Les tisseuses de Naima Guerziz

Les tisseuses (Au fil du Bogolan) de Naima Guerziz.

Éditions d’Avallon, collection Blanche – Littérature contemporaine, juin 2022, 182 pages, 15 €, ISBN 978-2-38439-031-1.

Genres : littérature française, roman.

Naima Guerziz est professeur, autrice (roman, biographie, album pour enfants), chroniqueuse radio et blogueuse sur Les chroniques de Naima (pas mis à jour depuis 2021).

Joséphine, riche femme d’affaires d’origine sénégalaise, vit à Paris. Elle a accueilli Espérance dans son grand appartement mais celle-ci lui a volé Prince. Pour se venger, et ayant appris qu’Espérance avait des faux papiers, Joséphine l’a dénoncée pour qu’elle soit renvoyée au Mali.

Je commence le premier chapitre et… que dire… Jugez plutôt… « Je me relève, chemine vers les toilettes. Je le connais comme ma poche, cet endroit. J’urine abondamment. Je rabaisse la lunette, tire la chasse d’eau. […]. Je me dirige vers le lavabo. » (p. 21). Alors, ça vous fait envie ?

Pour les 1ère et 3e parties, la narratrice est Joséphine. Pour la 2e partie, c’est Espérance et pour la 4e partie, c’est Aïssa (je n’ai même pas compris qui c’était…).

Pourquoi les tisseuses ? Parce que Joséphine vend des textiles de luxe et de la mercerie dans sa boutique Bogolan Inc. et Espérance était tisseuse au Mali. Quant à Bogolan, le sous-titre sur la page de titre, « C’est un textile de chez moi en coton orné de symboles tribaux. » (p. 86).

Les tisseuses est une histoire d’amour et de haine mais je n’ai pas du tout accroché… Lorsque, par exemple, Alain Mabanckou raconte les Noirs vivant à Paris, j’y crois vraiment mais là tout est cousu de fil blanc… J’en suis désolée car je trouve que les valeurs de cette nouvelle « petite maison » d’éditions sont bienvenues dans la littérature francophone… Mais d’autres ont aimé ce roman et en parlent « mieux » que moi. Je n’ai pas compris pourquoi le roman est paru aux éditions Lemart en 2021 puis aux éditions d’Avallon en 2022.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio, case n° 16, un livre qui vous a énervée ou révoltée et il faut expliquer pourquoi. Alors révoltée quand même pas, énervée oui, avec son style faussement cool et ses phrases d’une « grande qualité » littéraire et humaine comme l’extrait de la page 21 ci-dessus. Quant aux personnages je les ai trouvés creux et ne m’y suis pas attachée du tout. Le roman est court mais j’étais pressée de le terminer… J’ai hésité à parler de ce roman mais c’est bien aussi de parler des livres qu’on n’a pas aimés et puis c’est utile pour ce challenge !

Pour ABC illimité (lettre T pour titre), À la découverte de l’Afrique (ce roman parle des Noirs en France et du Mali), Challenge lecture 2023 (catégorie 31, un livre avec un visage sur la couverture, et la couverture est belle).

19 jours sans Noa d’Anne-Gaëlle Balpe

19 jours sans Noa d’Anne-Gaëlle Balpe.

L’école des loisirs, collection Neuf, août 2022, 264 pages, 11 €, ISBN 978-2-21131-928-7. Illustré par Clémence Monnet.

Genres : littérature française, jeunesse, aventure, fantastique.

Anne-Gaëlle Balpe naît en 1975 en France et vit en région parisienne. Elle étudie la philosophie, le multimédia et la langue tibétaine puis devient professeur et écrivain (en particulier pour la jeunesse) et anime aussi des ateliers d’écriture.

Cosmo et Salma (son aînée de 5 ans) vivent dans une oasis dans le désert mais ils sont seuls depuis 18 jours, depuis que leur frère aîné, Noa, est parti chercher des dattes et n’est pas revenu. Ce matin-là, il fait très chaud, comme chaque jour, et Cosmo va chercher de l’eau au puits. En observant un curieux fennec, il voit « un trou creusé dans le sable » (p. 15). Il donne une datte au fennec qui le suit, au retour, jusque sous la tente où l’attend Salma ! Il décide de l’appeler Dune.

Mais, dans la nuit du 19e jour sans Noa, Salma entend des bruits à l’extérieur de leur tente et préviens son petit frère. « Tu fais ce que je te dis, Cosmo. Tu cours sans t’arrêter et tu te caches dans les rochers. Elle saisie une grosse pierre noircie, qu’elle souleva au-dessus de sa tête […]. » (p. 35). Ce sont finalement des musiciens voyageurs, deux hommes et trois femmes, qui à l’aube sont partis laissant la kora miniature sur le sable. « Ils ont oublié ça. » (p. 43).

Cosmo récupère la kora et se rend au puits où il retrouve Dune mais tout à coup « un grondement sourd » (p. 46), « le ciel s’assombrit [et] un mur de sable. » (p. 48). C’est fascinant mais Cosmo ne doit pas rester là sinon il va être enseveli avec tout le reste ! Il court derrière Dune et se glisse dans le trou à la suite du fennec. « C’était un terrier beaucoup plus profond que ce qu’il avait imaginé. […] La tempête submergea les rochers en hurlant. » (p. 50). Au bout d’un moment, Cosmo tombe dans le vide et pense que, peut-être, il est arrivé la même chose à Noa.

Seul dans une grotte, le fennec étant passé dans une fente trop étroite pour Cosmo, l’enfant se met à jouer de la kora, pour dépasser sa peur, « pour faire taire ses pensées » (p. 58) et se rend compte qu’il joue pour la première fois et chante même. Une créature ressemblant à un fantôme s’approche de lui, lui dit que le fennec est le « roi de Souterre » (p. 61) et qu’il devra rester ici « Comme tous ceux qui viennent de là-haut. » (p. 61).

Non, Cosmo ne peut pas rester ici et laisser Salma seule ! Il continue d’avancer dans la grotte (je pense que les petites lueurs sont des lucioles) et découvre un monde « splendide » (p. 66).

