Monsieur Han de Hwang Sok-Yong

Monsieur Han de Hwang Sok-Yong.

Zulma, janvier 2017, 144 pages, 9,95 €, ISBN 978-2-84304-786-2. Je l’ai lu en poche : 10/18 (plus au catalogue), collection Domaine étranger, n° 3724, août 2004, 128 pages, 9,99 €, ISBN 2-264-03987-6. 한씨 연대기 (Hanssi yeondaegi, 1970) est traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.

Genres : littérature coréenne, roman, Histoire.

Hwang Sok-Yong naît le 4 janvier 1943 à Zhangchun, dans une famille coréenne exilée en Mandchourie (occupée par les Japonais). Il étudie la philosophie à l’université Dongguk (Séoul). Il se rend à Pyongyang, se bat au Sud Viêt-Nam, voyage en Allemagne, aux États-Unis puis retourne à Séoul en 1993 où il est emprisonné. Il est romancier et nouvelliste (une dizaine de ses œuvres est traduite en français).

Lecture commune avec Maggie, entre autres, mais j’avais oublié…

Le vieux Han vit seul dans une chambre au deuxième étage d’une maison et il aide un peu le croque-mort mais un soir il tombe dans les escaliers en rentrant et les voisins doivent l’aider car il est dans un état grave. Madame Min aimerait, après sa mort, récupérer la chambre. Chambre que madame Byon veut aussi. « Les Byon vont pas être contents… J’ai pourtant pas envie de me les mettre à dos en ce moment. Va falloir négocier sans les fâcher… Tout ça pour une chambre minuscule ! » (le mari de madame Min, p. 24).

Flashback. Han Yongdok exerce à l’hôpital et il est professeur de gynécologie à l’hôpital universitaire de Pyongyang. Il n’est pas mobilisé mais il est tout de même inquiet… « Il vivait dans l’angoisse de perdre son poste et d’être remplacé par quelque jeune loup solidement endoctriné, à la tête bourrée de certitudes. » (p. 31). Finalement, avec deux collègues, il est nommé à l’Hôpital du Peuple. « Tâchez de vous rendre utiles au Parti, rachetez vos fautes par le travail. […] Consacrez-vous au salut du peuple. » (p. 35). Mais l’hôpital bombardé est en partie détruit et « Les quelques médecins qui travaillaient là devaient soigner des malades par milliers, sans médicaments, sans matériel. » (p. 36). C’est que « Le pays était ravagé. » (p. 51).

Malheureusement, lorsque Han passe au sud, il doit abandonner sa famille, sa vieille mère, son épouse, leur fils et leur fille. À Séoul, il est considéré comme un espion, abusé par deux faux médecins qui ont besoin de s’associer avec lui pour légitimer leur clinique, etc. Il est finalement arrêté sur dénonciation mensongère et transféré à la prison de Séoul. Han Songsuk, sa sœur qui est veuve et qui élève seule ses enfants, fera tout son possible pour le faire innocenter et libérer mais elle est, comme son frère, confrontée à une dure réalité.

Monsieur Han paraît d’abord en feuilleton en 1970 puis est édité en 1972. L’auteur – qui se qualifie de « réaliste idéaliste » – l’imagine plus comme une chronique que comme un roman « afin de souligner l’authenticité des faits décrits » (préface, p. 5). L’auteur raconte tout, avec précision mais en peu de mots, la division nord sud, la guerre, les gens déracinés dans leur propre pays, les suspicions d’espionnage vis-à-vis des réfugiés du nord au sud… Tout cela est tragique. Hwang Sok-Yong décrit bien ses personnages et les situations mais il ne peut rien faire contre l’Histoire. Car Monsieur Han, c’est l’oncle maternel de l’auteur, médecin mort dans la misère à cause de sa naïveté, de sa sincérité… Mais pour cela, c’est aussi toutes les victimes de ce conflit nord-sud et de ses terribles suites. J’ai eu l’impression de lire du Zola ou du Dickens mais transposés en Corée, vous voyez ce que je veux dire.

