Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi

Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi.

Les éditions du Palais, mars 2021, 120 pages, 15 €, ISBN 979-10-90119-918. Préface d’Ayyam Sureau. Parution en poche en septembre 2022.

Genres : littérature franco-afghane, témoignage, poésie.

Mahmud Nasimi naît en 1987 à Jabalsaraj (dans la province de Parwan) en Afghanistan. Il étudie les sciences politiques à l’université de Kaboul. Il quitte l’Afghanistan en avril 2013, sa famille, ses amis et, au bout d’un périple long et dangereux, il arrive en France.

Mahmud n’a pas écrit ce récit en dari mais en français. « Lorsqu’il arrive en France, Mahmud Nasimi ne connaît personne et ne parle pas un mot de français. Il erre dans Paris, seul, muet parmi les sourds, invisible parmi les non-voyants. […] Au père Lachaise, il rencontre Balzac, Molière, Édith Piaf. Au cimetière de Montparnasse, Baudelaire, Sartre, Serge Gainsbourg. » (préface, p. 10). Ainsi il apprend le français.

« J’aime les livres ! Et j’aime les lire ! Mais pas depuis toujours. Jusqu’à mon arrivée en France, je leur tournais le dos. Ils n’avaient que peu d’intérêt à mes yeux. Pire, ils rimaient avec école, obligation, devoir, sanction. En découvrant la littérature française, ce jour où mes pas m’ont conduit au cimetière du Père-Lachaise, j’ai soulevé le voile qui me cachait la beauté du monde. » (p. 17).

« Avant d’arriver en France, je suis passé par plusieurs pays : l’Iran, la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique. J’ai fait un voyage inhumain et inimaginable où j’ai approché plusieurs fois la mort, simplement pour sauver ma vie. À cette souffrance incommensurable s’ajoute la souffrance morale de ces sept années perdues où je n’ai pu poursuivre mes études commencées dans mon pays. Je me heurte aujourd’hui à l’incompréhension des gens de mon âge qui comparent leur parcours universitaire et le mien. C’est une profonde peine d’être jugé au lieu d’être compris. » (p. 23).

« […] j’aime la France ! J’y suis arrivé en septembre 2017, les poches vides, le corps fatigué, le cœur blessé, mes désirs envolés. J’ai passé des jours et des nuits dans les rues, dans les parcs ou dans les gares. […] » (p. 31). Malgré l’adversité, « mes deux maîtres mots demeurent : patience et courage. » (p. 40). « La littérature, qui n’existait pas dans ma vie, est venue rompre ma solitude, elle me prend par la main pour m’accompagner chaque jour jusqu’à la fin du voyage. » (p. 45).

Á Ali, son colocataire particulièrement pessimiste. « Je lui ai expliqué calmement que la vie était un voyage fait de hauts et de bas ! Que nous portions tous quelque chose qui nous faisait souffrir. Mais que tant que nous n’abandonnions pas, il y avait de l’espoir. Que sans espoir, la vie n’avait pas de sens. Qu’il nous fallait rester positifs et garder confiance comme devant toutes les épreuves de la vie. » (p. 83).

Mon passage préféré. « S’il est un être à qui vous voulez dire que vous l’aimez, à qui vous voulez pardonner, que vous voulez revoir ou que vous voulez aider, n’attendez plus car demain n’est pas une promesse ! » (p. 100). Parce que Mahmud Nasimi n’est pas tourné que sur lui-même mais tourné vers les autres.

Quoi de mieux pour vous donner envie de lire ce témoignage que ces quelques extraits. Un témoignage, douloureux pour l’auteur, émouvant pour le lecteur, mais empli d’espoir et d’amour. Il y a une illustration en noir et blanc (p. 30) et quelques poèmes tout simples écrits par l’auteur (son amour pour Paris et la France, son enfance et sa mère, l’amitié). Des textes très tendres et sincères sur l’exil, le déracinement, la solitude, la souffrance… et une belle leçon d’espoir et de vie.

Ils l’ont lu : Belette Cannibal Lecteur, Chantal, Lucette, Papivore, d’autres ?

Pour ABC illimité (lettre N pour nom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 4, une (auto) biographie, ici plutôt un témoignage mais auto-biographique), Challenge lecture 2023 (catégorie 21, un livre d’un auteur qu’on n’a jamais lu, 4e billet), Petit Bac 2023 (catégorie Lieu pour Paris) et Tour du monde en 80 livres (Afghanistan).

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L’extraordinaire voyage du chat de Mossoul d’Élise Fontenaille et Sandrine Thommen

L’extraordinaire voyage du chat de Mossoul raconté par lui-même d’Élise Fontenaille et Sandrine Thommen.

