la science et l’impartialité.

Kropotkine donne d’autres exemples, comme un jeune homme qui deviendrait avocat : va-t-il se ranger du côté du propriétaire contre le paysan qui valorise les terres, du côté du patron contre les ouvriers qui font tourner les usines, du côté du commerçant contre le voleur dont la famille n’a pas mangé depuis plusieurs jours ? « Et votre conscience ne se révoltera pas contre la loi et contre la société, en voyant que des condamnations analogues se prononcent chaque jour ! » (p. 14). Tout cela est plus qu’une question de loi et de justice mais une question d’équité. Bref, les idées doivent évoluer ! Il faut raisonner ! « […] si vous analysez et dégagez la loi de ces nuages de fictions dont on l’a entourée pour voiler son origine, qui est le droit du plus fort, et sa substance, qui a toujours été la consécration de toutes les oppressions léguées à l’humanité par sa sanglante histoire, — vous aurez un mépris suprême de cette loi. » (p. 15), oui, c’est révolutionnaire !

Et le message de l’auteur est le même pour les ingénieurs qui construisent le pays, les maîtres d’école qui instruisent les nouvelles générations, les artistes (peintres, poètes, musiciens…) qui apportent « le beau, le sublime » (p. 21) parce que Kropotkine veut les emmener « dans le sens de l’égalité, de la solidarité, de la liberté. » (p. 20). Il s’adresse aussi aux jeunes gens du peuple, il les encourage à avoir « le courage de raisonner et d’agir en conséquence » (p. 31) pour ne pas « s’user au travail et ne connaître que la gêne, si ce n’est la misère, lorsque le chômage arrivera » (p. 33).

Eh bien ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un tel ouvrage, politique, économique et sociologique ! Je le replace bien sûr dans le contexte de son époque mais je me dis qu’il y a encore à notre époque des choses à régler ! Attention, je n’appelle pas aux barricades et aux lancers de pavés, je pense plutôt à un état de conscience. D’ailleurs cet état sera-t-il constant ? L’auteur dit : « Quelle série d’efforts continuels ! Quelle lutte incessante ! » (p. 24) et il s’insurge en fait plus contre les riches bourgeois qui avilissent leurs ouvriers et employés que contre les nobles.

J’ai remarqué que Kropotkine s’adresse plutôt aux jeunes hommes et puis tout à coup, il dit : « Enfin, vous tous qui possédez des connaissances, des talents, si vous avez du cœur, venez donc, vous et vos compagnes, les mettre au service de ceux qui en ont le plus besoin. » (p. 29). Ah, il y a tout de même une place pour les (jeunes) femmes ! D’ailleurs plus loin, il exhorte les femmes du peuple à se battre, pour elles, pour leurs jeunes sœurs, pour leurs enfants, parce qu’elles peuvent aussi faire évoluer les mentalités.

« Vous tous, jeunes gens, sincères, hommes et femmes, paysans, ouvriers, employés et soldats, vous comprendrez vos droits et vous viendrez avec nous ; vous viendrez travailler avec vos frères à préparer la révolution qui, abolissant tout esclavage, brisant toutes les chaînes, rompant avec les vieilles traditions et ouvrant à l’humanité entière de nouveaux horizons, viendra enfin établir dans les sociétés humaines, la vraie Égalité, la vraie Liberté ; le travail pour tous, et pour tous la pleine jouissance des fruits de leurs labeurs, la pleine jouissance de toutes leurs facultés ; la vie rationnelle, humanitaire et heureuse ! » (p. 37-38). Eh bien, quel beau message ! Dommage que ces belles idées et théories aient conduit à la catastrophe à cause de ceux qui ont pris le pouvoir en Union soviétique et dans les autres pays devenus communistes au XXe siècle, avilissant encore plus leur peuple en l’exploitant et en le terrorisant…

Un essai à lire au moins par curiosité pour comprendre ce qui a motivé quelques générations d’idéalistes et de révolutionnaires ! Et puis, vous savez quoi, j’ai deux ou trois autres titres de Kropotkine 😉

Pour les challenges 2021, cette année sera classique, Les classiques c’est fantastique (le thème de mars est moi(s) à contre-emploi : ces livres que je suis censée détester, eh bien, je vais vous dire que les livres politiques, c’est pas mon truc !), Les textes courts et bien sûr le Mois Europe de l’Est.

