Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac

Illustration d’Alcide Théophile Robaudi (1847-1928)

Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac.

Nouvelle de 70 pages parue dans le journal La Presse en 1839 (le titre est alors Une princesse parisienne) avant d’être publiée dans le tome XI de La Comédie humaine en 1855 (nouvelle dédiée à Théophile Gautier). Cette Études de femmes fait partie des Scènes de la vie parisienne.

Genres : littérature française, nouvelle, classique.

Honoré de Balzac : je vous laisse consulter sa bio et mes précédentes lectures ici. LC (lecture commune) avec Maggie, Claudia et Rachel. J’en profite pour vous annoncer La Quinzaine balzacienne – organisée par les blogs La Barmaid aux lettres et Et si on bouquinait un peu – qui aura lieu du 15 au 30 juin 2023.

« Après les désastres de la Révolution de Juillet qui détruisit plusieurs fortunes aristocratiques soutenues par la Cour », la duchesse de Maufrigneuse, devenue princesse Diane de Cadignan (le nom de jeune fille de sa mère), s’est cloîtrée chez elle, un appartement avec un jardin et deux domestiques mais c’est une croqueuse d’hommes… et de leur fortune ! Elle a un fils de 19 ans, Georges de Maufrigneuse.

L’histoire commence en 1832, elle a 36 ans, elle a connu de nombreux hommes mais elle s’ouvre à l’unique amie qu’elle a gardée, la marquise d’Espard, lui avouant qu’elle n’a jamais connu un amour véritable. « À vous seule, j’oserai dire qu’ici je me suis sentie heureuse. J’étais blasée d’adorations, fatiguée sans plaisir, émue à la superficie sans que l’émotion me traversât le cœur. J’ai trouvé tous les hommes que j’ai connus petits, mesquins, superficiels ; aucun d’eux ne m’a causé la plus légère surprise, ils étaient sans innocence, sans grandeur, sans délicatesse. J’aurais voulu rencontrer quelqu’un qui m’eût imposé. » « Je suis poursuivie dans ma retraite par un regret affreux : je me suis amusée, mais je n’ai pas aimé. » « Enfin, nous voilà, répondit avec une grâce coquette madame d’Espard qui fit un charmant geste d’innocence instruite, et nous sommes, il me semble, encore assez vivantes pour prendre une revanche. »

« Ah ! je voudrais cependant bien ne pas quitter ce monde sans avoir connu les plaisirs du véritable amour, s’écria la princesse. » Alors la marquise d’Espard décide de lui présenter Daniel d’Arthez. « Daniel d’Arthez, un des hommes rares qui de nos jours unissent un beau caractère à un beau talent, avait obtenu déjà non pas toute la popularité que devaient lui mériter ses œuvres, mais une estime respectueuse à laquelle les âmes choisies ne pouvaient rien ajouter. Sa réputation grandira certes encore, mais elle avait alors atteint tout son développement aux yeux des connaisseurs : il est de ces auteurs qui, tôt ou tard, sont mis à leur vraie place, et qui n’en changent plus. Gentilhomme pauvre, il avait compris son époque en demandant tout à une illustration personnelle. »

Daniel d’Arthez fera-t-il l’affaire de la princesse de Cadignan ? « Ce qui m’a manqué jusqu’à présent, c’était un homme d’esprit à jouer. Je n’ai eu que des partenaires et jamais d’adversaires. L’amour était un jeu au lieu d’être un combat. » La marquise d’Espard organise donc la rencontre et les lecteurs vont retrouver quelques personnages de la Comédie humaine (Michel Chrestien qui fut éperdument amoureux de la princesse est mort mais on parle de lui). « Cette soirée était donnée pour cinq personnes : Émile Blondet et madame de Montcornet, Daniel d’Arthez, Rastignac et la princesse de Cadignan. En comptant la maîtresse de la maison, il se trouvait autant d’hommes que de femmes. » ou de la parité chez Balzac 😉

