Avant que le monde ne se ferme d’Alain Mascaro

Avant que le monde ne se ferme d’Alain Mascaro.

Autrement, collection Littératures, août 2021, 256 pages, 17,90 €, ISBN 978-2-74676-089-9.

Genres : littérature française, premier roman, Histoire.

Alain Mascaro naît le 23 avril 1964 à Clermont-Ferrand en Auvergne. Professeur de lettres (à Vichy dit l’éditeur), il se met en disponibilité pour voyager avec sa compagne en Asie centrale (Kirghizstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran partiellement) et en Asie (Népal, Inde, Birmanie, Cambodge, Thaïlande). Le couple étant bloqué en Thaïlande durant la pandémie, l’auteur déjà récompensé pour ses nouvelles en profite pour écrire son premier roman (2020), Avant que le monde ne se ferme, qu’il retravaille en Patagonie chilienne (2021). Avant que le monde ne se ferme est le lauréat du Festival du premier roman de Chambéry en mai 2022. Plus d’infos sur son site officiel et sur son site de voyage.

Steppe de Kirghizie. Le jour où son père Johann meurt, Svetan apprend qu’il va devenir père. « C’était si étrange de connaître la douleur, la tristesse et la joie en même temps ! » (p. 11). Son épouse, Smirna, met au monde leur premier fils, Anton Torvath. Smirna « était simplement belle. Elle ouvrait les bras et son fils Anton venait s’y blottir, et plus tard ses frères avec lui, et les enfants des autres, et Svetan évidemment, et en rêve tous ceux qui auraient bien aimé […]. Les bras de Smirna étaient un havre, une citadelle, on y oubliait les chagrins et le reste du monde. » (p. 16).

Les Torvath, des nomades d’Asie centrale, sont « une toute petite kumpania, un tout petit cirque, mais ils étaient renommés. » (p. 17) ainsi ils vadrouillent des plus petits villages aux plus grandes villes et sont considérés comme « L’aristocratie tzigane » (p. 17) mais le cirque est en déclin…

Quatre ans après la mort de Johann, la kumpania est à Voronej en Russie devenue Union soviétique et Svetan comprend que le monde a changé… « il ne comprenait pas en quoi exactement. Il y avait davantage d’uniformes, la police était plus brutale et méfiante, on croisait beaucoup de militaires et parfois de longues files de civils aux yeux éteints […]. » (p. 22).

Lorsqu’il a sept ans, Anton a un accident de trapèze… Il reste trois jours et trois nuits inconscients et, à son réveil, il est surpris d’être un enfant. Il va devenir Moriny Akh (un nom secret donné par une fillette mongole inconnue), surtout il va devenir dresseur de chevaux (comme l’avait prédit son père) et il va être très doué pour les langues des gadgé. « […] le russe, l’allemand, le polonais et le hongrois. Il avait aussi appris à lire en plusieurs langues on ne savait comment : il déchiffrait les caractères cyrilliques aussi bien que les romains. (p. 29-30).

Découvrez Svetan et Smirna, Anton, Tchavo et Lyuba, Boti et Keš, Gugu et Mala, Gabor et Nina, leurs enfants, et Simza, la mère de Svetan trop âgée pour travailler, tous Torvath ou Kalderash, et surtout Jag, « un Wajs errant loin des siens » (p. 34) et aussi Katia, une orpheline polonaise adoptée par Smirna qui a eu trois fils et qui voulait une fille. Voyagez avec eux et vivez les bouleversements en traversant une première moitié de XXe siècle de fureur (sans jeu de mot !, j’aurais pu mettre de terreur). Mais écoutez aussi les contes tziganes venus de loin (d’Inde et de tant d’autres pays) et les histoires que Devel (Dieu) a donné aux Fils du vent (les tziganes).

