En un combat douteux… de John Steinbeck

En un combat douteux… de John Steinbeck.

Folio, n° 228, octobre 1972, 384 pages, 9,20 €, ISBN 978-2-07036-228-8. In Dubius Battle (1936) est traduit de l’américain par Edmond Michel-Ty.

Genres : littérature états-unienne, roman social, drame.

John Steinbeck naît le 27 février 1902 à Salinas en Californie (États-Unis). Son père est d’origine allemande et sa mère d’origine irlandaise. Comme l’été, il travaille dans les ranchs voisins, il découvre la vie des travailleurs agricoles itinérants et leurs difficultés. Il étudie la littérature anglaise à l’Université Stanford à San Francisco. Il a une vie riche en expériences professionnelle et humaine. Il écrit plusieurs romans et nouvelles (prix Nobel de littérature en 1962) ainsi que des récits et reportages. Il meurt le 20 décembre 1968 à New York.

Années 1930, États-Unis. Après avoir perdu son père et sa mère, avoir fait de la prison injustement, Jim Nolan abandonne tout et décide d’entrer au parti. « J’ai coupé les ponts entre moi et mon passé. Je veux commencer une nouvelle vie. » (p. 18). Jim veut faire quelque chose d’utile, quelque chose qui ait un sens, ne plus être une victime. Il rejoint la planque de Mac et devient dactylographe mais ce qu’il veut, c’est « être envoyé en mission de propagande » (p. 35).

Sa première mission sera justement avec Mac, grimper dans le wagon vide d’un train de marchandises, récolter des pommes dans la vallée de Salinas en Californie, organiser les ouvriers mal payés, et au passage aider à un accouchement. « […] il y en a trop qui ont crevé de faim […] ; peut-être trop de patrons qui on exploité leurs ouvriers. Je ne sais pas. Je sens ça sous ma peau. » (le vieux Dan, p. 78).

Les ouvriers agricoles, mécontents de la baisse des salaires pour la récolte des pommes, savent que ce sera pire pour la récolte du coton qui vient après, ils commencent à parler, la tension monte… d’autant plus que le vieux Dan, 71 ans, est tombé d’une échelle dont deux barreaux se sont cassés (c’est ça le matériel qu’on leur donne pour travailler ?).

Mac, sous prétexte d’organisation, n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu, à considérer les dommages collatéraux comme normaux… Je comprends le combat social qu’ont mené ces hommes mais ils se fichaient complètement des pertes humaines, seul le résultat comptait… « Il faut que nous nous montrions habiles, impitoyables, et que nous agissions rapidement. […] Nous pouvons réussir si les hommes consentent à se serrer les coudes. Les propriétaires n’en mèneraient pas large. » (Mac, p. 140). Après qu’il y ait eu un mort et que Mac veuille en profiter : « Nous en avons besoin pour exciter nos hommes, pour les tenir. Ça les rapprochera ; ils auront une raison de combattre. – Salaud ! ricana Dakin. Vous n’avez donc pas de cœur. Vous n’avez qu’une idée en tête : la grève ! » (Mac puis Dakin, p. 188) et « S’ils viennent avec des fusils, […] ils vont nous tuer des hommes. […] – Ce ne serait pas mauvais […]. Supposons qu’ils tuent des hommes. Ce serait avantageux pour la cause. À chaque victime correspondraient dix recrues. […] » (Jim puis Mac, p. 356). Alors on comprend bien le titre, un combat douteux…

Mais, d’un autre côté, à propos des ‘vigilants’, « Ceux qui ont brûlé les maisons d’Allemands pendant la guerre. Ceux qui lynchent les nègres. Ils sont cruels à plaisir. Ils aiment faire du mal, et ils appellent ça d’un joli nom, patriotisme, ou protection de la Constitution. Les patrons se servent d’eux et leur disent : ‘Il faut protéger le gens contre les communistes.’ Alors, ils brûlent les maisons et torturent les gens, sans courir de danger. C’est tout ce qu’il leur faut. Ils sont lâches. Ils tirent embusqués ou ils attaquent les autres à dix contre un. C’est ce qu’il y a de pire au monde, cette race. » (Mac, p. 191).

Ce roman est considéré comme le premier de la trilogie des romans sociaux de Steinbeck ou trilogie du travail (Labor Trilogy) car suivent Des souris et des hommes (1937) et Les raisins de la colère (1939). Donc je suis contente d’avoir commencé par En un combat douteux et je remercie tadloiduciné (qui officie sur le blog de Dasola) de m’avoir conseillé ce titre. L’auteur avance peu à peu et emmène ses personnages et ses lecteurs jusqu’au bout du drame, du tragique.

Steinbeck décrit le désespoir et la colère des ouvriers abusés par le système patronal, méprisés par les ‘honnêtes gens’, battus et enfermés par des policiers ou des milices violents et vicieux… Les descriptions (personnages et paysages) sont incroyables, les personnages sont tous différents et paraissent bien réels, les dialogues sont très bien menés et j’ai apprécié le discours (la pensée) du docteur Burton (chapitre 8), il se pose des questions, il veut aider mais il n’est pas dupe… Mac sert-il la cause des pauvres gens ou se bat-il pour une idéologie qui se moque des gens et des pertes ?

Adaptation au cinéma : In Dubious Battle (en français, Les insoumis) réalisé par James Franco en 2016 (bande annonce ci-dessous, en VF, je n’ai pas trouvé en VOST).

J’ai lu ce roman exprès pour Les classiques c’est fantastique #3 car le thème de janvier est ‘Jamais sans mon Steinbeck’ mais il entre aussi dans 2023 sera classique, ABC illimité (lettre J pour prénom), Challenge lecture 2023 (catégorie 41, un livre dont on n’aime pas la couverture, je n’aime pas cette couverture parce qu’elle ne correspond pas du tout au contenu du roman, on pense plutôt à des ouvriers dans l’industrie, plutôt pétrolière, alors que le roman raconte la grève d’ouvriers agricoles dans des vergers…) et Tour du monde en 80 livres (États-Unis).

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Queenie, la marraine de Harlem d’Aurélie Lévy et Elizabeth Colomba

Queenie, la marraine de Harlem d’Aurélie Lévy et Elizabeth Colomba.

Anne Carrière, août 2021, 168 pages, 24,90 €, ISBN 978-2-8433-7962-8.

Genres : bande dessinée française, roman graphique, Histoire.

Aurélie Lévy naît en 1977 à Paris mais elle part étudier au Japon, d’abord à l’Université féminine de Nagoya puis elle étudie l’histoire et le cinéma japonais à l’ICU de Tôkyô. Ensuite, elle approfondit ses études sur le cinéma à l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) et s’installe à Los Angeles. Elle est intervieweuse, autrice et réalisatrice de documentaires. Elle crée aussi le podcast Écrire sur le site Actualitté.com.

