C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc de Lilian Bathelot

C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc de Lilian Bathelot.

Le Navire en pleine ville, collection Sous le vent, mai 2006, 256 pages, 13,50 €, ISBN 978-2-916517-04-9. Cette maison d’éditions a stoppé ses activités en 2013 mais le roman est réédité en poche : Pocket, collection Science-Fiction, novembre 2020, 256 pages, 7,30 €, ISBN 978-2-26630-745-1.

Genres : littérature française, science-fiction.

Lilian Bathelot naît le 16 mai 1959 à Aubin en Aveyron (Occitanie). Il est réalisateur (films et documentaires) et auteur (romans noirs, science-fiction, nouvelles, théâtre, radio et jeunesse). Plus d’infos sur son site officiel.

Kisimiippunga (Kisimii) est Inuit et scientifique. Elle vit à Kalaaliit Nunaat en République Inuit Indépendante (anciennement le Groenland). Elle a rencontré Knud à Copenhague lors de ses études de physiques et il a quitté la zone franche de Copenhague pour vivre avec elle. « On lui avait confié la mission de s’occuper du parc d’élevage de narvals, si vital pour la petite communauté. » (p. 9). Kisimii est partie en solitaire pour sa première chasse au caribou lorsqu’elle voit, au loin, un étrange traîneau poursuivi par des loups et à bord, un homme blessé et inconscient, « un Européen sans doute, à en juger par son équipement » (p. 24). Elle appelle les secours.

Au même moment, en zone franche de Montpellier (État français, Union européenne), la Sécurité nationale pense avoir retrouvé la trace du Commandant Manuel Diaz disparu depuis plus de deux semaines. Damien Coste, officier d’élite de la Sécurité nationale, en congé pour une escalade au Parc d’Écoloisir de haute montagne des Écrins, est rappelé en urgence à Montpellier. « Sur le mur d’images, une vaste zone couvrant l’extrême nord du continent américain, toute la Laponie du nord de l’Europe, et l’ensemble du Taïmir en Asie sibérienne se colora en ocre, avec l’ensemble du pôle arctique. La zone qui s’était évanouie ce jour-là clignotait sur trois continents. » (p. 62).

Les chapitres alternent donc entre le côté Inuit et le côté Sécurité nationale française (et l’auteur a adapté son style pour chacun, ce qui est vraiment intéressant) jusqu’à ce tous se « retrouvent » à Kalaaliit Nunaat.

Nous sommes en mai 2089. Le monde est séparé en deux parties : les zones sécurisées où les humains sont tous connectés avec un implant biocomplexe et les zones franches où vivent des humains non implantés. « Toutes ces parties du monde sont encore habitées par leurs peuples indigènes. Par les peuples qui vivent là depuis que le monde est monde, et qui ont conservé un lien spirituel si fort avec la terre de leurs ancêtres qu’ils ont tous fini par obtenir leur indépendance au fil des Sommets Mondiaux du dernier demi-siècle. Aux dernières disparitions, les territoires évanouis recouvraient même très exactement la carte de tous les états membres de la Confédération des Nations Premières. » (p. 72).

Serait-ce la « guerre » entre les nations sécurisées du G16 et les Peuples premiers, entre implantés et non-implantés ? « L’implantation était désormais la nouvelle frontière que le sentiment raciste des humains avait trouvé pour s’exprimer. Il en trouve toujours une. » (p. 121). Les Inuits auraient-ils découvert l’Esquive pour échapper à la surveillance du G16 ?

Mais, peut-être que tout humain a simplement besoin « de se retrouver vraiment lui-même, de retrouver des racines, des choses profondes qui sommeillaient au fond de son âme. » (p. 137) ?