Un auteur à découvrir absolument et, de mon côté, je lirai d’autres titres. En avez-vous un à me conseiller (pour plus tard) ?

Pour ABC illimité (lettre M pour titre), Challenge lecture 2023 (catégorie 39, un livre d’un auteur coréen), Tour du monde en 80 livres (Corée du nord) et Un genre par mois (décidément, j’en ai lu des drames en ce mois de février).

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En un combat douteux… de John Steinbeck

En un combat douteux… de John Steinbeck.

Folio, n° 228, octobre 1972, 384 pages, 9,20 €, ISBN 978-2-07036-228-8. In Dubius Battle (1936) est traduit de l’américain par Edmond Michel-Ty.

Genres : littérature états-unienne, roman social, drame.

John Steinbeck naît le 27 février 1902 à Salinas en Californie (États-Unis). Son père est d’origine allemande et sa mère d’origine irlandaise. Comme l’été, il travaille dans les ranchs voisins, il découvre la vie des travailleurs agricoles itinérants et leurs difficultés. Il étudie la littérature anglaise à l’Université Stanford à San Francisco. Il a une vie riche en expériences professionnelle et humaine. Il écrit plusieurs romans et nouvelles (prix Nobel de littérature en 1962) ainsi que des récits et reportages. Il meurt le 20 décembre 1968 à New York.

Années 1930, États-Unis. Après avoir perdu son père et sa mère, avoir fait de la prison injustement, Jim Nolan abandonne tout et décide d’entrer au parti. « J’ai coupé les ponts entre moi et mon passé. Je veux commencer une nouvelle vie. » (p. 18). Jim veut faire quelque chose d’utile, quelque chose qui ait un sens, ne plus être une victime. Il rejoint la planque de Mac et devient dactylographe mais ce qu’il veut, c’est « être envoyé en mission de propagande » (p. 35).

Sa première mission sera justement avec Mac, grimper dans le wagon vide d’un train de marchandises, récolter des pommes dans la vallée de Salinas en Californie, organiser les ouvriers mal payés, et au passage aider à un accouchement. « […] il y en a trop qui ont crevé de faim […] ; peut-être trop de patrons qui on exploité leurs ouvriers. Je ne sais pas. Je sens ça sous ma peau. » (le vieux Dan, p. 78).

Les ouvriers agricoles, mécontents de la baisse des salaires pour la récolte des pommes, savent que ce sera pire pour la récolte du coton qui vient après, ils commencent à parler, la tension monte… d’autant plus que le vieux Dan, 71 ans, est tombé d’une échelle dont deux barreaux se sont cassés (c’est ça le matériel qu’on leur donne pour travailler ?).

Mac, sous prétexte d’organisation, n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu, à considérer les dommages collatéraux comme normaux… Je comprends le combat social qu’ont mené ces hommes mais ils se fichaient complètement des pertes humaines, seul le résultat comptait… « Il faut que nous nous montrions habiles, impitoyables, et que nous agissions rapidement. […] Nous pouvons réussir si les hommes consentent à se serrer les coudes. Les propriétaires n’en mèneraient pas large. » (Mac, p. 140). Après qu’il y ait eu un mort et que Mac veuille en profiter : « Nous en avons besoin pour exciter nos hommes, pour les tenir. Ça les rapprochera ; ils auront une raison de combattre. – Salaud ! ricana Dakin. Vous n’avez donc pas de cœur. Vous n’avez qu’une idée en tête : la grève ! » (Mac puis Dakin, p. 188) et « S’ils viennent avec des fusils, […] ils vont nous tuer des hommes. […] – Ce ne serait pas mauvais […]. Supposons qu’ils tuent des hommes. Ce serait avantageux pour la cause. À chaque victime correspondraient dix recrues. […] » (Jim puis Mac, p. 356). Alors on comprend bien le titre, un combat douteux…

