On était des loups de Sandrine Collette

On était des loups de Sandrine Collette.

JC Lattès, collection Sueurs froides, août 2022, 208 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-70967-066-1.

Genres : littérature française, roman noir, nature writing.

Sandrine Collette naît en 1970 à Paris. Elle étudie la littérature, la philosophie (master) puis la science politique (doctorat) et devient professeur universitaire et consultante. Elle s’installe dans le Morvan avec des chevaux et écrit son premier roman, Des nœuds d’acier, publié en 2013 par Denoël qui relance la collection Sueurs froides (1972-1998). Viennent ensuite chez Denoël, Un vent de cendres (2014), Six fourmis blanches (2015), Il reste la poussière (2016), Les larmes noires sur la terre (2017), Juste après la vague (2018), Animal (2019) puis chez JC Lattès, Et toujours les forêts (2020), Ces orages-là (2021) et On était des loups (2022) soit un roman par an (plusieurs prix littéraires) et tant de retard pour moi (que je vais assurément rattrapé !). Plus d’infos sur sa page Facebook.

« C’est la nuit, je regarde l’enfant qui dort. Un tout petit enfant, il ne sait rien du monde, il ne sait rien faire. Un enfant ce n’est pas fait pour la vie, cette vie-là je veux dire qui est immense et brutale devant lui devant nous. » (début du roman, p. 11).

Liam, 37 ans, chasse et vend des peaux ; il a choisi cette vie à l’âge de 20 ans. En ville, il a rencontré Ava, une étudiante qui l’a suivi. Ava et Liam s’aiment mais ils vivent dans la montagne, au milieu de nulle part, à plusieurs heures de la civilisation. Pourtant ils ont un fils, Aru, bientôt 6 ans.

Un soir Liam rentre après avoir repoussé un loup de leur maison et il découvre Ava tuée par un ours, leur fils est en vie, sa mère l’a protégé en le recouvrant de son corps. « Elle était sur le ventre recroquevillée sur elle-même je ne la voyais pas vraiment, mais ce que j’ai vu c’est le sang puis les griffures qui avaient déchiré son corps et ça a été un éclair dans ma tête. C’était un ours bon sang un ours était venu pendant mon absence pendant que le loup m’éloignait. J’ai crié encore de rage et de douleur et puis je me suis relevé, j’ai regardé autour de moi, j’ai gueulé son nom j’ai hurlé à m’en crever la poitrine Aru Aru. » (p. 40).

Liam ne peut pas garder Aru avec la vie frustre qu’il mène… Du moins, c’est ce qu’il pense. Ils prennent les chevaux, Dark et Ball, pour aller en ville chez oncle Tan et tante Jo qui l’ont vu bébé mais oncle Tan refuse de prendre Aru. Alors Liam et Aru repartent… « Moi j’aimais Ava et je ne veux pas que le môme prenne sa place – comme s’il avait fait exprès. Dans ma poitrine ce n’est pas un jeu de chaises musicales et le vide qui y est n’a pas besoin d’être rempli, juste c’est du vide et je regarde le gosse et la tête me tourne. » (p. 71).

Liam a plein de choses qui se télescopent dans sa tête, il est un peu perdu, il parle – pense très vite… et le lecteur est en plein dans ses pensées, dans ses réflexions, c’est super bien fait. « […] le drame, ça peut ressembler à quelque chose de très simple. » (p. 124) mais « On va essayer c’est tout. » (p. 127).

Mon passage préféré, c’est un souvenir d’enfance, lorsqu’un des frères de Liam s’est enfoncé un hameçon de pêche dans le doigt et que leur père (un homme violent) l’a puni et attaché dehors, enfin ce n’est pas ce moment affreux que j’aime, c’est la réflexion de Liam des années après. « Dans la nuit j’ai entendu rentrer mon frère. Il s’était bien charcuté pour enlever le crochet. Je crois qu’il ne s’est plus jamais blessé à la pêche et c’est devenu le meilleur d’entre nous. Seulement à part faire des souvenirs pas trop agréables et une cicatrice qui n’a jamais disparu, est-ce que ça valait le coup franchement, parce que si ça se trouve c’était de toute façon le plus doué et la punition du père n’y est pour rien. Ça ne me viendrait pas à l’esprit d’agir avec Aru de cette façon. Je m’impatiente et je m’énerve et pourtant je ne vais pas lever la main sur lui ça me paraît insensé, comme quoi on ne reproduit pas toujours ce qu’on a vécu. Ce n’est qu’un môme, il aura bientôt six ans et à cet âge-là on n’est pas prêt pour être un adulte. S’il perd du temps à regarder un papillon quand je l’envoie chercher de l’eau c’est qu’il est capable de poésie, cette poésie il la perdra bien assez vite tout seul, la vie s’en chargera et ce n’est pas la peine de l’engueuler. » (p. 138-139).