Metro 2034 de Dmitry Glukhovsky

Metro 2034 de Dmitry Glukhovsky.

L’Atalante, collection La dentelle du cygne, mai 2011, réédition janvier 2014, 413 pages, 22 €, ISBN 978-2-84172-543-4). Метро 2034 (2009) est traduit du russe par Denis E. Savine.

Genres : littérature russe, science-fiction.

Dmitry Alekseïevitch Glukhovsky (Дмитрий Алексеевич Глуховский) naît le 12 juin 1979 à Moscou (Russie). Il est journaliste et écrivain de science-fiction. Il parle six langues ! Il est aussi professeur à l’École du nouveau cinéma de Moscou fondée en 2012. Autres romans : Metro 2033 (2005), Sumerki (2014), Futu.re (2015), Metro 2035 (2017), Texto (2019) et un recueil de nouvelles : Nouvelles de la Mère Patrie (2018). Plus d’infos sur le site officiel de Metro en russe.

« Année 2034. Le monde gît en ruine. L’humanité est presque annihilée. Les radiations rendent les décombres des mégalopoles inhabitables et par-delà leurs limites, à en croire les ouï-dire, s’étendent à l’infini des terres calcinées et de profondes forêts à la faune et à la flore mutées. Nul ne peut décrire ce qui s’y trouve avec certitude. La civilisation s’éteint. La mémoire de la grandeur passée de l’humanité se pare de fables pour devenir légende. […] Vingt petites années seulement depuis que c’est arrivé, mais l’homme n’est plus le maître des lieux sur Terre. Des organismes engendrés par les radiations sont bien mieux adaptés que lui pour vivre dans ce nouvel environnement. L’ère de l’humanité s’achève. » (prologue, page 7).

Metropolitain de Moscou. La station Sevastopolskaya qui produit de l’électricité pour tout le métro est soutenue par la Hanse. La caravane hebdomadaire n’est pas revenue, il n’y a plus de communication et les rumeurs commencent à enfler. Hunter, Homère et Ahmed vont voir ce qu’il se passe. « La Terre, qui semblait jusqu’à ce moment-là parfaitement connue et où l’homme se sentait à l’étroit, était redevenue l’océan sans rivage, chaotique et méconnu qu’elle était autrefois. » (page 106).

Pendant ce temps, Sacha et son père, rejetés, exilés, vivent seuls dans une station abandonnée. « Je veux que les gens se souviennent de moi. De moi et de tous ceux qui m’étaient chers. Pour qu’ils sachent à quoi ressemblait le monde que j’aimais. Pour qu’ils entendent l’essentiel de ce que j’ai appris et compris. Pour que ma vie ne soit pas vaine. Pour que quelque chose reste après moi. » (Homère, page 208). « Tu y déposes toute ton âme ? demanda-t-elle en inclinant la tête. Mais ce n’est qu’un cahier. Il peut brûler ou se perdre. » (Sacha, page 208).

Mais il y a plus important. « Rien ne menace l’homme. Les hommes, ce sont des survivants, comme les cafards. Alors que la civilisation… c’est elle qu’il faut préserver. » (page 278).

« Ni les scientifiques ni les auteurs de science-fiction n’avaient jamais été capables de prévenir correctement l’avenir, se disait-il. Vers l’an 2034, l’humanité devait s’être rendue maîtresse de la moitié de la Galaxie ou, sinon, au moins du système solaire. C’était en tout cas ce que l’on promettait quand Homère n’était encore qu’un enfant. Tant les écrivains que les scientifiques se fondaient sur l’hypothèse que l’humanité était rationnelle et logique. Ils faisaient comme si elle n’était pas composée de plusieurs milliards d’individus paresseux, irréfléchis, prompts à l’emportement, mais était une sorte de ruche douée d’une intelligence collective et d’une volonté unique. Comme si, s’attaquant à la conquête spatiale, elle allait s’y consacrer avec sérieux et application et non s’arrêter à mi-chemin et s’en détourner – comme un enfant capricieux las de son jouet – au profit de l’électronique. Puis de l’électronique passer à la biotechnologie et ainsi de suite, sans avoir atteint dans aucune discipline de résultats réellement spectaculaires. Excepté peut-être la physique nucléaire. » (pages 140-141).

