Image

Le jeudi, c’est musée/expo #41 – Expo Delaye 2e partie

Bonjour, voici la 2e partie de l’expo que je suis allée voir fin février au Musée de Valence : Théophile-Jean Delaye, un arpenteur du 20e siècle. Je vous laisse consulter la 1ère partie pour lire les infos sur Théophile-Jean Delaye et voir les photos précédentes.

Il me reste des photos pour faire un 3e billet, à voir car j’ai une autre expo à vous montrer.

Publicité

La terre des Doukhobors de Natela Grigalashvili

La terre des Doukhobors de Natela Grigalashvili.

Images plurielles, octobre 2021, 144 pages, 30 €, ISBN 978-2-919436-44-6.

Genres : Géorgie, beau livre, photographies.

Natela Grigalashvili naît en 1965 à Khashuri en Géorgie. Elle a une passion pour le cinéma et le néoréalisme italien. Après des études de photographie à Tbilissi, elle devient la 1ère photojournaliste de Géorgie avec des photos emplies de nostalgie et compassion (mots employés par Damien Bouticourt). Elle fonde l’agence Kontakt et elle est professeure de photographie à Tbilissi. Plus d’infos sur son site officiel.

Le texte Préserver le temps est de Damien Bouticourt (en français et en anglais).

Qui sont les Doukhobors ? Leur nom leur est donné en 1785, de doukh = esprit et bor = abréviation de borietz = lutteur. C’est une communauté rurale qui vit comme aux deux siècles derniers mais on voit l’irruption de la modernité de vieilles voitures et une antenne parabolique.

Ils portent des vêtements traditionnels colorés, surtout les femmes. Il y a de la neige, des maisons anciennes en bois, des animaux (chiens, chevaux, moutons, vaches) et je vois beaucoup de joie, de bonheur.

Ce sont des Russes installés en Géorgie après les réformes de l’église orthodoxe au XVIIe siècle : leur conception – considérée comme hérétique – est que « la divinité est dans l’âme de chacun, en chacun doit aussi être l’église pour cette divinité » (cf. Tolstoï et les Doukhobors, faits historiques réunis et traduits du russe par J.W. Bienstock, Stock, 1902).

Ils ont d’abord été déportés vers la Crimée en 1802 avant d’être exilés en Transcaucasie (Arménie, Azerbaïjan, Géorgie). Les 90 photos de ce très beau livre ont été prises dans le village de Gorelovka « proche des frontières arménienne et turque ».

Leurs besoins essentiels ? Le pain, le sel et l’eau, symboles de paix et d’hospitalité. D’ailleurs, ils partagent les biens matériels avec un mode de vie fraternel et communautaire, une agriculture collective et raisonnée et aucune cruauté envers les animaux . Leur culture est orale ; ils sont non violents et pacifistes, végétariens et ne consomment ni alcool ni tabac.

Toutes les photos sont magnifiques, avec une ambiance incroyable. Ma préférée est celle avec les deux taureaux qui se font face dans la rue du village embrumé. Les Doukhobors, une communauté à découvrir ! Et si, cela vous intéresse, plus d’infos sur Doukhobors Museum.

Pour ABC illimité (lettre N pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 20, de la neige sur la couverture, au loin sur les montagnes), Challenge lecture 2023 (catégorie 37, un livre dont le titre ne contient pas la lettre A), Lire sur les minorités ethniques, Mois Europe de l’Est (avec 2 jours de retard) et Tour du monde en 80 livres (Géorgie).

Image

Le jeudi, c’est musée/expo #40 – Expo Delaye 1ère partie

Cliquez !

Bonjour, voici l’expo que je suis allée voir fin février au Musée de Valence : Théophile-Jean Delaye, un arpenteur du 20e siècle.

Né le 29 février 1896 à Valence (Drôme), Théophile-Jean Delaye était illustrateur, peintre (aquarelles, gouaches, lavis…), géographe et topographe militaire. Formé à Saint-Cyr, il s’engage dans les Chasseurs alpins en 1914. Puis il est affecté en Afrique du Nord en 1922. Il est un des premiers cartographes du Maroc. Ses dessins illustrent aussi des beaux livres et des livres documentaires sur le Maroc mais aussi les Alpes françaises et la Provence (collection Les beaux pays des éditions Arthaud). Après la seconde guerre mondiale, à la retraite, il vit à Rabat et met en valeur les beaux sites du Maroc (par exemple il a contribué à la création du Parc naturel du Toubkal dès 1940). Il est mort le 4 mars 1970 à Saint Donat sur l’Herbasse (Drôme).

Voici les premières photos de l’exposition ; un ou deux autres billets suivront.

Les exportés de Sonia Devillers

Les exportés de Sonia Devillers.

Flammarion, août 2022, 280 pages, 19 €, ISBN 978-2-0802-8320-7.

Genres : littérature franco-roumaine, essai, Histoire.

Sonia Devillers naît le 31 janvier 1975 aux Lilas en Seine Saint Denis. Son père est l’architecte urbaniste Christian Devillers, sa mère Roumaine (exportée en France avec ses parents, sa sœur et sa grand-mère) est aussi architecte. Elle étudie les Lettres puis la philosophie à la Sorbonne et devient journaliste (au journal Le Figaro et à la radio principalement à France Inter).

Voici comment débute le récit : « Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. » (p. 9). Harry et Gabriela Deleanu, leurs deux filles et une grand-mère ont quitté leur pays, la Roumanie, et sont arrivés à Paris le 19 décembre 1961 (2300 km de trajet) alors que « De ce pays en pleine guerre froide, nul ne pouvait sortir. Les habitants étaient retenus prisonniers. » (p. 9). Alors comment cette famille a-t-elle pu sortir ? C’est ce que raconte l’autrice parce que les Deleanu étaient ses grands-parents maternels et qu’une de leurs filles était sa mère (14 ans en 1961) et l’autre sa tante (16 ans en 1961).

