Zulma, janvier 2017, 144 pages, 9,95 €, ISBN 978-2-84304-786-2. Je l’ai lu en poche : 10/18 (plus au catalogue), collection Domaine étranger, n° 3724, août 2004, 128 pages, 9,99 €, ISBN 2-264-03987-6. 한씨 연대기 (Hanssi yeondaegi, 1970) est traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.
Genres : littérature coréenne, roman, Histoire.
Hwang Sok-Yong naît le 4 janvier 1943 à Zhangchun, dans une famille coréenne exilée en Mandchourie (occupée par les Japonais). Il étudie la philosophie à l’université Dongguk (Séoul). Il se rend à Pyongyang, se bat au Sud Viêt-Nam, voyage en Allemagne, aux États-Unis puis retourne à Séoul en 1993 où il est emprisonné. Il est romancier et nouvelliste (une dizaine de ses œuvres est traduite en français).
Lecture commune avec Maggie, entre autres, mais j’avais oublié…
Le vieux Han vit seul dans une chambre au deuxième étage d’une maison et il aide un peu le croque-mort mais un soir il tombe dans les escaliers en rentrant et les voisins doivent l’aider car il est dans un état grave. Madame Min aimerait, après sa mort, récupérer la chambre. Chambre que madame Byon veut aussi. « Les Byon vont pas être contents… J’ai pourtant pas envie de me les mettre à dos en ce moment. Va falloir négocier sans les fâcher… Tout ça pour une chambre minuscule ! » (le mari de madame Min, p. 24).
Flashback. Han Yongdok exerce à l’hôpital et il est professeur de gynécologie à l’hôpital universitaire de Pyongyang. Il n’est pas mobilisé mais il est tout de même inquiet… « Il vivait dans l’angoisse de perdre son poste et d’être remplacé par quelque jeune loup solidement endoctriné, à la tête bourrée de certitudes. » (p. 31). Finalement, avec deux collègues, il est nommé à l’Hôpital du Peuple. « Tâchez de vous rendre utiles au Parti, rachetez vos fautes par le travail. […] Consacrez-vous au salut du peuple. » (p. 35). Mais l’hôpital bombardé est en partie détruit et « Les quelques médecins qui travaillaient là devaient soigner des malades par milliers, sans médicaments, sans matériel. » (p. 36). C’est que « Le pays était ravagé. » (p. 51).
Malheureusement, lorsque Han passe au sud, il doit abandonner sa famille, sa vieille mère, son épouse, leur fils et leur fille. À Séoul, il est considéré comme un espion, abusé par deux faux médecins qui ont besoin de s’associer avec lui pour légitimer leur clinique, etc. Il est finalement arrêté sur dénonciation mensongère et transféré à la prison de Séoul. Han Songsuk, sa sœur qui est veuve et qui élève seule ses enfants, fera tout son possible pour le faire innocenter et libérer mais elle est, comme son frère, confrontée à une dure réalité.
Monsieur Han paraît d’abord en feuilleton en 1970 puis est édité en 1972. L’auteur – qui se qualifie de « réaliste idéaliste » – l’imagine plus comme une chronique que comme un roman « afin de souligner l’authenticité des faits décrits » (préface, p. 5). L’auteur raconte tout, avec précision mais en peu de mots, la division nord sud, la guerre, les gens déracinés dans leur propre pays, les suspicions d’espionnage vis-à-vis des réfugiés du nord au sud… Tout cela est tragique. Hwang Sok-Yong décrit bien ses personnages et les situations mais il ne peut rien faire contre l’Histoire. Car Monsieur Han, c’est l’oncle maternel de l’auteur, médecin mort dans la misère à cause de sa naïveté, de sa sincérité… Mais pour cela, c’est aussi toutes les victimes de ce conflit nord-sud et de ses terribles suites. J’ai eu l’impression de lire du Zola ou du Dickens mais transposés en Corée, vous voyez ce que je veux dire.
Un auteur à découvrir absolument et, de mon côté, je lirai d’autres titres. En avez-vous un à me conseiller (pour plus tard) ?
Zov – L’homme qui a dit non à la guerre de Pavel Filatiev.
Albin Michel, novembre 2022, 224 pages, 19,90 € (*), ISBN 978-2-22648-101-6. Zov (2022) est traduit du russe par Gisèle Tokarev. (*) « L’intégralité des droits d’auteur seront reversés à des ONG venant en aide aux victimes de la guerre en Ukraine. » (site de l’éditeur et 4e de couverture).
Genres : littérature russe, témoignage, Histoire.
Pavel (Olegovitch) Filatiev (Павел Олегович Филатьев) naît le 9 août 1988 à Volgodonsk dans l’oblast de Rostov dans le sud de la Russie. Élevé dans une famille de militaires, il s’engage et participe à la guerre en Tchétchénie à la fin des années 2000 puis donne sa démission et élève des chevaux pendant 10 ans. En février 2022, il est parachutiste basé en Crimée et son unité est envoyée dans le centre de l’Ukraine pour faire la guerre. C’est cela qu’il raconte dans Zov. Son livre écrit en russe est disponible librement et gratuitement sur les sites Vkontakte et Gulagu.net (voir ci-dessous) et, depuis août 2022, Pavel Filatiev est exilé à Paris.
J’ai voulu lire ce livre après avoir vu / entendu l’auteur invité au 28’ par Élisabeth Quin sur Arte le 22 novembre [lien vers l’émission, voir les 13 premières minutes).