Metro 2034 est la suite de Metro 2033. On y croise Artyom mais il n’est plus le personnage principal avec Hunter. Hunter qui n’est plus lui-même… Ahmed et le père de Sacha ayant été tués, le lecteur suit particulièrement Hunter, Homère et Sacha. Il n’y a plus la surprise du premier tome donc le huis-clos est moins angoissant mais le roman se lit très bien, genre page turner. Il fait toujours froid dans le dos avec son huis-clos dans le métropolitain, ses tunnels sombres et sa violence. Et le lecteur se sent (trop) proche des personnages (très soignés par l’auteur).

Comme je le disais, j’ai retrouvé mes notes de lectures de Metro 2033 et Metro 2034 et j’ai envie de lire Metro 2035 dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

Je mets cette lecture dans le Mois Europe de l’Est, ainsi que dans Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Voyage pour Metro) et Voisins Voisines (Russie).

Metro 2033 de Dmitry Glukhovsky

Metro 2033 de Dmitry Glukhovsky.

L’Atalante, collection La dentelle du cygne, mai 2010, réédition août 2014, 631 pages, 25 €, ISBN 978-2-84172-505-2. Метро 2033 (2005) est traduit du russe par Denis E. Savine. Il existe un jeu vidéo sorti en 2010.

Genres : littérature russe, science-fiction.

Dmitry Alekseïevitch Glukhovsky (Дмитрий Алексеевич Глуховский) naît le 12 juin 1979 à Moscou (Russie). Il est journaliste et écrivain de science-fiction. Il parle six langues ! Il est aussi professeur à l’École du nouveau cinéma de Moscou fondée en 2012. Autres romans : Metro 2034 (2011), Sumerki (2014), Futu.re (2015), Metro 2035 (2017), Texto (2019) et un recueil de nouvelles : Nouvelles de la Mère Patrie (2018). Plus d’infos sur le site officiel de Metro en russe.

À Moscou, dans le Metropolitain. Une guerre nucléaire a tout ravagé et les survivants vivent sous terre dans le métro depuis une vingtaine d’années. « Survivre ! Survivre à tout prix. » (p. 22). Artyom, 24 ans, a été sauvé à l’âge de 5 ans d’une invasion de rats par un soldat qui l’a élevé comme son fils. Ils vivent dans la station VDNKh. Un jour, Artyom recueille un chiot. « Qui sait ? Peut-être qu’en grandissant ce chien vous rendra de fiers services. » (p. 40). À part quelques stalkers, dûment protégés, personne ne monte à la surface. « La vie s’était maintenue en surface, mais ce n’était pas la vie telle qu’on l’avait connue, telle qu’on pouvait encore l’appréhender. » (p. 51). Le Chasseur envoie Artyom à Polis, La Ville, La Cité. « Artyom, mon petit, c’est sans doute le dernier endroit sur cette Terre où les hommes vivent comme des hommes. Le dernier où ils n’ont pas encore perdu la mémoire de ce qu’est l’être humain, et de la manière dont ce mot doit résonner. » (p. 109). Mais il y a du danger car dans les autres stations du métro vivent d’autres survivants regroupés comme des tribus… « À votre avis… nous… les êtres humains, je veux dire… est-ce que nous retournerons là-haut ? À la surface. Est-ce que nous pourrons survivre et remonter ? » (p. 245). Mais Moscou est devenue « La ville… Vision lugubre et magnifique ! » (p. 399).

Par le passé, des stations ont été en guerre, comme la Rouge et la Hanse. Il y a eu des annexions, des contrôles, beaucoup de bureaucratie… C’est l’occasion pour l’auteur de « critiquer » la société dans laquelle on vit et la société telle qu’elle peut devenir. Chaque station a sa communauté (ou l’inverse !), il y a les nostalgiques du communisme, les néo-nazis, les Caucasiens, les cannibales… Mais le commerce est fructueux malgré les conflits incessants. Il y a aussi l’obscurité, les rats, la peur puisque le métro est un espace clos ; le roman est de même un huis-clos oppressant. C’est aussi une réflexion intelligente et réaliste sur ce qui fait vivre et se battre les hommes : la politique ? La religion ? Les idées ? Dmitry Glukhovsky nous livre en tout cas des phrases grandioses comme « Pour que des milliers d’hommes et de femmes à travers le métro puissent respirer, manger, s’aimer, donner la vie, déféquer, dormir, rêver, se battre, tuer, s’émerveiller et traduire en justice, philosopher et haïr. Pour que chacun puisse croire à son paradis et son enfer… Pour que la vie dans le métro, malgré sa vanité et son absurdité, malgré sa crasse et son bouillonnement, dans toute cette diversité qui la rendait magique et merveilleuse, pour que la vie des hommes se poursuivent. » (p. 622-623). Évidemment Metro 2033 est un roman difficile à lire, il est assez long (plus de 600 pages), il n’est pas complaisant, il est dense, il est effrayant et c’est un chef-d’œuvre !