Elizabeth Colomba naît en 1976 à Épinay sur Seine de parents martiniquais. Elle peint depuis l’enfance et étudie les Beaux-Arts à Paris puis s’installe à Los Angeles aux États-Unis. Elle est peintre et dessinatrice. Sur cette bande dessinée, elle est également coscénariste. Plus d’infos sur son site officiel.

Extrait de l’introduction Harlem Renaissance : « La liberté a un prix. / La liberté n’a pas de prix. L’Histoire est toujours une affaire de version. » (p. 5).

Pour situer Harlem, une presqu’île à l’ouest en face de la Statue de la Liberté, de l’autre côté de l’East River : Brooklyn, de l’autre côté de l’Hudson River : le New Jersey.

1933. Après deux mois au trou, Queenie (de son vrai nom Stéphanie Saint-Clair) sort de la prison de Bedford Hills. Le soir, ils sont à une soirée chez Charles Alston, un peintre. Le lecteur croise Duke Ellington au Cotton Club, Thelonius Monk pas encore célèbre, entre autres.

25 ans plus tôt en Martinique. « Sale petite négresse ! Tu ne seras jamais assez belle pour porter des robes comme les miennes ! » (p. 34)… Depuis, Queenie n’a cessé de se battre y compris de combattre sa peur… « Je suis une femme et un gangster, Bumpy… » (p. 61). « Tu vas prendre des coups ! Tu ne peux pas apprendre à ne pas prendre des coups. Tu peux apprendre à ne pas le redouter. » (p. 123).

Tout sur le crime organisé, ils étaient tous de la partie, les Juifs (Dutch Schultz par exemple), les Noirs (Bumpy Johnson par exemple), les Italiens (Lucky Luciano par exemple)… Et le pasteur Father Divine, « un des précurseurs du mouvement des droits civiques » (p. 166)… ils ont tous existé et ont eu affaire à la police.

Queenie aussi a existé et elle a de nombreux points communs avec Elizabeth Colomba, qui je pense n’a rien à voir avec la pègre (!) mais qui a voulu lui redonné vie grâce à cette très belle bande dessinée (roman graphique) avec un noir et blanc velouté et somptueux. Quant au scénario, il est formidable et sûrement très proche de la réalité de ces gangsters s’il y a presque un siècle.

Ils l’ont lu : La bibliothèque du Dolmen, Délivrer des livres (chez qui j’avais repéré cette BD fin mai), d’autres ?

Pour La BD de la semaine qui sort de sa pause (plus de BD de la semaine chez Moka), BD 2022, Les dames en noir, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Queenie), Polar et thriller 2022-2023, Tour du monde en 80 livres (Martinique) et aussi ABC illimité (lettre Q pour titre) et Les départements français en lectures (Elizabeth Colomba est d’origine martiniquaise).

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht.

L’Arche, collection du Répertoire, 1959, 112 pages, épuisé mais d’autres éditions sont parues y compris une intégrale du théâtre de cet auteur. Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui (1941) est traduit de l’allemand par Armand Jacob. Cette pièce a été écrite en collaboration avec Margarete Steffin et elle est sous-titrée Parabole dramatique.

Genres : littérature allemande, théâtre, Histoire.

Bertolt Brecht naît le 10 février 1898 à Augsbourg en Bavière dans l’Empire germanique (1871-1918). Il naît dans une famille bourgeoise (son père est propriétaire d’une fabrique de papier). En 1914, il a 16 ans et il est déjà publié. Il étudie la philosophie puis la médecine mais il est mobilisé pour la Première guerre mondiale. Cependant il n’arrête pas d’écrire, en particulier des écrits pacifistes. Après la guerre, il écrit des pièces – la plus célèbre étant sûrement L’Opéra de quat’sous – et rencontre un succès international. Mais il est devenu marxiste dans les années 20 et, avec la montée du nazisme, ses pièces sont de plus en plus souvent interdites. Bertolt Brecht et son épouse – Helene Weigel, une actrice (1900-1971) – quittent l’Allemagne et s’exilent au Danemark (tout comme Thomas Mann, il est déchu de sa nationalité allemande) puis en Suède, en Finlande et enfin en Californie aux États-Unis. Il continue d’écrire des pièces et aussi des scénarios pour Hollywood. Lorsqu’il revient en Europe à la fin des années 1940, il vit en Suisse puis en Allemagne mais à Berlin-Est où il fonde avec Helene Weigel le Berliner Ensemble. Il meurt le 14 août 1956 à Berlin-Est en RDA (République démocratique allemande, 1949-1990). Il laisse à la postérité de nombreux articles de journaux et une cinquantainre de titres (pièces de théâtre mais aussi du ballet et de la poésie).

Margarete (Émilie Charlotte) Steffin naît le 21 mars 1908 à Rummelsburg dans le Land de Berlin. Issue d’une famille d’ouvriers, elle travaille dès 14 ans (compagnie de téléphone puis théâtre et revue Rote). Grâce à Bertolt Brecht et Hélène Weigel, elle devient actrice de théâtre mais elle est aussi autrice, critique littéraire et traductrice du russe et des langues scandinaves. Elle meurt le 4 juin 1941 à Moscou (tuberculose).

Dans le prologue, le Bonimenteur fait son discours d’ouverture et parle des scandales et des gangsters qui secouent la ville de Chicago. « Chers spectateurs, nous présentons / – Vos gueules un peu, dans le fond ! / Chapeau là-bas, la petit’ dame ! – / Des gangsters l’historique drame : / Stupéfiante révélation / Sur le scandal’ des subventions ! » (p. 7) ou l’art d’alpaguer la foule ; et annonce les gangsters qui participeront au spectacle dont Arturo Ui. Le « grand style tragique » et le « réel authentique » (p. 8) seront bien sûr respectés. Musique forte et crépitement de mitraillette, l’ambiance est assurée.

C’est la crise à Chicago, les affaires ne rapportent plus, les denrées peinent à arriver, les commerces mettent la clé sous la porte (crise des choux-fleurs !) et les gangsters ne peuvent plus… travailler, les docks devant être construits manquant de budget. « Toute morale est morte. La crise est de morale aussi bien que d’argent. […] Morale, où donc es-tu au moment du malheur ? » (Mulberry, p. 12).

Notez l’humour : « J’ai couru de Caïphe à Pilate : Caïphe ? / Absent pour plusieurs jours, Pilate ? Dans son bain. / De ses meilleurs amis on ne voit que les fesses ! » (Sheet, p. 15). « L’argent est cher en ce moment. » (Flake, p. 16) et « Oui, et surtout / Pour qui en a besoin. » (Sheet, p. 16).