Voilà je ne peux en dire plus pour ne pas divulgâcher mais à partir de là, les lecteurs plongent (c’est le cas de le dire) dans du fantastique. Cette histoire de monde souterrain m’a fait penser à Mardy & Ozgo – Le monde d’en dessous de Marie Lenne-Fouquet et Marie Morelle et bien sûr à Alice aux pays des merveilles. La musique est très importante parce qu’elle est symbole de « l’espoir, l’amour et la liberté » (p. 137). Une très belle lecture pour jeunes (et moins jeunes), prenante (je n’ai pas lâché le livre), qui permet d’affronter sa peur, de prendre ses propres décisions et de grandir.

Pour ABC illimité (lettre A pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 9, un livre jeunesse, young adult), Challenge lecture 2023 (catégorie 9, un livre avec du sable sur la couverture), Jeunesse & young adult #12, Littérature de l’imaginaire #11, Petit Bac 2023 (catégorie Moment de la journée pour Jour) et À la découverte de l’Afrique (il n’y a aucun pays de stipulé mais le fennec surnommé renard des sables ou renard des sables du Sahara vit dans tout le nord de l’Afrique).

Habitant de nulle part, originaire de partout de Souleymane Diamanka

Habitant de nulle part, originaire de partout de Souleymane Diamanka.

Points, collection Poésie, février 2021, 144 pages, 7,30 €, ISBN 978-2-75788-747-9.

Genres : littérature franco-sénégalaise, poésie.

Souleymane Diamanka (dit Duajaabi Jeneba) naît le 27 janvier 1974 à Dakar au Sénégal mais il grandit à Bordeaux en France. Il parle français et peul et découvre dès le début des années 90 le rap, le hip hop et le slam. Il a à son actif 2 albums studios, L’hiver peul (2007), Être humain autrement (2016) et un album Live @ Hall Tony Garnier (2015), 5 livres (entre 2007 et 2021) et des participations en tant qu’acteur (cinéma) et comédien et auteur (théâtre). Des vidéos sur sa chaîne Youtube.

Préface « Avant-dire » d’Oxmo Puccino : « Clamer un texte, c’est lui donner vie. » (p. 12).

Parce qu’Amadou Hampaté Bâ, ambassadeur du peuple Peul a dit « En Afrique un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle » (p. 16), Souleymane Diamanka fait une entorse à l’oralité traditionnelle pour écrire. C’est un travail de conservation, de mémoire, de legs, de la part de « haal pulaar » (celui qui parle peul).

J’ai tout aimé dans ce livre – c’est un des plus beaux recueils de poésie moderne que j’ai lus – alors il ne m’est pas facile d’en sortir quelques mots pour vous livrer des extraits mais je vais faire de mon mieux parce que je veux que vous en lisiez un peu pour avoir envie de l’acheter (ou de l’emprunter) et de le lire entièrement.

« Je ne suis qu’un pauvre artiste au service de la beauté / Marchand de sentiment et de moments d’humanité » (début de Moment d’humanité, p. 29).

« J’ai attendu longtemps que le néant s’anime / Que chaque mot trouve sa phrase et que chaque phrase trouve sa rime » (p. 30).

« Même s’il est né de ma plume / si tu l’as aimé et qu’il t’a plu / ce n’est plus mon poème mais un papillon en papier » (début de Papillon en papier, p. 35).

« Vous qui survivez dans cet univers parfois si violent / Venez… je vous invite à faire le tour de la Terre / À bord de mon tapis volant » (Tapis volant, p. 49), un poème dans lequel il fait rimer ‘galerie d’art’ avec ‘regard’ et ‘éclipsé’ avec ‘yeux absorbés’, bien joué pour montrer l’importance du regard, de la vision, dans l’oralité.

« Si quelqu’un te parle avec des flammes / Réponds-lui avec de l’eau / Sache que le seul combat qui se gagne / C’est le duel qui devient duo / Je sais que les braves savent se battre / Et lutter pour leurs droits jusqu’à l’aube / Mais dis-leur que le paix guérit et la guerre périt » (début de Réponds-lui avec de l’eau, p. 53, vidéo ci-dessous). « La paix guérit et la guerre périt », sûrement le plus beau texte !

Souleymane Diamanka est une « voix pleine de sourires et pleine de larmes » (p. 55), avec des fulgurances comme « Prendre le temps d’écrire pour le meilleur et pour le dire » (p. 55) alors j’espère vraiment vous avoir donné envie de le découvrir, de le lire et de le partager autour de vous aussi.

Diamanka parle de l’Afrique, du peuple peul, de la nature, des animaux, de la France, des cités, de la pauvreté mais aussi de la vie, de l’amour, de la sexualité même, de l’humanité, de l’oralité et de l’écriture, « De la faune et de la flore / Des faibles et des forts / Des esprits et des espoirs » (p. 68)… Le verbe, les traditions tiennent une grande place dans plusieurs poèmes. Il est très inspiré et tout son parler n’est que poésie, poésie libre avec des rimes vraiment différentes de ce que j’ai pu lire auparavant. Des textes courts et percutants ou tendres et émouvants qui ont une belle musicalité et qui m’ont transportée… nulle part et partout ! C’est que Diamanka a bien compris qu’il était un passeur de mots, un « donneur de paroles d’honneur » (p. 83) parce que l’ancien lui a dit « Pars cueillir les mots » (p. 83).

« Le feu n’est pas éteint… il reste une braise / L’histoire n’est pas finie… il reste une phrase » (p. 92).

Mais il n’y a pas que le texte (oral ou écrit), Diamanka parle aussi des arts, la danse (dans plusieurs poèmes), les peintures rupestres (entre autres dans Graffiti-artiste de la préhistoire), des sculptures (Hommage à Ousmane Sow), ce qui montre bien son ouverture d’esprit et ce qu’il veut partager. « J’obtiendrai des notes étonnantes en faisant des vœux / Je rendrai l’amour de l’art monnaie courante en créant des lieux / Je reprendrai le fil de l’Histoire en dénouant les nœuds / Et je peindrai tout le temps en fermant les yeux » (p. 129).

Je vous le recommande même si vous n’êtes pas fondus de poésie, vraiment, c’est beau, c’est inspiré, c’est apaisant, c’est vivifiant, c’est pour tous.