À propos des stalkers. « Chaque stalker devenait une légende vivante, un demi-dieu que tout le monde admirait, des plus jeunes aux plus âgés. Quand des enfants grandissent dans un monde où il n’est plus possible de voler ni de naviguer et que des mots tels que « pilote » et « navigateur » se vident peu à peu de leur sens, ils veulent devenir des stalkers. Partir là-haut, nimbés de leurs exploits et accompagnés par des centaines de regards empreints de reconnaissance et d’adoration, pour affronter des créatures monstrueuses et, revenant ici-bas, sous la terre, apporter à leurs congénères du combustible, des munitions, la lumière et le feu. Apporter la vie. » (p. 51-52).

Eh bien, ayant retrouvé mes notes de lectures, je n’aurai pas à relire Metro 2033 et Metro 2034 et je pourrai lire Metro 2035 ! Je ne sais pas si, suite à la lecture, je voulais dire autre chose mais ce billet est déjà pas mal et je le mets dans le Mois Europe de l’Est, ainsi que dans Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Voyage pour Metro) et Voisins Voisines (Russie).

Futu.re de Dmitry Glukhovsky

Futu.re de Dmitry Glukhovsky.

L’Atalante, collection La dentelle du cygne, septembre 2015, 736 pages, 27,90 €, 978-2-84172-729-2. Je l’ai lu en poche : Le livre de poche, mars 2019, 960 pages, 10,40 €, ISBN 978-2-25382-010-9. Будущее (2013) est traduit du russe par Denis E. Savine.

Genres : littérature russe, science-fiction.

Dmitry Glukhovsky (Дмитрий Алексеевич Глуховский) naît le 12 juin 1979 à Moscou (Russie). Il étudie les relations internationales et travaille comme journaliste avant de se lancer dans l’écriture de romans de science-fiction. Il est aussi professeur à l’École du nouveau cinéma de Moscou fondée en décembre 2012. Ses autres romans : Métro 2033 (2005-2010), Métro 2034 (2009-2011), Métro 2035 (2015-2017), Sumerki (2007-2014), Texto (2017-2019) et un recueil de nouvelles : Nouvelles de la Mère Patrie (2010-2018), tous publiés chez L’Atalante. C’est un auteur que j’aime beaucoup [lire mon billet ici même si le replay de l’émission n’est plus disponible] et je l’admire car il est multilingue (il parle six langues).

Il y a un peu plus de 400 ans, les humains ont trouvé le vaccin contre la vieillesse et ont créé l’Immortalité. 2455. « L’Europe. Une grandiose gigapole qui couvre la moitié du continent, s’appuyant sur la terre et soutenant les cieux. » (p. 64).

Le lecteur suit particulièrement Matricule Sept-cent-dix-sept (qui se présente comme Nicolas, Jacob, Eugène ou Jan mais il me semble que Jan est son vrai prénom), un membre de la Phalange, un Immortel qui avec les membres de son maillon, fait respecter la loi du Choix.

Alors qu’il est au bain, un cadavre surgit ! Il essaie de ramener à la vie l’homme (ce qui lui vaudra d’être poursuivi) mais, autour de lui, les gens sont horrifiés. « Ils n’ont jamais été confrontés à la mort. […] La mort a été éradiquée voilà des siècles, on l’a vaincue […]. » (p. 48).

La loi du Choix. En Europe, l’Immortalité est pour tous alors un couple qui souhaite avoir un enfant doit le déclarer aux autorités et un des deux parents reçoit un accélérateur métabolique qui le fait vieillir et mourir en moins de dix ans. Pour les contrevenants, c’est accélérateur, de toute façon, et enlèvement de l’enfant (quel que soit son âge, deux mois, quatre ans) qui est placé dans un internat pour devenir à son tour un membre de la Phalange, un Immortel à condition qu’il réussisse toutes les épreuves. Le traitement est inhumain (vous découvrirez tout ça en lisant le roman et en découvrant ce qu’a vécu Jan et ses camarades).