On était des loups est un roman noir, thriller, à la fois beau et terrible. Je ne sais pas si c’est la marque de fabrique de Sandrine Collette, c’est le premier roman d’elle que je lis, pourtant j’en ai beaucoup entendu parler et je l’ai même rencontrée en 2017 aux Quais du polar à Lyon. Il était donc temps que je lise un de ses romans ! Et je peux vous dire que j’ai été impressionnée, c’est coup de cœur. L’écriture, le style, le rythme, les personnages, l’histoire, la relation entre le père et le fils, la nature, tout m’a plu dans ce roman percutant et bouleversant. L’instinct maternel ou paternel n’est pas toujours inné… et comme le lecteur ne sait pas où il se situe dans le temps et dans l’espace, il est perdu et manque de repères (comme Liam ?) ce qui donne une sacrée immersion, bravo à Sandrine Collette ! Je lirai d’autres titres de cette autrice, je lis d’ailleurs en ce moment-même Animal et j’ai aussi emprunté Des nœuds d’acier, pour l’instant 😉

Ils l’ont lu et l’ont tous apprécié : Alex Mot-à-mots, Alice de Ça sent le bookAude bouquine, Aurélie sur Aire(s) libre(s), Cannetille, CaroBookine, Céline de La parenthèse de Céline, Charlotte Parlotte, Ge de Collectif Polar, Joëlle, Kitty la Mouette, Krol Franca, Lilia Tak-Tak de La madeleine de livres, Lord Arsenik, Luciole, Mimi Pinson, Nathalie V., Pierre F. de Black Novel, Ray de Sang d’Encre Polars, Shangols (qui est plus critique), Yan de Encore du noir, Yvan de Brussel’s Boy, Yvan de Gruznamur, d’autres ?

Pour ABC illimité (lettre C pour nom), Les Dames en noir, Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Loups), Polar et thriller 2022-2023, Un genre par mois (en décembre, c’est histoire d’amour, il y a l’histoire d’amour entre Liam et Ava, et l’histoire d’amour entre un père et son fils).

Publicité

L’ours d’Andrew Krivak

L’ours d’Andrew Krivak.

Globe, septembre 2021, 160 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-38361-001-4. The Bear (2020) est traduit de l’américain par Heloïse Esquié.

Genres : littérature états-unienne, roman, nature writing, post-apocalyptique.

Andrew Krivak naît en 1963 à Wilkes-Barre (Pennsylvanie) dans une famille slovaque exilée aux États-Unis. Il étudie au St. John’s College d’Annapolis (Maryland), à l’université de Columbia (New York City) et à l’université Rutgers (New Jersey). Après un séjour chez les Jésuites, il rédige un mémoire, In Search of a Religious Life (2008) puis deux romans (encore non traduits en français) : The Sojourn (2011) et The Signal Flame (2017) avant The Bear (2020) qui a reçu le Banff Mountain Book Prize. Plus d’infos sur son site officiel.

Un homme et une femme jeunes se sont installés dans cette montagne. Ils ont construit une maison en bois et en pierre. Ils ont eu un enfant, une fille, mais la femme est morte très peu de temps après. L’homme élève donc seul sa fille. En ce jour le plus long de l’année, elle a maintenant cinq ans et il répond à ses questions parce que c’est difficile pour elle de ne pas avoir connu sa mère. Il y a des animaux mais ils sont les seuls humains au monde. « Tu es une fille intelligente. Mais il y a encore tant de choses que tu ne peux pas comprendre. Tant de choses que tu ne devrais pas être obligée de comprendre. Pas encore. » (p. 13).