Pour Les adaptations littéraires parce que livre, poésie, chansons et plus encore, et aussi À la découverte de l’Afrique (Sénégal, peuple Peul), Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 36, un livre coup de cœur, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 11, un livre qui met en scène un artiste), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour la virgule, 2e billet) et Tour du monde en 80 livres (Sénégal).

Les confluents d’Anne-Lise Avril

Les confluents d’Anne-Lise Avril.

Julliard, août 2021, 208 pages, 18 €, ISBN 978-2-26005-478-8.

Genres : littérature française, premier roman.

Anne-Lise Avril naît en 1991 en France. Elle aime lire, écrire et étudie le commerce puis se rend à Moscou en Russie. Elle se passionne pour la culture russe, la photographie, le voyage, l’écologie (elle travaille pour la reforestation). Les confluents est son premier roman.

2040. D’un côté la planète est ravagée par la pollution et la sécheresse, d’un autre côté des îles et des pays sont submergés par les eaux. Jaya quitte son île indonésienne. « Elle se préparait à passer d’un monde à l’autre. Ou bien peut-être à entrer dans le monde, pour la première fois. » (p. 11).

Après ce prologue, le roman est construit en 4 parties : le Désert (2009), la Forêt (2011), la Nuit (2013) et l’Île (2014) avec, à chaque fois, une incursion en 2040.

2009. Aqaba, Jordanie, une auberge aux portes du désert. Liouba est née à Moscou d’une mère Russe et d’un père Français. Jeune journaliste, elle a quitté Paris pour son premier reportage pour Terre d’exil. « Elle ne savait pas exactement comment faire. Elle apprenait. Savoir trouver une histoire. Savoir la raconter. Savoir ensuite la vendre à ceux qui seraient susceptibles de la lire. Tel était le métier qu’elle avait choisi et dont elle expérimentait la réalité pour la première fois. Elle pressentait qu’il y avait quelque chose à dire, ici, sans savoir encore précisément quoi, et elle savait que pour pouvoir le dire, il lui faudrait quitter Aqaba, aller à la rencontre du désert qui l’aimantait et comprendre ce que c’était que de vivre avec lui. » (p. 17). Aydin, un bédouin, l’emmène dans son village d’At-Tuweisa dans le désert de Wadi Rum à la recherche de « Une histoire. J’aimerais raconter comment les hommes vivent avec leur écosystème, s’y adaptent et sont marqués par lui. » (p. 24). En devenant journaliste, Liouba se sent proche de sa mère, Elena Azarova, qui était journaliste, et en plantant des arbres et en étudiant les plantes et les fleurs du désert, elle se sent proche de son père, Henri Darcet, qui était botaniste. La voilà son histoire, celle de Babak Majali et des bédouins des environs qui plantent des arbres dans le désert pour les générations futures. Ah, voir le désert en fleurs après la pluie ! Alors qu’elle termine d’écrire son reportage et s’apprête à quitter la Jordanie pour retourner à Paris, Liouba rencontre Talal Sariel. Francophone (son père était Français et sa mère était Turque), il est photographe, et revient de Gaza (il travaille pour un journal allemand). Spécialiste des « mouvements de population » (p. 43), il est « fasciné par l’idée du lieu qu’on va chercher quand on s’en va. Qu’est-ce qui nous motive à partir ? On part toujours vers quelque chose. Un ailleurs qui sera peut-être meilleur, ou peut-être pire, que l’endroit qu’on a quitté. On se met en marche avec espoir. Pour moi, cet espoir, ça pourrait tout à fait être un jardin dans le désert. » (p. 44). Talal explique à Liouba pourquoi les gens lisent des histoires de l’ailleurs (p. 45), je ne peux pas tout recopier, mais c’est très beau, ça me touche (moi qui suis allée voir ailleurs, quand c’était encore possible). Et pour montrer l’ailleurs, certains choisissent l’écriture, comme Liouba, d’autres choisissent la photographie, comme Talal, ils sont ainsi complémentaires et représentent à eux deux la dimension cosmopolite d’un monde en perdition. Mais ils doivent partir chacun de leur côté. « Le voyage noue des liens. Le voyage les déchire brutalement. » (p. 51).

2040. Après le départ des habitants puis de sa sœur, Aslam est seul sur l’île, seul à planter des pousses d’arbres dans la mangrove pour que la mer ne monte pas plus, « seul, dans l’infini silence insulaire, seul face à l’horizon vide. » (p. 58). Chapitre court mais d’une grande intensité dramatique. Est-ce que ce que font les humains pour arranger les choses (que ce soit en 2009 ou en 2040) est utile ?

2011. Monrovia, Liberia, où Talal doit rejoindre Liouba pour photographier « la forêt du mont Nimba, en Guinée » (p. 63) afin de documenter le reportage de la journaliste. Un magnifique voyage avec Issa leur guide et Daouda le porteur mais chacun doit de nouveau rentrer chez lui. « Ils étaient deux voyageurs. Voués à se comprendre. Voués à ne jamais se retrouver. » (p. 93).

2040. Quelques mois après avoir quitté son île natale, Jaya « avait rejoint à Jakarta, un groupe de travail formé par les communautés côtières impactées par la montée des eaux, puis avait été conviée, en tant que témoin et émissaire de l’Indonésie, à un voyage scientifique au cœur de l’Arctique. La mission rassemblait une centaine de chercheurs, de glaciologues et d’ingénieurs, ainsi que des représentants des principaux pays concernés par le sujet. Ultime tentative de préserver les littoraux du monde, à l’aune des dernières prévisions de l’augmentation du niveau des mers. » (p. 97). Jaya arrive donc à Ilulissat au Groenland et découvre la neige, la glace et l’hiver.

2013. Liouba est avec son amie Esya Kaminsky à « Dvinsky […] l’un des derniers bastions de la forêt primaire de la région » (p. 106) protégé par un activiste russe, ancien capitaine de la marine, Irek Babaï, « devenu un semeur de troubles, un élément subversif. Un homme recherché. » (p. 107). Avec son groupe de militants, il lutte contre la déforestation illégale de la forêt boréale. Pendant ce temps, Talal est à Alep en Syrie. Ici j’ai pensé à Le promeneur d’Alep de Niroz Malek (Le Serpent à plumes, 2015).

2014. Forêt de Mazumbai, Tanzanie. « Tous les pays de la Terre semblaient être liés par un métissage éternel. » (p. 168), c’est ma phrase préférée mais tout est très beau dans ce roman (ce que vous pouvez voir avec les extraits ci-dessus).