Un jour, le sénateur Erich Schreyer contacte Jan pour une mission spéciale, éliminer un activiste, recherché depuis trente ans, Jesus Rocamora, numéro deux du Parti de la Vie qui est contre le Parti de l’Immortalité et la loi du Choix en vigueur en Europe.

Mais il existe d’autres gigapoles où la loi est différente. Il y a d’autres colonies humaines en Panamérique, en Indochine (j’imagine que c’est l’Asie du Sud Est), au Japon et ses colonies, dans les Territoires latinos, en Russie (voir l’extrait ci-dessous) et en Afrique soit un trillion de Terriens, « homo ultimus » (p. 67). Sans compter les Chinois qui ont stérilisé leur population depuis plus de deux cents ans et essaient de « nettoyer » les autres pays détruits par les guerres nucléaires pour s’approprier les territoires.

Extrait d’un documentaire sur la Russie. « Tu te rappelles sans doute que les citoyens russes n’ont jamais été vaccinés contre la mort. C’est d’ailleurs plutôt étrange, compte tenu du fait que ce vaccin a été créé ici. Plus grand monde ne se rappelle de ça de nos jours. Les Russes ont vendu leur vaccin à l’Europe et à la Panamérique, mais ils ne l’ont jamais inoculé à leur population. Ils ont déclaré que les gens n’étaient pas prêts, qu’il était soi-disant impossible de prévoir les effets tant secondaires qu’à long terme et qu’il fallait tout d’abord les vérifier sur un échantillon de volontaires. Ces derniers aussi devaient passer certaines sélections, et les identités de ceux qui avaient été retenus ont toujours été gardées secrètes. Les tests sur des cobayes humains, ce n’est jamais simple. Question d’éthique… Au début, le public s’intéressait à l’affaire, puis il s’est tourné vers autre chose. On a entendu dire que l’expérience n’avait pas pris la direction prévue et qu’il était trop tôt pour inoculer le vaccin à l’ensemble de la population… […] À cette époque la Russie était déjà un pays fermé. […] Le pays a massivement exporté le vaccin, mais les Russes vieillissaient et mouraient toujours. Presque tous. Une vingtaine d’années plus tard, certaines commencèrent à remarquer que les membres de l’élite politique et financière de la Russie, un cercle fermé de quelques milliers de personnes, non seulement ne mouraient pas, mais ne montraient aucun des signes classiques du vieillissement… […]. » (p. 203-205).

Extrait du discours de Mendez, président panaméricain. « Oui, l’immortalité a un prix chez nous. Oui, tout le monde ne peut pas se le permettre. C’est vrai. La Panamérique souffre, elle aussi, de la surpopulation. Mais notre pays n’est pas le pays de l’égalité absolue, il est le pays de l’égalité des chances. Chacun peut gagner suffisamment pour entrer dans les quotas. » (p. 614).

L’Immortalité, c’est terrifiant ! Quelle que soit la gigapole dans laquelle vous habitez car il n’y a plus ni végétation ni animaux, tout est artificiel et… superficiel. L’Europe (avec ses cent vingt milliards d’habitants, quelle horreur !) est peut-être un peu plus transparente et égalitaire que les autres gigapoles du monde mais il y a des zones que personne n’a envie de visiter dans les étages les plus bas (les tours font parfois mille étages) ou dans certaines villes comme Barcelone (devenue zone de non-droit, abandonnée à son triste sort).

Bref, Futu.re (avec un point comme un point de ruptu.re) est un roman surprenant et addictif qu’il n’est pas facile de résumer et je ne voulais pas trop vous en dire. Lisez-le tout simplement ! Il est violent, il est cash mais il indispensable tant au niveau philosophique que social et humain. Dmitry Glukhovsky est un auteur génial et je vous parlerai un de ces jours de Métro 2033 et Métro 2034 (hum, après relectures et ce sont aussi des pavés).

Une excellente lecture pour le Mois Europe de l’Est que je mets aussi dans Challenge lecture 2021 (catégorie 44, le plus gros livre de votre PàL, je ne pense pas lire plus gros cette année), Littérature de l’imaginaire #9 et Voisins Voisines 2021 (Russie).