Mais, d’un autre côté, à propos des ‘vigilants’, « Ceux qui ont brûlé les maisons d’Allemands pendant la guerre. Ceux qui lynchent les nègres. Ils sont cruels à plaisir. Ils aiment faire du mal, et ils appellent ça d’un joli nom, patriotisme, ou protection de la Constitution. Les patrons se servent d’eux et leur disent : ‘Il faut protéger le gens contre les communistes.’ Alors, ils brûlent les maisons et torturent les gens, sans courir de danger. C’est tout ce qu’il leur faut. Ils sont lâches. Ils tirent embusqués ou ils attaquent les autres à dix contre un. C’est ce qu’il y a de pire au monde, cette race. » (Mac, p. 191).

Ce roman est considéré comme le premier de la trilogie des romans sociaux de Steinbeck ou trilogie du travail (Labor Trilogy) car suivent Des souris et des hommes (1937) et Les raisins de la colère (1939). Donc je suis contente d’avoir commencé par En un combat douteux et je remercie tadloiduciné (qui officie sur le blog de Dasola) de m’avoir conseillé ce titre. L’auteur avance peu à peu et emmène ses personnages et ses lecteurs jusqu’au bout du drame, du tragique.

Steinbeck décrit le désespoir et la colère des ouvriers abusés par le système patronal, méprisés par les ‘honnêtes gens’, battus et enfermés par des policiers ou des milices violents et vicieux… Les descriptions (personnages et paysages) sont incroyables, les personnages sont tous différents et paraissent bien réels, les dialogues sont très bien menés et j’ai apprécié le discours (la pensée) du docteur Burton (chapitre 8), il se pose des questions, il veut aider mais il n’est pas dupe… Mac sert-il la cause des pauvres gens ou se bat-il pour une idéologie qui se moque des gens et des pertes ?

Adaptation au cinéma : In Dubious Battle (en français, Les insoumis) réalisé par James Franco en 2016 (bande annonce ci-dessous, en VF, je n’ai pas trouvé en VOST).

J’ai lu ce roman exprès pour Les classiques c’est fantastique #3 car le thème de janvier est ‘Jamais sans mon Steinbeck’ mais il entre aussi dans 2023 sera classique, ABC illimité (lettre J pour prénom), Challenge lecture 2023 (catégorie 41, un livre dont on n’aime pas la couverture, je n’aime pas cette couverture parce qu’elle ne correspond pas du tout au contenu du roman, on pense plutôt à des ouvriers dans l’industrie, plutôt pétrolière, alors que le roman raconte la grève d’ouvriers agricoles dans des vergers…) et Tour du monde en 80 livres (États-Unis).

Entre les lignes de Baptiste Beaulieu et Dominique Mermoux

Entre les lignes de Baptiste Beaulieu et Dominique Mermoux.

Rue de Sèvres, mai 2021, 168 pages, 20 €, ISBN 978-2-81020-250-8. Vous pouvez feuilleter 8 pages sur le site de l’éditeur.

Genres : bande dessinée française, drame familial, Histoire.

Baptiste Beaulieu naît le 2 août 1985. Il est médecin et auteur. D’abord un blog Alors voilà (pas de mise à jour depuis juin 2021) et un livre où il raconte son quotidien professionnel (Alors voilà : Les 1001 vies des urgences en 2013) puis des romans, des nouvelles, de la poésie et de la bande dessinée (Les mille et une vies des urgences en 2017 et Entre les lignes, adaptée du roman Toutes les histoires d’amour du monde, en 2021).

Dominique Mermoux naît en 1980 en Haute-Savoie. Il étudie à l’École des arts décoratifs à Strasbourg, il obtient un BTS en communication visuelle et un diplôme en illustration. Il travaille comme dessinateur pour la presse et pour des scénaristes de bandes dessinées. Plus d’infos sur son site officiel (j’ai déjà lu L’appel de Galandon et Mermoux et j’avais même rencontré les auteurs !).

