Nézida de Valérie Paturaud

Nézida : le vent sur les pierres de Valérie Paturaud.

Liana Levi, mai 2020, 192 pages, 17 €, ISBN 979-10-349-0256-9. Il est sorti en poche : Piccolo, n° 169, septembre 2021, 224 pages, 9 €, ISBN 979-10-349-0445-7.

Genres : littérature française, premier roman.

Valérie Paturaud « a exercé le métier d’institutrice dans les quartiers difficiles des cités de l’Essonne après avoir travaillé à la Protection judiciaire de la jeunesse. Installée depuis plusieurs années à Dieulefit, elle s’intéresse à l’histoire culturelle de la vallée, haut-lieu du protestantisme et de la Résistance. Avec son premier roman, Nézida […], elle signe un récit polyphonique intense et émouvant. » Source : éditeur, aucune autre info trouvée. Par contre, elle habite dans la Drôme, à Dieulefit donc, à moins de 70 km de Valence, alors peut-être que je la rencontrerai lors d’une rencontre en librairie ou dans un salon littéraire !

Nézida est alitée, à ses côtés un berceau avec un bébé silencieux. Une jeune fille prend soin d’elle en attendant… « le médecin viendra, ce soir, accompagné du pasteur, peut-être. » (p. 14).

Nézida naît le 18 novembre 1856 à Comps dans la Drôme dans une famille protestante. Ses parents, Suzanne et Pierre Cordeil, ont une petite ferme avec le grand-père, ils cultivent des noix et des châtaignes et élèvent quelques bêtes (des chèvres puisqu’ils font du fromage, ah le picodon !, des moutons, des vaches et des poules aussi). Plus tard naissent ses deux frères, Paul le 19 septembre 1859 et Jean-Louis dit Léopold le 10 mars 1862. Nézida est mal aimée de ses parents qui préfèrent Paul, leur fierté (avant qu’il ne les déçoive car il veut étudier et lire comme sa sœur). C’est une enfant silencieuse, discrète, qui n’a qu’une amie, Joséphine née le 28 mars 1857, mais s’entend très bien avec son grand-père qui l’emmène en balade avec le chien et lui prête des livres.

« Les années passèrent, j’eus bientôt l’âge de fréquenter les cabarets du village comme les autres hommes. » (Paul, p. 23). Là, les informations circulent avec « les hommes de passage » (p. 23) et Paul reçoit avec avidité des nouvelles politiques et autres informations qui changent des histoires familiales du village de Comps aux veillées du soir. Il y a une vie, ailleurs, dans la Drôme mais aussi dans le Dauphiné et en Provence. « La période était riche en événements et je peux dire que mon intérêt pour la politique est né à cette époque. » (Paul, p. 24), pas du tout ce que ses parents ont prévu pour lui puisqu’en tant que fils aîné, il doit reprendre la ferme !

« L’un de mes plus jolis souvenirs avec elle ? C’est une odeur de violette et de terre sous les ongles, d’avoir arraché à mains nues des fleurs nouvelles avec leurs racines. » (Joséphine, p. 30). Elles allaient ensuite vendre ces fleurs le dimanche au marché de Dieulefit (environ 8 km à pieds).

Nézida a plus de 25 ans et n’est toujours pas mariée, contrairement aux autres filles du village qui ont déjà plusieurs enfants… Elle aide les enfants d’ailleurs, à l’école, avec l’instituteur de son enfance. « Comme je l’ai dit, après avoir été une très bonne élève, Nézida a continué à venir régulièrement à l’école pour me seconder. » (Jean-Antoine Barnier, p. 42). Alors qu’il y a souvent des différends entre catholiques et protestants au village, l’instituteur est étonné par le comportement et les avis de Nézida. « Tant de tolérance chez une jeune femme qui n’avait jamais quitté notre campagne m’impressionnait. Son intuition, sa logique, sa vision des réformes nécessaires pour la formation des enfants, futurs citoyens, m’étonnaient. Son intelligence palliait l’absence d’expérience. » (Jean-Antoine Barnier, p. 45).

« Seul son grand-père avait droit à ses sourires. […] Maintenant, avec le recul, je crois qu’elle l’aimait surtout car il était le seul à prendre le temps d’écouter les découvertes qu’elle faisait dans ses livres. Il l’encourageait, la félicitait pour sa lecture parfaite et sa belle écriture. Je n’osais rien dire. » (Suzanne, p. 54) qui explique pourquoi elle n’a pas pu s’attacher à sa fille.