Le lendemain, père et fille grimpent au sommet de la montagne, là où la mère est enterrée. Il lui raconte tout et, à partir de ce moment, lui enseigne tout ce qu’il sait. Le terrain, le lac, « où plonger pour ramasser les moules […] confectionner un collet à lapin […] toutes les étapes de la fabrication d’un harpon de pêche […] repérer les essaims d’abeilles sauvages […] et récolter le miel […] comment estimer l’heure […]. » (p. 21). Et même, lorsqu’elle fut plus grande, « il lui apprit à lire et à écrire » (p. 22).

C’est à l’automne de ses 7 ans que « la fille et son père virent surgir un ours surgir des bois et se diriger vers le lac, puis patauger dans l’eau jusqu’à ce qu’il ait un poisson dans la gueule, avant de repartir dans la forêt, en direction des hauteurs. » (p. 24). Et la vie continue, au fil des saisons, des histoires que lit la fille ou que raconte le père et des cadeaux qu’elle reçoit chaque année à son anniversaire (peigne, boussole, couteau, silex…).

Mais, alors qu’ils se rendent pour la première fois au nord et à l’est, vers l’océan, l’homme se fait mordre dans l’eau par un animal qu’il n’a pas le temps de voir, « la main de l’homme était enflée et bleue » (p. 52).

« Elle était seule dans le canoë, pagayant vers la rive […]. L’ours retourna la fille du bout de son museau et lécha la croûte de sommeil et de sel dans ses yeux […]. La fille se secoua, tenta de se lever d’un coup, et s’effondra. L’ours recula et ils se regardèrent à travers la distance qui les séparaient. Tu peux faire un autre feu ? demanda l’ours. La fille ne répondit pas. Elle envisagea de s’enfuir […]. » (p. 71, je note qu’ici il y a une faute, la distance les séparait au singulier pas au pluriel).

Cela peut paraître surprenant mais c’est avec l’ours que la fille fait le trajet de retour, et l’ours sait tout, les endroits qu’il faut éviter, les arbres à miel, les baies et les fruits… « Ils ne parlaient guère tandis qu’ils marchaient vers les hautes montagnes jour après jour. Leur langage était la régularité de leur pas et la cueillette de nourriture. » (p. 79). De même cela peut paraître surprenant que l’ours parle et que la fille le comprenne mais l’ours « expliqua qu’autrefois tous les animaux savaient produire les sons que la fille et son père utilisaient entre eux. Mais les autres comme elle avaient cessé d’écouter, et cette aptitude s’était perdue. […] mais tous les êtres vivants parlaient, et peut-être que la vraie question était comment il se faisait qu’elle puisse le comprendre. » (p. 84).

Malheureusement, durant le retour, l’ours et la fille sont obligés de rester de l’autre côté de la rivière parce que l’hiver arrive plus tôt et, le lecteur s’en doute, l’ours doit hiberner. « Si tu ne te réveilles pas, cette grotte sera ta tombe, et l’ours portera avec lui dans ses errances le souvenir d’un automne où il aura voyagé un temps avec un être porteur de chagrin. Mais si tu te réveilles et fais le voyage jusqu’à chez toi, l’ours et une lignée d’ours après lui porteront l’histoire du retour de la dernière à la montagne isolée. Ils la porteront pour que la forêt s’en souvienne aussi longtemps qu’il y aura de la forêt sous le soleil. » (le puma, p. 111-112).

La fille va-t-elle survivre à cet hiver ?

Comme je n’avais pas aimé Dans la forêt de Jean Hegland (le comportement des deux sœurs m’avait énervée…), j’espérais beaucoup de ce roman ‘similaire’, c’est-à-dire un roman de nature writing avec quelques survivants (ici, seulement deux) dans un monde post-apocalyptique (c’est la couverture qui m’a d’abord attirée). Eh bien, je n’ai pas été déçue, au contraire. Ce roman a tout ce que l’autre n’avait pas ! Je l’ai trouvé passionnant, plein de poésie et d’amour pour la Nature, pour les animaux (même si les passages de chasse restent difficile pour moi à lire). J’ai lu que l’auteur s’est inspiré du mont Monadnock (New Hampshire) près duquel il vit avec son épouse et leurs enfants, une montagne qui me semble très belle quoique peu accueillante en hiver (mais, comme toutes les montagnes, non ?).