Un magnifique roman d’amour et d’écologie qui parle de symbiose, non seulement entre les humains mais aussi (et surtout) avec la Nature, en particulier les forêts et les océans (poumons indispensables de la Terre) et qui fait voyager. Très belle écriture, très belle lecture, je vous conseille fortement ce premier roman.

Pour À la découverte de l’Afrique (une partie du roman se déroule au Liberia, en Guinée et en Tanzanie), Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 29, un livre sur un thème ou une cause qui vous tient à cœur, ici l’écologie) et Challenge lecture 2022 (catégorie 3, un premier roman) et Littérature de l’imaginaire #10.

La lionne d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg

La lionne : un portrait de Karen Blixen d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.

Sarbacane, octobre 2015, 200 pages, 24,50 €, ISBN 978-2-84865-829-2.

Genres : bande dessinée franco-danoise, biographie, Histoire.

Anne-Caroline Pandolfo naît le 7 juin 1970. Elle étudie les lettres modernes puis les arts décoratifs à Strasbourg. Elle travaille d’abord dans l’animation avant de devenir autrice pour la jeunesse puis autrice de bandes dessinées. Plus d’infos sur son site officiel.

Terkel Risbjerg naît le 5 décembre 1974 à Copenhague (Danemark). Il est dessinateur. Il rencontre Anne-Caroline Pandolfo en 2000 à Paris où il travaille dans l’animation, une collaboration naît entre eux et leur première bande dessinée, Mine une vie de chat, paraît en 2012. Suivront d’autres titres au fil des années dont La lionne.

Printemps 1885. Karen Christentze Dinesen naît, de son « petit nom affectueux : Tanne » (p. 7).

« Autour de son berceau étaient rassemblées 7 fées remarquables. Chacune avait le désir de faire don à l’adorable petite, de qualités particulières. » (p. 8).

La première fée est Nietzsche qui offre son livre tout juste paru, Ainsi parlait Zarathoustra, et lui raconte l’histoire de Le chameau, le lion et l’enfant mais il y a aussi un dragon en fait.

La deuxième fée est un lion, la troisième Shéhérazade, la quatrième le diable, la cinquième est William Shakespeare, la sixième un roi africain, et « La septième et dernière fée était la cigogne. Elle avait beaucoup à dire, mais elle n’en eut pas le temps. » (p. 19).

Bien sûr, cette très belle bande dessinée parle de la vie de Karen Blixen, la célèbre autrice danoise de Out of Africa mais elle parle surtout de la liberté de l’esprit, la volonté et le libre-arbitre, la puissance, la découverte, l’art de conter et l’imagination, l’Afrique, la sagesse et les embûches (devinez quelle fée a offert ça !).

Du côté maternel. Manoir de Mattrup, nord du Danemark, avec Mama Mary Westenholz, tyran de la perfection morale, mère de 7 enfants dont Ingeborg qui donnera naissance à Karen.

Du côté paternel. Château de Katholm, nord-est du Danemark, la famille Dinesen, une des plus grandes familles du pays. 8 enfants dont Wilhelm, le cadet qui sera le père de Karen.

Wilhelm et Ingeborg ont 5 enfants, Ea (1883), Karen (1885), Ella (1886), Thomas (1892) et Anders (1894), élevés de la même façon mais Karen est la préférée de Wilhelm. Il lui parle de liberté, d’oiseaux. « Imagine ces mondes merveilleux qu’ils ont vus de leurs yeux. » (p. 31) mais il meurt lorsqu’elle a 10 ans.

Karen (Tanne) se réfugie alors dans les livres, Henrik Ibsen, Friedrich Nietzsche, Hans Christian Andersen, Jens Peter Jacobsen, August Strindberg, William Shakespeare, Soren Kierkegaard (p. 57) puis d’autres comme « Jane Austen, Rousseau, Mme de Staël, Huysmans, Selma Lagerlöf, Flaubert, Racine, Dickens, Joyce, Goethe, George Sand, Baudelaire, Walter Scott, Mary Shelley, Lewis Caroll, les sœurs Brontë, Kipling » entre autres (p. 59).

Et, inspirée par toutes ses lectures, la jeune fille se rebelle : « J’en peux plus ! J’ai besoin de poésie… d’imagination… de grandeur… de folie ! Je n’en peux plus de vos idées domestiques ! Je n’en peux plus d’être repliée sur moi-même… dans une famille repliée sur elle-même… dans un pays replié sur lui-même !! Donnez-moi de l’air !!! » (p. 61). Et, en 1903, elles est inscrite à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague.

Un jour qu’elle visite la famille de son père au château de Frijsenborg, où vit « le comte Mogens Christian Krag-Juel-Vind-Frijs […] cousin de son père et son meilleur ami » (p. 71), Daisy Frijs, une des filles du comte, lui présente Hans von Blixen-Finecke. « L’imagination de Tanne s’emballa comme un cheval fougueux. » (p. 76). Mais il ne s’intéresse pas à elle alors elle se rapproche de son frère jumeau, Bror Blixen-Finecke. Elle l’épouse, devient baronne et s’envole avec lui pour l’Afrique.

1913, « une ferme à 2000 mètres d’altitude, avec une vue incroyable sur le Ngong, la grande chaîne de montagnes du Kenya. » (p. 87). La jeune baronne découvre les kikuyus, des éleveurs pacifiques, les masaïs, des guerriers et Farah qui est venu l’accueillir à son arrivée à Mombasa devient un véritable ami. « M’basu… tu es une lionne ! », lui dit-il (p. 102).

Après son divorce, Karen reste ‘seule’ dans la ferme africaine et rencontre Denys Fich-Hatton, un « aristocrate anglais, beau, sportif, exceptionnellement cultivé. » (p. 111) et passionné par la nature, la vie sauvage et l’Afrique.

Je triche un peu pour Les classiques c’est fantastique sur le thème Quand l’histoire raconte l’Histoire mais franchement XIXe siècle, littérature, aventure, amour, Afrique, tout y est pour une histoire qui raconte l’Histoire, celle de Karen Blixen et de sa famille, celle d’une Afrique et d’Africains qui ont disparu. J’en profite pour mettre aussi dans 2021, cette année sera classique. Ainsi que dans Challenge nordique, Des histoires et des bulles (catégorie 17, un animal dans le titre), Jeunesse young adult #11 et Petit Bac 2021 (catégorie Animal pour lionne).