Le rendez-vous dans trois cents ans d’Alekseï Tolstoï

Le rendez-vous dans trois cents ans d’Alekseï Tolstoï.

Ebook Wikisource, 1840, 37 pages.

Genres : littérature russe, nouvelle, fantastique, classique.

Alekseï Konstantinovitch Tolstoï (Алексей Константинович Толстой) naît le 24 août 1817 à Saint-Pétersbourg Russie). Il est romancier, nouvelliste, poète et dramaturge. Il est un cousin de Lev (Léon) Tolstoï (1828-1910). Il meurt le 28 septembre 1875 à Krasnyï-Rog.

Une belle nuit d’été, dans le jardin de la grand-mère. « Eh bien ! mes enfants, nous dit notre grand-mère, vous m’avez souvent demandé une vieille histoire de revenants… Si le cœur vous en dit, venez vous asseoir autour de moi, je vous raconterai un événement de ma jeunesse qui vous donnera de bons frissons quand vous vous trouverez tout seuls, couchés dans vos lits. » (p. 2).

En 1759, alors qu’elle est courtisée par l’homme qui est le grand-père des petits-enfants, elle est aussi courtisée par le marquis d’Urfé qui lui fait livrer des pêches en octobre pour la Sainte-Ursule. Elle le voit régulièrement et le commandeur de Bélièvre la met en garde. « Vous n’ignorez pas madame, que monsieur votre père, mon honoré ami, vous a confiée à ma garde et que je réponds de vous à Dieu comme si j’avais le bonheur de vous avoir pour fille… […] Je suppose, madame, que le marquis connaît trop bien le respect qu’il vous doit pour oser former un pareil projet. Cependant il est de mon devoir de vous avertir que ses assiduités deviennent le sujet des conversations de la cour, que je me les reproche d’autant plus que c’est moi qui ai eu le malheur de vous présenter le marquis et que si vous ne l’éloignez bientôt, je me verrai, à mon grand regret, forcé de rappeler en combat singulier. » (p. 7). Il en va de l’honneur de la jeune femme !

Cette histoire ne se passe pas en Russie mais en France, à Paris d’abord et dans les Ardennes ensuite puisque la jeune femme et le commandeur se rendent au domaine familial pour un bal costumé. Mais, suite à un violent orage, la jeune femme chute du carrosse et se retrouve avec des inconnus qui parlent en ancien français. « Une terreur impossible à rendre s’empara de moi. Je me sentis défaillir et j’appuyai ma main sur le cœur. Mes doigts rencontrèrent la petite croix que peu de temps auparavant j’avais portée à mes lèvres, et de nouveau j’entendis la voix du commandeur qui m’appelait. Je voulus fuir, mais le chevalier me serra la main avec son gantelet de fer et m’obligea de rester. » (p. 27). Le chevalier, c’est le sire Bertrand d’Haubertbois dont le fief a été confisqué en 1459 par Charles VII pour cause « d’impiété et de différents crime » (p. 32) et qui a alors déclaré « Par la mort de mon aame ! Poinct n’y a de vie future, et si peu en ai croyance, qu’en cas contraire serment fais et parfois de revenir me gaudir et me goberger en mon chastel dans trois cents ans à compter d’huy, quand mesme pour ainsi faire devroys bailler mon aame à Satan ! » (p. 33).

Nous sommes ici dans une histoire gothique ! D’ailleurs, Alexeï Tolstoï crée le vampire russe avec Oupyr (Le vampire) en 1841. Plusieurs de ses titres sont adaptés au cinéma.

J’ai malheureusement remarqué quelques fautes (ponctuation, majuscules, orthographe…).

Pour le Mois Europe de l’Est et 2021, cette année sera classique, Littérature de l’imaginaire #9, Projet Ombre 2021 et Les textes courts.

Roman en neuf lettres de Fédor Dostoïevski

Roman en neuf lettres de Fédor Dostoïevski.

Ebooks libres et gratuits, juin 2006, 27 pages. Traduction par Ely Halpérine-Kaminski.

La nouvelle Роман в девяти письмах (Romane v deviati pismah) fut écrite en une nuit en octobre 1845 mais est parue dans Le Contemporain (Sovremennik) en janvier 1847.