L’autrice raconte sa grand-mère, « l’âge d’or des années 30 à Bucarest , [… sa] jeunesse étincelante […] sa famille remarquable, sa ville pimpante, Bucarest dite le ‘petit Paris des Balkans’ dans l’entre-deux-guerres. » (p. 23-24), l’antisémitisme politique et la diabolisation du juif, la montée du fascisme à la fin des années 1930, la Seconde guerre mondiale au côté de l’Allemagne, purification ethnique, retournement opportuniste… « La Roumanie fut le premier bras armé des nazis, à l’Est, et leur alliée la plus zélée. » (p. 53). Et puis, le silence de tous les côtés, les non-dits, le « si on n’en parle pas, c’est que ça n’existe pas. » (p. 64) et « Du passé faisons table rase. […] plus de nom juif, plus de juif. Et inversement. » (p. 72).

Dans ce récit, qui je le redis n’est pas un roman, mais un récit familial et historique, il y a des choses terribles et choquantes (l’arrachement, l’exil, la souffrance…) même pour ceux qui ont déjà lu des récits sur la Seconde guerre mondiale, sur la Shoah, entre autres. Des informations inédites aussi. Je ne savais pas pour Eugène Ionesco (dont j’aime le théâtre), pour Emil Cioran (dont j’ai lu par le passé quelques textes que j’ai appréciés) et pour Mircea Eliade… Après la guerre, c’est pire, communisation et soviétisation, nouvelle classe dirigeante et nouvelle élite, parti tout puissant et propagande, et aussi « La nation enterrait son passé antisémite, les juifs enterraient leurs souffrances. L’un n’allait pas sans l’autre. » (p. 85).

Après la guerre, et après la création de l’État d’Israël (qui s’était tourné vers les États-Unis et non l’Union Soviétique), Staline ne voulant pas être accusé d’antisémitisme créa le cosmopolitisme, « cosmopolites sans racine […] intellectuels juifs dits ‘apatrides’, des juifs ‘errants’, sans attaches, donc perpétuellement soupçonnés d’ ‘antipatriotisme’ ou de ‘traîtrise à la patrie’ » (p. 106), c’est bizarre, malgré tout ce que j’ai déjà lu et tous les documentaires que j’ai vus, je n’avais jamais entendu parler de ça ou alors le terme ‘cosmopolitisme’ était abordé avec un autre mot. Je n’avais également jamais entendu parler de Matatias Carp (1904-1953) ou alors j’ai oublié (son Cartea neagră, le livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie, 1940-1944 est pourtant paru chez Denoël en 2009).

Un passage que j’aime beaucoup. « Dans le journal intime de Mihail Sebastian, on trouve ce passage magnifique : ‘Nous autres, juifs, nous sommes au fond d’un optimisme enfantin, absurde, quelquefois inconscient. (C’est peut-être ce qui nous aide à vivre.) En pleine catastrophe, nous espérons encore. Ça ira bien, répétons-nous par dérision, mais en fait nous croyons vraiment que ça ira bien. » (p. 111).

« Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. », très belle citation de Georges Perec (p. 258-259).

Cet essai se compose de 4 parties, les juifs, les communistes, les cochons, les apatrides, contenant des chapitres courts ce qui permet aux lecteurs de respirer, de reprendre leur souffle. Parce que c’est un import-export affligeant qui se joue dans les années 1950-60… et je ne vous dis pas sur la barbarie envers les chevaux (chapitre ‘Le cheval à abattre’, p. 191-196). C’est que l’autrice, journaliste, ne s’embarrasse pas pour dire la vérité crue, dérangeante et le mutisme de ses grands-parents maternels. J’ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux et j’espère que ma note de lecture et les extraits vous donneront envie de lire cet essai instructif et déchirant qui m’a été conseillé par une lectrice lors d’un café littéraire.

Elle l’a lu : Nicole de Mots pour mots, d’autres ?

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 16, un livre qui m’a énervée ou révoltée, oui ce livre m’a révoltée par ce que des humains ayant du pouvoir peuvent faire à d’autres humains – et à des animaux aussi, les humains étant des mammifères), Challenge lecture 2023 (catégorie 25, un livre sur le thème de la seconde guerre mondiale, même si le livre va plus loin il commence avec le traitement des Juifs durant la seconde guerre mondiale), Mois Europe de l’Est (Roumanie) et Tour du monde en 80 livres (l’autrice est Française mais raconte le parcours de ses grands-parents et de sa mère, Roumains « exportés », des années 1930 aux années 1980, donc je mets ce livre pour la Roumanie).

Pelote dans la fumée 1 de Miroslav Sekulic-Struja

Pelote dans la fumée 1 – L’été / L’automne de Miroslav Sekulic-Struja.

Actes Sud BD, décembre 2013, 128 pages, 24 €, ISBN 978-2-330-01286-1. Traduit du croate par Aleksandar Grujicic.

Genres : bande dessinée croate, Histoire.

Miroslav Sekulic-Struja naît le 30 août 1976 à Rijeka en Croatie. Il est peintre et auteur dessinateur de bandes dessinée, lauréat (3e prix) du concours jeunes talents du festival d’Angoulême avec L’homme qui acheta un sourire. Après Pelote dans la fumée (le tome 1 reçoit le Prix BD de Montreuil en 2015), sa nouvelle BD, Petar et Liza, paraît chez Actes Sud BD en février 2022 et apparaît dans la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2023.