Introduction de l’éditeur : « Dans ce livre, Pavel Filatiev ne décrit que les événements dont il a été témoin et auxquels il a participé dans les deux premiers mois de la guerre en Ukraine en tant que membre du 56e régiment d’assaut aéroporté. Il n’a pas souhaité porter de jugement sur la suite de la guerre puisqu’il n’en a pas été un témoin direct. » (p. 6). À noter qu’Albin Michel est le premier éditeur à publier Zov en dehors des deux plateformes russes qui l’ont mis en ligne librement en langue russe, l’auteur l’a mis en ligne sur sa page Vkontakte ou VK (l’équivalent de FB en Russie) avant de quitter la Russie et le fondateur de l’association Gulagu.net l’a aussi mis en ligne librement.
Introduction de l’auteur. « Alors que j’écris ces lignes, je suis revenu du front ukrainien depuis un mois et demi. Oui, je sais bien qu’il ne faut pas employer le mot ‘guerre’ parce qu’il est interdit en Russie, mais je continuerai à le faire malgré tout. Que les choses soient claires : j’ai trente-trois ans et, toute ma vie, j’ai dit ce que je pensais, même si c’était à mes dépens, je ne suis pas ‘comme il faut’ et je ne peux rien y faire. Donc, c’est la guerre, l’armée russe tire sur l’armée ukrainienne qui riposte, obus et roquettes explosent sur le territoire ukrainien. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu le bruit que font un obus ou une roquette lorsqu’ils s’approchent de vous. Sinon, vous ne savez pas ce que vous perdez : sentir l’air vibrer et siffler de façon inoubliable, sentir ses entrailles se retourner et sa respiration s’arrêter. Ensuite, si la chance est de votre côté, entendre l’explosion et vous dire que vous avez eu du bol d’être resté entier et de ne pas avoir reçu un éclat d’obus. Dans le cas contraire, ce n’était pas votre jour. Bref, c’est un sacré truc… Pendant ce temps, des militaires meurent des deux côtés et des civils aussi, ceux qui ont le ‘bonheur’ de vivre là où un certain monsieur a eu l’idée de commencer une guerre et de l’appeler ‘opération spéciale’. Sans oublier, bien sûr, tout ce qui va avec : la faim, les maladies, les nuits sans sommeil, le manque d’hygiène, un taux d’adrénaline qui dérape sans arrêt, épuisant les ressources de l’organisme pour lui donner force, rapidité et vitesse de réaction. Ce n’est que plus tard, quant on quitte les zones de combat, vidé, pressé comme un citron qu’on réalise qu’on a bousillé sa santé à jamais. Il y a aussi la pression morale exercée par la conscience sur l’âme et le cœur – si ces mots ont un sens pour vous. Alors, sans le vouloir, on se demande pourquoi et au nom de quoi on est là. Dans quel but on risque sa vie, on corrompt son karma qui n’était peut-être déjà pas au meilleur de sa forme. Je vais vous raconter dans quelles conditions j’ai pu voir cette guerre et dans quelles circonstances je m’y suis retrouvé.Je suis conscient que j’engage ma responsabilité en diffusant des informations sur mon activité militaire mais me taire serait laisser le nombre de victimes continuer à augmenter. » (p. 7-8).
Certains (journalistes, critiques) démontent le livre – sans doute sans l’avoir réellement lu ou sans l’avoir lu entièrement – en disant que l’auteur fictionnalise son histoire… Et alors ? C’est son livre, il écrit ce qu’il veut ! Mais je me rends compte, en lisant son introduction qu’il mêle témoignage (qui semble sincère) et humour ce qui me convient très bien, histoire de ne pas lire que des horreurs…
L’auteur raconte les « Deux mois de boue, de faim, de froid, de sueur, la mort omniprésente. » (p. 11) qu’il a vécus avant d’être évacué car sa blessure à l’œil s’était infectée, « deux mois en première ligne » (p. 13). Lors de l’évacuation en bus, il a pu « réfléchir à ces deux derniers mois de ma vie, à ce qu’ils représentaient, à quoi ils m’avaient servi ; je me demandais si j’avais fait quelque chose de bien ou de mal, pourquoi j’avais participé à cette aventure et comment je m’étais retrouvé là-bas. Depuis ce moment, un monologue intérieur fait de mauvaise conscience, de patriotisme et de bon sens ne s’arrête pas. » (p. 13). En lisant le récit de Pavel Filatiev, je ressens bien ce qu’il a vécu, ses questionnements, sa prise de conscience et je ne remets pas en cause son patriotisme car chacun a le droit (je ne parle pas de devoir) d’aimer son pays, sa langue, son histoire, sa culture quels que soient les événements.
À propos de ses questionnements, je voudrais encore citer cet extrait : « Si l’on s’en tient aux réponses toutes faites, je suis un militaire, un parachutiste obligé d’obéir aux ordres, qui n’a pas le droit d’avoir peur et de ne pas partir à la guerre quand elle est déclarée, je dois servir le bien de mon pays et défendre le peuple de Russie. Mais le bon sens s’en mêle, soulignant les contradictions et soulevant des questions. » (p. 13-14). Je ne vois ni romantisme ni patriotisme exacerbés, simplement un homme intelligent qui réfléchit et qui est lucide. Et je pense que le livre va continuer dans cette voie.
En se questionnant, Pavel Filatiev répond avec discernement à des questions importantes comme « L’Ukraine menaçait-elle la Russie ? », « Si nous n’avions pas attaqué l’Ukraine, elle nous aurait attaqué ? », « L’Ukraine est gangrenée par le nazisme et la population russe est discriminée ? » (p. 14-16) et ses réponses sont bien différentes de celles assénées par le Kremlin, les médias russes et que les Russes se répètent pour se convaincre !