Le Contemporain (Sovremennik Современник) est une revue politique et littéraire trimestrielle fondée par Alexandre Pouchkine à Saint-Pétersbourg en 1836 et qui a publié Gogol, Goncharov, Sollogoub, Tolstoï, Tourguéniev, entre autres, ainsi que des traductions de Balzac, Flaubert, George Sand, Dickens, entre autres.

Genres : littérature russe, nouvelle, épistolaire, classique.

Fiodor Dostoïevski ou au complet Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (Фёдор Михайлович Достоевский) naît le 30 octobre 1821 (11 novembre 1821 dans le calendrier grégorien) à Moscou. Fils d’un médecin militaire (alcoolique…), enfance difficile, École supérieure des Ingénieurs militaires de Saint-Pétersbourg, mouvements progressistes… Arrêté et condamné à mort, il est finalement déporté en Sibérie pour quatre ans. Ensuite il erre en Europe et joue beaucoup, il est couvert de dettes… Dès l’enfance, il lit énormément les auteurs européens, Johann Wolfgang von Goethe, Victor Hugo, Friedrich von Schiller, William Shakespeare… À 22 ans, il écrit son premier roman, Les pauvres gens (1844-1846) que j’ai lu il y a des années et qui m’a fait aimer cet auteur. Suivent Le double (1846), Nétotchka Nezvanova (inachevé, 1848-1949), Le rêve de l’oncle (1859), Le bourg de Stépantchikovo et sa population ou Carnet d’un inconnu (1859), Humiliés et offensés (1861), Souvenirs de la maison des morts (1860-1862), Les carnets du sous-sol (1864), Crime et châtiment (1866), Le joueur (1866), L’idiot (1868-1869), L’éternel mari (1870), Les démons (1871), L’adolescent (1875), Les frères Karamazov (1880) ainsi que de nombreuses nouvelles (entre 1846 et 1880) et quelques chroniques (Annales de Pétersbourg, 1847), correspondances et carnets (1872-1881). Il meurt le 28 janvier 1881 (9 février 1881 dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg.

Roman en neuf lettres est donc un court roman (une nouvelle en fait) qui contient… des lettres. La première datée du 7 novembre est de Petre Ivanitch à son ami Ivan Piètrovitch qu’il n’arrive à joindre nulle part et donc il l’invite (tout en le prévenant que son fils est malade, il fait ses dents). Ivan Piètrovitch lui a présenté Eugène Nikolaïtch mais « il y a dans la capitale beaucoup d’autres maisons que la mienne. Je suis excédé, mon petit père ! » (p. 5). La deuxième datée du 9 novembre est la réponse d’Ivan Piètrovitch à Petre Ivanitch, il est fort mécontent et il n’a pas de temps et d’argent à dépenser car son épouse est enceinte. S’ensuit un échange entre les deux hommes qui n’arrivent pas à se voir. « Ne soyez pas fâché contre moi, cher ami. » (p. 10).

Mais la situation s’envenime, et pas seulement pour la question d’argent ! Puisque Petre Ivanovitch a emprunté il y a huit jours trois-cent-cinquante roubles à Ivan Piètrovitch mais sans signer de reçu… « Permettez-moi de vous dire franchement, Petre Ivanovitch, mon opinion sur votre inconvenante façon d’agir. […] Je ne sais ce qui me retient de vous dire toutes vos vérités. Vous retardez l’exécution de certaines de nos conventions, et en calculant toute cette affaire, je ne puis m’empêcher de constater que la tendance de votre esprit est extraordinairement rusée. Je vois cela clairement aujourd’hui : vous avez machiné la chose de longue main. » (p. 11). Et, effectivement, Petre Ivanovitch, est un escroc… Et Ivan Piètrovitch, un naïf. Mais tel est pris qui croyait prendre !

Au fur et à mesure des lettres, du 7 au 15 novembre, la tension monte et, comme il y a des non-dits, le lecteur ne comprend que peu à peu. Cette histoire est presque drôle (genre vaudeville en fait), il me semble que c’est rare chez Dostoïevski ! Vous pouvez lire Roman en neuf lettres sur Wikisource (en français) et sur Lib.ru (en russe).

Pour le Mois Europe de l’Est et aussi pour 2021, cette année sera classique, Challenge lecture 2021 (catégorie 11, un livre dont le titre comprend un nombre), Projet Ombre 2021 et Les textes courts.