Atar Gull de Nury et Brüno

Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle de Nury et Brüno.

Dargaud, collection Long Courrier, octobre 2011, 88 pages, 16,95 €, ISBN 978-2-20506-746-0.

Genres : bande dessinée française, Histoire, adaptation d’une œuvre littéraire.

Fabien Nury naît le 31 mai 1976 en France. Il étudie le commerce dans une grande école à Paris mais devient scénariste de bandes dessinées, W.E.S.T., Je suis légion, Il était une fois en France… Des BD historiques ou science-fiction ou policières. Il est aussi scénariste pour le cinéma.

Bruno Thielleux, dit Brüno, naît le 1er mars 1975 à Albstadt en Allemagne mais il est Français (son père y est militaire). Il étudie les arts plastiques à l’École Estienne à Paris puis à Rennes. Il débute sa carrière de dessinateur en 1996 mais il est aussi scénariste. Plus d’infos sur son site officiel.

Laurence Croix naît le 29 janvier 1974 à Châteaubriant en Loire-Atlantique. Elle est coloriste et travaille avec de nombreux auteurs de bandes dessinées (Apollo, Brüno, Jean Dufaux, Li-An…).

1830. Afrique. « Moi, Atar Gull, je ne pleurerai jamais. Jamais. » (p. 4).

Monsieur Benoît, capitaine de la Catherine, fait du trafic de « bois d’ébène » (p. 11). Atar Gull est une des marchandises, il est vendu par Van Hop pour 100 guinées et pourra en rapporter 500 « au bas mot » (p. 17) à la Jamaïque. Mais le brick du capitaine Benoît est attaqué par une goélette sans pavillon. C’est la Hyène du capitaine Brulart, un pirate qui embarque plusieurs esclaves pour les vendre à son compte. Bon, sur les 100 du départ, il n’en reste plus que 17… dont Atar Gull – fils du roi des petits Namaquas – qui est acheté « par monsieur Tom Will, planteur à Greenwiew » (p. 46).

Ce Tom Will est un humaniste et il traite bien ses esclaves, du moins mieux que les autres planteurs… On parle déjà des « abolitionnistes », des « nègres marrons » mais il y a de nombreuses exactions…

Cette bande dessinée possède des couleurs chatoyantes et quelques personnages hauts en couleurs mais c’est surtout la vengeance d’Atar Gull qui est terrible ! « Moi, Atar Gull, je suis ton bourreau, et ton supplice sera plus long que le mien la été. » (p. 83).

Atar Gull est une adaptation du roman éponyme d’Eugène Sue, un roman de 400 pages paru en 1831 (disponible librement sur Wikisource). Roman maritime (avec une sacrée tempête puis un abordage par des pirates), roman social sur la traite des Noirs et récit d’une vengeance impitoyable, Eugène Sue a accompli un coup de maître en « dénonçant » toute la chaîne aussi bien noire que blanche (du côté des Noirs il y a les tribus qui se font des guerres incessantes et qui pratiquent le cannibalisme ou vendent aux hommes blancs les prisonniers des autres tribus, et du côté des Occidentaux il y a la traite d’êtres humains et l’esclavage). Nury, Brüno et Laurence Croix rendent parfaitement l’intensité dramatique de cette histoire qui se déroule au début du XIXe siècle.

Une très belle adaptation lue pour Les classiques c’est fantastique #2 (le thème d’août est de l’écrit à l’écran en passant par les cases) que je mets également dans La BD de la semaine et les challenges 2021, cette année sera classique, À la découverte de l’Afrique (les Namaquas viennent d’Afrique australe, c’est-à-dire Namibie et Afrique du Sud), BD, Challenge de l’été #2 (voyage en Jamaïque), Des histoires et des bulles (catégorie 49, une BD avec des pirates) et Les textes courts.

Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

Ida n’existe pas d’Adeline Fleury

Ida n’existe pas d’Adeline Fleury.

François Bourin, août 2020, 160 pages, 18 €, ISBN 979-10-252-0497-9.

Genre : roman français.

Adeline Fleury est journaliste et autrice. Parmi ses précédents titres, l’essai Petit éloge de la jouissance féminine (2015) et les romans Rien que des mots (2016) et Je, tu, elle (2018).

« Ida n’existe pas. Ida n’a jamais existé. Ni dans mon corps, ni dans mon esprit. Ida est un fantôme. Elle me hante jour et nuit. Ida est là. […] » (p. 9). Voici comment débute ce roman « librement inspiré d’une histoire vraie » (p. 7).

Le père Mahut, un vieux pêcheur à la retraite, voit sur la plage « le visage ensablé d’un bébé » (p. 12).

Comment une mère a-t-elle pu laisser son bébé sur la plage ? « Depuis qu’elle est entrée dans ma vie, je l’adore autant que je la déteste. […] Chaque femme a cette dualité en elle. Celles qui le nient se mentent à elle-même. » (p. 14). La mère va raconter, la « communication animale » (p. 19) avec Ida depuis 15 mois. Allaitement, « attraction répulsion » (p. 19), dégoût, attendrissement…

Le père d’Ida ? Alfonse, un vieux sculpteur, qui la surnomme sa « Zoulou blanche » (p. 21) mais… « Je ne pensais pas que le sperme d’Alfonse pouvait être fécond. » (p. 20).

« L’amour maternel est effrayant. » (p. 23). Effrayant, oui, c’est le mot en ce qui concerne ce roman…

Et si Ida était l’enfant-poisson dont parlaient sa mère et ses tantes durant son enfance ? L’enfant-poisson que Mami Wata (la Reine des eaux) réclame, « de plus en plus pressante » (p. 57). La mère d’Ida est-elle folle ? Peu à peu le lecteur comprend ce qu’elle a vécu, depuis son enfance durant laquelle elle est surnommée « l’enfant-zèbre » (p. 42). Née dans une tribu Myènè au Gabon, elle est cependant métis à la peau claire et envoyée chez la tante Angèle à Vincennes (en France) à l’âge de 12 ans. En tout cas, elle va maintenant emmener Ida qui n’a aucune existence officielle « au bout du voyage » (p. 41). Elles vont « voir la mer, juste voir la mer » (p. 47).