Le père de Nézida est fier que sa fille soit allée à l’école plus longtemps que les autres et qu’elle ne soit pas obligée d’aller travailler dans les industries de la soie [un des thèmes du premier roman Mémoire de soie d’Adrien Borne, coup de cœur en février 2021]. Mais il aimerait que sa fille se marie… Avec un gars du village, par exemple Isidore, le fils du métayer du château, un bon gars, solide et travailleur, mais qui n’a jamais osé faire sa demande… Au lieu de ça, Nézida a rencontré Antonin Soubeyran au mariage d’une cousine à Dieulefit. Un Lyonnais issu d’une famille bourgeoise…

« Ce fut la première fois que j’entendis son prénom. J’en avais imaginé plusieurs que son souvenir m’avait inspirés. Je n’avais jamais entendu celui-là. Unique, comme elle. » (Antonin, p. 77) et, après un des premiers rendez-vous à Dieulefit, « Plus tard, Nézida m’a avoué être revenue chez elle à pied en chantonnant, légère, heureuse, pleine de projets, sans inquiétude ni crainte. Oui, beaucoup plus libre que moi face aux réactions familiales ! Je l’ai si souvent admirée pour sa capacité à choisir sa vie, à affirmer ses choix. » (Antonin, p. 79-80). Nézida et Antonin se sont « mariés le 15 septembre 1883 à la mairie, puis au temple de Comps. » (p. 80).

« À Lyon, nous étions libres de nos choix, de nos fréquentations. Dans notre vie professionnelle, dans nos activités sportives, les relations humaines sont régies par d’autres critères : l’origine sociale et géographique, les études… » p. 85), Henry explique bien la différence entre les villages très attachés à la religion, les catholiques d’un côté, les protestants de l’autre, alors qu’à Lyon où ils ont étudié et où ils travaillent, son frère Antonin et lui sont anonymes parmi d’autres anonymes et la religion n’a pas (tant) d’importance.

Nézida et Antonin sont heureux, elle s’est engagée rapidement à l’entraide protestante, elle attend un enfant et souhaite ensuite s’inscrire à l’école d’infirmières avec sa nouvelle amie lyonnaise, Camille. « Une femme pouvait être ambitieuse, volontaire et libre. » (Henry, p. 90). Nézida a un bel avenir devant elle ! « Nous nous sentions utiles, mais pas seulement : nous apprenions, nous réfléchissions, nous étions intellectuellement satisfaites. » (Camille, p. 99).

« Je ne savais pas, ne l’ayant pas appris, qu’une femme pouvait désirer plus et autre chose que la maternité. Je pensais que ce serait pour elle un aboutissement. Elle allait trop vite et trop fort pour un homme comme moi, prisonnier des carcans de la religion et de la morale. » (Antonin, p. 164).

En fait, comme vous avez pu vous en rendre compte avec les extraits (je tenais à citer plusieurs personnes), Nézida est un roman choral et chaque chapitre est raconté par un de ses proches, ses frères Paul et Léopold, son amie Joséphine, le maître d’école Jean-Antoine Barnier, sa mère Suzanne, son prétendant Antonin Soubeyran et les deux frères d’Antonin, Ovide et Henry, Camille.

Chacun a ses propres souvenirs avec Nézida et sa propre vision de qui elle est en réalité ou dans leur imagination (ou leurs certitudes).

L’autrice raconte tout, le moindre détail, le moindre geste, ça m’a surprise au début, je me suis dit que la lecture allait être longue mais, en fait, ça coule tout seul, c’est fluide, c’est beau et passionnant. Cerise sur le gâteau, je ne suis généralement pas fan du roman choral mais celui-ci, je l’ai vraiment bien apprécié et je vous le conseille (vous découvrirez la région dans laquelle je vis, même si ça a changé en plus d’un siècle !).

Qui l’a lu ? : Alex, d’autres ?

Pour Petit Bac 2022 (catégorie prénom avec Nézida).

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Projet 52-2021 #27

Vingt-septième semaine pour le Projet 52-2021 de Ma avec le thème sur l’herbe. J’aurais pu vous proposer un pique-nique sur l’herbe mais je préfère vous montrer ces beaux moutons qui sont d’ailleurs en plein pique-nique. Je vous souhaite un bon week-end et, si vous voulez participer, allez voir Ma !

PS : ce billet est prêt depuis quelques jours mais hier soir un concert a eu lieu sur l’herbe et je veux partager cette photo supplémentaire (sous la photo des moutons) et quelques infos. Le duo Mathis, c’est Patrick et Jonathan Mathis, le père et le fils, qui revisitent l’orgue de Barbarie de façon expérimentale. Plus d’infos sur Patrick Mathis, sur Jonathan Mathis et une vidéo.

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Projet 52-2021 #15

Quinzième semaine pour le Projet 52-2021 de Ma avec le thème géographie. Je vous l’ai déjà montré, le Col des Limouches, mais pas cette photo, prise dans la montée, avec vue sur le Vercors dans la Drôme. Géographie signifie « dessin de la Terre ». Cette géographie vous plaît-elle ? Je vous souhaite un bon week-end et, si vous voulez participer, allez voir Ma !