C’est dingue, ce roman a reçu de nombreux prix littéraires lors de sa parution (une bonne quinzaine) et de nombreux coups de cœur (libraires, blogueurs) mais je n’avais jamais entendu parler ni de l’auteur ni du roman (ou alors j’ai zappé !). Ce roman de science-fiction écologique (qui se lit d’une traite) est surtout une très belle réflexion sur la vie, l’humain, sa relation aux éléments (la neige et le froid du Grand Nord), à l’animal et à la technologie. C’est que, dans les zones franches, et en particulier en République Inuit Indépendante, les humains, même s’ils utilisent de la technologie et ont étudié, ne sont pas implantés et continuent de vivre comme leurs ancêtres. C’est comme s’ils avaient une âme, un fil qui les relie alors que les implantés non. Mais attention, pour moi ce fut une lecture hivernale qui m’a en plus emportée dans le froid glacial, glagla ! Quoique l’action, le suspense et le message (la prise de conscience) réchauffent le cœur !

Je préfère la couverture poche.

Par contre quelques erreurs (dans l’édition de 2006 que j’ai lue) comme Kisimiippunga qui devient Kisimmipunga ou autre. Bon, ça ne gêne pas vraiment la lecture mais ça ne fait pas sérieux… J’ai lu que le texte avait été remanié par l’auteur pour l’édition poche donc ces erreurs ne devraient plus y être et je vous conseille l’édition poche.

Une lecture captivante que je mets dans Animaux du monde #3 (caribou, chiens de traîneau, loups, et les plus importants narvals), Challenge du confinement (case SF), Décembre nordique (l’auteur est Français mais ça se passe tout là-haut dans le Nord) et Littérature de l’imaginaire #8.

Teaser sur https://vimeo.com/481352511

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De pierre et d’os de Bérengère Cournut

De pierre et d’os de Bérengère Cournut.

Le Tripode, août 2019, 219 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-212-9.

Genre : littérature française.

Bérengère Cournut naît en 1980. Elle a déjà écrit des contes, des textes (illustrés) pour la jeunesse et Née contente à Oraibi (Le Tripode, 2016) sur les Indiens Hopis.

Une nuit, Uqsuralik a mal au ventre, elle se lève et sort de l’igloo. « L’air glacé entre dans mes poumons, descend le long de ma colonne vertébrale, vient apaiser la brûlure de mes entrailles. Au-dessus de moi, la nuit est claire comme une aurore. La lune brille comme deux couteaux de femmes assemblés, tranchants sur les bords. Tout autour court un vaste troupeau d’étoiles. » (p. 11). Elle entend un craquement et se rend compte que la banquise se sépare ! Son père, attiré par le bruit, a le temps de lui tendre une amulette (une dent d’ourse), une peau et un harpon (mais la flèche se casse) avant que le morceau de banquise ne l’éloigne. Uqsuralik est séparée de sa famille, livrée à elle-même sur ce morceau de banquise qui dérive. Mais, tout à coup, surgissent Ikasuk (la meilleure chienne de son père) et quatre chiots, ils étaient enfouis sous un monticule de neige. « Je suis seule – avec cinq chiens fraîchement sortis du néant. » (p. 14). « Ma seule chance de survivre est de rejoindre un bout de terre, une de ces montagnes au loin. » (p. 15). « J’ignore combien d’obstacles me séparent du rivage et des autres humains. » (p. 16).

De pierre et d’os est un beau texte, bien écrit, mais j’ai vraiment l’impression que l’autrice raconte les images d’un documentaire… C’est plus un récit ethnologique qu’un roman (je n’utilise pas ethnographique car l’autrice n’a pas été sur le terrain). De plus… Les chiots attaquent et Uqsuralik ne peut pas les retenir à chaque fois… Elle est « obligée » d’en tuer un qui se jette sur elle… « Je ramène le chien encore chaud entre les murs de l’igloo, je remets la porte en place et je le dépèce. Sa viande est infecte, mais le sang tiède ramène la vie en moi. » (p. 19). J’ai déjà supporté l’ignominie dans Sauvage de Jamey Bradbury, je ne me sens pas de lire un autre livre du même genre… Je poursuis un peu en diagonale… Non seulement elle mange le chiot mais elle jette les restes aux trois autres qui, affamés, se jettent dessus… Comme les Inuits parlent peu, le livre est agrémenté de chants qui racontent leur vie, leurs peines, etc., comme Le chant du père (le premier chant) : « Aya aya ! / La nuit est tombée / Nous avons marché / La banquise s’est brisée / Aya aya ! / J’avais une fille / L’eau a ouvert sa bouche / Pour me l’enlever / […] » (p. 22).