C’est bizarre que je reçoive ce livre (merci à Lecteurs.com) quelques jours après avoir perdu ma petite-fille… J’ai pris ça comme un signe car c’est le genre de livres que je n’aurais pas lu de moi-même mais je me suis dit pourquoi ne pas soigner le mal par le mal.

Adeline Fleury écorne l’image des « femmes à la maternité flamboyante » (p. 40) et l’image de la mère parfaite. Les chapitres sont courts, c’est percutant, brut, brutal même… « Va à la mer, et fais ce que tu as à faire ! » (p. 89). Quand la vie occidentale se télescope aux traditions africaines, la mère embarque Ida « dans une entreprise d’une beauté tragique » (p. 103). Alors, amour fou, ou pure folie ? Peut-être un peu des deux… Comment vivre, comment se construire après des actes de maltraitance subis dans l’enfance ? Ce roman cru est en tout cas fort dérangeant… Je ne saurais dire si je l’ai aimé ou pas mais je peux vous dire une chose, c’est qu’il est très bien écrit et ça, c’est un bon point.

Je mets cette lecture dans Challenge lecture 2021 (catégorie 15, un livre féministe), Petit Bac 2021 (catégorie Prénom pour Ida) et À la découverte de l’Afrique (Gabon).

Erectus de Xavier Müller

Erectus de Xavier Müller.

XO, novembre 2018, 440 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-84563-617-0.

Genres : littérature française, thriller, science-fiction.

Xavier Müller naît le 3 octobre 1973 en France. Il est Docteur en Physique, journaliste scientifique et romancier. Il me semblait bien que cet auteur me disait quelque chose ! J’ai lu il y a bientôt 10 ans son premier roman, Dans la peau d’un autre, un thriller à la fois scientifique et science-fiction (comme Erectus).

Province de Mpumalanga, Afrique du Sud, 13 juin. Petrus-Jacobus Willems, le gardien, et sa chienne boerbel Chaka entendent l’alarme. Les scientifiques fuient et il est chargé de fermer le laboratoire. « Contentez-vous de tout fermer et barrez-vous. » (p. 14). Mais, avant de partir, le gardien vole un singe capucin et un chimpanzé mord Chaka…

Pretoria, Afrique du Sud, 10 juillet. La virologue Cathy Crabbe et son assistant, Mike Jones, analysent des cellules d’éléphanteau du Wildlife Center du Parc Kruger. L’éléphanteau est-il malade, serait-ce « une variante du virus Ebola » (p. 27) ? En tout cas l’agent pathogène provoque des métamorphoses, non seulement sur l’éléphanteau mais aussi sur Kanzi, un gibbon du laboratoire. Cathy rédige donc une déclaration de maladie inédite et donne le nom de virus Kruger.

Que je déteste les tests sur les animaux ! Ils mènent à la catastrophe… Mais j’ai bien aimé comprendre tout ce qui se met en place dans un tel cas de contamination, tout ce qui se déclenche jusqu’à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et surtout le choix des membres d’une équipe restreinte, les risques encourus comme « le risque de contamination, le risque écologique, le risque sanitaire » (p. 91).

Faut-il accepter la « règle implicitement admise : la loi de Dollo. En substance cette loi pose que l’évolution est un phénomène à sens unique. Une flèche pointée vers le futur. Pour vous donner un exemple concret, les serpents ne récupéreront jamais les pattes de leurs ancêtres lézards. Ou bien ce serait au prix de millions d’années d’adaptation à un nouvel environnement… L’idée d’une possible régression des espèces serait… comment vous dire… » (Nicolas Barenski, directeur du Museum d’histoire naturelle de Paris, p. 40) ou penser que l’éléphanteau et le gibbon aient pu être transformés par un virus « en un genre de cousin[s] de [leur] version ancestrale. » (p. 39).

En tout cas, s’il y a une scientifique qui défend la théorie de la régression, de l’évolution à contre-sens, c’est la Française Anna Meunier, trentenaire, paléontologue marginalisée par ses confrères et pourtant « Brillante, maligne, réalise. » (p. 41). Mais elle travaille sur des fouilles à Kaimana en Nouvelle-Guinée. Anna abandonne le fossile complet de l’archéoptéryx qu’elle vient de découvrir avec ses étudiants pour suivre Lucas Carvalho, biologiste de l’OMS, en Afrique du Sud.

Le responsable du Wildlife Center du Parc Kruger, Dany Abiker, présente l’éléphanteau, surnommé Quatre-Défenses par son petit-fils, Kyle, aux deux scientifiques. L’éléphanteau est devenu un gomphotherium (un de ses lointains ancêtres). Dany Abiker a construit un enclos dans lequel vivent une girafe et son girafon devenus des giraffokeryx qui « vivaient il y a trente millions d’années » (p. 76), quatre gomphotheriums adultes et un dinohippus, l’ancêtre du zèbre. « […] le virus qui avait contaminé ces animaux provoquait bien une régression évolutive semblable à celle subie par son dinosaure à plumes en Nouvelle-Guinée. Cela expliquait l’anomalie chronologique. Restait à prouver la récurrence du phénomène. Le virus avait frappé dix millions d’années auparavant et aujourd’hui. À deux reprises, donc. Au moins deux… » (p. 77). Mais « il y a un détail qui cloche. […] Le zèbre a régressé de vingt-cinq millions d’années, environ. Le gomphotherium aussi. Mon fossile de dix et les fleurs d’acacia de cent trente ! […] ces bonds paraissent aléatoires. Cela peut frapper une large palette d’espèces sur un delta de plusieurs millions d’années. […] Nous devons stopper ce virus avant qu’il n’infecte la planète. » (p. 83).