« […] je veux tout raconter avec sincérité, sans cacher les émotions et les pensées qui me traversent. » (p. 22), il donne aussi des informations militaires et je comprends qu’il ait demandé l’asile politique en France car, en Russie, c’est le peloton d’exécution qui l’attend…
En tout cas, dès le début des combats, c’est un sacré bordel ! Qui tire, les Russes ou les Khokhols (« nom péjoratif que les Russes donnent aux Ukrainiens », note p. 28) ? Que veulent dire les fusées de signalisation rouges ou blanches ? Personne ne le sait ! Désorganisation, communications coupées (il le répète plusieurs fois, c’est un peu embêtant pour les lecteurs mais sûrement que pour les soldats c’est très grave car ils sont vraiment coupés du monde et ne savent absolument rien), pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments, manque de sommeil, froid, du matériel obsolète, aucune organisation… Des Russes qui tirent sur des Russes… « Qui répondra de ces morts et de ces blessés ? » (p. 72).
« Il est temps que je vous explique mon rapport à la guerre. Comme n’importe quel militaire doué de bon sens, j’ai une opinion négative de la guerre. Bien sûr, tout ce qui est lié aux activités militaires me plaît, comme à la majorité des hommes, parce que j’ai baigné dedans toute mon enfance. Mais, comme on dit, ‘ceux qui parlent haut et fort de la guerre sont ceux qui ne la feront pas’. » (p. 97). Je comprends que, pour beaucoup d’hommes, l’armée c’est une famille, la camaraderie, et pour certains sûrement aussi l’obéissance, une façon de les canaliser. « D’une façon générale, je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de cette guerre contre l’Ukraine, je n’y vois pas la moindre raison et je dirais même que j’étais contre le rattachement de la Crimée (c’est d’ailleurs en Crimée que j’écris ces lignes) […]. De plus, les Ukrainiens sont le peuple le plus proche des Russes […]. Mon arrière-grand-père, à qui je dois mon prénom Pavel, était un koulak d’Ukraine. Il a fait la première guerre mondiale (qui d’ailleurs n’a rien apporté d’autre à notre pays que mort et souffrance), […]. Depuis un siècle, le pouvoir est passé de main en main et, aujourd’hui, son arrière-petit-fils Pavel est expédié dans sa patrie d’origine pour y sacrifier sa santé, encore un fois pour rien. » (p. 97-98). Qui peut douter de la sincérité de l’auteur ? Et plus loin, lorsqu’il parle de l’état de santé de son père, militaire, invalide à cinquante-deux ans qui n’a droit à aucune aide, je peux vous dire qu’il n’est pas tendre envers les décideurs, « […] l’État l’avait tout simplement oublié, comme beaucoup d’autres qui avaient laissé leur peau et leur santé, non pas pour des yachts, des palais et du luxe, mais pour assurer un avenir heureux à leur grand pays et à son peuple qui avait tant souffert. Ce peuple dont les ancêtres avaient vaincu le fascisme et lui avaient laissé en héritage la devise : ‘Pourvu qu’il n’y ait pas de guerre !’ » (p. 116).
Sûrement mon passage préféré. « Même si presque tout le pays sait que l’armée russe est une vraie maison de fous, on trouve toujours des gens comme moi pour s’y engager en pensant que ce n’est peut-être pas si mal, que les choses se sont arrangées. » (p. 160). « Malheureusement, il y en a aussi qui sont tout à fait satisfaits de la façon dont les choses s’y passent, qui consacrent toute leur vie à faire carrière, qui ont obtenu le grade de commandant ou mieux et qui, à l’approche de la retraite, ne veulent pas tout perdre. C’est sur eux que tient ce système pourri. Ce sont eux qui ont cru qu’avec le bordel qui règne au ministère de la Défense nous pourrions envahir l’Ukraine en trois jours… » (p. 161).
Alors, ce n’est pas de la ‘grande littérature’ – l’auteur le sait et le dit lui-même, « Je ne suis pas un écrivain et j’ai décidé de publier un livre dans lequel je raconte la réalité de la guerre. Mon récit va être lu par le monde entier. » (p. 211), bon peut-être pas en Corée du Nord ! – mais c’est un témoignage très intéressant, que dis-je c’est le seul témoignage d’un soldat russe sur la guerre qui fait encore rage en Ukraine ! « Une longue confession » écrit le journal Le Monde. À lire donc, si vous êtes curieux, si vous souhaitez avoir un autre son de cloche que celui officiel. C’est homme a dit non à la guerre et il raconte le pourquoi du comment en prenant tous les risques. Et en fin de volume, il exhorte le peuple russe à ne plus être attentiste, à raisonner et à dire également non à la guerre, non à l’ignominie, non à ceux qui gouvernent et ne pensent qu’à l’argent et à leur bien-être. J’espère que Pavel Filatiev pourra être apaisé (et soigné) et heureux en France.
À lire : Le Don paisible de Mikhaïl Cholokhov que l’auteur conseille page 201. Je vois que l’intégrale est parue chez Omnibus.
À écouter : Wrong Side Of Heaven de Five Finger Death Punch, un groupe de metal états-unien formé en 2005, à Las Vegas dans le Nevada, par le guitariste d’origine hongroise Zoltán Báthory et le batteur Jeremy Spencer avec Iva Moody au chant, un groupe que je ne connaissais pas et que je découvre (vidéo ci-dessous), un titre conseillé par l’auteur page 204.