Sur le site de l’éditeur : « Premier volume d’un diptyque. Ces deux premières saisons croates content la vie affreuse, sale et méchante des enfants dans un orphelinat pendant la guerre. Magnifié par le dessin de Miroslav Sekulic. » Le tome 2, L’hiver / Le printemps, paraît en février 2016 chez Actes Sud BD et une intégrale paraît en février 2023 chez Actes Sud BD (240 pages, 38 €).

L’été, sur une plage croate. Et sur cette plage, un garçon. « Le garçon s’appelle Ibro, mais comme il est toujours renfermé dans son monde compliqué et impénétrable… ceux qui le connaissent l’appellent… Pelote ! »

Pelote et Sandale sont frère et sœur et vivent dans le même orphelinat. Pelote est ami avec Bourdon qui a supporté les brimades avant de devenir baraqué et « le défenseur des faibles. Un vrai géant, un héros… ». Sandale est amie avec Clara qui est tout le temps rabrouée par « l’éducatrice, la Perce-oreille ». Quant à l’éducateur, les enfants le surnomment le Marteau « à cause des coups terribles qu’il nous assène sur la tête » mais, parfois, il défend les enfants contre des brutes épaisses.

Dans cette ville industrielle et industrieuse, le terrain de jeux, à part la cour de l’orphelinat, c’est la déchetterie voisine parce que la plage, c’est pour les touristes qui ont de l’argent à dépenser (dans cette déchetterie, on voit beaucoup d’objets jetés, même des voitures, donc tout le monde n’est pas pauvre dans cette ville). Mais parfois certains enfants travaillent pour les voisins… sans recevoir de revenu évidemment…

L’automne arrive avec ses pluies froides et un nouvel arrivant, Michel, qui devient le nouveau souffre-douleur. Et aussi, le père de Pelote et Sandale qui vient leur rendre visite. Mais que peut faire un alcoolique pauvre pour ses enfants… ? Les pauvres ne peuvent que « imaginer une meilleure vie, ne serait-ce que dans les chansons ». Quelles tristes vies… « En réalité, la ville entière pleura ces jours-là… ces mois-là… ces années-là ».

Mon passage préféré. « Et les rêves ? Les rêves entraient alors par les fenêtres aux carreaux cassés, accompagnés du clair de la lune et de l’odeur des pains de la boulangerie voisine et se mettaient à tournoyer autour de leurs têtes et le grognement dans leurs ventres ne partait qu’avec les premières sirènes des bateaux du matin. »

J’ai vu une erreur, les pages ne sont pas numérotés mais c’est lorsqu’il parle de la sœur aînée, Miranda : « Fine, voir invisible », c’est voire. Et dans l’extrait ci-dessus, c’est « leur ventre » parce que chacun n’a qu’un ventre et leur est déjà un adjectif possessif pluriel.

Mais les dessins, les détails, les regards et les couleurs, c’est énorme, à la fois brutal et poétique, je dirais même surréaliste (beaucoup de dessins sont en pleine page) ; quant au récit il est tellement empli de désespoir et d’empathie pour les personnages, des gosses plus ou moins orphelins, des adultes paumés, violents, impuissants face à la vie et à la misère, et puis en toile de fond, quelques illustrations de guerre (avions, bateaux…). L’auteur parle de violence, de sexualité, de drogue, d’homophobie… Et, de temps en, temps, un peu de joie avec un cirque ou une troupe de théâtre qui passent. Alors, art naïf ou art brut ? Et l’auteur s’est-il inspiré, du moins en partie, de son enfance en Croatie ? J’espère que non ; en tout cas, j’ai lu qu’il dessinait depuis tout jeune, dès l’âge de 4 ans si je me rappelle bien. Pelote dans la fumée (c’est parce que son père fumait comme un pompier en plus de boire, et l’éducateur de l’orphelinat aussi, entre autres) est digne des textes de Dickens, Dostoïevski, Hugo, Zola pour ne citer qu’eux. J’espère lire le tome 2, Hiver / Printemps et même d’autres titres de Miroslav Sekulic-Struja.

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Moka) et les challenges ABC illimité (lettre), BD 2023, Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 2, une BD, 6e billet), Challenge lecture 2023 (catégorie 60, une BD), Mois Europe de l’Est et Tour du monde en 80 jours (Croatie).

Journal des frères Goncourt

Journal ou Mémoires de la vie littéraire des frères Goncourt.

Rédigé de 1851 à 1895 mais n’est publié qu’en 1887. Publication en 3 tomes chez Bouquins.

Genres : littérature française, journal intime, classique.

L’aîné, Edmond Louis Antoine Huot de Goncourt naît le 26 mai 1822 à Nancy dans la Meurthe. Il meurt le 16 juillet 1896 à Draveil en Seine et Oise (d’une embolie pulmonaire fulgurante) et, durant l’inhumation à laquelle assistent les hommes politiques de l’époque (Clemenceau, Poincaré, entre autres) Émile Zola fait une oraison funèbre. Le cadet, Jules Huot de Goncourt naît le 17 décembre 1830 à Paris. Il meurt le 20 juin 1870 à Paris (d’une paralysie due à la syphilis). Les deux frères sont enterrés au cimetière de Montmartre.

Jules commence le Journal et après sa mort, Edmond le continue. Les deux frères publient ensemble Histoire de la société française pendant la Révolution (1854), Portraits intimes du XVIIIe siècle (1857), Histoire de Marie-Antoinette (1858), L’art du XVIIIe siècle (1859-1870), Charles Demailly (1860), Sœur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1865), Idées et sensations (1866), Manette Salomon (1867), Madame Gervaisais (1869), puis Edmond publie seul La fille Élisa (1877), La Du Barry (1878), La duchesse de Châteauroux et ses sœurs (1879), Les frères Zemganno (1879), La maison d’un artiste (1881), La Saint-Hubert (d’après sa correspondance et ses papiers de famille, 1882), Chérie (1884), La femme au XVIIIe siècle (1887) et Madame de Pompadour (1888), des œuvres appartenant au courant du naturalisme (et, remarquez, beaucoup d’histoires de femmes).