Malgré les manipulations et les mensonges de la princesse de Cadignan, le baron d’Arthez – qui est plus jeune qu’elle – l’aime passionnément et prend sa défense. Il la considère comme une femme libre, au caractère fort, élégante, moderne (alors que le rôle des femmes était plus que minime… Se marier, avoir des enfants, être discrètes…). « Les femmes savent donner à leurs paroles une sainteté particulière, elles leur communiquent je ne sais quoi de vibrant qui étend le sens des idées et leur prête de la profondeur ; si plus tard leur auditeur charmé ne se rend pas compte de ce qu’elles ont dit, le but a été complètement atteint, ce qui est le propre de l’éloquence. […] Ainsi la princesse avait aux yeux de d’Arthez un grand charme, elle était entourée d’une auréole de poésie. » Elle profite de sa naïveté et le prend dans ses filets, « dans les lianes inextricables d’un roman préparé de longue main ». J’ai tout aimé dans cette histoire en particulier les moments où d’Arthez, complètement sous le charme, fait sa cour à la princesse et la chute.

Balzac, très fier de cette œuvre, écrivait à madame Hańska : « C’est la plus grande comédie morale qui existe » et, comme pour se moquer de ses lecteurs (un peu trop curieux de tout savoir), termine par une géniale pirouette, tout le talent de Balzac. Un amour peut-il être véritable et heureux s’il est né de manipulations, séductions et mensonges ?

À noter que Les secrets de la princesse de Cadignan a été adaptée par Jacques Deray en 1982 avec Claudine Augier (Diane de Cadignan), Marina Vlady (marquise d’Espard), Françoise Christophe (comtesse de Montcornet), François Marthouret (Daniel d’Arthez), Pierre Arditi (Émile Blondet) et Niels Arestrup (Rastignac).

Pour 2023 sera classique, ABC illimité (lettre H pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 15, une relique de ma PàL, tous les Balzac que je n’ai pas encore lus sont des reliques de ma PàL puisque je les ai depuis les années 1980), Challenge lecture 2023 (catégorie 18, une lecture commune, avec Maggie et Rachel) et Les départements français en lecture (Balzac est né à Tours en Indre et Loire).

Gobseck d’Honoré de Balzac

Pour le challenge Les classiques c’est fantastique !, le thème d’octobre est Balzac vs Flaubert. Il est possible de lire soit l’un des auteurs soit les deux, trois possibilités donc. Ayant chez moi l’intégrale de Balzac et l’intégrale de Flaubert, j’ai décidé de lire un titre de chacun mais ces deux titres ne pouvaient pas être trop longs sinon je n’aurais pas eu le temps et de les lire et de rédiger les billets. J’ai choisi un des trois contes, Un cœur simple de Gustave Flaubert (ma note de lecture est publiée d’hier) et Gobseck d’Honoré de Balzac.

Gobseck d’Honoré de Balzac

in Scènes de la vie privée de La Comédie humaine. Vous pouvez lire librement Gobseck sur Wikisource. Il existe quelques versions papier comme celles de Flammarion, Folio classique ou Nathan, entre 100 et 150 pages, dans les 5 €.

Genres : littérature française, nouvelle.

Honoré de Balzac naît le 20 mai 1799 à Tours (Touraine). Romancier, dramaturge, journaliste, critique littéraire, imprimeur, cofondateur de la Société des gens de lettres (en 1837), il est plus spécialement connu pour sa Comédie humaine (près de 100 romans et nouvelles) dans laquelle il analyse ses contemporains (bourgeoisie, commerçants, ouvriers, petites gens…) et la montée du capitalisme, plutôt dans le genre réaliste mais en abordant aussi parfois les côtés philosophique, poétique et même fantastique. Il inspire entre autres Gustave Flaubert (parallèles entre L’éducation sentimentale et Le lys dans la vallée ou entre Madame Bovary et Une femme de trente ans), Marcel Proust et Émile Zola. Il dévore les livres depuis l’enfance et étudie le Droit puis se consacre à la littérature. Il y a tant d’autres choses à dire sur Balzac mais je vous laisse les découvrir dans la biographie Honoré de Balzac, le roman de sa vie de Stefan Zweig ou ailleurs. Il meurt le 18 août 1850 à Paris. En février 2010, j’avais publié une note de lecture de La maison du Chat-qui pelote (pour un autre challenge concernant les classiques).