Jag est très important dans la vie d’Anton, il lui enseigne la musique, lui raconte des histoires, il le considère comme « le fils qu’il n’avait jamais eu, et surtout quelqu’un à qui parler. Il lui ouvrit les portes de sa bibliothèque, lui apprit les rudiments de médecine, notamment à diagnostiquer et soigner les maladies les plus courantes, lui enseigna les mathématiques, l’herboristerie, l’art de poser des collets, et surtout celui de connaître et reconnaître les hommes. » (p. 35-36). Vous l’aurez compris, Anton aura un destin exceptionnel ! Une nuit où la troupe est à Vienne en Autriche, Jag annonce qu’en Allemagne, depuis deux ans, « les mariages avec les gadgé sont interdits et on enferme les Sinté et les Roms dans des camps. […]. » (p. 45) alors, il laisse sa roulotte et ses livres à Anton et quitte la kumpania avec son baluchon et son précieux violon. « Le lendemain, Adolf Hitler entrait triomphalement dans Vienne. » (p. 46). Cela va devenir de plus en plus difficile pour la troupe (et pour tous les tziganes) et, une nuit où Anton était parti nourrir Cimarrón, sa jument qu’il a cachée dans les bois pour que les soldats ne la volent pas, il va se retrouver seul… et perdre aussi sa jument réquisitionnée par un Allemand. « Il hurla à la face de l’arc-en-ciel apparu à la faveur du soleil naissant, lui jeta des pierres, pleura recroquevillé dans un buisson, finit par s’endormir en grelottant. Au réveil, il était midi et la terre avait bu toutes ses larmes. Il n’en avait plus, rien qu’une immense tristesse longue comme une traîne. » (p. 59).

Dans le ghetto juif de Łódź en Pologne, un quartier a été assigné aux tziganes et Anton retrouve les siens mais tous meurent du typhus ou abattus… « Il était le dernier. Fils, nous allons être engloutis. Sauve-toi et tu nous sauveras tous ! » (p. 73). Il tient le coup car il se lie avec un médecin juif, Simon Wertheimer, qui prend un peu le relai de Jag auprès du jeune homme, il lui prête des livres de médecine, de chirurgie, de religion, de mythes et de contes antiques, des romans, de la poésie et fait tout pour qu’Anton reste en vie, et Anton restera en vie car il est avant tout libre et dresseur de chevaux.

Il y a de très belles phrases comme « Alors on contemplait le monde, tantôt en silence, tantôt en discourant, on s’arrêtait pour ramasser des champignons, des herbes ou des fruits, on inventait des histoires, on riait. » (p. 36). « Oui, mon garçon, voilà bien tout le drame des hommes : ils sont exactement comme les moutons. On leur fait croire à l’existence de loups et ceux qui sont censés les protéger sont en fait ceux qui les tondent et les tuent. » (p. 38, phrase prophétique à l’époque et encore d’actualité). « Jag aimait les mots. Il aimait leur histoire, il aimait leurs histoires. Il disait que les mots, comme les mots et les arbres, avaient des racines. » (p. 39, je pense qu’il ne connaissait pas l’étymologie mais il avait bien raison). « Ce sont tous des hommes, disait-il. Ils sont juste pris dans une effroyable machine à défaire la vie… » (Katok, prisonnier grec, p. 109). « […] il faut profaner le malheur. Le malheur ne mérite pas qu’on le respecte, souviens-t’en… » (Jag, p. 208).

Comme vous le voyez, ce roman est un voyage (Asie centrale, Europe, États-Unis, Inde, mais pas que géographique, aussi un voyage initiatique), une grande aventure, autant humaine que poétique et philosophique, qui m’a beaucoup émue. Et, lorsque tout est réuni, la beauté de l’écriture, l’histoire, les personnages, l’émotion qui jaillit du récit, c’est un coup de cœur assuré. Bien sûr, il y a l’horreur aussi, les déportations, les meurtres de sang froid, les camps, et j’en ai déjà lu des livres et des témoignages depuis l’adolescence, et j’ai vu aussi des photos, des films, mais c’est toujours aussi éprouvant et l’auteur s’est bien documenté sur les camps, les ghettos, les usines, les exactions, c’est poignant.

« L’onde de choc de la Seconde Guerre mondiale n’en finissait pas d’agiter la planète : on redistribuait les cartes, certains trichaient ; on dessinait ou redessinait des États, et là encore certains trichaient ; des peuples aspiraient à l’autonomie, d’autres étaient malgré eux tombés sous le joug d’un ogre plus fort qu’eux. Un nouveau monde était en train de naître, et l’on ne savait s’il apporterait enfin bonheur et liberté ou de nouvelles formes de malheurs et de sujétions encore plus sournoises. » (p. 153). Nous savons maintenant et, plus de 75 ans après, nous subissons encore les conséquences de ces ‘redistributions’.