Edmond et Jules de Goncourt photographiés par Nadar

Les deux frères étudient au lycée Condorcet et ont de nombreux amis écrivains ou artistes (Théodore de Banville, Maurice Barrès, Alphonse et Léon Daudet, Gustave Flaubert, Paul Gavarni, Gustave Geffroy, Roger Marx, Guy de Maupassant, Octave Mirbeau, Auguste Rodin, Ivan Tourgueniev, Émile Zola, entre autres, source Wikipédia). Le dimanche, ils animent un salon littéraire Le Grenier. Ils sont célèbres pour la création du Prix Goncourt mais celui-ci est créé par le testament d’Edmond de Goncourt en 1892. Ainsi la Société littéraire des Goncourt, dite Académie Goncourt, est officiellement fondée en 1902 et le premier prix Goncourt est proclamé le 21 décembre 1903.

Le Journal que j’ai lu en numérique commence en décembre 1851.

2 décembre 1851. Rue Saint-Georges, tôt le matin. « Mais qu’est-ce qu’un coup d’État, qu’est-ce qu’un changement de gouvernement pour des gens qui, le même jour, doivent publier leur premier roman. Or, par une malechance ironique, c’était notre cas. » Quelle malchance, effectivement ! « Votre roman… un roman… la France se fiche pas mal des romans aujourd’hui, mes gaillards ! » (leur cousin Blamont). Comble de malchance, « Et dans la rue, de suite nos yeux aux affiches, car égoïstement nous l’avouons, — parmi tout ce papier fraîchement placardé, annonçant la nouvelle troupe, son répertoire, ses exercices, les chefs d’emploi, et la nouvelle adresse du directeur passé de l’Élysée aux Tuileries — nous cherchions la nôtre d’affiche, l’affiche qui devait annoncer à Paris la publication d’En 18, et apprendre à la France et au monde les noms de deux hommes de lettres de plus : Edmond et Jules de Goncourt. L’affiche manquait aux murs. » Gloups !

15 décembre 1851. « — Jules, Jules… un article de Janin dans les Débats ! C’est Edmond qui, de son lit, me crie la bonne et inattendue nouvelle. Oui, tout un feuilleton du lundi parlant de nous à propos de tout et de tout à propos de nous, et pendant douze colonnes, battant et brouillant le compte rendu de notre livre avec le compte rendu de la Dinde truffée, de M. Varin, et des Crapauds immortels, de MM. Clairville et Dumanoir : un feuilleton où Janin nous fouettait avec de l’ironie, nous pardonnait avec de l’estime et de la critique sérieuse ; un feuilleton présentant au public notre jeunesse avec un serrement de main et l’excuse bienveillante de ses témérités. » Ah, voici le début de la célébrité ! Même si ce n’est pas l’idéal…

21 décembre 1851. Après une visite à Janin, les frères Goncourt sont introduits chez madame Allan, une actrice qui vit rue Mogador. Et puis la course folle pour rencontrer le « directeur du Théâtre-Français, auquel nous sommes parfaitement inconnus », aller chez Lireux, chez Brindeau, puis de nouveau au Théâtre-Français, tout ça pour être lus et joués au théâtre.

23 décembre 1851. « Ce n’est pas gentil, ça ! »

Fin janvier 1852. « L’Éclair, Revue hebdomadaire de la Littérature, des Théâtres et des Arts, a paru le 12 janvier. », leur journal, enfin ! Mais, dans les locaux du journal, ils passent leur temps « à attendre l’abonnement, le public, les collaborateurs. Rien ne vient. Pas même de copie, fait inconcevable ! Pas même un poète, fait plus miraculeux encore ! » Zut, leur carrière démarre bien mal… « Nous continuons intrépidement notre journal dans le vide, avec une foi d’apôtres et des illusions d’actionnaires. » mais, évidemment, l’argent vient à manquer. Pourtant Nadar commence à y publier des caricatures.

Août 1852. Victor Hugo, en exil, envoie une lettre à Janin.

22 octobre 1852. « Le Paris paraît aujourd’hui. C’est, croyons-nous, le premier journal littéraire quotidien, depuis la fondation du monde. Nous écrivons l’article d’en-tête. »

Janvier 1853. « Les bureaux du Paris, d’abord établis, 1 rue Laffitte, à la Maison d’Or, furent, au bout de quelques mois, transférés rue Bergère, au-dessus de l’Assemblée Nationale. » et plus loin, « À l’heure présente, le journal remue, il ne fait pas d’argent, mais il fait du bruit. Il est jeune, indépendant, ayant comme l’héritage des convictions littéraires de 1830. C’est dans ses colonnes l’ardeur et le beau feu d’une nuée de tirailleurs marchant sans ordre ni discipline, mais tous pleins de mépris pour l’abonnement et l’abonné. Oui, oui, il y a là de la fougue, de l’audace, de l’imprudence, enfin du dévouement à un certain idéal mêlé d’un peu de folie, d’un peu de ridicule… un journal, en un mot, dont la singularité, l’honneur, est de n’être point une affaire. »