J’apprends (page 212) l’existence d’une église du ministère de la Défense russe. C’est une cathédrale en fait, la 3e plus haute église orthodoxe sur Terre (les deux autres étant la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et la cathédrale de Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg). Elle est située à Koubinka (à 75 kilomètres à l’ouest de Moscou) dans le parc Patriot (« parc d’attractions à thème militaire, créé à des fins de propagande », note p. 213, surnommé le Disneyland militaire russe…) (photo trouvée sur internet ci-contre).
Epsil∞n « décrypte le monde » avec « des infos fiables », « des points de vue singuliers » et « des rubriques décalées ». Plein d’actus illustrées avec les nouvelles technologies, les nouvelles découvertes, les nouvelles avancées de la science, dans les rubriques au début de la revue, « Fil d’actus » et « En images » avec des infos et des photos surprenantes. Les deux gros articles (l’enquête et le dossier) et de nombreux articles et photographies concernant presque tous les domaines scientifiques, puis le cahier Pop’Sciences toujours scientifiques mais plus divertissant.
Je mets toujours du temps pour lire et rédiger mes billets alors j’ai décidé de faire plus court puisque chaque numéro est construit de la même façon (voir ci-dessus).
Un numéro toujours richement illustré avec 111 scientifiques du monde entier interrogés mais un numéro différent car il n’y a pas d’enquête mais un gros dossier spécial (p. 34-57). « […] la science peut éclairer le nouvel ordre, ou plutôt le nouveau désordre du monde. » (extrait de l’édito, p. 3).
Au sommaire donc, comme d’habitude, les rubriques Fil d’actus (plusieurs sujets différents), En images (très belle image inédite de la Voie Lactée p. 14-15), Analyse (sur les mathématiques), Atlas (sur la flore mondiale), Contre-pied (sur la peur des serpents), Labyrinthe (sur le béton), C’est dans l’air (sur les objets écrasés sur la Lune), Big data (sur les neurones chez les animaux).
Puis le gros dossier spécial de 23 pages (les thèmes sont sur la couverture), un numéro plus sombre (et pas seulement avec sa couverture noire alors que les précédentes couvertures étaient si colorées) mais toujours très instructif et même passionnant (et pas trop alarmiste quoique certaines armes cyber ou laser font un peu peur), « Le monde se prépare à une cyber-guerre. D’autant plus activement qu’on se demande si elle n’a pas déjà commencé. » (p. 41).
Puis des rubriques Cosmos (planètes orphelines ou « flottantes », éjectées ?), Parthénogenèse (un bébé toute seule), Hunga Tunga (éruption du volcan sous-marin), Virus (Epstein-Barr), Radiofréquences (fin de polémique).
Et à la fin le cahier Pop’Sciences qui apporte un peu d’humour et d’aération de l’esprit : une planète ovale, des vaches qui produisent plus de lait grâce à des casques de réalité virtuelle !, les baleines ne s’étouffent jamais (ouf !), des espèces d’arbres encore inconnues, des pailles antiques, des escape games, des projets incroyables (pour Mars inventé par des architectes ukrainiens, île nénuphar, boîte mémoire), des produits geek, des chats psychopathes, entre autres.
Encore un très bon numéro ; un magazine sérieux, abordable pour tous les lecteurs même les moins fondus de sciences. Je vais lire le n° 11 dans la foulée (pour continuer de rattraper mon retard) parce que je n’arrive pas à lire de livres depuis le début du mois… Vous aimez les sciences ou vous êtes curieux de découvrir les sciences de façon agréable et à petit prix ? Lisez Epsil∞n ! Vous pouvez toujours consulter les sources sur epsiloon.com/sources.
Il me reste les numéros 11, 12, 13 et 14 (acheté tout récemment) à lire (plus les 3 hors-séries) mais, en juillet, Epsil∞n a fêté sa première année alors je vous remets la vidéo :
Hachette BD, label Robinson, février 2020, 120 pages, 24,95 €, ISBN 978-2-01707-630-8.
Genres : bande dessinée belge et espagnole, Histoire.
Sylvain Runberg naît le 1er janvier 1971 à Tournai en Belgique (sa mère est Belge et son père est Français) mais il grandit dans le sud de la France. Il étudie les arts plastiques dans le Vaucluse puis l’histoire contemporaine à Aix en Provence. Il travaille d’abord en librairie puis devient scénariste de bandes dessinées (Humanoïdes Associés, Dupuis, Lombard). Du même auteur : Astrid (2004), Les chemins de Vadstena (2009), Millenium (2013, adaptation du roman), Le règne (2017) entre autres.
Joan Urgell naît le 10 septembre 1982 en Catalogne (Espagne). Il dessine depuis l’enfance et étudie à l’école Joso à Barcelone puis se lance dans le design et enfin la bande dessinée. Du même auteur : La onzième plaie (2008), Dead life (2011).
Juliana Brovic a 32 ans, elle est médecin ; l’éditeur dit « quelque part en Europe » (les Balkans ?). Elle est mariée à Vitaly et le couple a deux filles, Jelena et Irene. Juliana soigne une vieille dame lorsque des chars et des camions « légitimistes » arrivent dans leur petite ville de Pernissi qui est « du côté des patriotes » (p. 9).
Sur la Grand Place. « Je suis le colonel André Mélok… J’ai l’honneur d’être à la tête du 28e Régiment des forces armées de notre pays. Depuis deux ans, notre nation est défigurée par une guerre civile déclenchée par des traîtres qui osent se définir comme des ‘patriotes’… Ces terroristes tentent depuis de diviser le pays par la violence, en contestant notre démocratie. […] » (p. 13).