Moïse, le grand-père, est mort, « âpre, renfermé, taciturne » (p. 14). Dans ses affaires, son fils, Denis, trouve trois carnets avec des dizaines de lettres et une photo d’une Anne-Lise Schmidt que personne ne connaît. Il veut partir sur les traces de Moïse, pour découvrir son enfance, son passé, pour découvrir ce qu’il n’a jamais dit, ni à son épouse, ni à lui mais il en est empêché par des problèmes cardiaques.

Alors qu’il est hospitalisé, il se confie à Baptiste, son fils qui, étonné, demande : « Il y a quoi dans ces lettres ? – La plus belle histoire d’amour que j’aie jamais lue. » (p. 13). « Les billets de train et l’hôtel sont déjà réservés… » (p. 15) alors le fils se décide : « Je vais y aller, moi. Je partirai à ta place. Sur les traces de Moïse, comme tu dis, avec les carnets. Et quand j’aurai fini, je t’aiderai à trouver cette Anne-Lise. » (p. 16).

Baptiste lit alors les lettres que Moïse écrivait à Anne-Lise et il apprend tout ce qu’il ne savait pas sur son grand-père, Moïse, né le 10 juillet 1910 à Fourmies dans le Nord, son enfance, son meilleur ami, et puis en août 1914 la mobilisation des hommes donc de son père qui ne reviendra pas… À 5 ans, Moïse ne comprend pas vraiment que son père est mort…

Toutes les lettres sont datées du 3 avril de 1960 à 2007, toute une vie ! « Pourquoi écrivait-il une fois par an, toujours à la même date ? » (p. 22).

Dans le Nord de la France, Baptiste rencontre quelques descendants de ceux qui ont connu Moïse mais ils n’ont pas grand-chose à lui raconter… alors il invente des choses à raconter à son père et s’en ouvre à Anna-Lisa, sa sœur aînée qui a été adoptée.

« Sans doute est-ce une émotion effroyable pour les morts qu’on a chéris que d’assister, impuissants, à l’œuvre du temps sur nos douleurs. Tout s’estompe, hélas ou tant mieux ! Même les plus gros chagrins s’émoussent. Mais les regrets, oh, les regrets… Ils enflent avec les années, ils vous dévorent le soir, ils teintent de tristesse le plus joyeux des rires et tournent à l’amer le plus sucré des mets. » (extrait de la lettre du 3 avril 1973, p. 48).

Trente ans après que son père soit parti se battre contre les Allemands, Moïse est mobilisé… « De ma première bataille, je n’ai gardé que l’image d’un immense chaos, et celle de l’arme, vieille et usée, qu’on me colla dans les mains. C’était à R… quelque chose, je ne me souviens plus du nom (Rothel ? Rethel ?), mais je sais que les Allemands étaient les plus forts, c’est cent mètres par cent mètres que nous reculions. Avais-je peur ? Évidemment que oui, ma petite souris. Avais-je le choix ? Évidemment que non. » (extrait de la lettre du 3 avril 1981, p. 69).

Au bout d’un moment, Baptiste se pose la même question que je me pose : « […] à quoi bon rédiger des lettres sans les envoyer ensuite ? Cela n’avait aucun sens. » (p. 73).

Une très belle phrase de Moïse : « […] je ne me fais aucune illusion : c’est si banal, la guerre. La paix, c’est ça qui est rare. Ça qui est extraordinaire […]. » (p. 157).

Quelle bande dessinée magnifique, émouvante, bouleversante même, pourquoi n’ai-je pas repéré le roman paru chez Fayard/Mazarine en octobre 2018 ? C’est tout le XXe siècle qui défile avec les dessins délicats de Dominique Mermoux et le texte profond de Baptiste Beaulieu. Une histoire vraie ! Une histoire d’amour, de guerres, de famille (et de secrets de famille), de paternité, de transmission avec un brin d’humour de temps en temps (heureusement).