20 février 1853. « Un jour de la fin du mois de décembre dernier, Villedeuil rentrait du ministère en disant avec une voix de cinquième acte : — Le journal est poursuivi. Il y a deux articles incriminés. L’un est de Karr ; l’autre, c’est un article où il y a des vers… Qui est-ce qui a mis des vers dans un article, ce mois-ci ? — C’est nous ! disions-nous. — Eh bien ! c’est vous qui êtes poursuivis avec Karr. » Pas facile, la vie d’auteurs, poètes, dramaturges, critiques littéraires… Voici un extrait des vers incriminés : « Croisant ses beaux membres nus / Sur son Adonis qu’elle baise ; / Et lui pressant le doux flanc ; / Son cou douillettement blanc, /Mordille de trop grande aise. » Je rappelle que « baiser » signifiait à l’époque « embrasser ». « Il nous fallait un avocat », c’est sûr ! Heureusement avec un bon avocat : « En ce qui touche l’article signé Edmond et Jules de Goncourt, dans le numéro du journal Paris, du 11 décembre 1853. Attendu que si les passages incriminés de l’article présentent à l’esprit des lecteurs des images évidemment licencieuses et dès lors blâmables, il résulte cependant de l’ensemble de l’article que les auteurs de la publication dont il s’agit n’ont pas eu l’intention d’outrager la morale publique et les bonnes mœurs. Par ces motifs : Renvoie Alphonse Karr, Edmond et Jules de Goncourt et Lebarbier (le gérant du journal) des fins de la plainte, sans dépens. Nous étions acquittés, mais blâmés. »

27 juillet 1853. « Je vais voir Rouland pour savoir si je puis publier la Lorette sans retourner en police correctionnelle. » Enfin, « La Lorette paraît. Elle est épuisée en une semaine. C’est pour nous la révélation qu’on peut vendre un livre. »

Septembre 1853. Les deux frères accompagnent des amis à la mer, « à Veules, une pittoresque avalure de falaise, tout nouvellement découverte par les artistes. » Ils y rencontrent donc de jeunes artistes. « Veules est un coin de terre charmant, et l’on y serait admirablement s’il n’y avait pas qu’une seule auberge, et, dans cette auberge, un aubergiste ayant inventé des plats de viande composés uniquement de gésiers et de pattes de canards… Nous passons là un mois, dans la mer, la verdure, la famine, les controverses grammaticales, et nous revenons un peu refroidis avec l’humanitaire Leroy, au sujet de l’homicide d’un petit crabe, écrasé par moi sur la plage. »

Ensuite le Journal passe à l’année 1854 et continue jusqu’en 1895 (neuvième volume !) mais je n’ai pas le temps de tout lire. Par contre, ça me plaît beaucoup alors je sais que je le reprendrai de temps en temps. Ce Journal raconte le quotidien des deux frères qui n’ont pratiquement jamais été séparés, leurs relations amicales (écrivains, artistes…) mais aussi leurs rapports avec la critique (pas toujours tendre avec eux mais c’était le cas avec d’autres auteurs contemporains, par exemple Hugo et Zola en ont fait les frais), leurs virées (salons, repas mondains, promenades…), leur difficulté d’être publiés (leurs romans sont souvent adaptés au théâtre, c’était de mise à cette époque mais comment savoir si le succès serait au rendez-vous) et de tenir leur revue (littéraire et artistique) à flot, leurs démêlés avec la justice et la censure sous la Troisième République et sous le Second Empire, quelques opinions politiques (en particulier l’antisémitisme d’Edmond ami avec Édouard Drumont), des propos et indiscrétions sur les personnalités de l’époque (littéraires, artistiques, politiques…), tout ceci est donc passionnant tant au niveau historique que littéraire et souvent amusant.

J’ai effectué cette lecture pour Les classiques c’est fantastique, le thème de février étant ‘Les couples littéraires’ (je n’ai pas pris ça obligatoirement comme un homme et une femme). Elle entre aussi dans 2023 sera classique, ABC illimité (lettre J pour titre) et Challenge lecture 2023 (catégorie 23, un livre écrit à 4 mains, 2e billet).

Monsieur Han de Hwang Sok-Yong

Monsieur Han de Hwang Sok-Yong.

Zulma, janvier 2017, 144 pages, 9,95 €, ISBN 978-2-84304-786-2. Je l’ai lu en poche : 10/18 (plus au catalogue), collection Domaine étranger, n° 3724, août 2004, 128 pages, 9,99 €, ISBN 2-264-03987-6. 한씨 연대기 (Hanssi yeondaegi, 1970) est traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.

Genres : littérature coréenne, roman, Histoire.

Hwang Sok-Yong naît le 4 janvier 1943 à Zhangchun, dans une famille coréenne exilée en Mandchourie (occupée par les Japonais). Il étudie la philosophie à l’université Dongguk (Séoul). Il se rend à Pyongyang, se bat au Sud Viêt-Nam, voyage en Allemagne, aux États-Unis puis retourne à Séoul en 1993 où il est emprisonné. Il est romancier et nouvelliste (une dizaine de ses œuvres est traduite en français).

Lecture commune avec Maggie, entre autres, mais j’avais oublié…

Le vieux Han vit seul dans une chambre au deuxième étage d’une maison et il aide un peu le croque-mort mais un soir il tombe dans les escaliers en rentrant et les voisins doivent l’aider car il est dans un état grave. Madame Min aimerait, après sa mort, récupérer la chambre. Chambre que madame Byon veut aussi. « Les Byon vont pas être contents… J’ai pourtant pas envie de me les mettre à dos en ce moment. Va falloir négocier sans les fâcher… Tout ça pour une chambre minuscule ! » (le mari de madame Min, p. 24).