Quant aux moqueries de certains collègues scientifiques sur le « virus des cavernes » (p. 34), je me demandais s’il y avait des cavernes au Parc Kruger, eh bien la réponse est simple : « Nulle part vous ne trouverez de cavité souterraine dans la région. » (Dany Abiker, p. 113). Il faut croire que certains scientifiques malgré leur intelligence scientifique sont stupides…

Je précise que ce roman est paru en novembre 2018 soit deux ans et un trimestre avant la pandémie du coronavirus mais ce virus Kruger (de fiction ?) qui se transmet, non seulement aux animaux et aux végétaux mais aussi aux humains, nous questionne sur d’autres virus comme le sida, Ebola, la grippe aviaire et bien sûr les coronavirus découverts plus récemment. « Nous ignorons tout ou presque des mécanismes biologiques de la régression. Nous présumons juste qu’elle est causée par le réveil de gènes silencieux qui peuplent notre génome. » (p. 172).

Les personnages oscillent entre leur vie professionnelle intense (et indispensable pour l’humanité) et leur vie privée. Par exemple, Anna Meunier a un amoureux, Yann Lebel, chercheur océanographique qui va d’ailleurs se retrouver face à un pakicetus, l’ancêtre de la baleine, et Stephen Gordon, le patron de Lucas Carvalho à Genève, s’occupe de Lauryn, sa fille devenue mutique depuis que sa maman est morte. Cela les fait paraître plus humains, plus proches du lecteur.

J’ai dévoré ce roman, en deux fois, et j’ai pris moins de notes la deuxième fois mais j’ai tout de même noté deux extraits. Le premier au sujet du laboratoire Futurabio qui crée des produits à partir de la Nature donc sensés être bons et sains (et bio en plus). « […] deux hypothèses. La première partait du postulat que Futurabio avait découvert le virus dans le parc Kruger et construit un labo pour l’étudier en 2011. Leur erreur aurait alors été d’embaucher comme agent de sécurité un trafiquant d’animaux sauvages qui avait exporté le virus. La seconde hypothèse supposait que Futurabio était la source même du problème. Ses chercheurs auraient créé le Kruger, ou modifié un virus préexistant, et, intentionnellement ou non, l’auraient laissé s’échapper dans la nature. Dans les deux scénarios, leur responsabilité était engagée […]. » (p. 228-229).

Le deuxième concerne la gestion russe du virus après qu’il ait contaminé des humains. « Donc l’humanité s’apprête à vivre terrée à l’intérieur de ses frontières pendant les mois à venir, l’économie est en train de s’effondrer, et tout ce que propose l’OMS, si je vous suis bien, c’est : ‘Il nous faut plus de lits pour accueillir les malades infectés !’ Et ensuite monsieur Gordon, que ferez-vous de ces… erectus ? » (Andreï Akoulov, responsable russe au siège de l’OMS à New York, p. 266).

Je ne suis pas surprise de voir que tout est plausible, tout est possible, et que le monde est en train de vivre ça depuis un peu plus d’un an avec un autre virus et, que la contamination soit « naturelle » ou créée par des scientifiques, qu’elle apparaisse sur un continent ou sur un autre, elle a vite fait le tour du monde pour devenir une pandémie. L’auteur met dans ce roman de la science (pour nous faire réfléchir) et de la fiction (pour nous divertir) et livre un très bon roman cauchemardesque. On sait tous maintenant qu’un virus dans la vraie vie peut être lui aussi cauchemardesque mais laissez-vous quand même tenter par Erectus !

Il existe un mini-site consacré à Erectus et un deuxième tome, Erectus – L’armée de Darwin, paru en février 2021, que je veux lire absolument.

Pour les challenges À la découverte de l’Afrique, Animaux du monde #3, Challenge lecture 2021 (catégorie 39, un livre dont le titre est dans une langue étrangère, Erectus étant du latin), Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Être humain avec Erectus pour Homo Erectus), Polar et thriller 2020-2021 et Printemps de l’Imaginaire Francophone (un auteur à découvrir absolument avec Dans la peau d’un autre ou avec Erectus).

Ténèbre de Paul Kawczak

Ténèbre de Paul Kawczak.

La Peuplade, janvier 2020, 320 pages, 19 €, ISBN 978-2-924898-49-9.

Genres : littérature franco-québécoise, premier roman, Histoire.

Paul Kawczak naît le 12 novembre 1986 à Besançon (Franche-Comté) dans une famille d’origine polonaise. Il étudie la littérature en France puis en Suède. Il est poète, romancier et enseigne la littérature à l’Université du Québec à Chicoutimi (Saguenay). Du même auteur : L’extincteur adoptif (2015, recueil de textes) et Un long soir (2017, micro-récits).

1885, conférence de Berlin, les terres africaines sont partagées. « […] les majestés occidentales tranchèrent à vif la chair ; […] Angleterre, France, Belgique, Italie, Portugal, Espagne, Allemagne se lancèrent sans réserve dans la dévoration. » (p. 17).

Suite à des conflits locaux, en particulier entre Belges et Français, mais les Anglais ne sont pas en reste, le roi Léopold II envoie Pierre Claes, « un excellent géomètre, extrêmement prometteur » (p. 19) pour matérialiser et dessiner le tracé exact de la frontière nord du Congo alors belge. Pierre Claes est né à Bruges, il a moins de 30 ans et le 20 mars 1890 il arrive en Afrique. Port de Matadi puis Léopoldville où il contracte la malaria et où il rencontre Xi Xiao, un bourreau chinois originaire de la province de Guangdong (Canton) reconverti en maître tatoueur, qui devient son ami.

Le voyage est d’abord fluvial, Congo, Ubangui, Mbomou jusqu’à la source. Ensuite terrestre avec des porteurs Bantous. « L’Afrique était déjà mutilée, mais il fallait décider, tracer et enregistrer chaque kilomètre de frontière afin d’apaiser les tensions territoriales dont les voisins français et britanniques souhaitaient profiter pour envenimer une situation à leur avantage. » (p. 39).

Dans cette Afrique bigarrée, il y a bien sûr des Noirs (de différentes ethnies), des Belges, des Français, des Britanniques, des Allemands (dont un fumier qui tire une balle dans la tête du chimpanzé qu’il avait adopté), mais aussi un capitaine de bateau polonais, Jósef Teodor Konrad Korzeniowski (qui a son rôle à jouer) et, on l’a déjà vu, le Chinois Xi Xiao, et aussi beaucoup d’animaux dont la majorité sont dangereux (mais pas plus que les humains finalement). Ce récit extraordinaire fait même croiser Baudelaire, Hugo, Verlaine (dans les souvenirs belges et français de Vanderdorpe avec Manon Blanche) avec plusieurs clins d’œil à la littérature de la fin de ce XIXe siècle.