La misère de Nikolaï Telechov

La misère de Nikolaï Telechov.

Bibliothèque russe et slave, 15 pages. La misère (Нужда 1903) est traduit du russe par S. Kikina et P.G. La Chesnais (in Mille nouvelles nouvelles tome 12, 1910).

Genres : littérature russe, nouvelle, classique.

Nikolaï Dmitrievitch Telechov (Николай Дмитриевич Телешов) naît le 10 octobre 1867 à Moscou (Russie). Dès l’âge de 10 ans, il assiste à des célébrations littéraires (statue de Pouchkine, discours de Dostoïevski et de Tourgueniev, rencontre avec l’éditeur Ivan Sytin avec qui il devient ami). Il fait des études à l’Académie pratique des sciences commerciales de Moscou pour devenir homme d’affaires. Il hérite de l’entreprise commerciale fondée par son père et il est chef de la Guilde du conseil des marchands de la société marchande de Moscou (1894-1898). Mais il est aussi écrivain, poète et fondateur du cercle littéraire moscovite Sreda (Среда) ou Mercredi littéraire moscovite (Московская литературная среда), un cercle littéraire et artistique (1899-1916) qui se déroule souvent chez Telechov lui-même. Ses premières histoires racontent la vie marchande et la vie bourgeoise (Coq, Drame bourgeois, Duel…) et il est comparé à Anton Tchekhov qu’il rencontre d’ailleurs et qui lui conseille un voyage en Sibérie, ce qui lui inspire plusieurs récits (À travers la Sibérie, Entre deux rives, Migrants, Pour l’Oural…). Il rencontre de nombreux écrivains et artistes grâce à son cercle littéraire (Ivan Bouvine, Alexandre Golovine, Maxim Gorki, Sergueï Rachmaninov, entre autres). Son épouse Elena Andreevna Karzinkina (1869-1943), issue elle aussi d’une célèbre dynastie de marchands, est diplômée de l’École de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou. J’imagine l’intensité de l’activité littéraire et artistique à cette époque ! Malheureusement Telechov est très peu traduit en français… (voilà pourquoi j’aimerais tellement pouvoir lire en russe, mais j’ai laissé tomber, c’est trop difficile d’apprendre seule…). Il meurt le 14 mars 1957 à Moscou.

Après L’anniversaire de Nikolaï Pavlov, voici donc un autre Nikolaï (moins connu que Nikolaï Gogol) de la littérature russe !

La misère se déroule en Sibérie, « après la fonte des neiges, au printemps » (p. 4). Dans un champ, vingt mille réfugiés attendent de passer un contrôle pour aller de l’autre côté du fleuve sur des bateaux à vapeur.

Nicolka, 5 ans, est maigrichon, il va mourir, c’est sûr, alors son père, Matveï hésite à payer le bateau pour lui, à quoi ça sert de payer s’il meurt… Et puis, comme il est malade, aura-t-il le droit de passer ? « il avait honte de le laisser mourant, mais comment faire ? » (p. 5). C’est le dilemme de Matveï et Arina, doivent-ils attendre que leur enfant meurt ou doivent-ils l’abandonner et partir avec les autres bouches à nourrir ? « Dieu a donné, Dieu a repris, dit-il, pour calmer sa femme. Si nous vivons… un autre Nicolka viendra au monde, et quant à celui-ci… c’est fini !… » (p. 7). Arina ne peut que pleurer en regardant les étoiles la nuit.

Effectivement, c’est vraiment la misère, une grande misère… C’est désespérant même pour le lecteur, plus de 100 ans après… Je comprends que les idées socialistes aient vu le jour… « C’est la volonté de Dieu !… Nicolka ne se remettra pas… C’est tout un… il mourra ! » (p. 14) se dit le père pour se rassurer recroquevillé au fond de la péniche…

Cette nouvelle est dramatique au possible mais Telechov a aussi écrit des nouvelles fantastiques. Il est parmi les auteurs de La grande anthologie du fantastique russe et ukrainien réalisée par Patrice Lajoye et André Cabaret parue aux éditions Lingva en septembre 2020 (je rappelle que Lingva est spécialisée dans la littérature russe, de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie).

Voilà encore une découverte pour le Mois Europe de l’Est et les challenges 2021, cette année sera classique, Projet Ombre 2021 et Les textes courts.