Balzac écrit Gobseck en 1830 ; cette nouvelle est publiée en mars 1830 dans le journal La Mode en une ébauche ayant pour titre L’usurier puis en août 1830 dans le journal Le voleur avant d’être publiée fin 1830 sous le titre Les dangers de l’inconduite. Republiée en 1835 sous le titre Papa Gobseck, elle devient définitivement Gobseck en 1842 lors de la première édition de La Comédie humaine.

Hiver, fin 1829. Salon de la vicomtesse de Grandlieu qui converse avec un ami, maître Derville, jeune avocat : sa fille Camille de Grandlieu, 17 ans, est amoureuse d’Ernest de Restaud, le fils d’Anastasie de Restaud née Goriot, et cela ne lui plaît pas du tout car la mère du jeune homme est dépensière et a un amant. Mais Ernest de Restaud héritera de la fortune familiale, explique Derville.

Un extrait de la description de l’usurier par Derville (Jean-Esther Van Gobseck était un de ses voisins) : « Saisirez-vous bien cette figure pâle et blafarde […] face lunaire, elle ressemblait à du vermeil dédoré ? Les cheveux de mon usurier étaient plats, soigneusement peignés et d’un gris cendré. Les traits de son visage impassible […] paraissaient avoir été coulés en bronze. Jaunes comme ceux d’une fouine, ses petits yeux n’avaient presque point de cils et craignaient la lumière […]. Son nez pointu était si grêlé dans le bout que vous l’eussiez comparé à une vrille. Il avait les lèvres minces […]. Cet homme parlait bas, d’un ton doux, et ne s’emportait jamais. Son âge était un problème : on ne pouvait pas savoir s’il était vieux avant le temps, ou s’il avait ménagé sa jeunesse afin qu’elle lui servît toujours. Tout était propre et râpé dans sa chambre […]. » (p. 147-148). Balzac exagère pour faire rire ses contemporains ; de mon côté j’ai du mal à imaginer cet homme…

Mais Gobseck a des avis bien à lui : « Le bonheur consiste alors dans l’exercice de nos facultés appliquées à des réalités. Hors ces deux préceptes, tout est faux. Mes principes ont variés comme ceux des hommes, j’en ai dû changer à chaque latitude. Ce que l’Europe admire, l’Asie le punit. Ce qui est un vice à Paris, est une nécessité quand on a passé les Açores. Rien n’est fixe ici bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant les climats. Pour qui s’est jeté forcément dans tous les moules sociaux, les convictions et les morales ne sont plus que des mots sans valeur. Reste en nous le seul sentiment vrai que la nature y ait mis : l’instinct de notre conservation. » (p. 153). Gobseck a-t-il raison ? En partie raison ? Tort ? Ce serait un beau sujet de philosophie auquel je ne vais pas m’atteler ici et maintenant.

En tout cas, Derville a toute une histoire à raconter mais au final, « À qui toutes ces richesses iront-elles ?… » (p. 210).

Dans Gobseck, Balzac crée un nouveau personnage encore inconnu, celui de l’usurier, et critique fortement son avarice. Le personnage de Gobseck réapparaît dans d’autres titres de La Comédie humaine sous forme d’évocation ; ainsi que maître Derville, le jeune avocat, ami de madame de Grandlieu en tant qu’homme de robe honnête : Le colonel Chabert, César Birotteau, Une ténébreuse affaire, Le père Goriot, Splendeurs et misères des courtisanes entre autres.

Balzac est à fond dans le détail, le réalisme et il durcit même le trait pour délivrer une trame dramatique à la limite de la violence. C’est qu’il veut faire comprendre les écueils de la vie aux jeunes femmes de bonnes familles afin qu’elles ne se perdent pas (soit elles-mêmes soit avec de mauvais hommes qui dilapideraient leur honneur et leur fortune). La nouvelle a d’ailleurs porté le titre Les dangers de l’inconduite avant d’être rebaptisée Gobseck dans les Scènes de la vie privée de La Comédie humaine. Gobseck est considéré comme le premier chef-d’œuvre de Balzac ; c’est en écrivant cette histoire que l’auteur a cette idée (qu’il qualifie de géniale) de faire circuler ses personnages dans La Comédie humaine avec le talent que le lecteur connaît et apprécie.