Une erreur : « Ordres, contre-ordres, c’était l’affolement. Les SS finirent par abonner le camp à la garde de pompiers et de policiers autrichiens. » (p. 135), je pense que l’auteur voulait écrire abandonner le camp.

Ils l’ont lu : Audrey de Lire & vous, Cannetille, Eva de Tu vas t’abîmer les yeux, Guy Donikian sur La cause littéraire, Joëlle, Julie de la librairie Le pavé dans la marge, Kimamori, Kitty la Mouette, Luocine, Marie de En faits, La page qui marque, et… Dalie Farah (elle aussi prof et autrice que j’avais rencontrée avec grand plaisir).

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 36, un livre coup de cœur, 3e billet), Challenge de l’été – Tour du monde (Kirghizie), Challenge lecture 2022 (catégorie 52, un livre qui a gagné un prix littéraire, et bien mérité !), L’été lisons l’Asie (une partie du roman se passe en Asie centrale, en Kirghizie plus particulièrement) en honorant deux menus (Menu Fil rouge = tour de l’Asie – on va en Mongolie et en Inde – et Menu d’août = imaginons l’Asie avec ici les traditions des nomades tziganes, l’art du cirque et du dressage des chevaux, Petit Bac 2022 (catégorie Verbe avec Ferme, 4e billet), Shiny Summer Challenge 2022 (menu 1 – Été ensoleillé, sous menu 2 – Un carré jaune sur un océan bleu = couverture ensoleillée prédominance de jaune ou bleu).

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Challenge L’été, lisons l’Asie

Quatrième édition pour ce challenge L’été, lisons l’Asie organisé par Eva mais que je découvre tout récemment ! Toutes les infos sur le groupe FB L’été, lisons l’Asie ! que j’ai demandé à rejoindre. Eva est très présente sur les réseaux alors il y a aussi un compte Instagram purrfectbooks, une chaîne YT Purrfect Books, une chaîne Twitch, un groupe de partage sur Discord, pour ceux que ça intéresse.

Le challenge L’été, lisons l’Asie se déroule du 1er juin au 30 septembre 2022 (les livres lus dès le 1er juin sont acceptés). L’objectif est de lire des livres (romans, nouvelles, théâtre, essais, bandes dessinées…) écrits par des auteurs / autrices asiatiques ou d’origine asiatique (origines connues et représentatives) ou des livres dont l’action principale se déroule en Asie. Pour les items, menus ‘fil rouge’, menus mensuels, tout ça, je vous laisse consulter les infos sur le groupe FB ou un des autres liens d’Eva (je me suis tout de même noté quelques trucs ci-dessous).

MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE = lire un livre se passant dans l’un de ces pays ou écrit par un auteur / une autrice d’un de ces pays : Afghanistan, Corée du Sud, Inde, Iran, Liban, Mongolie, Turquie, Vietnam

MENU FIL ROUGE : AUTEURS / AUTRICES D’ASIE = lire un livre écrit par l’un de ces auteurs / l’une de ces autrices : Sawako Ariyoshi, Liu Cixin, Nadia Hashimi, Yukio Mishima, Haruki ou Ryû Murakami, Ito ou Yôko Ogawa, Salman Rushdie, Elif Shafak

MENU FIL ROUGE : JAPON = lire des livres écrits par un auteur / une autrice japonais(e) ou se déroulant au Japon : un polar japonais, un manga, un livre avec un chat ou une carpe koï sur la couverture, un titre qui contient un mot ou un nom japonais, un livre évoquant les relations entre le Japon et un autre pays, un livre avec une catastrophe naturelle, un livre sur un phénomène violent typiquement japonais (yakuzas, ijime, suicide pour l’honneur…), un livre qui se passe au sein d’un foyer japonais

MENU DE JUIN : VISAGES D’ASIE = lire un thriller ou roman noir, un livre sur un sujet tabou (érotisme, travail des enfants, prostitution, LGBT+…), un titre ou une couverture évoquant les 5 sens, une analyse de la société

MENU DE JUILLET : PAYSAGES D’ASIE = lire un livre avec un mot évoquant la nature dans le titre, un titre ou une couverture évoquant l’un des quatre éléments, un récit initiatique ou roman d’apprentissage, un livre qui fait voyager dans un pays