Les lecteurs ne sauront rien de ce qui est arrivé aux humains. Les parents de la femme et de l’homme (pas de prénoms) ont cherché des survivants mais le jeune couple ne les a jamais revus. Les seuls ‘visiteurs’ sont les animaux qui vivent plus ou moins près de leur maison dans la montagne. Ils ont appris à survivre avec ce que la Nature leur donnait et quelques bricoles qu’ils ont gardé du monde humain (comme un peigne pour elle et une boussole pour lui). Rien de science-fiction dans ce roman pourtant post-apocalyptique, mais il est d’une beauté époustouflante, toute en contemplation et enseignements (je n’ai pas lu les auteurs que cite la 4e de couv, Emerson et Thoreau). L’homme veut que sa fille vive tout en aimant et respectant la faune et la flore qui l’entourent parce que, sans cette harmonie, elle ne pourra pas vivre. Mais dans ce livre, ce ne sont pas les humains qui sont importants, ce sont les animaux, le vent, les odeurs, l’eau, en un mot la Nature.

Une belle leçon de vie et d’humilité que je mets dans Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 1, la couverture rappelle le printemps), Challenge lecture 2022 (catégorie 40, un livre choisi pour sa couverture), Littérature de l’imaginaire #10 et Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Ours).

Un hiver de coyote de Marie-Lazarine Poulle

Un hiver de coyote de Marie-Lazarine Poulle.

Transboréal, collection Nature nomade, avril 2021, 200 pages, 13,90 €, ISBN 978-2-36157-291-4.

Genres : littérature française, premier roman.

Marie-Lazarine Poulle naît à Vernon dans l’Eure (Normandie). Sa passion, les animaux, la nature, les grands espaces. Elle étudie la biologie puis les neurosciences. Elle observe les renards, les goupils, les loups en France et voyage en Biélorussie, Chine, Grèce, Roumanie… Un hiver de coyote est son premier roman.

« Moins vingt-cinq au petit matin, -15°C au plus chaud de la journée. » (p. 11). Marie, jeune Française tout juste diplômée en biologie, est en Gaspésie avec sa petite chienne, Zorille. Elle va étudier les cerfs dans le ravage (lieu de rassemblement hivernal) de Bonnaventure et seconder Laurier Lachance qui étudie « la prédation exercée par les coyotes sur les cerfs au Québec » (p. 15). Mais l’accueil n’est pas des plus chaleureux… « Il comptait bien se débarrasser de moi au plus tôt, comme il l’avait fait avec les précédents incompétents envoyés par Philippe. […] Il n’y avait pas de place pour moi dans leur monde. » (p. 32). Marie va tout découvrir, le froid, l’humour québécois, les collègues qui l’ignorent ou se moquent d’elle, la motoneige, les trous d’eau…

En ce qui concerne les coyotes, « Des siècles de persécution à grand renfort de pièges, poisons, armes à feu et appâts explosifs les avaient aguerris. Ils résistaient à tout ! Personne, nulle part, n’était parvenu à les éradiquer ni même à réduire leur nombre. Au contraire, pendant que tous s’évertuaient en vain à les rayer de la carte, les coyotes avaient gagné du terrain. Beaucoup de terrain. » (p. 78). En fait « […] ils avaient pris la place et les habitudes des loups. » (p. 79).

Laurier et Marie vont-ils pouvoir travailler ensemble ? « Jour après jour, le ravage m’apprenaient les dangers et les bonheurs de l’hiver. » (p. 106). Et leur mission d’équiper les coyotes sera-t-elle couronnée de succès ? « Des ‘bestioles haïssables, moches et rabougries’ étaient parvenues à damer le pion au meilleur technicien faune sauvage du Québec ; il n’était pas question qu’elles entament aussi sa réputation ! » (p. 123).

J’imagine que les gros véhicules polluants, la chasse et le piégeage sont… normaux au Canada. Mais, à part ça, ce très beau récit, proche des romans de nature writing, se déroule d’’octobre à mars de l’année suivante, 6 mois de « huis-clos dans un espace immense » (p. 185), isolé, glacial et dangereux avec une phrase terrible : « La vie, la mort, le froid étaient si présents dans notre quotidien que l’un chassait l’autre. » (p. 126). Chaque partie est illustrée avec une empreinte d’animal différent, coyote, ours, loup, cerf, renard, caribou, les animaux emblématiques du Canada. À découvrir assurément !