Beaucoup de personnes ayant vécu la guerre (ou les deux guerres mais il n’y en a plus il me semble) et les camps n’ont jamais voulu parler mais c’est important pour leurs enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. Si vous êtes encore là, parlez, racontez, délivrez-vous ! Je n’ai jamais su ce que mes grands-parents ont vécu enfants pendant la Première guerre mondiale et ce qu’ils ont vécu jeunes adultes pendant la Seconde guerre mondiale…

Ils l’ont lue : Mylène (je savais bien que je l’avais déjà vue quelque part) et aussi Alain Paul sur Cases d’Histoire (abondamment illustré), Caroline, Coco, Hélène et Mumu (qui a aimé les illustrations mais pas l’histoire ni dans le roman ni dans la BD), d’autres ?

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Stéphie) et les challenges Adaptations littéraires (cette BD est l’adaptation du roman de l’auteur), BD 2022, Challenge lecture 2022 (catégorie 53, un livre dont le personnage principal est une personne âgée, il y a Denis et Baptiste bien sûr mais c’est bien Moïse, père de Denis et grand-père de Baptiste, le personnage principal, on le suit de son enfance jusqu’à sa mort et ce sont les lettres qu’il a écrites pendant près de 50 ans que nous lisons).

Ci-dessous, la vidéo présentant le roman et le travail de Baptiste Beaulieu :

Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran

Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran.

Decrescenzo éditeurs, collection Micro-fictions, juin 2015, 162 pages, 12 €, ISBN 978-2-36727-033-3. Bihaengun (2012) est traduit du coréen par Kette Amoruso et Lucie Angheben.

Genres : littérature sud-coréenne, nouvelles.

KIM Ae-ran 김애란 naît en 1980 à Incheon en Corée du Sud. Source Wikipédia : « Elle a fait son entrée en littérature avec une nouvelle intitulée La porte du silence (Nokeuhaji anneun mun), publiée dans la revue Changbi, remportant le prix littéraire de Daesan pour étudiants en 2002. Elle est récompensée par le prix de l’écriture Daesan en 2003 pour Maison inconnue (cette nouvelle a aussi été traduite et publiée sous le titre : Quatre locataires et moi). C’est avec sa première nouvelle, Cours papa, cours ! (Dallyeora abi, 2005) et l’obtention du prix littéraire Hankook Ilbo dès 2005 que Kim Ae-ran a commencé à se faire un nom dans le monde de la littérature coréenne. En 2008, elle remporte le prix Lee Hyo-seok pour sa nouvelle Le couteau de ma mère (Kaljaguk). Dans sa postface à Cours papa, cours !, le critique littéraire Kim Dong-shik la décrit comme ‘l’auteure qui détruit la grammaire du roman traditionnel’. » Chez Philippe Picquier : Ma vie palpitante (2014) et chez Decrescenzo éditeurs : Ma vie dans la supérette (2013) et Chansons d’ailleurs (2016).