Gallimard Jeunesse, collection Giboulées, octobre 2018, 30 pages, 13 €, ISBN 978-2-07509-538-9.

Genres : littérature française, littérature jeunesse, album illustré.

Élise Fontenaille naît le 10 août 1960 (tiens, j’avais noté 1962 précédemment) à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Elle étudie la sociologie et l’ethnologie à Bordeaux puis à Toulouse. Elle devient journaliste à Paris puis vit pendant 2 ans à Vancouver au Canada en tant qu’attachée de presse au consulat de France. Elle écrit ensuite plusieurs romans (plutôt jeunesse), reçoit plusieurs prix littéraires et travaille aussi pour des magazines d’actualités. J’ai déjà lu cette autrice avec, entre autres, L’été à Pékin.

Sandrine Thommen, née dans les Cévennes, étudie à l’École Estienne à Paris puis à l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg. Elle est illustratrice, vit à Paris et s’intéresse au Japon. Elle a plusieurs fois exposé ses œuvres (en France et au Japon). La suivre sur son Instagram et voir ses illustrations sur son site officiel et sur Etsy.com.

Résumé de l’éditeur (site et 4e de couv’) : « Il était une fois un chat extraordinaire, et ce chat, c’est moi ! Je vivais à Mossoul chez ma maîtresse, Samarkand, et je ronronnais à longueur de journée : le chat le plus heureux du monde ! Mais un jour, les hommes en noir ont envahi la ville. Nous nous sommes enfuis, nous avons traversé des frontières et moi, pour la première fois, j’ai vu la neige et la mer. Oui mais voilà : je me suis perdu ! Et bien croyez-moi ou pas : c’est très loin tout au nord que j’ai retrouvé ma famille. De l’Irak à la Norvège, ça en fait un bout de chemin, mais c’est ce qui s’est vraiment passé ! Et moi je suis toujours le chat le plus heureux du monde ! »

Habibi (un chat angora blanc) vit avec ses humaines (la mère, Samarkand, et ses quatre filles, Zora, Lamia, Fatima et Zineb) dans une magnifique maison « un vrai palais pour un chat » (p. 7) avec un magnifique jardin et de beaux arbres, le « paradis des chats » (p. 7). Parfois de jolies minettes passent et il leur offre « des criquets, bien croquants sous la dent » (p. 7). Vous imaginez donc très bien que Habibi (qui signifie ‘mon chéri’) est effectivement le plus heureux des chats !

Mais lorsque des hommes en noir arrivent en ville et interdisent aux filles d’aller à l’école (un comble, Sarmarkand était tout de même institutrice !), entre autres choses, la mère (veuve depuis 3 ans) décide de partir en pleine nuit avec ses filles, sans prévenir personne et sans rien emmener que Habibi bien sûr. Avant de partir, Samarkand caresse les arbres du jardin en pleurant, Habibi aussi, « c’est la première fois que je quittais ma maison et mon jardin : mon royaume. » (p. 8). J’ai ressenti toute la tristesse de cette situation.

Heureusement tout ce petit monde est en voiture grâce à Mushin, chauffeur et ami de la famille, et peut traverser l’Irak (une petite partie) et la Turquie sans encombres (ce qui n’est pas toujours le cas). Le groupe arrive bien sur l’île de Lesbos (Grèce) mais Habibi sort de son panier, il aimerait bien une petite souris, c’est un poisson qu’il ramène mais sa famille n’est plus là : elles sont parties grâce à une association humanitaire en demandant bien à Hannah (une des membres) de chercher Habibi et d’en prendre soin.

Sur le port, Habibi est rejeté par les autres chats, il est un étranger, il ne va pas voler leurs poissons quand même ! Il se réfugie dans la forêt… Lorsque Hannah retrouve Habibi, c’est trop tard, sa famille est déjà partie, alors elle le garde un mois (cure de sardines !) puis le confie « à son ami Thomas, un jeune médecin qui rentrait en Allemagne » (p. 21) à Berlin. Heureusement Samarkand avait déposé un message sur le site de l’association humanitaire. Direction Bergen, en Norvège, sous la neige, de nouvelles aventures pour Habibi !