C’est la guerre… Et les militaires s’installent. Mais, un ado de 15 ans qui joue au foot, Denis, saute sur une mine et Juliana ne peut rien faire pour le sauver…
Encore un thème difficile abordé en bande dessinée, celui de la guerre, et plus précisément de la guerre civile. Qui a tort, qui a raison, les patriotes / terroristes (cela dépend dans quel camp on est), les militaires ? Peu importe, il y a des assaillants, des assaillis, des salauds des deux côtés et surtout il y a toujours des victimes collatérales parmi la population. Les dessins, les décors (la petite ville, la forêt) sont très beaux, ce qui permet de supporter cette vision d’horreur (la guerre, la destruction, les morts) et de prendre plaisir à lire cette bande dessinée.
Pour La BD de la semaine, Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 18, un livre qui se passe dans la forêt ou dans la montagne, eh bien ça tombe bien, cette histoire se déroule dans une petite ville de montagne avec de la forêt), Challenge lecture 2022 (catégorie 14, un livre sur le thème de l’armée) et Des histoires et des bulles (catégorie 50, une BD qui se déroule pendant une guerre, 2e billet). Plus de BD de la semaine chez Stéphie.
Bach-Hông est un magnifique court métrage d’animation de 18 minutes réalisé par Elsa Duhamel en 2018 avec les studios Ciclic (animation), Folimage (montage son) et L’équipée (bruitages), et Fargo (production).
La narratrice est Jeanne Dang, née le 10 juillet 1959 à Saïgon. Elle aime particulièrement les animaux, tous les animaux, qu’elle observe attentivement et dessine. Son animal préféré est Bach-Hông, une magnifique jument pur sang qu’elle est la seule à monter. Jeanne, née dans une famille aisée, sait qu’il y a la guerre mais elle est loin. Jusqu’à ce jour d’avril 1975 où les chars entrent dans Saïgon. Deux jours après, Jeanne va au centre hippique mais il n’y a plus de chevaux… Lorsqu’il y a une guerre, il n’y a pas que les humains qui morflent ! Jeanne et sa famille (ses parents et son frère) sont parmi les premiers boat-people, ils transitent par la Malaisie avant d’arriver en France mais ils ont tout perdu.
Des dessins magnifiques, colorés mais pas de façon outrancière, tout en pudeur, sur le Vietnam, la vie quotidienne, la guerre et l’exil. C’est très émouvant.
Vous pouvez voir ce film nommé aux César 2021 sur Arte Vidéo jusqu’au 30 octobre 2021.
In Friday et Friday, Zulma, avril 2018, 144 pages, 16,50 €, ISBN 978-2-84304-818-0. Les 6 nouvelles de ce recueil sont traduites du tamoul (Sri Lanka) par Faustine Imbert-Vier, Élisabeth Sethupathy et Farhaan Wahab. Le Mouvement F (21 pages) est traduit du tamoul (Sri Lanka) par Faustine Imbert-Vier.
Genres : littérature sri-lankaise, nouvelle.
Antonythasan Jesuthasan – également connu sous le pseudonyme de Shobasakthi – naît en 1967 à Allaippiddi dans le nord du Sri Lanka. Adolescent, il rejoint les Tigres tamouls puis s’enfuit (Hong Kong, Thaïlande) et obtient l’asile politique en France en 1993. Il est auteur (romans, nouvelles, essais, pièces de théâtre), scénariste et acteur (depuis 2011). Il est l’acteur principal de Dheepan réalisé par Jacques Audiard (Palme d’or à Cannes en 2015).
Au début la nouvelle, l’auteur explique de façon amusante pourquoi il a choisi la lettre F comme nom du Mouvement.
Le narrateur vit en France et il est régulièrement contacté par ses deux sœurs qui vivent avec leur mari à Jaffna et qui réclament de l’argent pour soigner leur vieux père mais Appa n’a jamais été conduit à l’hôpital et reçoit de leur part le minimum de soins… « Mais la semaine dernière, sa sœur aînée lui avait dit au téléphone que cette fois-ci, Appa ne se remettrait pas et qu’il se réveillait en sursaut la nuit pour demander si son fils était revenu. Alors il décida d’aller le voir. Il avait perdu sa mère trois ans à peine après son arrivée en France. La crémation d’Amma s’était faite sans un fils pour allumer le bûcher. Son père avait dit en sanglotant qu’il espérait qu’une telle fin lui serait épargnée. » (p. 13-14).
Alors qu’il est dans l’avion qui le conduit de Francfort (Allemagne) à Colombo (Sri Lanka), son voisin s’avère être Tamoul et engager la conversation. Mais il a l’impression d’avoir déjà vu cet homme « ailleurs, et avec un fusil » (p. 16). Le narrateur passe alors en revue les différents moments de la guérilla tamoule durant lesquels il pense avoir rencontré cet homme avec un fusil. De quel mouvement parmi les 37 qui existaient peut-il bien être ? « Tout se bousculait dans sa cervelle : « Pendant vingt ans, j’ai tout verrouillé et je me suis installé à Paris. J’aurais mieux fait d’y rester. Je suis revenu par amour filial, et au premier pas dans ce pays, je me mets en danger et je tremble de trouille. » Il se tenait dans la cabine, frémissant d’angoisse. » (p. 22). Le narrateur transmet très bien son anxiété au lecteur et l’auteur fait une sacrée pirouette finale !
Le passé ressurgit, peut-être pas toujours, mais un jour probablement, et il est angoissant surtout lorsqu’on a vécu la guerre (la minorité tamoule contre les militaires cinghalais), qu’on a été profondément touché (voire abîmé) et qu’on a tout fait pour oublier ces moments d’horreur. J’ai très envie, après cette nouvelle lue pour le Mois des nouvelles et le Projet Ombre 2021 de lire d’autres titres d’Antonythasan Jesuthasan. Et vous, avez-vous déjà lu cet auteur ?