Mais revenons à Pierre Claes. Abandonné par son père adoptif (l’homme qui a épousé sa mère), le jeune homme hait les Blancs au Congo, qui « ne valaient à ses yeux guère plus que des excroissances improbables de vie dans la chaleur africaine, polypes puants de Léopold II, agents vides de la cancérisation du monde moderne. La prolifération fiévreuse et stérile d’une Europe malade sur le reste de la planète. » (p. 86). Pourtant « Raciste, Pierre Claes l’était certainement, comme tout colonial de sa génération, mais sa haine se portait ailleurs que sur les Noirs. » (p. 105). D’ailleurs, j’ai apprécié son amitié avec Mpanzu, le mécanicien du Fleur de Bruges.

Ténèbre est un premier roman très réussi qui se lit d’une traite (sans vilain jeu de mots). C’est un roman historique et géographique bien construit, un roman de voyage bien documenté, un récit d’amour et de haine (parfois érotique), de passions et de drames. Un coup de cœur donc et j’ai également bien aimé les flashbacks et les passages oniriques mais « Ce monde était une abomination. » (p. 208). Le tout forme un roman puissant, violent, charnel, viscéral même (l’Afrique a été « découpée » et Xi Xiao découpe les corps et peut-être les âmes aussi). « Tout, autour d’eux, était devenu mort, peine et violence. » (p. 244). Paul Kawczak emmène ses lecteurs loin dans la ténèbre (暗黑).

Toutefois je voudrais revenir sur une phrase (je l’ai soulignée ci-dessous) qui m’a interpellée dès le début du roman (heureusement quand même que j’ai continué ma lecture !). « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc […]. » (p. 12). L’auteur pense ça, OK, c’est son droit mais je ne suis pas d’accord, je pense que les auteurs peuvent écrire sur le thème qui leur plaît et qui les intéresse. Par exemple, dans Cartographie de l’oubli de Niels Labuzan (un premier roman également), l’auteur français parle très bien de la colonisation allemande en Namibie et des populations noires (ce roman m’a passionnée et j’ai appris beaucoup de choses), pas besoin d’être Allemand ou Africain pour s’emparer de ce sujet ! En ce moment, il y a des polémiques sur qui a le droit de parler de tel pays ou de tel thème, qui a le droit de traduire, je trouve ça immonde, un auteur a le droit d’écrire sur ce qu’il veut et un traducteur qui maîtrise la langue qu’il doit traduire est approprié à traduire même s’il n’est pas de la même nationalité ou du même genre que l’auteur d’origine (et quand j’écris auteur et traducteur, je prends ça pour du neutre, ça inclut autrice et traductrice, et cette autre polémique me saoule aussi mais c’est une autre histoire !).

Bref, je ne peux vous conseiller qu’une chose : lisez Ténèbre de Paul Kawczak, un auteur que je vais suivre (d’ailleurs j’ai aimé tous les livres que j’ai lus publiés par La Peuplade, maison d’édition québécoise).

Pour le Challenge lecture 2021 (catégorie 38, un livre sur le thème du voyage, 2e billet) et À la découverte de l’Afrique.

Le secret de l’ivoire de Jacques Ortet et Arnold Berssenbrugge

Le secret de l’ivoire de Jacques Ortet et Arnold Berssenbrugge.

Bookelis (ou ici) en auto-édition, septembre 2020, 72 pages, 18 €, ISBN 979-10-359-2149-1.

Genre : bande dessinée franco-néerlandaise.

Jacques Ortet est le scénariste. Du même auteur : Les aventures de Jak et Bil au Kazakhstan – Le trésor de Gengis Khan (2018) : l’auteur a vécu 4 ans au Kazakhstan ; peut-être a-t-il vécu également au Gabon ? Je n’ai pas trouvé d’infos sur lui.

Arnold Berssenbrugge est un illustrateur, apparemment néerlandais. Plus d’infos sur son site, son Instagram, son Pinterest entre autres.

Jak et son oiseau Bil (un calao bicorne) sont dans l’avion pour le Gabon ; Jak vient faire un reportage photos. « […] le Gabon est un pays de l’or noir avec le pétrole et aussi de l’or vert avec l’industrie forestière » (p. 1). La faune et la flore sont très riches et il n’y a que deux millions d’habitants. Mais à la sortie de l’aéroport, Jak voit un homme se faire enlever puis à l’hôtel, c’est Bil qui est enlevé ! « J’aime bien le Gabon mais l’accueil est à revoir. » (Bil, p. 11).

C’est amusant : la façon dont la population utilise le mot « présentement » à tout bout de champ !

Quelle aventure ! Jak, Bil et Dinara (une amie retrouvée par hasard) vont mettre à jour un trafic international d’ivoire. « Résumons un peu, l’enlèvement de Bil, les bateaux avec les défenses d’éléphants, le message codé… » (p. 24).

Je ne suis pas fan des dessins, j’ai l’impression qu’ils sont faits à l’ordinateur, ils sont… trop lisses, je préfère les vrais dessins dessinés à l’ancienne, mais l’histoire vaut le coup parce que le lecteur découvre le Gabon (voir la carte du périple ci-dessous) et l’auteur en profite pour dénoncer les trafics animaliers. « En fait, ce sont les acheteurs d’ivoire eux-mêmes qui exterminent ces animaux… Si personne n’achetait d’ivoire, on ne tuerait pas ces créatures… » (p. 53).

Action et suspense sont au rendez-vous dans cette BD réalisée comme un thriller, un road movie même ; dépaysement aussi bien sûr ; et un trait d’humour et de jeux de mots, par exemple un scientifique s’appelle Justin Peuh Zinzin (p. 25).

Apparemment la prochaine aventure se déroulera en Écosse. « Alors, à bientôt en Écosse ? » (p. 59).

Les dernières pages donnent la carte du Gabon (quel périple !) et des « photos » souvenirs du voyage.

Pour À la découverte de l’AfriqueAnimaux du monde #3 (Bil, le calao bicorne, et les animaux du Gabon, hippopotames, crocodiles, antilopes, singes…), BD, Challenge du confinement (case BD), Jeunesse Young Adult #10 et Polar et thriller 2020-2021.