MENU D’AOÛT : IMAGINONS L’ASIE = lire un livre évoquant un mythe ou une légende, un recueil de poésies ou de nouvelles, un livre SFFF, un roman graphique ou un livre évoquant l’art (ou un art en particulier : musique, arts martiaux, arts picturaux, cérémonie du thé…)

MENU DE SEPTEMBRE : MÉMOIRES D’ASIE = lire un livre historique, une saga familiale, un livre avec un vêtement traditionnel sur la couverture, une biographie ou un témoignage

Pour info, il y a 47 pays sur le continent asiatique et les voici par ordre alphabétique : Afghanistan, Arabie Saoudite, Arménie, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Brunei, Cambodge, Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Émirats Arabes Unis, Géorgie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Israël, Japon, Jordanie, Kazakhstan, Kirghizistan, Koweït, Laos, Liban, Malaisie, Maldives, Mongolie, Népal, Oman, Ouzbékistan, Palestine, Pakistan, Philippines, Qatar, Singapour, Sri Lanka, Syrie, Tadjikistan, Thaïlande, Timor Oriental, Turkménistan, Turquie, Viêt Nam, Yémen.

Mes lectures asiatiques pour ce challenge

1. Voyage en Iran – En attendant l’imam caché de Nedim Gürsel (Actes Sud, 2022, Turquie), auteur turc mais le voyage se déroule en Iran – > MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE (Iran, Turquie)

2. Secrets of Magical Stones 1 de Marimuu (Dupuis Vega, 2021, Japon), manga, 1er tome d’une trilogie – > MENU FIL ROUGE : JAPON

3. Sky Hawk de Jirô Taniguchi (Casterman, 2009, Japon), manga, one-shot – > MENU FIL ROUGE : JAPON, menu de juillet = nature, récit initiatique, roman d’apprentissage, c’est l’histoire de deux Japonais exilés fin XIXe siècle aux États-Unis, recueillis par une tribu indienne et donc qui vivent en pleine nature et avec la nature dans un récit initiatique et d’apprentissage aussi bien pour les deux Japonais que pour les Indiens (qui vont apprendre le jujitsu)

4. La voie du tablier (tomes 1 à 4) de Kôsuke Oono (Kana, 2019-2020, Japon), manga, 4 tomes – > MENU FIL ROUGE : JAPON, menu de juillet = Paysages d’Asie, lire un livre avec un mot évoquant la nature dans le titre, un titre ou une couverture évoquant l’un des quatre éléments, un récit initiatique ou roman d’apprentissage, ici, au lieu du gokudô, la voie extrême, le code d’honneur des yakuzas, c’est la voie du tablier, le récit initiatique d’un homme au foyer

5. La voie du tablier (tomes 5 à 7) de Kôsuke Oono (Kana, 2021, Japon) manga, 4 tomes – > MENU FIL ROUGE : JAPON, menu de juillet = Paysages d’Asie (voir ci-dessus)

6. Avant que le monde ne se ferme d’Alain Mascaro (Autrement, 2021, France), une partie du roman se passe en Asie centrale, en Kirghizie plus particulièrement et honore deux menus – > MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE = on va aussi en Mongolie et en Inde et Menu d’août = imaginons l’Asie avec ici les traditions des nomades tziganes en Asie centrale, l’art du cirque et du dressage des chevaux

7. Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran (Decrescenzo, 2015, Corée du Sud), MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE avec la Corée du Sud et Menu d’août = imaginons l’Asie avec ici un recueil de 4 nouvelles

8. L’extraordinaire voyage du chat de Mossoul raconté par lui-même d’Élise Fontenaille et Sandrine Thommen (Gallimard Jeunesse, 2018, France), MENU DE SEPTEMBRE : MÉMOIRES D’ASIE = lire un livre historique, une saga familiale, un livre avec un vêtement traditionnel sur la couverture, une biographie ou un témoignage – > ici c’est à la fois une histoire vraie, une histoire familiale, une biographie de Habibi et son témoignage

Dans les eaux du lac interdit de Hamid Ismaïlov

EauxLacInterditDans les eaux du lac interdit de Hamid Ismaïlov.

Denoël, mai 2015, 126 pages, 12 €, ISBN 978-2-207-12592-2. Yerzhan (2011) devenu The Dead Lake (2014) est traduit de l’anglais par Héloïse Esquié.