Sabine Wespieser, août 2020, 240 pages, 20 €, ISBN 978-2-84805-360-8.
Genres : littérature franco-libanaise, roman.
Dima Abdallah naît en 1977 à Beyrouth (Liban). Sa famille arrive à Paris lorsqu’elle a 12 ans (1989). Elle étudie l’archéologie et se spécialise en antiquité tardive. Mauvaises herbes est son premier roman.
Beyrouth, Liban, 1983. La fillette rentre à la maison avec son père, « le géant ». Elle n’a pas peur et ne pleure pas car « Il est fort et il est très intelligent. » (p. 11). Mais « C’est peut-être parce que je suis la seule à ne pas pleurer que la maîtresse ne m’aime pas. Moi, je n’arrive pas à me forcer à pleurer, ce n’est pas ma faute. » (p. 13).
La fillette de 6 ans est au contraire très contente parce que son père est venu la chercher à l’école et parce qu’elle rentre à la maison plus tôt. Elle a un petit frère. Le père est écrivain, la mère est journaliste et professeur et le lecteur n’en saura pas plus sur la mère et le frère).
La parole est donnée tantôt à la fillette tantôt au père. Ici le père prend la parole. « D’un jour à l’autre, il faudra bien que cette guerre finisse, ce n’est qu’une affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus. Il ne peut pas en être autrement, je n’ai pas le courage qu’il en soit autrement. » (p. 33).
Mais un an après, la guerre n’est pas terminée. Et la fillette n’aime pas répondre à la question habituelle sur sa confession. « Je sais que la famille de ma mère est un peu chrétienne et celle de mon père est un peu musulmane. » (p. 46) mais « Je ne suis pas bête, ce n’est pas une question anodine, ce n’est pas l’une de ces questions qu’on se pose pour rompre la glace, pour faire connaissance, pour engager la conversation. J’ai sept ans et demi, je suis grande, je comprends que cette question est importante pour celui qui la pose, que ma réponse va être lourde de conséquences. » (p. 47).
Quand le père se retrouve seul, il veut « écrire l’absurde pour tuer l’absurde. » (p. 109) et le lecteur retrouve la fillette, devenue adolescente, en 1990 à Paris. Elle déteste les gens, elle déteste l’école… Elle se fait tout de même une amie, Sandrine. Ensuite les années filent, 2000, 2013 et je n’ai pas réussi à m’attacher à elle (elle n’a même pas de prénom), c’est trop décousu.
Et surtout il y a trop de répétitions : « Il ne sait pas… » (la fillette), « j’aurais voulu » et « j’aurais dû » (le père), c’est pénible… Ou encore « je roulais » et « je roulais dans la nuit » (le père, plusieurs fois p. 79-80) et « je n’imaginerai pas », « je ne dirai pas » et « je ne penserai pas » (la fillette, idem p. 92-95). Je sais que c’est un exercice de style mais je trouve la lecture d’une lourdeur…
Il y a pourtant de belles phrases comme : Beyrouth, 2016. « Il ne reste plus rien. Tout est mort. Il ne reste plus la moindre miette de tout ce qui a été. Tout s’est disloqué, un morceau après l’autre, tout s’est consumé pour tomber en cendre. » (p. 201).
Voici un roman – sur les thèmes de l’enfance, de l’amour du père (de la fascination de la fillette pour son père, je dirais, car mère et petit frère sont finalement absents de ce roman, et père et fille sont comme deux mauvaises herbes qui poussent au mauvais endroit, un pays en guerre, un pays ou la religion est plus importante que l’humain), sur la guerre et l’exil – qui peut plaire, c’est sûr, pour ceux qui ne verront que l’émotion et le côté poétique en faisant abstraction des lourdeurs que j’ai remarquées.
J’ai regardé ce documentaire en replay sur Arte. Regardez-le aussi avant qu’il ne disparaisse (apparemment il est disponible jusqu’au 17 juillet 2020) ou alors vous aurez accès à la VOD ou au visionnage en DVD.
Corée, une guerre sans fin est un documentaire français réalisé par John Magio en 2017 ; il dure 89 minutes.
La Corée ou Choson, « pays du matin calme », n’a malheureusement pas été si calme au XXe siècle.
Toutes les guerres sont horribles mais la guerre de Corée, pendant la guerre froide, a été vraiment horrible et de nombreux militaires et civils sont morts dont certains exécutés (j’ai pris quelques notes : 36 000 GI et plus de 2 millions de Coréens sont morts…).
En voyant ce documentaire, on comprend mieux la fascination du leader nord-coréen (des trois leaders qui se sont suivis en fait) pour le nucléaire et la haine envers les Américains. Et aussi une menace qui pèse sur le monde depuis des décennies (nucléaire mais pas seulement).
Août 1945 : avec la capitulation du Japon, les Japonais quittent la Corée après 40 ans d’occupation, ça c’est la bonne nouvelle pour les Coréens !
Mais… Truman, président des États-Unis, d’un côté et Staline, leader de l’Union Soviétique de l’autre, se partagent en 30 minutes la Corée : une ligne droite est tracée au 38e Parallèle ! Au nord, Staline (puis Mao) soutient Kim Il-sung et les communistes ; au sud, les États-Unis soutiennent le premier président de Corée du Sud « libre », Rhee Syngman. Tout le monde pense que cette séparation est temporaire et que le pays sera réunifié jusqu’à ce que les soldats nord-coréens passent la « frontière » et s’abattent trois jours après sur Séoul. Truman, toujours président des États-Unis et l’ONU sont d’accord pour lutter contre la propagation de l’idéologie communiste et aider les Sud-Coréens.