Cette histoire, joliment racontée par Habibi lui-même peut sembler un conte moderne mais c’est une histoire vraie qui s’est déroulée en 2015. Habibi coule des jours heureux, câliné par ses humaines et par les clients du petit restaurant que Samarkand a ouvert. « Je dédie cette histoire au peuple irakien, à son courage formidable, en particulier aux femmes et aux enfants, et bien sûr, à mes amis les chats, du monde entier. » (l’autrice, p. 29). Si l’Irak et le peuple irakien vous intéressent, je vous conseille la lecture de Que sur toi se lamente le Tigre d’Émilienne Malfatto, un premier roman grandiose mais dramatique… Les illustrations de Sandrine Thommen sont très belles, soit en pleine page (il y en a même 3 en double page) soit sur la page de texte et elles accompagnent parfaitement le texte. En fin de volume, il y a une carte qui montre le périple de Habibi (dommage, il n’y a pas le nombre de kilomètres parcourus). Ce très bel album illustré a reçu le Prix Dé’Lire 2022.

L’âge préconisé par l’éditeur est entre 6 et 9 ans : cet album est vraiment pour faire comprendre aux jeunes enfants le sort des migrants, à travers les yeux d’un chat, et leur apprendre l’empathie et la solidarité. Les adultes peuvent évidemment aussi être touchés (et pas seulement ceux qui aiment les chats) parce que Mossoul, c’est ‘simplement’ une ville détruite que l’ont voit (voyait) aux infos.

Ils l’ont lu : Audrey de Light & Smell, Céline de Charthémiss, Julien de Mangeur de livres, d’autres ?

Pour les challenges Jeunesse young adult #11, L’été lisons l’Asie (MENU DE SEPTEMBRE : MÉMOIRES D’ASIE = lire un livre historique, une saga familiale, un livre avec un vêtement traditionnel sur la couverture, une biographie ou un témoignage, nous avons ici une histoire vraie irakienne, une histoire familiale, à la fois biographie et témoignage), Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Mossoul) et Les textes courts.

Ainsi parlait ma mère de Rachid Benzine

Ainsi parlait ma mère de Rachid Benzine.

Seuil, janvier 2020, 96 pages, 13 €, ISBN 978-2-02143-509-2.

Genres : roman franco-marocain, premier roman.

Rachid Benzine naît le 5 janvier 1971 à Kénitra au Maroc. Il arrive en France à l’âge de 7 ans. Il étudie les sciences humaines et l’économie. Il est professeur, auteur et prône le dialogue entre islam et christianisme (Nous avons tant de choses à nous dire avec le père Christian Delorme en 1998).

Après Dans les yeux du ciel qui ne m’avait pas convaincue, j’ai quand même voulu lire Ainsi parlait ma mère parce que j’avais entendu l’auteur à 28’ (Arte) et il m’a paru sympathique.

Le narrateur, 54 ans, professeur de lettres à l’Université catholique de Louvain en Belgique, fait la lecture à sa mère, âgée (93 ans) et malade. « Ma mère ne sait pas lire. » (p. 7). Ce livre dont elle « demande la lecture à chaque moment de la journée où elle se sent disponible, où elle a besoin d’être apaisée, où elle a envie tout simplement de profiter un peu de la vie. Et de son fils. » (p. 7-8), c’est La peau de chagrin d’ Honoré de Balzac.

Quand ses parents sont arrivés à Schaerbeek, en Belgique, au milieu des années 50, la mère est restée au foyer pour élever les cinq garçons (le narrateur est le plus jeune) et le père « travaillait au pilon, près de Bruxelles. » (p. 13) alors il ramenait chaque soir des magazines et des livres. « Autant qu’il pouvait en porter. » (p. 13).

J’aime la tendresse que raconte ces phrases ; le père qui apprend à lire en même temps que son jeune fils et qui « affectionnait particulièrement le magazine Modes et travaux dont le public cible était pourtant clairement affiché : la femme au foyer, chic et parisienne. » (p. 15). La mère qui, dans les années 70, le samedi soir, « chantait à l’unisson, des vedettes du moment […] C’était le seul moment où on la sentait vraiment heureuse, transfigurée. » (p. 28). Ah, les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier !

J’ai aimé la relation mère-fils, tout en tendresse, et en découvertes surprenantes pour le fils. « La maman d’un grand con suffisant, oui ! » (p. 58).

Un livre savoureux sur l’amour qu’une mère porte à ses enfants et qu’un fils porte à sa mère même en fin de vie. Un joli livre de souvenirs aussi. Et dans une moindre mesure, une petite analyse de La peau de chagrin de Balzac avec quelques moments amusants. « Nous avons bataillé ainsi durant des années sur des tas d’interprétations possibles de l’œuvre, des personnages, des thèmes abordés, des enjeux, des conflits. » (p. 75).

Pour le Challenge du confinement (case Contemporain). Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 17.