Il est surprenant de constater que ce titre de Balzac est adapté au cinéma uniquement par les Russes (époque soviétique) : Гобсек, deux fois même ! La première fois par Konstantin Eggert en 1936 et ensuite par Alexandre Orlov en 1987. Mais je n’ai vu aucun de ces films.

En plus du challenge Les classiques c’est fantastique, je mets cette lecture dans Cette année, je (re)lis des classiques #3.

La maison du Chat-qui-pelote d’Honoré de Balzac

[Article archivé]

Avec tous ces nouveaux défis et challenges, j’ai failli oublier ma lecture de février pour J’aime les classiques.

La maison du Chat-qui-pelote est un roman qu’Honoré de Balzac a écrit en 1829 et qui est paru en 1830.

Je l’ai lu dans une intégrale mais vous avez le choix entre plusieurs éditions :
Folio Classique, février 1983
Garnier-Flammarion, Littérature française, janvier 1993
Garnier-Flammarion, Étonnants classiques, novembre 1998
Le Livre de Poche, Classiques, avril 1999
La Bibliothèque Gallimard, mai 2004
in La Pléiade : La comédie humaine, tome 1, Études de mœurs : scènes de la vie privée, janvier 2001
in Omnibus : La comédie humaine, tome 1, décembre 2006
Entre 100 et 120 pages selon les éditions.
CD Audio : Livraphone, février 2003

Vous souhaitez lire cette nouvelle en ligne ? Elle est disponible sur Wikisource.

Rue Saint-Denis, la maison du Chat-qui pelote : au rez-de-chaussée, le commerce et à l’étage, la maison où habite Monsieur Guillaume le marchand-drapier, son épouse née Chevrel, leurs deux filles et les apprentis.

Le mode de vie : austère malgré l’aisance financière et… religieux, le dimanche matin.

Les deux filles : l’aînée Virginie aime en secret Joseph Lebas, le premier apprenti de son père, et la cadette Augustine est tombée amoureuse de Théodore de Sommervieux, un jeune peintre rencontré au musée, la seule fois où elle est sortie avec sa tante.

Le père ne voudrait pas que sa fille épouse un artiste, genre d’hommes qu’il juge instable et dépensier, mais il se laisse quelque peu attendrir par sa fille, et voit aussi le fait que le jeune peintre né aristocrate possède de la fortune.

Évidemment l’histoire va mal se finir…

Cette étude de mœurs, à la fois roman (court), nouvelle (longue) et fable moralisatrice, qui ouvre La comédie humaine, est idéale pour découvrir le quartier de Saint-Denis et la vie des commerçants du début du XIXe siècle.

Balzac décrit tout de façon minutieuse, le quartier, l’enseigne et la maison de l’extérieur, puis l’intérieur, ensuite les personnages, le père, la mère, les filles, le jeune homme qui observe depuis le trottoir d’en face. Ces longues descriptions déplaisent aux lecteurs qui n’apprécient pas cet auteur, mais j’aime beaucoup justement la beauté et le détail de ces descriptions.

Balzac se moque aussi de ses personnages, gentiment et habilement, leurs disgrâces physiques, leur façon étriquée de voir les choses, le fait de ne pas profiter de leur argent pour vivre bien, leur manque de culture, d’esprit et de conversation.

Un autre qui dépeint son époque et les gens qui la vivent, c’est Maupassant que j’aime aussi beaucoup (peut-être une prochaine lecture pour le challenge).

Une excellente adaptation cinématographique a été réalisée en 2009 par Jean-Claude Verhaeghe dans le cadre de la collection Au siècle de Maupassant : Contes et nouvelles du XIXe siècle, et diffusée en mars sur France 2.

Je vais vous dire une chose, je n’avais pas lu Balzac depuis… une quinzaine d’années ! Ça fait du bien de relire les classiques !