Bien sûr, certains vont critiquer l’ingérence américaine sauf que si un pays appelle à l’aide, c’est logique d’y aller, non ? Donc près de 250 000 soldats non seulement américains (dont le célèbre général Douglas MacArthur, héros de guerre, basé au Japon), mais aussi anglais, australiens, français et d’une douzaine d’autres pays sont envoyés par l’ONU en Corée du Sud. Les soldats nord-coréens bien équipés avec les chars soviétiques ont envahi le sud ; il ne reste plus qu’une petite portion dans le sud-est, Pusan (renommée Busan). La guerre dure de 1950 à 1953. En Corée du Nord, il est enseigné que ce sont les Américains qui ont enclenché cette guerre… Il n’y a pas eu de cessez-le-feu, la guerre n’est pas finie…
Je ne vous raconte pas tout, il faut voir ce documentaire exceptionnel, objectif, passionnant, avec des images d’archives inédites et des témoignages émouvants. Plus tard, des journalistes ont enquêté sur les massacres de civils (des soldats Nord-Coréens pouvaient se cacher parmi eux donc personne n’était épargné, c’était les ordres mais c’était un crime de guerre…), en particulier sur le massacre de No Gun Ri dont j’avais déjà entendu parler car j’avais acheté Massacre au pont de NoGunRi de Park Kun-woong paru au premier trimestre 2007 aux éditions Coconino Press – Vertige Graphic qui, je le crains, n’existent plus… Mais si je retrouve ce manwha, je le lirai pour le Challenge coréen.
La route de Tibilissi de Chauvel, Kosakowski et Lou.
Delcourt, collection Terres de légendes, avril 2018, 176 pages, 22,95 €, ISBN 978-2-7560-6231-0.
Genres : bande dessinée, fantastique (mais pas que).
David Chauvel est au scénario. Il naît le 18 décembre 1969 à Rennes. Il étudie le commerce international mais, devant le chômage, il se lance dans la bande dessinée au début des années 90 : Rails, Black Mary, Les enragés, Nuit noire, Lunatiks, Ring circus, entre autres.
Alex Kosakowski est au dessin. Il vit en Californie, il est artiste dans le jeu vidéo. La route de Tibilissi est la première bande dessinée pour laquelle il collabore au dessin. Son œuvre sur https://alexkosakowski.com/.
Lou est à la couleur. C’est rare que le nom du (ou de la) coloriste soit mentionné sur une couverture (il l’est habituellement sur la page de titre à l’intérieur). Son vrai nom est Simon Canthelou : autodidacte (mais fils de Christian Darasse, auteur de BD), il est graphiste, dessinateur, coloriste et scénariste.
Une famille, à pieds dans la neige, fuit devant des hommes à cheval. La mère puis le père sont touchés par des flèches. Jake reçoit la hache du père mourant qui leur conjure de se rendre à Tibilissi. Les deux frères, Jake l’adolescent et Oto le plus jeune, se sauvent dans la forêt et dans la neige ; ils ont peur, ils ont faim, ils ont froid et la tempête faire rage. Le lendemain, comme ils ne sont pas équipés pour survivre, l’aîné décide de retourner dans leur village de Tchintaïchi pour prendre des vêtements et de la nourriture. Tout est détruit et brûlé mais ils retrouvent Doubi, une bestiole à fourrure (mais de quelle espèce ?) et Trois-Trois, un robot rafistolé. « Par les temps qui courent… Quand le frère ne reconnaît plus le frère… Quand le voisin assassine le voisin… On ne sait plus ni à quoi ni à qui se fier. » (p. 65). Jake et Oto rencontrent une vieille femme puis des voyageurs, hommes, femmes, enfants, qui, eux aussi, fuient la guerre. Mais peut-on faire confiance à des inconnus ? « Il n’y a pas de paix. Il n’y a plus de sécurité nulle part. Nous avons réussi à leur échapper, mais c’est avant tout parce que nous avons eu de la chance. » (p. 107).
La route de Tibilissi est une bande dessinée choc sur l’enfance bousillée dans un pays en guerre : lequel et à quelle époque exactement, on ne sait pas trop, on pense à l’Europe de l’Est (influencé sûrement par Tbilissi mais ici c’est Tibilissi donc ailleurs), mais ce qui arrive peut arriver dans tous les pays et à toutes les périodes. Les deux créatures ne collent pas à cette époque qu’on pense plutôt médiévale mais elles correspondent à la fantasy (pour Doubi) et à la science-fiction (pour Trois-Trois). On a donc ici une bande dessinée fusion et j’aime le mystère et la créativité ! D’ailleurs Alex Kosakowski a un style particulier, pas vraiment américain (comics) mais pas européen non plus, c’est un mélange de plusieurs influences ce qui est une belle réussite ; les couleurs, les personnages et les paysages sont beaux malgré l’horreur de la guerre et de la fuite en étant poursuivis par des ennemis. Le lecteur est en cavale avec Jake et Oto, il a froid, il est sur le qui-vive, en perpétuel danger et il ne sait pas trop où il va : quelqu’un sait où est Tibilissi ? De plus, Oto ne se sépare jamais de son livre et il y a de nombreux clins d’œil aux contes comme la vieille femme qui ressemble à une Baba Yaga. Et surtout la fin est étonnante !