Pendant la conversation, apparaît Arturo Ui, pas très apprécié, « Ce type nous assiège de propositions […] / Le revolver en main. On rencontre aujourd’hui / Beaucoup d’hommes pareils à Arturo Ui, / Qui couvrent notre ville et semblent une lèpre / Qui lui ronge les doigts, et les mains et les bras. / D’où cela vient, nul ne le sait. Mais on devine / Que cela vient d’un gouffre insondable. Ces vols, / Ces rapts, ces extorsions, ces chantages, ces crimes. / […]. » (Flake, p. 17).

De son côté, le vieil Hindsborough, élu à la mairie, a raflé la mise et Hindsborough Junior est ravi ; le vieux représente un peu Dieu le père et Junior est d’ailleurs écrit le Fils et réponds la plupart du temps « Oui, Père. », c’est le côté irrévérencieux de Bertolt Brecht. Mais tout le monde est corruptible…

Quant à Arturo Ui, par manque de travail, ses hommes deviennent oisifs et cela « surtout leur fait beaucoup de mal. » (Roma, p. 23) et il déprime… « La gloire du gangster ne dure qu’un matin. / Le peuple est inconstant, et déjà il se tourne / Vers les vainqueurs nouveaux. […]. » (Ragg, p. 26).

Le lecteur va donc croiser Hindsborough, Gobbola, Gori… des noms qui ressemblent à von Hindenburg, Goebbels, Göring… À la fin de chaque scène, un panneau explicatif apparaît et, à la fin de la scène IV, il y est écrit : « Dans le cours de l’automne 1932, le parti d’Adolf Hitler et les S.A. sont à la veille d’une banqueroute et menacés de dissolution. Les élections de novembre sont très défavorables aux nazis. Par contre le nombre des voix qui se sont portées sur les deux partis ouvriers, communiste et socialiste, s’est accru considérablement. » (p. 30). Vous voyez le parallèle entre Arturo Ui et Adolf Hitler et entre les Gardes du Corps d’Ui et les S.A. ? Mais, tout comme l’ascension d’Arturo Ui, celle d’Adolf Hitler était résistible, c’est-à-dire qu’elle aurait vraiment pu être évitée.

Lorsque Arturo Ui et son fidèle lieutenant Ernesto Roma font irruption dans sa maison, le vieil Hindsborough est sous le choc. « Ainsi, de la violence ? » (p. 34) mais Roma lui répond « Oh que non, cher ami ! Juste un peu d’insistance. » (p. 34) ou le nouveau langage. Tiens, que vous disais-je ci-dessus : Ui vient ‘prier’ le vieil Hindsborough bien qu’il « n’aime pourtant guère prier » (p. 35). Bref, Ui a « pris [sa] décision », il veut être « protecteur. Contre toute menace. Par la force qu besoin. » (p. 35), ben voyons, il annonce la couleur ! « Payer ou bien fermer. Tant pis si quelques faibles / Risquent de succomber : c’est la loi naturelle. / […] moi qui vous respecte à l’extrême […] » (Ui, p. 36). Extrême, le mot est dit… et Ui ne s’arrête pas là… « (Hurlant :) En ce cas je l’exige / En tant que criminel ! Je possède les preuves ! / […] Je vous préviens ! Ne me poussez donc pas / À des extrémités funestes ! […]. / Plus d’amis ! C’est de l’histoire ancienne ! Vous n’avez plus d’amis aujourd’hui, et demain / Rien que des ennemis. S’il est pour vous sauver / Quelqu’un, c’est moi, Arturo Ui ! Moi, moi ! » (Ui, p. 37). Le personnage vociférant, rugissant est, je trouve, très ressemblant. En plus, il veut se donner un air respectable et apprend à bien se tenir, bien marcher, bien parler et même à bien s’asseoir pour plaire « aux petites gens » (p. 53), tout un programme qui malheureusement fonctionne… Arturo Ui est prêt, bien entouré quoique de peu d’hommes au début, il va dénoncer la délinquance, expliquer que c’est « le chaos qui règne » (p. 56), faire peur sous prétexte de la défense « des citoyens honnêtes » (p. 56), du travail et de la paix alors qu’il n’appelle qu’à la haine de l’autre. Voilà, tout est clair, le sort en est jeté, la messe est dite… Vous savez que Hitler aimait les enfants, eh bien voilà une petite orpheline avec sa maman, jeune veuve, qui vient témoigner pour Arturo Ui, un bienfaiteur selon la maman mais elle s’emmêle les crayons : sa fille a d’abord six ans et, dans la phrase suivante, elle a cinq ans (Fleur des Quais, p. 61), MDR, bonjour la crédibilité ! Quant au feu inopiné et au procès fantoche contre Fish, un ouvrier au chômage, c’est… sans commentaire ! La peste noire est là et va tout contaminer… Tout ça pour des choux-fleurs (enfin, dans la pièce de Bertolt Brecht), je ne mangerai plus les choux-fleurs de la même façon après avoir lu ce texte !

Chicago (dans les années 20 et 30, une ville industrielle, à forte croissance démographique, à forte immigration, à forte ségrégation aussi, à fortes tensions sociales, à fort chômage et à forte délinquance, et donc capitale du crime et de la prohibition) était idéale pour symboliser l’Allemagne. Quant à Cicero (une ville en banlieue de Chicago, fief d’Al Capone), elle est dans la pièce plus « discrète » mais représente bien l’Autriche, qui préfère se taire et faire profil bas. Et Ui n’en a pas finit, « […] Et j’ai, moi, de plus vastes projets / Pour l’avenir. » (p. 76). Même le complot contre Hitler, je veux dire contre Ui, et l’envahissement des territoires voisins y sont !

Je sais que j’ai déjà crié au génie pour Klaus Mann (Correspondance avec Stefan Zweig et Contre la barbarie) mais Bertolt Brecht est très bon aussi, excellent même ! Une partie des vers est en alexandrins (dont j’ai parlé récemment, décidément mes lectures sont liées !) et Brecht fait preuve de beaucoup d’humour dans cette pièce épique et je comprends pourquoi elle est sous-titrée Parabole dramatique. Elle raconte, en la personne d’Arturo Ui (on appelle ça la distanciation), l’ascension d’Adolf Hitler au pouvoir (entre 1929 et 1938), ascension qui aurait pu être évitée mais on ne peut refaire l’histoire… Par ce principe de distanciation, l’auteur met en parallèle le trust des choux-fleurs en crise et la crise économique mondiale qui éreinte l’Allemagne entre les deux guerres, la destruction des commerces à Chicago et la Nuit de cristal (destruction des magasins juifs), l’incendie de l’entrepôt (et des maisons avoisinantes) et l’incendie du Reichstag, entre autres.

Comme les écrivains engagés de son époque, Bertolt Brecht appelle à toujours rester attentif, vigilant car le monde n’est pas à l’abri de telles idées et de tels gangsters. L’auteur pense à cette pièce dès 1934 (entretien avec Walter Benjamin, 1892-1940), l’écrit en 1941 alors qu’il est en exil en Finlande (en trois semaines seulement mais y apporte quelques modifications ensuite). Elle a été traduite en anglais et lue à New York en 1941 (peu de succès) puis jouée en 1958 à Stuttgart et en 1960 à Paris. La pièce a été régulièrement joué entre 1960 et 2017.