Genre : littérature ouzbèke.

Hamid Ismaïlov naît le 5 mai 1954 à Tokmok au Kirghizstan mais il est Ouzbek. Expulsé d’Ouzbekistan au début des années 90 à cause de ses idées trop démocratiques, il s’exile avec sa famille en Russie, puis en France, en Allemagne et enfin en Angleterre. Il dirige maintenant à Londres le service Asie centrale de la BBC. Il est journaliste et écrivain (romans, poésie, contes). Plus d’infos sur son site officiel, http://www.hamidismailov.com/.

Un voyageur traverse « les steppes immenses du Kazakhstan en train » (p. 7). Après quelques jours de voyage, un garçon qui semble avoir douze ans monte dans le train et joue du Brahms au violon. Malgré sa petite taille, le garçon a en fait vingt-sept ans. Il s’appelle Yerzhan, il est né à Kara-Shagan dans l’est du Kazakhstan et à vécu – avec sa mère devenue mutique – près de la gare où son grand-père, Pépé Daulet, était cheminot. Yerzhan va raconter sa vie, les légendes racontées par Mémé Ulbarsyn et leur voisine, Mémé Sholpan. Yerzhan joue de la dombra depuis l’âge de trois ans et du violon depuis l’âge de quatre ans, il sait lire et écrire, il a même appris le russe et le bulgare ; il aurait pu être un génie ! Mais, pas loin de chez eux, il y a la Zone et un jour, il s’est baigné dans les eaux vertes du lac mort. « C’était un lac magnifique qui s’était formé après l’explosion d’une bombe atomique. Un lac de conte de fées, au beau milieu de la steppe plane et régulière, une étendue d’eau vert émeraude où se reflétaient les rares nuages égarés. Ni mouvement, ni vagues, ni rides, ni tremblement – rien qu’une surface luisante, vert bouteille, habillée seulement du reflet prudent des visages des garçons et des filles qui se penchaient pour voir le fond depuis la rive. » (p. 67). Et Yerzhan va devenir différent… « Il avait arrêté de grandir. » (p. 74).

AsieCentraleAttention, l’auteur est né au Kirghizstan mais il est Ouzbek et le train de ce roman roule au Kazakhstan. Ces trois pays sont en Asie centrale (sur la carte ci-contre, vous pouvez les repérer en orange clair, violet et vert). « Pour quelqu’un qui n’a jamais vécu dans la steppe, il est difficile de comprendre comment il est possible de survivre au milieu d’un tel désert. Mais ceux qui y vivent depuis des générations savent que la steppe est riche et changeante. Que le ciel au-dessus est multicolore. Que l’air tout autour est fluide. Que la végétation est variée. Que les animaux qui la parcourent et la survolent sont innombrables. » (p. 45-46).

L’enfance de Yerzhan, c’est la voie ferrée, la steppe, les chevaux, les chameaux, le violon, les oncles ivres, et puis les explosions, les ruines et les nuages… « Des nuages de plomb […] Des nuages creux, que ni le tonnerre ni les éclairs ne venaient traverser » (p. 28). À cette époque, le credo soviétique était « Non seulement on va rattraper les Américains, mais on va les surpasser » et il fallait absolument être prêts pour la troisième guerre mondiale. En fait, une grande partie de l’Asie centrale a été utilisée pour des essais nucléaires : près de 500… Les humains, les animaux, la végétation, l’eau, le sol, tout a été pollué, pire : irradié… Comment raconter l’indicible ? Comment dire l’impensable ? « Quels mots peuvent transmettre la mélancolie profonde du soir dans la steppe traversée par un train solitaire ? » (p. 91). C’est avec beaucoup de poésie et de tendresse que Hamid Ismaïlov livre ce conte moderne, un conte cruel et bien triste, un conte dans lequel la princesse, Aisulu, est séparée de son prince charmant, un enfant contraint de rester enfant… Je comprends bien pourquoi les auteurs de science-fiction soviétiques, et russes maintenant, aiment écrire des histoires post-apocalyptiques (j’en ai lu quelques-unes, il faudra que je vous en parle).

RaconteMoiLAsieUne lecture pour le challenge Raconte-moi l’Asie que je vais proposer dans Lire le monde organisé par Sandrine (Yspaddaden) du blog Tête de lecture.