Pour le Challenge Cottagecore (catégorie 2, Retour aux sources – Des histoires qui se déroulent en pleine campagne, dans la forêt, peut-être loin de la civilisation, c’est tout à fait ça), Challenge de l’été #2 (voyage au Québec), Challenge lecture 2021 (catégorie 54, un livre dont le titre comporte une saison, 2e billet) et Petit Bac 2021 (catégorie Météo pour Hiver).

Volia Volnaïa de Victor Remizov

Volia Volnaïa de Victor Remizov.

Belfond, janvier 2017, 464 pages, 21 €, ISBN 978-2-71446-894-9. воля вольная (Volya Volnaya, 2014) est traduit du russe par Luba Jurgensen.

Genres : littérature russe, roman.

Victor Remizov (Виктор Ремизов) naît en 1958 à Saratov (à l’époque Union soviétique). Il étudie les langues à Moscou puis travaille comme géomètre, journaliste et professeur avant de se lancer dans l’écriture avec Volia Volnaïa, son premier roman paru en 2014, et Devouchki paru en 2016.

Après avoir lu Devouchki de Victor Remizov, son deuxième roman, j’ai eu très envie de lire Volia Volnaïa, le premier roman.

Août. Guennadi Milioukine dit Guenka, 43 ans, est à la pêche sur la rivière Ioukhta (apparemment près de la mer d’Okhotsk) avec son fils aîné Mikhaïl dit Michka. « Une mine d’or, cette rivière. » (p. 11).

En hiver, c’est la chasse à la zibeline dans la taïga ; Guenka emmène son vieux chien, Tchinguiz, et sa jeune chienne, Aïka. Il respecte les règles et se sent récompensé.

Ilya Jebrovski, riche Moscovite de 48 ans, vient chasser en hiver. « La solitude dans la taïga est une drogue accrocheuse. Celui qui y a goûté, s’il vaut quelque chose, ne peut plus s’en passer et, s’il y renonce contre son gré, il en souffre comme une perte irréparable. Bien sûr, c’était un caprice de citadin, mais une fois seul au milieu de la forêt, il se sentait bien comme nulle part ailleurs. » (p. 62).

Mais la pêche et la chasse sont interdites ; les policiers ferment les yeux contre 20 % mais, parfois, ils saisissent les marchandises ce qui met en colère les habitants. « C’était prévisible, non ? À partir de là, soit ils nous coffrent jusqu’au dernier, soit on doit travailler pour eux. Tout ça a a été manigancé exprès. » (p. 121).

La liberté est donc menacée… « En cela, tous les gars du coin se ressemblaient : ils voulaient une vie libre. Même au prix d’un pouvoir inique. Or un pouvoir inique corrompt même la liberté. » (p. 138).

S’ensuit une chasse à l’homme (les chasseurs, les pêcheurs, le Moscovite, un étudiant, un chanteur… et les policiers zélés) dans la Nature immense de Sibérie sous la neige ; c’est très beau et il y a beaucoup d’animaux, des chiens, des saumons, des coqs de bruyère, des gelinottes, des zibelines, quelques loups et ours. Mais le roman va beaucoup plus loin qu’un récit pastoral. « C’est une longue histoire, poursuivit Ilya. On nous a volé notre rêve, on l’a remplacé par du fric ! Et surtout… le peuple n’a rien contre. On lui jette des miettes de la table des maîtres, il est ravi ! » (p. 196).

Ainsi, quoique totalement différent de Devouchki qui était urbain, Volia Volnaïa (qui signifie Libre Liberté) traite du pouvoir en place, de l’argent, de l’âme russe et des « petites » gens, les mêmes que ceux dont Dostoïevski ou Tolstoï racontaient les vies mais transposés à notre époque. Finalement rien n’a changé en 200 ans… à part un peu de technologie alors que tradition et modernité s’affrontent.