Je vous conseille fortement cette lecture, même si vous n’aimez pas spécialement lire du théâtre, parce que c’est une lecture indispensable. Je vous invite aussi à regarder / écouter la vidéo de la Compagnie Brasse de l’air ci-dessous.

Cette lecture est pour Les classiques c’est fantastique puisque, pour le mois de novembre, le thème est titre-prénom (un classique qui comporte un prénom dans son titre) et Les feuilles allemandes mais elle entre aussi dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Arturo) et ABC illimité (j’hésite entre la lettre B pour prénom ou nom et la lettre R pour titre… allez va pour B et le nom).

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Lundi Soleil 2022 #novembre (4)

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Nous sommes toujours dans le onzième thème de Lundi Soleil 2022, celui de novembre qui est une direction, l’ouest. Je remercie Rachel pour l’idée de À l’Ouest, rien de nouveau. Vous préférez lire le roman d’Erich Maria Remarque (Allemagne, 1929) ou voir le film réalisé par Lewis Milestone (États-Unis, 1930) ? Je vous souhaite une bonne semaine et vous donne rendez-vous lundi prochain pour le thème de décembre, une saison, l’hiver.

Aucune femme au monde de Catherine Lucille Moore

Aucune femme au monde de Catherine Lucille Moore.

Le passager clandestin, collection Dyschroniques, octobre 2021, 144 pages, 9 €, ISBN 978-2-36935-100-9. No Woman Born (1944) est traduit de l’américain par Arlette Rosenblum et revu par Dominique Bellec.

Genres : littérature états-unienne, science-fiction.

Catherine Lucille Moore le 24 janvier 1911 à Indianapolis (Indiana). Elle lit beaucoup, en particulier de la littérature fantastique, dès l’enfance. Quand elle doit quitter l’université (Grande dépression), elle devient secrétaire et commence à faire publier ses premières histoires (science-fiction et fantasy) dans des pulps (années 1940), en particulier dans le magazine Astounding Science Fiction. Elle est une pionnière de la science-fiction féminine et féministe. Elle se marie avec Henry Kuttner (écrivain de science-fiction) en 1940 et ils écrivent à quatre mains. Elle utilise aussi le pseudonyme de Lawrence O’Donnell. Elle écrit 4 romans (entre 1942 et 1957), de nombreuses nouvelles et plusieurs de ses œuvres sont adaptées au cinéma. Elle meurt le 4 avril 1987 à Hollywood (Californie).

Deirdre était la plus belle femme au monde. Danseuse et chanteuse, elle était connue dans le monde entier, même « sous les tentes du désert et dans les huttes polaires » (p. 6). « Et le monde entier l’avait pleurée quand elle était morte dans l’incendie de la salle. » (p. 7) dans laquelle elle se produisait. Son impresario, John Harris, ne s’en est jamais remis.

Mais son cerveau a été conservé et, depuis un an, un savant, Maltzer, travaille sur un robot pour la faire revivre, pas un robot tout mécanique, un humanoïde. « C’est moi, John chéri. C’est réellement moi, tu sais. » (p. 18). C’est troublé que John Harris découvre la nouvelle Deirdre, « en vérité, elle était toujours Deirdre » (p. 25), belle, souple, la même voix, le même rire, les mêmes postures, la même assurance, « c’était bien la femme de chair et d’os, aussi sûrement que s’il l’avait vu se dresser devant lui, intacte, à nouveau, tel le phénix ressuscité de ses cendres. » (p. 27).

Deirdre a un projet. « Je vais remonter sur scène, John […]. Je peux toujours chanter, je peux toujours danser. Je suis toujours moi-même dans tout ce qui compte et je n’imagine pas faire autre chose pendant le restant de mes jours. » (p. 39). Mais « comment des spectateurs régiraient-ils ? » (p. 42). Harris la voit humaine et est d’accord avec elle mais Maltzer la voit machine et veut l’empêcher de se produire devant un public.

Je vous laisse découvrir ça en lisant ce court roman que les anglophones appellent une novella.

Avec son écriture à la fois tranchante et sensuelle, No Woman Born est considérée comme de la SF féministe et, effectivement, qui peut décider de ce que sera la vie (personnelle et professionnelle) de Deirdre si ce n’est elle-même, quelle qu’elle soit ! Maltzer et Harris peuvent lui parler de leurs idées, la conseiller, mais ne peuvent pas la considérer comme handicapée et l’obliger à abandonner une carrière dont elle a besoin. Un court roman à découvrir d’autant plus qu’il a été écrit en 1944, en pleine Seconde guerre mondiale, les femmes prenaient la place des hommes dans presque tous les corps de métiers et commençaient à se libérer et à devenir autonomes. En plus, c’était le début de la robotique, maintenant on parle de corps augmenté, de transhumanisme. Le passager clandestin déniche toujours des ‘petites’ pépites bien agréables à découvrir !

Ils l’ont lu : Anna de ScifiLisons, Georges sur Phénix Web, Lhisbei de RSF blog, Stéphanie de De l’autre côté des livres, d’autres ?

Pour les challenges 2022 en classiques, Littérature de l’imaginaire #10, Mois américain, Petit Bac 2022 (catégorie Famille pour Femme) et S4F3 2022.

Le chat du bibliothécaire 1 – Succès mortel de Miranda James

Le chat du bibliothécaire 1 – Succès mortel de Miranda James.

J’ai lu, novembre 2021, 320 pages, 14,90 €, ISBN 978-2-29035-842-9. Murder Past Due (2010) est traduit de l’américain par Guillaume Le Pennec.

Genres : littérature états-unienne, roman policier, cozy mystery.

Miranda James est en fait Dean James, originaire du Mississippi, ancien bibliothécaire qui utilise aussi les pseudonymes Jimmie Ruth Evans et Honor Hartman pour écrire des fictions. Deux autres tomes de Le chat du bibliothécaire sont pour l’instant traduits en français, Inventaire fatal (novembre 2021) et Théâtre macabre (avril 2022). La série, Cat in the Stacks Mystery, compte 14 tomes aux États-Unis, le 15e est annoncé pour 2023.