Les Goliath asiatiques – « La mousson s’abattit peu après le décès de mon père. » (p. 11). Pluies diluviennes… Comment va-t-on faire pour la tombe ? « […] personne ne mettait le nez dehors. » (p. 12). La mère et le fils (le narrateur, un adolescent) vivent dans un appartement acheté par le père il y a vingt ans mais l’immeuble Gangsan, construit à la va-vite, est vétuste et va être détruit ; il ne sont plus que les deux à y habiter… Plus d’électricité, plus de gaz, encore un peu d’eau mais « Nous étions conscients que notre séjour ici ne pouvait s’éterniser. » (p. 16). Au bout de deux semaines de pluie, sans aucun contact avec l’extérieur, la mère devient apathique et ne parle plus… Le fils ne sait même pas si elle se nourrit, il ne sait pas quoi faire pour l’aider… Après un mois de pluie et une nuit d’orages, la pluie s’arrête un peu mais, depuis la véranda, le fils voit que le village a disparu ! « Et si la digue avait cédé ? » (p. 32). Il fabrique un radeau avec trois portes et embarque avec le corps de sa mère mais rien que de l’eau et de la boue à l’horizon… Pas d’humains, pas d’hélicoptères… Seulement des Goliath, des grues de travaux dont les pieds sont dans l’eau. Au bout de deux jours, seul et à bout de force, il s’effondre. « Que faire et où aller ? Je n’en avais pas la moindre idée. Peut-être, étais-je arrivé au plus loin que je pouvais. C’était fini. Mon voyage s’arrêtait là. […] Combien de temps allais-je tenir ? Qu’éprouvait-on en rendant son dernier soupir ? Et qu’adviendrait-il de mon corps ? […] » (p. 49). Dans une situation apocalyptique, la tension monte de plus en plus.

Comment se passe ton été ? – La narratrice, Mi-young, se prépare pour les funérailles d’un ami d’enfance lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique de son seonbae (ami universitaire) dont elle n’a pas de nouvelles depuis deux ans. Après la conversation, les souvenirs remontent à la surface. Elle avait 20 ans, elle arrivait dans une ville qu’elle ne connaissait pas pour étudier à l’université et c’est à « la soirée de bienvenue aux nouveaux étudiants » (p. 59) qu’elle a rencontré Jun. Elle était amoureuse de lui mais il avait déjà une petite amie… Pour faire plaisir à son seonbae, elle participe à contre-cœur à une émission débile pour la télévision… Ensuite, ce sont des souvenirs d’enfance avec Min-su, sa meilleure amie, et Byeong-man, le copain de classe décédé, qui reviennent.

Les insectes – Un couple de jeunes mariés emménage dans un immeuble appelé la Villa des Roses mais le quartier va faire « l’objet d’un programme de rénovation urbaine » (p. 96). Je ne sais pas comment sont construits les immeubles en Corée du Sud mais, apparemment, au bout de 30 ans, ils sont décrépis et doivent être rénovés ou démolis (voir Les Goliath asiatiques plus haut) et je ne pourrais pas habiter dans un logement qui donne sur un précipice de 10 m… avec en plus des travaux en bas… La femme est la narratrice, elle raconte les bruits, les odeurs de nourriture, même « le silence des pots de plantes qui prenaient le soleil aux fenêtres » (p. 94) et aussi, les insectes… « perceptibles mais impossibles à attraper. » (p. 97). Une erreur page 103 (elle parle du bruit incessant des voitures) : « je m’en suis plain auprès de mon mari », plain sans t à la fin ? La femme est enceinte, ce n’était pas prévu pour tout de suite mais elle va garder le bébé. Cependant, avec tous les insectes, « comment élever convenablement un enfant dans ces conditions ? » (p. 111).

Trente ans – Après avoir reçu un paquet, Su-in, la narratrice – qui a maintenant trente ans – repense à Seong-haw, son Eonni, c’est-à-dire sa camarade de chambre à la fac (de cinq ans plus âgée) qu’elle n’a pas vue depuis dix ans et qui vient d’avoir un bébé. Elle lui répond même si elle n’est pas sûre d’envoyer la lettre. « Au cours de ces 10 dernières années, j’ai déménagé six fois, cumulé une dizaine de petits boulots, fréquenté deux hommes. Voilà ce que j’ai fait. Il n’y a rien d’autre. Le bilan de ma jeunesse me laisse un sentiment de désarroi. En quoi ai-je évolué ? Plus dépensière que jamais, incapable de faire confiance et portée sur les jolies choses, je me demande avec anxiété si je ne suis pas devenue une adulte insignifiante. […] Je m’inquiète d’être la seule à faire fausse route, au risque de n’arriver à rien. » (p. 134). J’ai l’impression que, comme au Japon, la barre des 30 ans est très importante pour les femmes en Corée du Sud. Et je suis sidérée de voir comment les étudiants galèrent pour obtenir leur diplôme (ils se sont endettés) et, ensuite, trouver un travail adéquat donc ils se contentent de petits boulots mal payés alors qu’ils ont étudié durant cinq ans ou plus… « Voilà à quoi étaient réduits des étudiants pleins d’avenir. Au XXIe siècle et en plein cœur de Séoul, de surcroît. » (p. 148).