Flashback. Han Yongdok exerce à l’hôpital et il est professeur de gynécologie à l’hôpital universitaire de Pyongyang. Il n’est pas mobilisé mais il est tout de même inquiet… « Il vivait dans l’angoisse de perdre son poste et d’être remplacé par quelque jeune loup solidement endoctriné, à la tête bourrée de certitudes. » (p. 31). Finalement, avec deux collègues, il est nommé à l’Hôpital du Peuple. « Tâchez de vous rendre utiles au Parti, rachetez vos fautes par le travail. […] Consacrez-vous au salut du peuple. » (p. 35). Mais l’hôpital bombardé est en partie détruit et « Les quelques médecins qui travaillaient là devaient soigner des malades par milliers, sans médicaments, sans matériel. » (p. 36). C’est que « Le pays était ravagé. » (p. 51).

Malheureusement, lorsque Han passe au sud, il doit abandonner sa famille, sa vieille mère, son épouse, leur fils et leur fille. À Séoul, il est considéré comme un espion, abusé par deux faux médecins qui ont besoin de s’associer avec lui pour légitimer leur clinique, etc. Il est finalement arrêté sur dénonciation mensongère et transféré à la prison de Séoul. Han Songsuk, sa sœur qui est veuve et qui élève seule ses enfants, fera tout son possible pour le faire innocenter et libérer mais elle est, comme son frère, confrontée à une dure réalité.

Monsieur Han paraît d’abord en feuilleton en 1970 puis est édité en 1972. L’auteur – qui se qualifie de « réaliste idéaliste » – l’imagine plus comme une chronique que comme un roman « afin de souligner l’authenticité des faits décrits » (préface, p. 5). L’auteur raconte tout, avec précision mais en peu de mots, la division nord sud, la guerre, les gens déracinés dans leur propre pays, les suspicions d’espionnage vis-à-vis des réfugiés du nord au sud… Tout cela est tragique. Hwang Sok-Yong décrit bien ses personnages et les situations mais il ne peut rien faire contre l’Histoire. Car Monsieur Han, c’est l’oncle maternel de l’auteur, médecin mort dans la misère à cause de sa naïveté, de sa sincérité… Mais pour cela, c’est aussi toutes les victimes de ce conflit nord-sud et de ses terribles suites. J’ai eu l’impression de lire du Zola ou du Dickens mais transposés en Corée, vous voyez ce que je veux dire.

Un auteur à découvrir absolument et, de mon côté, je lirai d’autres titres. En avez-vous un à me conseiller (pour plus tard) ?

Pour ABC illimité (lettre M pour titre), Challenge lecture 2023 (catégorie 39, un livre d’un auteur coréen), Tour du monde en 80 livres (Corée du nord) et Un genre par mois (décidément, j’en ai lu des drames en ce mois de février).

Au vent mauvais de Kaouther Adimi

Au vent mauvais de Kaouther Adimi.

Seuil, collection fiction & Cie, août 2022, 272 pages, 19 €, ISBN 978-2-02-150356-2.

Genres : littérature franco-algérienne, roman.

Kaouther Adimi naît en 1986 à Alger en Algérie mais lorsqu’elle a 4 ans, sa famille s’installe à Grenoble en France. Elle aime aller à l’école et fréquenter la bibliothèque. En 1994, elle retourne à Alger pour étudier à l’université (lettres modernes et management des ressources humaines), elle commence à écrire et participe au concours de l’Institut français. En 2009, elle écrit son premier roman et revient à Paris. J’ai d’ailleurs découvert cette autrice avec ce premier roman, L’envers des autres, paru chez Actes Sud en 2011 et qu’une blogueuse (dommage son blog n’est plus approvisionné) m’avait envoyé. Ses autres romans, Des ballerines de papicha (2010), Des pierres dans ma poche (2015), Nos richesses (2017) et Les petits de décembre (2019) sont publiés aux éditions Barzakh. Elle écrit aussi des nouvelles, du théâtre, des scénarios (elle reçoit plusieurs prix littéraires entre 2011 et 2020) et revient en 2022 avec son nouveau roman, Au vent mauvais.

Voici comment débute le roman, « Dans la nuit du 22 septembre 1972, un vent mauvais arriva du Sahara et recouvrit Alger d’une poussière rouge, qui se déposa sur les façades des immeubles, les toits des voitures, les feuilles des palmiers et les parasols de plages. » (p. 11). Saïd se rend à la Maison de la radio où il travaille, mais le soir, il doit rencontrer ses lecteurs à la librairie car son premier roman vient de paraître. « Un petit livre ? Un grand roman, tu veux dire ! Le plus grand roman algérien ! Tout le monde en parle ! Ah, mon ami, je suis si heureux pour toi. » (le peintre, p. 12).

Flash-back, nuit du 3 février 1922. Tarek naît dans le hameau d’El Zahra, un endroit sec, sans point d’eau, et entouré de montagnes. « Quel est le premier homme à avoir eu l’idée saugrenue de s’installer ici, nul ne saurait le dire. » (p. 19). Après avoir mis son fils au monde, la mère apprend que son mari est mort sur un chantier mais elle et le nouveau-né se portent bien. Saïd qui vient de naître et dont la mère n’a pas de lait sera pris en nourrice par la mère de Tarek. Saïd et Tarek bien que très différents deviennent frères de lait et grandissent ensemble. « Les deux garçons se suffisaient à eux-mêmes, ils n’avaient pas d’autres amis. À peine toléraient-ils Leïla, leur voisine, qui les rejoignaient parfois pour une partie de cache-cache. » (p. 23). Mais à la rentrée de 1937, le père de Saïd, imam du village, envoie son fils étudier à Tunis ; les deux amis se reverront pendant les vacances. Et en janvier 1938, Leïla épouse contre son gré (elle n’a que 15 ans) « un ami de son père » (p. 25), veuf. Mais, alors que son fils a 3 mois, Leïla retourne chez ses parents. « Les jours qui suivirent, tout le village ne parla que de cela. De Leïla qui avait osé quitté son mari. Tarek vit les visages des hommes s’assombrir et fut témoin de leur rage. Il craignait pour la vie de la jeune femme […]. » (p. 34).