Au bout de plusieurs jours de marche, et après avoir compris que le géant légendaire de l’île ne veut pas d’elle sur son île, elle rencontre un groupe de trois familles en traîneaux avec leurs chiens. Ils la surnomment Arnaautuq, ce qui signifie garçon manqué. Au bout de quelques saisons, naît Hila, une petite fille, mais le père Tulukaraq a disparu avec son kayak. « […] je ne suis pas en paix. » (p. 104).

Je ne sais pas si je vais continuer, il (ou elle) regarde ceci ou cela, il (ou elle) dit ceci ou cela, il (ou elle) fait ceci ou cela… Tout est tellement précis, pointilleux que la lecture en devient laborieuse… (Je l’ai finalement terminé en diagonale). Toutefois ce livre est instructif avec la vie des Inuit, les légendes, les esprits, le chamanisme… Mais ce n’est pas ce que je recherchais dans ce roman qui n’en est pas vraiment un (les 200 et quelques pages m’ont paru très longues…). Il a cependant reçu le Prix du roman FNAC. En fin de volume, il y a un cahier de photographies (en noir et blanc).

Une lecture pas indispensable pour moi que je mets dans les challenges 1 % Rentrée littéraire 2019 et Contes et légendes 2019 (dans la rubrique Une histoire venue de loin).

Qaanaaq de Mo Malø

Qaanaaq : meurtres au Groenland de Mo Malø.

La Martinière, mai 2018, 496 pages, 20,90 €, ISBN 978-2-7324-8630-7. Je l’ai lu en poche : Points Policiers (bizarre, je n’ai pas trouvé Qaanaaq au catalogue donc pas de lien…), mars 2019, 552 pages, 8,50 €, ISBN 978-2-7578-7570-4.

Genres : littérature française, roman policier.

Mo Malø… Difficile d’avoir des infos sur cet auteur (apparemment français) qui publie sous pseudonymes. Mo Malø est un de ses pseudonymes – pour son premier roman policier – et j’ai l’impression qu’il fait écho à Jo Nesbø (auteur de polars, norvégien).

Janvier 1975. Nuit polaire. Une attaque d’ours blanc. Mina réussit à s’enfuir, laissant son père et sa mère pour morts. L’enfant, environ 3 ans, est adopté par une famille danoise (mère chef de la police, père célèbre auteur de romans policiers).

42 ans plus tard. Qaanaaq, capitaine à la Crim de Copenhague est envoyé à Nuuk (la capitale du Groenland) pour aider sur une enquête. « Et vous, qu’est-ce que vous venez faire ici ? insista-t-elle. – Moi… ? Il hésitait. Il y avait tant de réponses possibles, la plupart impropres ou prématurées. Puis il se lança : – Je viens coffrer un tueur en série. […] – À Nuuk ? s’exclama-t-elle. – À Nuuk. Mais vous savez ce qu’on dit : ‘Toute chose a une fin’. » (p. 18). Qaanaaq rejoint donc l’équipe de la commissaire danoise Rike Engell et travaille surtout avec l’inspecteur groenlandais, Apputiku (ou Appu) – il loge d’ailleurs chez lui –, et le légiste danois, Kris Karlsen, pour résoudre le meurtre de trois ouvriers étrangers d’une entreprise pétrolière : « un Chinois, un Canadien et un Islandais » (p. 34). Leurs morts ressemblent à des attaques d’ours blanc mais leurs serrures ont été crochetées. « Je dis bien crochetées, pas forcées ni défoncées. » (p. 38). Les locaux de la police sont sinistrés, il n’y a pas de matériel de pointe… Et pour cause : « Pour ce qu’il en savait, la délinquance de rue était quasi inexistante au Groenland. L’île, encore intégrée au Danemark sur la scène internationale, affichait en la matière de toute l’Union européenne. À part peut-être au Vatican, on n’était nulle part plus en sécurité que dans les rues de Nuuk. » (p. 62-63). Sauf que… exploitation pétrolière à outrance, travailleurs étrangers qui se comportent mal avec les filles groenlandaises, racisme, nationalisme, volonté d’indépendance.