Il me semble que c’est la première fois que je lis cette autrice. Son écriture précise – et parfois poétique – est cependant glaçante, elle claque et les chutes de ces micro-fictions (des nouvelles donc) sont terribles ! La vie semble vraiment difficile et compliquée à Séoul. Résolument à découvrir ! Dommage que le Challenge coréen n’existe plus pour partager cette lecture…

Pour La bonne nouvelle du lundi, Challenge de l’été – Tour du monde (3e niveau, dernière lecture d’Asie, challenge terminé), Challenge lecture 2022 (catégorie 1, un livre dont le titre est une question), L’été lisons l’Asie (MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE avec la Corée du Sud et MENU D’AOÛT : IMAGINONS L’ASIE avec recueil de nouvelles), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour le point d’interrogation), Les textes courts (chacune des 4 nouvelles fait une quarantaine de pages).

Roudoudou blues de Marion Laurent et Arnaud Le Roux

Roudoudou blues de Marion Laurent et Arnaud Le Roux.

Futuropolis, juin 2007, 80 pages, 15,25 €, ISBN 978-2-75480-071-6.

Genres : bande dessinée française, drame.

Marion Laurent naît en 1980 à Paris. Elle étudie à l’École Supérieure des Arts et Techniques et publie trois titres chez Futuropolis avec son compagnon Arnaud Le Roux au scénario : Entre deux averses (2006), Roudoudou blues (2007) et À l’ombre des murs (2009), puis un roman graphique où elle est au scénario et au dessin, Comment naissent les araignées (Casterman, 2015). Plus d’infos sur son site officiel et sur son tumblr.

Arnaud Le Roux naît en 1976 en France et il vit en région parisienne. Il est nouvelliste (La femme en blanc, Oxymore, 2002) et scénariste de bandes dessinées.

Unter est le coloriste. Il naît en 1980 en France, s’intéresse très tôt au dessin et cofonde l’association Onapratut.

Samuel est un romancier tétraplégique. Il se rappelle son enfance dans les années 70 avec ses parents directeurs d’une troupe de comédiens itinérants. « Mon existence se déroulait au rythme des voyages, des répétitions et des séances de maquillage. À 8 ans, j’avais déjà visité Prague, Vienne et Barcelone. Les grandes villes de France m’étaient familières. » (p. 11).

Mais, en ne grandissant qu’avec des adultes, Samuel n’a pas d’ami, enfin il a un ami, c’est Roudoudou son ours en peluche qui parle. « J’aimais mon ours plus que tout et je n’envisageais pas la vie sans lui. » (p. 14).

Un jour, Manon intègre la troupe et s’installe avec sa fille de 9 ans, Estelle.

Et la vie de Samuel et Roudoudou bascule.

Une très belle surprise que cette bande dessinée ! Handicap (schizophrénie ?), solitude, jalousie… Cette histoire dramatique – dans le monde du spectacle donc des faux semblants, de l’imagination – est racontée tout en délicatesse et j’ai beaucoup aimé l’ambiance qui en découle car texte et illustrations y sont tellement complémentaires. Deux auteurs, complémentaires eux aussi, à découvrir et j’ai très envie de lire leurs deux autres titres, Entre deux averses (2006) et À l’ombre des murs (2009). Les avez-vous lus ?

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Stéphie) et les challenges BD 2022 et Les textes courts.