Je ne peux en dire plus car ce serait divulgâché… Mais je peux vous dire que vous avez pratiquement un siècle qui défile sous vos yeux, 70 ans en fait de 1922 à 1992. J’ai aimé que Tarek, pas illettré mais peu instruit, découvre le cinéma (La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, film scénarisé d’après le livre de Yacef Saâdi, sorti en salles en 1966 et ayant reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1966 puis d’autres prix cinématographiques) et l’art : « Ce que vous permet l’art, c’est d’avoir le sentiment d’être à la fois éternel et mortel, c’est quelque chose d’effrayant et de douloureux mais aussi un sentiment extraordinaire. Admirer une œuvre, c’est repousser la mort, c’est permettre à la vie de gagner. Posséder ce genre d’œuvres d’art, c’est être béni des dieux. » (p. 153). J’ai bien aimé la présence du chat noir dans la villa.

En tout cas, le roman de Saïd change le destin des trois amis d’enfance (et, plus tard, l’arrivée au pouvoir des islamistes aussi…). Peut-on écrire en toute impunité sur la vie des autres ? Kaouther Adimi s’est inspirée de la vie de ses grands-parents et le lecteur ressent qu’elle aime ses personnages, qu’elle veut leur bonheur mais l’histoire est dramatique.

Pour ABC illimité (lettre A pour nom), Challenge lecture 2023 (catégorie 24, un livre dont le titre comporte un élément météorologique) et Tour du monde en 80 livres (Algérie).

Où est Anne Frank ! d’Ari Folman et Lena Guberman

Où est Anne Frank ! d’Ari Folman et Lena Guberman.

Calmann Lévy, collection Graphic, octobre 2021, 160 pages, 18 €, ISBN 978-2-70218-079-2. Where is Anne Frank ? (2021) est traduit de l’anglais par Claire Desserrey.

Genres : littérature israélienne, bande dessinée, littérature jeunesse.

Ari Folman naît le 17 décembre 1962 à Haïfa en Israël. Il est réalisateur et scénariste pour le cinéma. Il est scénariste de cette bande dessinée. Je me disais bien que je connaissais ce nom : j’avais beaucoup aimé le film d’animation Valse avec Bachir (2008) et il a aussi réalisé le film d’animation Où est Anne Frank (2021), site officiel (en anglais ou en allemand) et vidéo de la bande annonce ci-dessous.

Lena Guberman naît en Israël et commence à dessiner et à s’intéresser à l’art dès l’enfance. Elle étudie la communication visuelle à l’Académie Betzalel à Jérusalem et en sort diplômée en 2003. Elle est illustratrice (albums illustrés, pour les journaux), sculptrice et travaille avec Ari Folman sur The Congress (2013). Plus d’infos sur son site officiel et sur sa page FB.

De nos jours, la maison d’Anne Frank se visite. Un soir d’orage, Kitty, son amie imaginaire, sort du livre et devient réelle mais invisible. Elle voit les portraits… « Anne ?! Otto ?!… Edith ?… Où sont-ils tous ? Je commence à avoir peur. » (p. 9).

12 juin 1942, Anne reçoit un journal pour son 13e anniversaire. « Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de 13 ans. Mais, à vrai dire, cela n’a pas d’importance, j’ai envie d’écrire et bien plus encore de dire vraiment ce que j’ai sur le cœur une bonne fois pour toutes à propos d’un tas de choses. » (p. 13).

Bon, je ne raconte pas l’histoire, (presque) tout le monde la connaît et que vous la connaissiez ou non, lisez cette belle bande dessinée émouvante ! Mais je veux noter quelques extraits. « Anne, ma chérie, ta plus grande force, c’est ton imagination (son père, p. 54). « Personne n’en revient jamais. On raconte que ce sont des camps d’extermination. Ils séparent les hommes des femmes, les enfants des adultes. Ils tuent ceux qui sont trop faibles ou trop vieux. » (monsieur Dussel, p. 65). « Je me rends compte que cela ne nous mène nulle part. On aurait mieux fait de ne pas se cacher. Mieux vaut mourir que nourrir l’espoir que quelque chose de positif va se produire. Je n’en ai jamais eu peur, parce qu’au pire, je verrai l’au-delà comme dans la mythologie grecque : un paradis entouré de cinq fleuves magnifiques. » (Margot, la sœur d’Anne, 31 décembre 1944, p. 100).

Quant à Kitty, elle est invisible lorsqu’elle est dans la maison d’Anne Frank, mais si elle sort, elle devient visible aux yeux de tous et si elle s’éloigne du journal d’Anne, elle s’évapore. Elle est recherchée par la police car elle est partie avec le journal mais elle rencontre Peter (l’ami d’Anne s’appelait Peter) qui aide des réfugiés : il va l’aider et lui faire comprendre ce qui est arrivé à Anne et à sa famille.

Les dessins sont très beaux, l’histoire très fluide et j’aimerais bien voir le film d’animation. L’objectif des deux auteurs, avec ce roman graphique transposé à notre début de XXIe siècle, est « de toucher le plus grand nombre de jeunes lecteurs du monde entier. » (p. 156) et de faire comprendre qu’encore maintenant il y a des enfants et des familles qui sont touchés par la guerre et ont besoin d’aide. Une histoire profondément humaniste (et c’est bien un ! et pas un ? dans le titre).

Ils ont lu ce roman graphique (et/ou vu le film) : Bazaart de Baz’art, Calypso d’Aperto libro, Karine de Les chroniques de Koryfée, Mamzelle Potter, Raphaéla de CinéChronicle, d’autres ?