Mémoire de soie d’Adrien Borne

Mémoire de soie d’Adrien Borne.

JC Lattès, août 2020, 250 pages, 19 €, ISBN 978-2-70966-619-0.

Genres : littérature française, premier roman.

Adrien Borne est un journaliste français (RTL, RMC, Cnews, LCI). Il étudie l’Histoire à l’université Paris Nanterre puis le journalisme à Lille. Mémoire de soie, inspiré de la vie de son arrière-grand-père dans la Drôme, est son premier roman.

9 juin 1936. Émile a 20 ans. Il part pour deux ans de service militaire. Il quitte son village de La Cordot et la maison familiale en briques, une ancienne magnanerie, « ultime fierté familiale » (p. 13). Il prend un car pour Montélimar (Drôme) après avoir dit au revoir à sa mère, Suzanne. « L’armée, l’uniforme, la guerre jamais loin. » (p. 18). Suzanne glisse dans son sac un livret de famille. Le bus part. Son père, Auguste, brocanteur, est déjà dans son magasin. Avant de rejoindre la caserne, Émile passe quelques heures avec son meilleur ami, Simon.

Flashback, novembre 1918. Auguste avec son moignon au bras gauche a été réformé mais son jeune frère, Baptistin, a fait la guerre et, bien que plusieurs fois blessé, il a célébré l’Armistice et s’apprête à rentrer à La Cordot. C’était sans compter avec la grippe espagnole…

Revenons à Émile. Pourquoi dans le livret de famille est-il écrit Suzanne P, épouse L et Baptistin L ? « Émile, à cet instant, entame un chemin désordonné, un chemin confus. Il s’emporte de lui-même. Il s’afflige puis se raidit. Il s’agite et s’enorgueillit. » (p. 55-56).

Flashback, Auguste, 10 ans, et Baptistin, 5 ans, vivent à la magnanerie. Le Père n’est pas tendre avec eux, la Mère non plus… Ils sont enfermés, les papillons se posent sur eux, les chenilles grimpent sur eux, « L’épouvante. » (p. 61).

Quant à Suzanne, ses parents la place à l’âge de 13 ans, à Taulignan, un orphelinat-usine dans lequel quatre cents filles font de la soie. « Tu pars, c’est mieux pour tout le monde. » (p. 68).

Il n’y a pas de place pour les bavardages ou la tendresse. Mais le fil de l’histoire va se dérouler comme celui du ver à soie. Délivrant d’abord son superflu, le vulgaire, le rustique (la filoselle) puis le beau : « Le fil s’étire, le cocon s’abandonne, j’ai la main, je fais de la soie ou tout comme, elle prend forme sous mes yeux. » (Suzanne, p. 88).

Quel beau roman ! J’ai aimé les « complicités simples et douces » (p. 95) entre les deux frères, Auguste et Baptistin, l’histoire d’amour contrarié entre Baptistin et Suzanne à cause de la Mère et de la guerre (on ne sait laquelle des deux est la pire !). D’ailleurs, plus que les horreurs de la guerre, cette histoire raconte plutôt les horreurs vécues par les femmes seules, les orphelins, les rescapés aux corps cassés… « […] une terreur fabuleuse. Une terreur braquée sur le monde. Tragique. Permanente. » (p. 190). Les phrases sont courtes, percutantes, les mots soigneusement choisis. « Des anciens combattants pas rentrés entiers. Dans un même silence. Dans une même obsession. » (p. 191).

Le lecteur découvre peu à peu, par petites touches à la fois délicates et saisissantes, le(s) secret(s) de famille et les drames qui ont jonché la vie des ancêtres d’Émile. C’est terriblement tragique et déchirant. Un premier roman magistral ! Je suivrai cet auteur et j’espère que vous aussi !

Pour Animaux du monde #3 (papillons et vers à soie) et Challenge lecture 2021 (catégorie 41, un livre dont l’histoire comporte une naissance pour la naissance d’Émile en 1916).

Le jeudi, c’est musée/expo #23

Pas évident de reprendre le chemin des musées et des expos… Mais ici, c’est une expo en plein air donc la démarche est aisée.

Chemin(s) faisant, une histoire des routes du Vercors est proposée par les Archives départementales de la Drôme à Valence du 2 juin au 19 décembre 2020.

Des traces de l’homme préhistorique à notre époque, en passant par l’Antiquité et le Moyen-Âge, les chemins et les routes dans le Vercors dont les vertigineuses routes en corniche comme les Petits-Goulets ou les Grands-Goulets. Une très belle expo avec des cartes anciennes, des photos d’archive, etc.

L’expo virtuelle est sur https://cheminsfaisant.ladrome.fr/ ; il existe un livre de 140 pages qui coûte 19 € (couverture semblable à l’affiche de l’expo) ; et ci-dessous la vidéo de présentation.