Après plusieurs semaines chaotiques (sans lecture de bandes dessinées), voici enfin une bande dessinée pour La BD de la semaine ! Que je mets aussi dans les challenges BD, le tout nouveau Jeunesse Young Adult #9 et bien sûr Littérature de l’imaginaire #7. J’aimerais bien aussi dans Contes et légendes mais cette BD entre-t-elle dans la piste « Contes de montagnes » : je pense que oui car elle se déroule quand même en forêt enneigée montagneuse (on voit des montagnes, des vallées et des précipices).
Buchet-Chastel, collection Qui vive, août 2018, 224 pages, 16 €, ISBN 978-2-283-03095-0.
Genre : roman français.
Ingrid Thobois naît en 1980 à Rouen. Elle voyage beaucoup. Après avoir enseigné le français en Afghanistan, elle publie son premier roman, Le roi d’Afghanistan ne nous a pas mariés (Phébus, 2007, Prix du premier roman). Suivent des livres de photographies, des livres jeunesse et d’autres romans comme L’ange anatomique (Phébus, 2008), Sollicciano (Zulma, 2011) et Le plancher de Jeannot (Buchet-Chastel, 2015) avant Miss Sarajevo. Plus d’infos sur son site officiel, http://www.ingridthobois.com/.
Printemps 1993. Rouen. Famille Sirvins. Le père, Charles, professeur de radiologie. La mère, « mère au foyer d’ascendance aristocratique et militaire » (p. 52). Le fils, Joaquim, 19 ans. La fille, Viviane, 16 ans, morte, défenestrée, du neuvième étage… « Mais, Viviane, ce matin-là, était seule avec Joaquim dans l’appartement ! » (le père, p. 21). « Viviane, ce matin-là était seule avec Joaquim dans l’appartement… » (le médecin, p. 21). Un soupçon jamais répété mais… « À partir de ce jour, Joaquim erra seul dans le silence cathédrale de son crâne transpercé par ses premiers acouphènes. » (p. 23).
Après un prologue avec Nicéphore Niépce et sa première photographie réussie (non cramée au développement), le Point de vue du Gras (1827) et la découverte du drame de 1993, le lecteur suit Joaquim qui abandonne ses études de photographie aux Gobelins à Paris et qui part comme photographe de guerre. À deux époques : six mois après la mort de sa sœur avec son premier voyage, à Sarajevo et vingt-cinq ans après où il doit retourner à Rouen. « De la guerre, Joaquim attend un électrochoc, un saccage en bonne et due forme. » (p. 84) car « Quand on n’a jamais connu que la paix, la guerre est affaire de fiction, de lointain, objet de fantasme ou de réflexion. » (p. 117).
J’ai vraiment beaucoup aimé Miss Sarajevo, carrément un coup de cœur, car ce roman est d’une grande richesse : l’auteur traite de la famille, du manque d’amour, des non-dits, de la dureté (apparente ?) du père, de la maladie (anorexie chez la fille, Alzheimer chez la mère), du suicide, du deuil, de la solitude, de la mémoire (Joaquim note absolument tout dans des carnets), du souvenir, de la photographie, de la guerre avec ses horreurs, et avant tout de la vie qui continue car « Sous les bombes se prépare un concours de beauté. » (p. 142) ! Avec treize concurrentes et « Toutes ignorent la portée symbolique de leur acte, et le retentissement planétaire qu’il aura. » (p. 177).
Et puis, je me suis attachée à Joaquim ; en fait je me rends compte que si j’apprécie tout particulièrement les romans avec le thème du temps, j’aime aussi beaucoup les romans sur le thème de la photographie. Et je me dis qu’en fait, les deux thèmes sont liés : prendre une photographie, c’est un instantané de vie à un moment précis, c’est comme arrêter le temps, c’est pouvoir le « revivre » plus tard en regardant la photographie. Ou alors « On ne conserve jamais que des traces de nos expériences fondatrices, des clichés flous, des images en apesanteur, si fragile qu’à s’en saisir on risquerait de les pulvériser. » (p. 33). Car « Photographier, ce n’est pas raconter la vérité. C’est délimiter par un champ l’opération d’exister, et la fixer. C’est inventer un monde de gestes dépourvus de leurs conséquences : un éclair sans la foudre, une chute sans impact – la grâce d’un basculement fondu au noir. Ce choix de l’éternité au détriment du vivant […]. » (p. 47).
Dans toute cette violence, il y a une sorte de douceur. Est-ce dû à une douceur naturelle chez Joaquim ? Est-ce dû à la tendresse de la famille qu’il rencontre à Sarajevo ? Vesna, la mère, Zladko son fils et Inela sa fille qui participe au concours de Miss Sajarevo. Ingrid Thobois réussit un coup de maître avec ce beau roman intime, tout en pudeur, qui m’a émue. Je ne connaissais pas Ingrid Thobois, à tel point que j’ai pensé que Miss Sarajevo était son premier roman !, et je suis ravie d’avoir découvert cette autrice grâce aux Matchs de la rentrée littéraire 2018 (dont je vous parlais ici) et grâce à Antigone qui le proposait.
Parmi mes phrases préférées : « […] on n’oublie jamais rien ; on escamote ou on fuit ; » (p. 26) ; « […] les voyages, comme les enfants, assomment ceux qui ne les ont pas faits. » (p. 40-41). « Le soir est d’une beauté incompréhensible. » (p, 134, Sarajevo détruite).
Un petit défaut : « […] une question sémantique : on parle de veufs et d’orphelins mais il n’existe aucun terme pour désigner, dans pareille situation, les parents et ce qu’il reste des fratries amputées. » (p. 24-25). J’ai déjà lu ça il y a trois ans dans Camille, mon envolée de Sophie Daull.