J’avoue que j’ai été parfois perdue avec tous ces personnages (ils sont listés sur une double page en début de roman, plus de quarante tout de même !) mais je me suis laissée porter par ce beau roman, immense comme la taïga. Un mélange de roman naturaliste et de western russe ! Et un premier roman en plus, chapeau ! Lu en août (oui, je sais, j’ai du retard dans la publication de mes notes de lectures), il m’a apporté un grand bol d’évasion et un voyage depuis mon canapé !

Pour les challenges Animaux du monde #3 et Voisins Voisines 2020 (Russie). Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 4.

Below Zero de C.J. Box

Below Zero de C.J. Box.

Calmann Lévy, janvier 2012, 360 pages, 25,10 €, ISBN 978-2-70214-274-5. Below Zero (2009) est traduit de l’américain par Aline Weill.

Genres : littérature états-unienne, roman policier, Nature writing.

C.J. Box – pour Charles James Box – naît le 9 novembre 1958 à Cheyenne (Wyoming, États-Unis) où il vit avec son épouse. Il étudie la communication à l’Université de Denver (Colorado) et exerce différents métiers avant de devenir journaliste puis écrivain : son garde-chasse, Joe Pickett, enquête dans 20 romans (entre 2001 et 2020) dont les 13 premiers sont à ce jour traduits en français (depuis 2003, d’abord au Seuil puis chez Calmann Lévy) mais c’est la première fois que je lis cet auteur. Il y a aussi quelques autres romans (au Seuil) et des recueils de nouvelles (non traduits en français). Plus d’infos sur son site officiel.

Marshall et Sylvia Hotle font du camping à Keystone dans le Dakota du sud. « On a troqué une vie de fermiers contre une existence dans ce Module. Et maintenant, on fait la tournée. » (p. 15). « C’est notre tournée à nous, expliqua Marshall. On va rendre visite à nos enfants dans six États différents : on part avant la neige, on se cale sur les grands marchés aux puces de Quartzsite, on va aux rassemblements de Fleetwood pour voir les tout derniers modèles et causer avec les autres propriétaires de Modules. On est un peu comme un club, les fidèles du Fleetwood. » (p. 16).

Une vie proche de la Nature me direz-vous. Pas du tout ! Leur Module est même très polluant : « Vingt-quatre à vingt-neuf litres au cent […]. » (p. 16). C’est ce qui leur coûtera la vie car Dave Stenson alias Stenko prône le Below Zero. Stenko voyage avec son fils, Robert, un écolo convaincu (voire extrémiste), et une ado de 14 ans qu’il a sauvée de la prostitution et considère comme sa fille. Cet ancien bandit de Chicago fait tout pour que l’environnement soit respecté.

Cinq jours plus tard, à Saddlestring, dans le Wyoming, les deux sœurs Pickett, Sheridan (17 ans) et Lucy (12 ans) font du cheval lorsque Jason Kiner leur apprend qu’une certaine April a appelé mais… C’est impossible, April était leur sœur (elle avait été recueillie par la famille Pickett) et a été tuée il y a six ans ; leur père était présent !

De son côté, le père en question, Joe Pickett, garde-chasse réputé, est à Baggs où il poursuit l’Archer fou, un cinglé qui tue et torture des animaux… « Les hommes qui n’ont aucun scrupule à tuer ou à martyriser les animaux pour le plaisir sont capables de tout. Ce type était comme ça ; Joe le sentait. » (p. 149).

Un passage que j’aime bien. « Alors, si tu es aussi intelligent avec tes ordinateurs, tes iPhones et toute ta technique, pourquoi ne règles-tu pas les problèmes dont tu te plains ? Tu n’as qu’une envie : rejeter la faute sur les autres – sur moi – et passer ton temps à râler. C’est ton tour maintenant, alors pourquoi ne les résous-du pas, tous ces problèmes ? » (p. 314, Stenko à Robert).

Mais c’est quoi le Below Zero ? C’est un terme utilisé par les écologistes pour calculer la compensation carbone afin que chacun ait un impact minimum sur l’environnement. Robert a en fait créé un logiciel qui calcule l’empreinte carbone de tout et de tout un chacun. Vous consommez trop, vous êtes tués, voici la vie de Stenko et Robert, qui traînent avec eux, à l’insu de son plein gré, une ado déboussolée qui… pourrait-elle être April ?