Athena, Mississippi. Charlie Harris, bientôt la cinquantaine, vit avec Diesel un maine coon de deux ans qu’il a récupéré chaton sur le parking de la bibliothèque municipale où il travaille. Veuf depuis trois ans, il vit dans une jolie maison héritée de sa tante Dottie et dans l’héritage, il y avait Azalea Berry la gouvernante. Pour rendre service, il prête des chambres à des étudiants mais Justin, en partant ce matin, a laissé la cuisine en pagaille, ce qui n’est pas dans ses habitudes…

Mais l’événement exceptionnel pour la petite ville d’Athena, c’est l’arrivée de Godfrey Priest, enfant du pays, devenu un riche et célèbre auteur de romans policiers (plutôt violents). Julia Peterson, son ancienne petite amie au lycée, devenue Julia Wardlaw après avoir épousé le pasteur Ezra Wardlaw, est la mère de Justin. Mais quand le passé ressurgit… avec en plus un secret…

C’est que Godfrey Priest était un sacré enfoiré et… « Le retour de ce dernier à Athena ravivait beaucoup trop de mauvais souvenirs et j’avais le désagréable pressentiment que de nouveaux événements déplaisants se produiraient tant qu’il resterait dans les parages. » (p. 69).

Mais la soirée avec Priest est annulée… Il est retrouvé le crâne fracassé dans sa chambre d’hôtel avec « le téléphone de Justin gisant juste à côté du corps. » (p. 81). L’enquête est confiée au shérif par intérim Kanesha Berry (la fille d’Azalea Berry), le shérif étant en arrêt maladie, et à l’agent Bates. Évidemment Charlie Harris, Justin et sa mère Julia sont les premiers suspects de Kanesha Berry… Mais Charlie Harris décide d’enquêter aussi de son côté, ce qui est assez facile car tout le monde apprécie Diesel, la libraire, la boulangère… « j’étais ravi et reconnaissant qu’un compagnon à quatre pattes aussi exceptionnel soit apparu dans ma vie. » (p. 184-185).

Évidemment c’est le titre et la couverture qui m’ont d’abord attirée mais j’ai passé un bon moment de lecture avec ce cozy mystery états-unien. J’ai bien aimé le chat, les personnages et les rebondissements (même si ce n’est pas extraordinaire, ça reste classique). Je lirai sûrement les tomes suivants traduits en français.

Pour le Mois américain, Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Chat), Polar et thriller 2022-2023.

Mois américain – Septembre 2022

Depuis des années, Titine – du blog Plaisirs à cultiver – organisait le Mois américain en septembre (9 éditions) mais il y a eu des problèmes sur Insta en 2020… et elle ne l’a pas organisé en 2021, elle a donc raté la 10e édition de son challenge, c’est un comble (et arrêté de bloguer par la même occasion)… En 2021, Belette Cannibal Lecteur a créé quelques logos pour le faire de son côté et je me suis jointe à elle, eh bien elle fait de même cette année [son billet de présentation avec les logos] et je participe avec elle. Vous pouvez aussi participer de votre côté et partager vos liens sur le groupe FB (ah, il a été mis en veille par Titine depuis août 2021…) alors sur le nouveau groupe FB créé par Marjorie (merci Marjorie !) avec l’accord de Titine.

PS : je tiens à préciser que c’est Belette qui porte ce Mois américain, et pas seulement pour la création des logos, je me suis simplement greffée mais c’est vrai que je me suis investie, au vu des commentaires déposés ci-dessous, pour expliquer la situation, répondre aux questions et « attirer » de nouveaux participants (d’ailleurs, bienvenue à eux, eh oui, il y a un gars pour la première fois) et bon Mois américain à tous 🙂

Mes billets pour ce challenge (en pensant à Titine)

1. Le chat du bibliothécaire 1 – Succès mortel de Miranda James (J’ai lu, 2021, États-Unis)

2. Aucune femme au monde de Catherine Lucille Moore (Le passager clandestin, 2021, États-Unis)

Bon, eh bien, pas plus pour moi cette année mais vous pouvez trouver plein de billets sur le bilan de Belette.

L’Évangile des Assassins d’Adam Blake

L’Évangile des Assassins d’Adam Blake.

Ma éditions (apparemment le livre n’est plus au catalogue, il n’y a plus de fictions), novembre 2011, 480 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-822-40053-4. The Dead Sea Deception (2011) est traduit de l’anglais par Véronique Gourdon.

Genres : littérature anglaise, roman policier, thriller.

Adam Blake (pseudonyme de Mike Carey, scénariste de comics DC et Marvel) naît en 1959 à Liverpool en Angleterre. Il a été professeur avant de se consacrer à l’écriture. Sa bibliographie sur son site officiel.

L’Évangile des Assassins est le premier tome de la série Leo Tillman & Heather Kennedy. Le deuxième est The Demon Code (Le Code du Démon) paru en 2012.

Peason, Arizona, États-Unis. Le shérif Webster Gayle est appelé pour le crash d’un avion. En s’écrasant, l’avion s’est coupé en deux et « La route N40 qui traversait Basset’s Farm était parsemée de corps : hommes, femmes et enfants, tous étendus sur la terre ravagée, tandis que les vêtements se déversaient de leurs valises éventrées, tordues […]. » (p. 9).

Londres, Angleterre. Heather Kennedy doit enquêter sur « un homme mort étendu au pied d’un escalier » (p. 13) datant d’il y a trois semaines mais dont la sœur n’est pas d’accord sur le fait que ça soit un accident. Elle devra « former un nouveau coéquipier, un jeune inspecteur enthousiaste qui vient juste d’entrer dans le service […] Chris Harper. » (p. 15) qui a 28 ans. Le mort était le professeur Stuart Barlow du département Histoire de l’université du Prince Régent, il avait 57 ans, était spécialisé en paléographie et dans les manuscrits de Nag Hammadi. E l’autopsie révèle que, effectivement, la mort est suspecte. En plus il avait déclaré être suivi.

Magas, Ingushetia (république d’Ingouchie, entre l’Ossétie du Nord et la Tchétchénie). Leo Tillman a perdu son épouse (Déborah) et leurs enfants (Jud, Seth et Grace). Il interroge Yanush (Kiril) Kartoyev, un trafiquant russe sur Michael Brand qu’il poursuit depuis 13 ans mais il n’obtient qu’une info importante, la dernière destination de Brand était Londres.

Lorsque Heather Kennedy va interroger Rosalind Barlow, la sœur du professeur assassiné, elle apprend que Stuart Barlow faisait voulait réécrire le codex Rotgut, « une traduction médiévale d’une version égarée de l’Évangile selon saint Jean. » (p. 74) et qu’il faisait partie des Ravellers, « une communauté sur Internet de paléographes – les gens qui travaillent sur les manuscrits anciens et les incunables. » (p. 73) et le seul nom dont elle ait entendu parler est Michael Brand qui devait rencontrer son frère à l’hôtel Pride Court à Londres. Michael Brand, oui, vous avez bien lu, Michael Brand, le point commun entre Leo Tillman et Heather Kennedy ! Et pendant ce temps, Chris Harper a découvert que deux autres scientifiques ayant assisté à la même conférence ont été également tués, Catherine Hurt et Samir Devani.