Pour 2023 sera classique (pour l’adaptation du Journal d’Anne Frank), ABC illimité (lettre F pour nom), BD 2023, La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Moka), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 2, une BD ou un manga, 3e billet), Challenge lecture 2023 (catégorie 25, un livre sur le thème de la seconde guerre mondiale), Jeunesse & young adult #12, Lire (sur) les minorités ethniques (j’ai vérifié, les Juifs ont toujours été une minorité ethnique, religieuse et persécutés…), Littérature de l’imaginaire #11 (je mets dans ce challenge parce que l’amie imaginaire prend vie, c’est donc du fantastique), Petit Bac 2023 (catégorie Prénom pour Anne), Tour du monde en 80 livres (Israël), Un genre par mois (en février, du rires au larmes, (romans feel good ou) drame).

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand.

Aux Forges de Vulcain, collection Fiction, août 2022, 208 pages, 18 €, ISBN 978-2-373-05648-8.

Genres : littérature française, roman, Histoire.

Gilles Marchand, je vous remets ce que j’avais écrit sur Requiem pour une apache : il naît en 1976 à Bordeaux. Il est musicien, auteur et éditeur. Depuis 2010, il publie des nouvelles aux éditions Antidata. Ses précédents titres aux Forges de Vulcain : deux romans, Une bouche sans personne (2016), Un funambule sur le sable (2017) et un recueil de nouvelles, Des mirages plein les poches (2018).

Alors que j’ai vu récemment la très belle série télévisée, historique et dramatique, Les Combattantes, sur le rôle des femmes durant la Première guerre mondiale, je m’apprête maintenant à lire Le soldat désaccordé.

« Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L’image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. Personne ne pouvait le prévoir. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’Automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. De retour pour les moissons, les vendanges ou de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire, ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant, on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparés à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres. […]. » Voici comment débute ce roman, page 9, et je trouve ces phrases très fortes bien que je n’aime pas le mélange du ‘on’ et du ‘nous’, c’est soit l’un soit l’autre mais je vais m’y habituer parce que j’ai très envie de lire ce roman !

Et, à la fin de la guerre, en 1918 « Les morts officiels, les disparus, les estropiés… » (p. 10), sans oublier les fusillés, combien sont-ils en vrai ?

Le narrateur, ayant « perdu une main dès l’automne 1914 » (p. 10), ne participe plus au combat mais, malgré le fait qu’il soit fiancé à Anna, il veut continuer à aider, « je pensais que j’étais indispensable » (p. 10), alors il approvisionne, il transporte (il peut conduire des camions grâce à une prothèse) dans toute la France jusqu’en 1918. Lorsqu’après guerre, il rencontre Blanche Maupas qui veut prouver que son mari a été « fusillé à tort » (p. 11), il apprend tout d’elle : « la méthode, l’abnégation, le sens du détail, les réseaux, l’importance de l’opinion publique, les démarches judiciaires. » (p. 11). Pendant des années il travaille « pour des associations ou différents comités œuvrant à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Et je parcourais le pays afin de permettre à une famille de retrouver la dépouille d’un soldat qui n’était pas revenu. » (p. 11-12). Voilà la vie et le travail d’enquêteur de cet ancien soldat qui va redonner espoir, des informations et si possible des corps aux familles alors que le lecteur ne sait même pas son nom ! Et il est plus habitué aux « villes détruites aux clochers défoncés, les villages éventrés, les anciens hôpitaux et les asiles de campagne » (p. 15) qu’au restaurant parisien où le convie une nouvelle cliente, Jeanne Joplain, qui veut retrouver son fils Émile, disparu à Verdun en 1916 (le nombre officiel de disparus est de deux cent cinquante mille, p. 20). « Je ne pus réprimer un violent élan de désespoir. Des mères et des femmes de poilus persuadées que leur soldat était toujours vivant quelque par, j’en avais rencontré beaucoup. […] Mais retrouver un poilu vivant, cela ne m’était jamais arrivé. » (p. 18). Pourtant, c’est possible car il y avait de nombreux amnésiques, « Ça représentait un stock de tendresse laissé à l’abandon, et pour lequel on était prêt à se battre. » (p. 21). De rencontre en rencontre, l’enquêteur est le récipiendaire de « toutes les histoires qu’ils n’en pouvaient plus de garder pour eux. Tout ce qui venait hanter leurs nuits et qu’ils désiraient épargner à leur famille. » (p. 25). À travers cet enquêteur, l’auteur donne la parole aux soldats rescapés des tranchées.

Et lorsque les Français font la fête, comme en 1925, «  Ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco Chanélait, André Bretonnait, Maurice Chevaliait. » (p 53), bien vu les jeux de mots, beaucoup ne parviennent pas à s’« abandonner à cette insouciance. […] On avait beau faire semblant, on avait traversé l’enfer. » (p. 53). Et puis, Verdun… « Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’enfer. » (p. 61).

Pas facile de remonter la piste, entre les légendes comme celle de la Fille de la Lune, les délires de ceux qui ont perdu la tête mais l’enquêteur n’abandonne pas !

Estomaquée après cette lecture, je me demande encore comment un livre si magnifique peut raconter autant d’horreurs (réelles) mais «  Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. » (p. 111) et « J’ai compris que, même après la mort, il restait de l’amour. On ne sait pas quoi en faire, mais ça vaut le coup de se battre et de le nourrir. » (p. 138). Un très beau roman sur un thème, différent de la guerre en elle-même et des gueules cassées, peu abordé en littérature que je vous conseille fortement.

Pour ABC illimité (lettre G pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 11, une couverture bleue), Challenge littéraire 2023 (catégorie 11, le livre préféré d’un proche) et Les départements en lecture (Gironde, 2e billet).