L’auteur nous emmène dans les Rocheuses et c’est magnifique, magique, mais parfois dangereux surtout quand il y a des tueurs dans le coin. Below Zero (paru en juin 2009 aux States) est le 9e tome des aventures et enquêtes de Joe Pickett mais c’est le premier que je lis. J’ai très envie de lire d’autres titres et tant pis pour la chronologie ! La Nature (et ses aléas, ses dangers), les animaux (parfois dangereux) et les personnages tiennent une grande place dans ce roman à l’intrigue sauvage, violente mais très agréable à lire et je pense que c’est aussi le cas dans les autres titres mettant en scène le garde-chasse Joe Pickett, son épouse Marybeth et leurs filles. J’ai aimé l’amitié entre Joe Pickett et Nate Romanowski, un marginal recherché par la police mais qui aime la Nature et les animaux (il vit avec un faucon). En tout cas, j’ai apprécié les thèmes abordés ici (l’écologie mais aussi la famille, l’amitié, le respect de la Nature et des animaux) et j’espère retrouver tout ce « petit » monde dans les autres romans (si vous en avez un en particulier à me conseiller ?).

Une excellente lecture pour Animaux du monde #3 (faucon et animaux des Rocheuses) et Polar et thriller 2020-2021.

Manuel de survie à l’usage des jeunes filles de Mick Kitson

Manuel de survie à l’usage des jeunes filles de Mick Kitson.

Métailié, collection Bibliothèque écossaise, août 2018, 256 pages, 18 €, ISBN 978-10-226-0800-8. Sal (2018) est traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller.

Genres : littérature écossaise, premier roman.

Mick Kitson naît au Pays de Galles mais vit en Écosse (dans le Fife, côte est) avec son épouse. Il étudie l’anglais à l’Université de Newcastle Upon Tyne. Rocker (dans les années 80, avec son frère, dans le groupe The Senators), journaliste, professeur d’anglais, il signe avec Manuel de survie à l’usage des jeunes filles son premier roman.

« M’man » est souvent bourrée et Robert, le beau-père, abuse de Sal (13 ans) depuis qu’elle en a 10… Peppa a bientôt 10 ans et Robert a menacé de s’en prendre également à elle alors Sal a installé un verrou sur la porte de sa chambre. « Si j’avais posé un verrou sur ma porte, Robert l’aurait défoncée à coups de pied et il aurait réveillé Peppa. Il n’aurait pas réveillé m’man parce que quand elle avait bu et qu’elle était dans les vapes on ne pouvait pas la réveiller. » (p. 12). Sal craint que, si les services sociaux interviennent, elle et Peppa soient séparées alors elle va agir en secret et tout préparer pour qu’elles s’enfuient dans la forêt de Galloway, une forêt sauvage des Highlands. Dans la forêt, les filles sont d’abord seules, et pas malheureuses malgré le froid, puis elles rencontrent Ingrid, une Allemande de l’Est, médecin immunologue, mais âgée et malade. Évidemment, la police recherche Salmarina et Paula (les prénoms de Sal et Peppa) et la mère va essayer de changer : « Sobre depuis trois semaines. Un jour à la fois. Je n’arrive pas a y croire. Je m’en sors sans antidouleurs !! » (p. 150). Mais est-ce aussi simple que ça ?

Les descriptions et les détails peuvent dérouter au début mais c’est ce qui fait de ce roman un véritable manuel de survie ! Vous allez tout savoir sur les crottes de lapin et comment poser un piège, sur l’étanchéité du Gore-Tex, sur les dents des brochets, et tant d’autres choses. C’est que Sal est une ado de son temps qui a tout cherché sur YouTube et Wikipédia et tout acheté sur Amazon pour pouvoir fuir et survivre avec sa petite sœur !