Deux jours après l’accident d’avion, à Peason, des fantômes des victimes sont apparus. Par exemple, un homme était dans son salon devant la télévision avec un verre de whisky et sa veuve a même senti son parfum, un employé des travaux publics s’est présenté à son bureau et a surfé sur Internet, une femme a sorti sa voiture du garage pour aller au supermarché et faire des achats avec de l’argent qu’elle venait de retirer du distributeur, une autre femme a appelé son frère « exactement soixante et une heures après que l’avion s’était écrasé au sol. » (p. 79). La boîte noire n’a toujours pas été retrouvée alors qu’elle émet bien un signal et, en la cherchant, le shérif Webster Gayle se retrouve lui-même nez à nez avec deux fantômes, si ressemblant qu’ils sont sûrement frère et sœur.

Montmartre, Paris, France. Solomon Kuutma suit Leo Tillman à la trace et envoie ses Messagers. Parfois ils perdent sa trace mais il faut absolument que Tillman ne retrouve ni sa femme ni ses enfants. Pour quelle(s) raison(s) ?

Bon, vous imaginez bien que Leo Tillman et Heather Kennedy, tous les deux cherchant Michael Brand, vont se rencontrer ! « Kennedy était perplexe. Il n’y avait pas grand-chose dans son discours qui lui avait semblé très sensé, même si Tillman l’avait prononcé d’une voix calme et mesurée. » (p. 206). « À propos de là où nous en sommes. Vous devez comprendre que ça fait longtemps maintenant que je recherche Michael Brand. Peut-être même depuis plus longtemps que vous n’êtes inspectrice. Et pendant tout ce temps, je ne me suis jamais senti aussi près de le trouver que maintenant. Nous nous sommes rencontrés au bon moment. Ce que vous savez et ce que je sais, tout cela se complète presque à la perfection. Nous sommes en bonne position. » (p. 251).

L’Évangile des Assassins est un thriller passionnant et explosif, plutôt ésotérique mais compréhensible même par les lecteurs qui n’y connaissent rien en religion chrétienne, groupes du début du christianisme, codex et manuscrits apocryphes. Je pense qu’il y a une part de ‘vérité’ et d’historique et une part de fiction (ou alors c’est que nous ne sommes pas au courant de tout et il vaut mieux pour nos vies !). Cependant, l’évangile de Judas est maintenant connu et beaucoup d’historiens et de scientifiques expliquent qu’il n’est pas le traître que l’on croit et qu’il aurait agi sur ordre de Jésus en toute connaissance de cause (est-ce que ce sont de simples hypothèses ou ont-il des preuves pour étayer tout ça, je ne sais pas). En tout cas, tout s’accélère dans les derniers chapitres. « Tillman la regarda inanimée, et il eut un rare sursaut de conscience. Avait-il entraîné Kennedy dans sa propre folie, ou s’étaient-ils rencontrés où elle était devenue assez dingue pour qu’ils soient sur la même longueur d’onde ? » (p. 434).

En fait, ce roman m’avait été envoyé par Lystig [sa note de lecture sur L’oiseau-Lire] au printemps 2012 (je pense, en tout cas après qu’elle l’ait lu puisqu’elle proposait de l’envoyer à la fin de son billet) et, peu de temps après l’avoir commencé, je me suis rappelée que je l’avais déjà lu, ou en tout cas commencé, car je me suis souvenu de certaines choses et j’ai retrouvé un papier dans le livre avec quelques notes. Comme le disait Lystig, il y a deux héros blessés par la vie, sympathiques et attachants, de l’action, du mystère (de l’ésotérisme) avec les descendants de Judas (et même de Caïn en fait) et le lecteur voyage surtout en Angleterre et aux États-Unis avec une incursion en Russie, en France et au Mexique. Un bon thriller avec une pointe de fantastique qui se laisse bien lire mais aurais-je l’occasion de lire le tome 2 (qui se déroule trois ans après) ?

J’ai repéré deux fautes… Page 45, Start au lieu de Stuart. Page 61, « En pour ce qui était des plaisanteries ».

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 8, un livre dans ma Pàl depuis plus de 5 ans, depuis environ 10 ans même, 3e billet), British Mysteries 2022, Challenge lecture 2022 (catégorie 49, le livre de votre Pàl dont la date d’édition est la plus ancienne, il y a sûrement plus ancien mais celui-ci est dans ma Pàl depuis 10 ans), Polar et thriller 2022-2023, Shiny Summer Challenge 2022 (menu 1 – Été ensoleillé, sous menu 1 – Mort sur le Nil = policier et thriller, 4e billet), Un genre par mois (en juillet, c’est policier), Voisins Voisines 2022 (Angleterre).

To Repel Boarders (À l’abordage) de Jack London

To Repel Boarders (À l’abordage) de Jack London.

En numérique, anglais (1902) et français, une dizaine de pages.

Genres : littérature états-unienne, nouvelle, classique.

Comme j’ai eu du mal ces derniers jours pour lire et rédiger une note de lecture, j’ai choisi de lire une nouvelle. Je l’ai lue en anglais et en français.

Cette nouvelle de Jack London est parue aux États-Unis dans le St. Nicholas Magazine en juillet 1902 puis dans le mensuel McClure, Phillips & Co (1922) et dans le recueil Dutch Courage and Other Stories (The Macmillan Co, 1922).

Elle a été traduite en français par Louis Postif et publiée sous le titre À l’abordage dans Les pirates de San Francisco et autres histoires de la mer (10/18, recueil, 1973) puis dans Le mouchoir jaune et autres histoires de pirates (Folio, recueil, 1981) puis dans L’évasion de la goélette (Gallimard, recueil, 2008).

Jack London, de son vrai nom John Griffith Chaney (quoique William Chaney nie être le père et que, suite au séisme de 1906, les registres sont détruits), naît le 12 janvier 1876 à San Francisco en Californie (États-Unis). Avec sa mère, remariée à John London (qui a plusieurs enfants de son premier mariage), la famille déménage souvent mais reste en Californie (baie de San Francisco, Oakland, Alameda, San Mateo…). John/Jack vit au milieu des animaux, aime lire dès l’enfance, fréquente l’école, la bibliothèque et est embauché pour des petits boulots mais ce qu’il aime, c’est la mer et la liberté. Il devient le « prince des pilleurs d’huîtres », boit beaucoup mais gagne bien sa vie jusqu’à ce qu’il perde son bateau. Ensuite, il s’engage sur un bateau, profite d’une vie vagabonde, puis travaille pour reprendre ses études. Il devient journaliste, nouvelliste, romancier, poète, dramaturge, militant aussi, il part au Klondike où il trouve matière à écrire (à défaut d’or), il se marie avec une amie et le couple a deux filles. Il écrit sur l’East End (un quartier pauvre de Londres), il est correspondant pour la guerre russo-japonaise, pour la guerre de Corée, se passionne pour la révolution russe puis voyage dans le Pacifique et en Océanie. Il va aussi au Mexique, à Hawaii, bref il a une vie bien remplie et de quoi écrire articles et fictions (il est d’ailleurs l’écrivain le mieux payé du XXe siècle) d’autant plus qu’il s’inspire d’auteurs français et britanniques qu’il apprécie. Il meurt le 22 novembre 1916 à Glen Ellen en Californie et certains de ses titres sont publiés posthumes. Nombres de ses œuvres sont adaptées (séries, cinéma, bandes dessinées, chansons même).