Qaanaaq est un flic atypique, fort sympathique, passionné de photographie (les entêtes de chapitres sont d’ailleurs des noms et numéros de photos qu’il prend sur place) envoyé dans un monde qui n’est pas le sien (alors qu’il y est né). « Ce qui le touchait le plus chez Appu, c’était l’impression qu’il partageait ce déchirement, cette fracture. Lui, entre deux cultures. Apputiku, entre tradition et modernité. Entre ce ragoût de phoque immangeable et son ordinateur au top de la technologie. Chacun à leur manière, ils pratiquaient le grand écart entre deux mondes. Des univers indispensables à leur équilibre mais qu’ils savaient impossible à concilier. » (p. 115). Comment va-t-il résoudre cette enquête alors qu’il ne connaît rien des coutumes et des traditions de ce pays. « Les meurtres ritualisés, je ne t’apprends rien, ça pue forcément. C’est soit le fait de givrés, soit un écran de fumée pour te balader. Dans les deux cas, tu ne dois pas te fier à tes impressions premières. » (p. 177).

Quelques extraits que je veux garder :

« L’histoire n’a pas de nom, jeune homme. Elle n’est que la somme de ce que nous accomplissons tous. Elle appartient à tout le monde. » (p. 240).

« Qaanaaq prisonnier de Qaanaaq. Captif de cette identité qu’il subissait depuis si longtemps. Cela ne finirait donc jamais ? » (p. 343). À savoir que Qaanaaq n’est en fait pas un prénom mais le nom d’un village au nord du Groenland.

« C’était bien là tout le paradoxe de ce peuple : si jalousement attaché à ses valeurs traditionnelles ; et s’emballant comme un gamin au moindre signe de modernité. » (p 484).

Et ma phrase préférée, sur la photographie : « Derrière son immédiateté trompeuse, la photo était un monstre dévoreur de temps. » (p. 349).

Je veux bien, si j’ai l’occasion, lire Diskø, son deuxième roman policier, dans lequel Qaanaaq retourne en terre inuit.

Un bon roman policier (que j’ai lu en fait fin juin, pendant la période caniculaire, idéal pour un peu de fraîcheur) pour les challenges Contes et légendes (il y a beaucoup de légendes au Groenland et certaines sont dans ce roman) et bien sûr Polar et thriller 2019-2020.

Le premier amour de Grand Corbeau de Muriel Bloch

Le premier amour de Grand Corbeau de Muriel Bloch.

Didier Jeunesse, collection Il était une (mini) fois, janvier 2014, 32 pages, 3 €, ISBN 978-2-27807-076-3.

Genres : littérature jeunesse, conte.

Muriel Bloch naît en 1954. Elle passe un DEA de Lettres modernes sur Le flou au cinéma, incertitudes narratives et perceptives dans le cinéma expérimental des années 20 aux années 60. Elle travaille avec les enfants dans le monde de la culture et de l’art. Plus de quarante livres au compteur, la plupart des contes. Plus d’infos sur son site officiel.

Cette histoire est un conte inuit du Groenland d’après Raven and the Whale (2001) de Laura Simms.

Les Inuits pensent que Grand Corbeau, tantôt oiseau, tantôt homme, a créé le monde. Un matin, alors qu’il se promène en barque sur la mer Blanche, il voit une baleine à l’intérieur de laquelle il pénètre. C’est là qu’il rencontre une jeune danseuse et qu’il en tombe amoureux. « Sois le bienvenu. Je t’aurais volontiers suivi mais je ne peux pas m’en aller, je suis l’âme et le cœur de cette baleine. Par contre, toi, tu peux t’asseoir ici et me tenir compagnie, j’en serais ravie. » (p. 14-15). Mais Grand Corbeau va-t-il se contenter de cet amour platonique ?

Un conte dramatique et triste pour comprendre que la vie ne tient qu’à un fil (ou deux !) et qu’il est bon de respecter l’autre pour son bonheur et pour le nôtre sinon le pire peut arriver.

Une lecture émouvante pour les challenges  Contes et Légendes 2019Jeunesse Young Adult #8 et Littérature de l’imaginaire #7.