Le goût des garçons de Joy Majdalani.
Grasset, collection Le courage, janvier 2022, 176 pages, 16 €, ISBN 978-2-24682-831-0.
Genres : littérature franco-libanaise, premier roman.
Joy Majdalani naît en 1992 à Beyrouth (Liban). Elle vit à Paris depuis 2010. En 2018, elle publie On the rocks, un texte court, dans la revue Le Courage (apparemment le n° de 2018 est le n° 4). Le goût des garçons est son premier roman. Plus d’infos sur son Instagram.
La première phrase du roman : « Je vous parle de ces filles qui m’ont donné le goût des garçons. » (p. 11). Des filles de bonnes familles qui reçoivent une bonne éducation, qui devront être de bonnes épouses pour l’élite et de bonnes mères.
Beyrouth, Collège Notre-Dame de l’Annonciation. Elles sont en 5e. Soumaya et Ingrid portent l’uniforme du collège mais elles savent mettre en valeur leurs seins, leurs fesses et leurs genoux aussi. Elles sont surnommées les Dangereuses, elles sont considérées comme déviantes, parfois punies mais elles s’en fichent.
La narratrice est parmi les autres filles, les insignifiantes, celles qui ont du mal avec l’âge ingrat et avec leurs poils (sourcils et moustache). Avec ses amies d’enfance, Diane et Bruna, elles pensent à une chose : le premier baiser. « Nous ressassions la marche à suivre jusqu’à la connaître par cœur. Il fallait nous tenir toujours prêtes, agiles, pour saisir l’occasion si elle se présentait à nous, parachutée sur le chemin du collège. » (p. 26).
Bruna devient pour les parents et les sœurs une « mauvaise fréquentation » mais « Jamais, je ne la soupçonnais de mentir. » (p. 29). Pourtant ces jeunes filles qui ne connaissent rien à l’amour et à la sexualité, désirent des choses, parfois même le viol, la brutalité, tout plutôt que la virginité. « Nous en parlions sans honte : nous voulions d’un désir qui fasse perdre le contrôle. Pour instiller en nous la peur des hommes, on nous avait enseigné qu’ils étaient imprévisibles, violents, sauvages. Nous appelions de nos vœux cette bestialité. Nous ne connaissions pas la différence entre l’amour et le rapt. » (p. 44).
Je suis surprise par l’obsession qui en résulte ! J’ai évidemment moi aussi vécu « les tumultes de l’adolescence » (p. 113) mais de façon plus naturelle, plus libre, et à une époque où l’informatique n’était pas démocratisée, où internet et les téléphones portables n’existaient pas. Quelle tristesse de ne vivre que « juste la mécanique » (p. 116)… Mais, peut-être que j’ai bénéficié d’un « accès serein aux grands rites de l’adolescence occidentale » (p. 119) ?
Cette violence, ce sont les filles (de 13 ou 14 ans) elles-mêmes qui se l’infligent, quitte à se faire traiter de pute. « La puberté est une offrande dont nous ne disposons pas selon notre bon vouloir. Le libre arbitre ne se mérite qu’au prix d’une discipline scrupuleuse. Il y a des bonnes et des mauvaises façons d’être une jeune fille. » (p. 141). Voilà, il n’y a pas de bonnes jeunes filles et de mauvaises jeunes filles. « Celles pour qui l’enfance est paisible veulent en prolonger la douceur. » (p. 141) et il y a « les brûleuses d’étapes » (p. 143) mais chacune vit le passage à sa façon et en tire les conséquences pour sa vie, son futur.
Un premier roman sur un thème casse-cou mais la perfection intime et audacieuse, parfois provocante, avec laquelle ce thème est traité font de ce texte un brûlot chargé d’énergie et de lucidité qui annonce de futures femmes douces et fidèles et des femmes plus libres et sulfureuses.
Sur d’autres blogs : Julie à mi mots, Mademoiselle lit, Trouble bibliomane et le questionnaire de Proust à Joy Majdalani sur L’Orient littéraire.
Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 16, un livre de moins de 200 pages, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 3, un premier roman), Tour du monde en 80 livres (Liban).