La nouvelle To Repel Boarders (À l’abordage) est un dialogue entre Paul Fairfax et Bob Kellogg. Paul est persuadé de ne pas être à sa place, de ne pas être né au bon moment, il aurait aimé vivre durant « the days of the sea-kings », c’est-à-dire à l’époque des rois de la mer. « No, honest, now, Bob, I’m sure I was born too late. The twentieth century’s no place for me. If I’d had my way… ».

Paul et Bob, nés à Bay Farm Island à San Francisco, sont amis d’enfance. Leur rêve ? La mer ! Là, ils sont sur The Mist / La Brume, il est passé minuit et c’est la première fois qu’ils naviguent de nuit. « The Mist, being broad of beam, was comfortable and roomy. ». « La Brume, étant large de poutre, était confortable et spacieuse. ».

Paul déplore qu’au XXe siècle, il n’y a plus de romance et d’aventure comme avant… Trop de civilisation… Paul vit dans une nostalgie qu’il n’a pas connue… « Why, in the old times the sea was one constant glorious adventure, he continued. A boy left school and became a midshipman, and in a few weeks was cruising after Spanish galleons or locking yard-arms with a French privateer, or — doing lots of things. ». « Pourquoi, dans les temps anciens, la mer était une aventure glorieuse constante, poursuivit-il. Un garçon quittait l’école, devenait aspirant et, en quelques semaines, il naviguait après des galions espagnols ou verrouillait les bras de cour avec un corsaire français, ou faisait beaucoup de choses. ».

C’est que Paul lit beaucoup, a beaucoup d’imagination et rêve d’aventure ! Mais l’aventure n’est pas encore au rendez-vous… Tout à coup, leur bateau entre en collision avec le filet d’un autre bateau… « You break-a my net-a! You break-a my net-a! », pas contents les pêcheurs pirates qui ont abordé avec des couteaux The Mist et attaquer les deux jeunes hommes qui ne s’en sont sortis que grâce au vent. « Now that you’ve had your adventure, do you feel any better? ». « Maintenant que tu as vécu ton aventure, tu te sens mieux ? ».

Souvenir d’enfance ? Souvenir d’une lecture ? Véritable petite aventure ? L’auteur aime la mer, la navigation, le danger et ça se ressent dans cette courte nouvelle. Je me rappelle avoir lu quelques titres à l’adolescence, L’appel de la forêt, Croc Blanc, des titres qui m’avaient marquée et il faudrait que je relise plus sérieusement cet auteur précurseur du Nature Writing.

Pour 2022 en classiques, Les classiques c’est fantastique (en juillet, le thème est bord de mer ou grand large) et Les textes courts.

Les tambours du dieu noir et L’affaire étrange du djinn du Caire de P. Djèlí Clark

Les tambours du dieu noir suivi de L’affaire étrange du djinn du Caire de P. Djèlí Clark.

L’Atalante, collection La dentelle du cygne, avril 2021, 144 pages, 12,90 €, ISBN 979-10-3600-074-4. The Black God’s Drums (2018) et A Dead Djinn in Cairo (2016) sont traduits de l’anglais par Mathilde Montier.

Phenderson Djèlí Clark, de son vrai nom Dexter Gabriel, naît le 11 juin 1971 à New York (États-Unis) mais il grandit chez ses grands-parents à Trinité et Tobago. À l’âge de 8 ans, il retourne aux États-Unis. Il étudie l’Histoire. Il est historien, professeur chercheur (esclavage et émancipation dans le monde atlantique) et auteur (romancier et nouvelliste dans les genres fantasy et science-fiction). Plus d’infos sur son site officiel.

Voici ce que nous dit l’éditeur (site et 4e de couv). « Bienvenue dans la première publication française d’un nouveau maître de l’uchronie et du surnaturel. Bienvenue dans les mondes mirifiques criants de réalisme, foisonnants de couleurs, de sons et de parfums, de Phenderson Djèlí Clark. »

Les tambours du dieu noir est un roman indépendant.

Genres : littérature états-unienne, science-fiction (uchronie, steampunk).

La Nouvelle-Orléans, années 1880, bientôt ‘Maddi grá’. Une Nouvelle-Orléans indépendante et territoire neutre, avec des guildes, des dirigeables, des Écrivisses métalliques qui patrouillent dans les rues, des tempêtes noires, des Grands Murs construits par les Hollandais pour en protéger la ville et une guerre de Sécession presque avortée sur la fin.

Jacqueline (surnommée LaVrille) est la narratrice. « C’est pendant un de ces gros orages que je suis née, il y a à peu près treize ans, en 1871. » (p. 11). Son coin préféré ? Une alcôve sur un mur dans laquelle elle peut observer – sans être vue – les dirigeables et les gens qui en sortent « farandole de couleurs de peau, de vêtements, de langues » (p. 12). Son rêve ? « Je quitterai cette ville, je fendrai les nuages pour aller découvrir tout ce qu’y a à découvrir et voir tous les gens qu’y a à voir. » (p. 12). Ah, j’oubliais, Jacqueline est pickpocket ! « Comme de bien entendu, de mon alcôve, je peux aussi repérer les voyageurs qui surveillent pas d’assez près leurs portemonnaies, leurs valises et tout ce qui dépasse. Parce qu’à La Nouvelle-Orléans, les rêves, ça nourrit pas son homme. » (p. 12).

Mais soudain, tout ralentit et « une lune monstrueuse monte dans le ciel. Non, pas une lune, […] un crâne ! Un gigantesque crâne blanc emplit de nuit. » (p. 13). Jacqueline pense que c’est une vision que lui envoie la déesse Oya. Mais elle doit se cacher tout au fond de l’alcôve car des hommes arrivent (bizarre, personne ne vient jamais par ici), des Sudistes, et elle surprend leur conversation au sujet d’un scientifique haïtien, « […] les Tambours du dieu noir… T’êt’ bien que vous autres allez la gagner, c’te guerre, à la fin du compte. » (p. 16).