Manuel de survie à l’usage des jeunes filles est un roman coup de poing, difficile, cruel comme un conte de fée moderne dans lequel Sal et Peppa seraient peut-être pas des princesses mais des petits chaperons rouges ; m’man non pas une méchante marâtre mais une mère alcoolique, dépassée et peut-être même qu’elle ferme les yeux sur ce qu’elle ne veut pas voir ; et Robert un ogre ou le loup du Petit chaperon rouge. Pourtant, dans leur horrible malheur, les filles ne sont pas malheureuses, parce qu’elles ne veulent pas être des victimes, elles se débrouillent même très bien, elles sont matures, pétillantes de vie et presque, le lecteur courrait avec elles dans cette forêt sombre et froide ! Contrairement à Dans la forêt de Jean Hegland (le postulat de départ est différent) que je n’avais pas aimé (explications dans ma note de lecture), cette histoire de deux sœurs m’a… je ne dirais pas enchantée vu le thème, mais retournée ! Les filles ne seront donc jamais tranquilles, elles risqueront toujours le pire, quel que soit le nombre d’histoires, de contes, de prévention pour dénoncer les viols et la pédophilie… Et ce n’est pas le roman suivant que j’ai lu qui dira le contraire… (Pêche d’Emma Glass). En tout cas, Mick Kitson développe un roman nature writing étonnant, sensible, puissant et il faudra suivre cet auteur.

Un roman lu pendant le Challenge de l’été que je mets aussi dans 1 % Rentrée littéraire 2018, Défi littéraire de Madame lit (en octobre, littérature britannique) et Voisins Voisines 2018 (Écosse).

Dans la forêt de Jean Hegland

Dans la forêt de Jean Hegland.

Gallmeister, collection Americana, janvier 2017, 304 pages, 23,50 €, ISBN 978-2-35178-142-5. Into the Forest (1997) est traduit de l’américain par Josette Chicheportiche.

Genres : littérature états-unienne, roman, nature writing, post-apocalyptique.

Jean Hegland naît en 1956 à Pullman (État de Washington). Elle est romancière. Du même auteur : Windfalls (2004) et Still Time (2015) non traduits en français. Plus d’infos sur http://jean-hegland.com/.

Nell, 18 ans, veut étudier à Harvard. Eva, 17 ans, veut être danseuse étoile. Nell et Eva sont sœurs et, lorsqu’elles se retrouvent orphelines après une catastrophe planétaire, elles vivent seules dans la maison familiale, dans la forêt, près de Redwood (Oakland), éloignées de tout. Elles ont trois poules et quelques vivres mais il n’y a plus d’électricité, plus d’essence, plus de connexion. Afin de garder l’esprit éveillé, Nell lit l’encyclopédie et écrit dans un cahier, des souvenirs, des flashbacks. Eva, elle, ne pense qu’à danser. Un jour, Eli, un gars de la ville, survivant lui aussi, leur rend visite et leur dit qu’il n’y a plus personne sur plusieurs kilomètres ; les gens sont tous morts de la grippe ; Eli propose aux filles de partir avec lui à l’Est où, soi-disant, il y a de nouveau l’électricité, le téléphone et du travail mais elles ne sont pas d’accord. « C’est de la folie. – Pas plus que de rester ici et d’attendre que les lumières se rallument, a répliqué Eli. Pas plus que de se cacher dans les collines, de compter les clous et les élastiques, et de regarder le garde-manger se vider. Qu’est-ce que vous allez devenir si vous restez ici toutes les deux ? » (p. 250).

Je ne dirai pas grand-chose sur ce roman post-apocalyptique où on n’apprend finalement pratiquement rien sur les événements car je me suis ennuyée… Grave ! Et surtout, j’ai vite été lassée par les chamailleries des deux sœurs… Pourtant, avec une adaptation au cinéma récente (de Patricia Rozema, 2017), ce roman a eu du succès et a reçu le Prix de l’Union Interalliée 2018 (roman étranger) et le Prix des lecteurs du pays de Mortagne… Les avis sont même dithyrambiques (si vous voulez vous faire une idée, beaucoup sont répertoriés sur Bibliosurf) : de la puissance (ou de l’intensité, ça dépend) par-ci, de la poésie par-là, du magnifique, de l’envoûtant, du sensuel (ah bon ? On n’a pas compris la scène de la même façon alors !), du chef-d’œuvre… Stop ! N’en jetez plus ! J’ai l’impression d’être la seule à ne pas avoir apprécié… Mais ce n’est pas grave… J’ai essayé et pour moi, c’est… non !

Je mets cette lecture dans le Challenge de l’été, le Défi 52 semaines 2018 (thème « sauvage »), les challenges Littérature de l’imaginaire, Petit Bac 2018 (catégorie Lieu) et S4F3 #4 (pas la place pour mettre tous les logos…).