Jacqueline sait à qui elle va vendre l’information, à La Capitaine du dirigeable, le Détrousseur de Minuit, qui a connu sa mère, Rose, morte il y a trois ans. Si Jacqueline a en elle depuis toujours la déesse Oya (ce n’est pas comme une possession), idem pour La Capitaine (de son vrai nom Ann-Marie St. Augustine) avec la déesse Oshun et ces deux déesses sont sœurs donc La Capitaine et Jacqueline sont liées qu’elles le veuillent ou non. « Je comprends mieux pourquoi qu’elle a tant la bougeotte. À chaque tempête, à chaque épisode de vents violents, Oya est souveraine. Je l’entends rugir, en moi comme tout autour. Au milieu de toute cette eau, Oshun doit être pareille et, à force de lui résister la capitaine doit avoir l’impression de lutter contre un raz-de-marée. Dans ma tête, Oya rit. On peut fuir tant qu’on veut ses déesses afrikaines ancestrales, elles nous retrouvent toujours quand elles l’ont décidé. » (p. 64).

J’ai bien aimé (mais je l’ai trouvé un peu trop court, bon j’en aurais voulu plus !), il y a de l’action, de l’inventivité et les deux personnages principales sont attachantes. Je le conseille surtout à ceux qui aiment le steampunk (par certains côtés, ça m’a fait penser à la trilogie Le siècle mécanique de Chérie Priest). Il a été nommé à plusieurs prix : Nebula du meilleur roman court 2018, Hugo du meilleur roman court 2019, Locus du meilleur roman court 2019 et World Fantasy du meilleur roman court 2019.

La chose un peu difficile : lire les phrases en créole (enfin, il me semble que c’est du créole)… Un exemple, « Mwen avé bien plis que dizneuf ans quonça mwen embaqué sus un dirijabl ! Ma granmanman m’auré dékalbichée si mwen avait songé à ton laj. Touça à qui tu dévré rêvé, lé gason qui sont pètèt amoureux di toi et le mayaj. » (la capitaine à Jacqueline, p. 32). Vous voyez, c’est compréhensible quand même (bravo à la traductrice !) et je vous rassure, ce n’est pas tout le temps comme ça, c’est seulement pour quelques dialogues.

Pour Challenge lecture 2022 (catégorie 15, un livre avec une couleur dans le titre), Littérature de l’imaginaire #10, Petit Bac 2022 (catégorie Couleur pour Noir), Shiny Summer Challenge 2022 (menu 4 – Chaud et ardent, sous menu 2 – Faire feu de tout bois = guerre, bataille, enjeu politique, on est en pleine guerre de Sécession mais… différente), Les textes courts (cette première histoire compte 90 pages) et surtout S4F3 2022 et Vapeur et feuilles de thé (steampunk).

L’affaire étrange du djinn du Caire est la première histoire de la série Ministère égyptien de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles. La 2e étant Le mystère du tramway hanté (2019, L’Atalante, 2021) et la 3e Maître des djinns (2021, L’Atalante, 2022).

Genres : littérature états-unienne, fantasy, fantastique, science-fiction, roman policier.

Azbakiyya, quartier cossu du Caire, Égypte, 1912. « Fatma El-Sha’arawi, agente spéciale du ministère égyptien de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, examinait le cadavre vautré sur le gigantesque divan à travers des lunettes spectrales. Un djinn. Un Ancien, qui plus est – musculeux, deux fois plus grand qu’un homme, avec des doigts prolongés par des serres recourbées aussi longues que des couteaux. » (début du roman, p. 93).

Vous avez déjà vu un djinn, vous ? Moi, non… mais je ne possède pas de lunettes spectrales !

L’inspecteur Aasim Sharif de la maréchaussée locale sert d’officier de liaison avec le ministère. « Il n’avait pas mauvais fond. Il était simplement vulgaire. » (p. 93), vu son discours, tout le monde s’en sera rendu compte, et en plus il n’est pas très efficace… Bref, ce que je veux dire, c’est que, comme dans Les tambours du dieu noir avec Jacqueline et La Capitaine, l’auteur privilégie encore ici une héroïne, même si les hommes du Caire sont bien gênés devant « une Saïdi basanée sortie de sa cambrousse » (p. 94), jeune en plus (24 ans), érudite (elle a étudié à Louxor), habillée à l’occidentale (plutôt mode masculine, extravagante, costume anglais, cravate, chapeau melon noir, chaussures à bout golf, canne à pommeau d’argent et montre à gousset offerte par son père horloger) et même deux héroïnes puisque le lecteur fera la connaissance de Siti, une Nubienne, un peu plus tard.

Phenderson Djèlí Clark est un maître dans la fusion des genres ! Nous avons ici une enquête policière avec une pointe de science-fiction (créatures mécaniques et automates, steampunk donc), de la fantasy (magie et créatures d’un autre monde) et du fantastique (horreur, avec un petit côté lovecraftien). C’est que, plus de quarante ans auparavant, al-Jahiz « au moyen de pratiques mystiques et de machines, avait ouvert un passage vers le Kaf, l’outre-royaume des djinns. La raison de son geste – curiosité, malveillance ou malice – restait un mystère. Il avait disparu peu après en emportant ses incroyables inventions. » (p. 101), ouvrant la porte aux djinns, goules, sorciers, magiciennes…

« La fin des mondes est proche, intervint la femme-Jann d’une voix qui résonna comme un écho. L’heure tourne. […] Vous en avez vu beaucoup cette nuit, reprit la prêtresse. […] une paire de cornes torsadées, une faucille, une hache surmontée d’un crochet et une demi-lune entourée de lierre entortillé. » (p. 122). Une vieille prophétie djinn se réalise… « […] selon laquelle trois seront nécessaires, trois qui devront se livrer sans contrainte. » (p. 124-125). Le Bélier (le djinn) est déjà mort, le Moissonneur (l’ange) aussi, mais qui est le Bâtisseur ? Serait-ce la fin du monde ?

Avec cette histoire, l’auteur revisite le mythe de l’horloge, maîtresse du temps et de l’espace, malédiction pour les humains, « toutes les peurs, tous les cauchemars inimaginables » (p. 135). De l’action, des rebondissements, pas de fioritures, le tout dans un format court mais une totale réussite, j’ai encore mieux aimé que Les tambours du dieu noir et j’ai hâte de lire la suite, Le mystère du tramway hanté (2e tome, que j’ai) et Maître des djinns (3e tome, que malheureusement je n’ai pas mais que je vais me procurer puisqu’il est paru en février 2022).

Ils l’ont lu : Amalia, Apophis, CélineDanaë, Elwyn, Lutin d’Albédo, Ours inculte, Yuyine, d’autres ?

Pour Challenge lecture 2022 (catégorie 39, un roman fantasy), Contes et légendes (créatures surnaturelles), Littérature de l’imaginaire #10, Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Caire), Shiny Summer Challenge 2022 (menu 4 – Chaud et ardent, sous menu 2 – Faire feu de tout bois = guerre, bataille, enjeu politique, ici une guerre magique, 2e lecture), Les textes courts (cette deuxième histoire compte 54 pages), Un genre par mois (en juillet, c’est policier) et surtout S4F3 2022 et Vapeur et feuilles de thé (steampunk).