Histoires bizarroïdes d’Olga Tokarczuk

Histoires bizarroïdes d’Olga Tokarczuk.

Noir sur blanc, octobre 2020, 192 pages, 19 €, ISBN 978-2-88250-657-3. Opowiadania bizarne (2018) est traduit du polonais par Maryla Laurent.

Genres : littérature polonaise, nouvelles, fantastique, science-fiction.

Olga Tokarczuk naît le 29 janvier 1962 à Sulechów (voïvodie de Lubusz) en Pologne. Elle étudie la psychologie à l’université de Varsovie et travaille bénévolement avec des personnes souffrant de troubles mentaux puis elle devient psychothérapeute à Wałbrzych (voïvodie de Basse-Silésie, près de la frontière tchèque). Mais en 1997, elle se consacre à l’écriture et contribue à la revue littéraire britannique Granta. Elle reçoit de nombreux prix littéraires et le prix Nobel de littérature 2018. Plusieurs de ses romans et nouvelles sont traduits en français et édités chez Robert Laffont ou chez Noir sur blanc. Plus d’infos sur son site officiel (en polonais).

Le passager – Lors d’un voyage en avion, la narratrice écoute un passager de plus de 60 ans raconter ses terreurs nocturnes durant l’enfance. « La cause de ses effrois nocturnes étaient inexprimable, il ne savait pas trouver les mots pour les raconter. » (p. 8).

Les enfants verts – Printemps 1656. « William Davisson, médecin de Sa Majesté Jean II Casimir, Roi de Pologne » (p. 11) ignore tout de la Pologne lorsque cet Écossais accepte « les charges de premier médecin du Roi de Pologne et de surintendant du Jardin des Plantes de Leurs Majestés. » (p. 11). Malheureusement l’hiver est très long, très froid, et le pays est attaqué à la fois par les Suédois à l’Ouest et les Russes à l’Est… Il se prend de passion pour l’étude de la plique (kołtun en polonais). Pendant un voyage avec le roi, Davisson rencontre deux enfants avec les cheveux et le visage verts, des « enfants verts » (p. 18).

Les bocaux – Après la mort de sa mère, un homme, la cinquantaine, cherche « … il ne savait quoi d’ailleurs » (p. 37). Comme il ne trouve rien d’intéressant, il décide « de descendre à la cave. Il n’y était pas allé depuis des lustres alors qu’elle, sa mère, y séjournait fréquemment, ce qui, pourtant, ne l’avait jamais intrigué. » (p. 38). Bizarrement, « la cave était incroyablement bien tenue. » (p. 38) et il est surpris d’y trouver de si nombreux bocaux. Mais certains sont très anciens et leur contenu est… peu reluisant.

Les coutures – Veuf, monsieur B. dort mal depuis qu’il a sorti d’un tiroir un collier de sa défunte épouse et que, « le cordon usé s’était rompu laissant se disperser les perles éteintes au sol. » (p. 43). C’est à ce moment-là qu’il se rend compte aussi que ses chaussettes ont toutes une couture « sur toute leur longueur, des orteils jusqu’à l’élastique en passant par la plante des pieds. » (p. 43). Au magasin, les chaussettes ont aussi cette couture… Les chaussettes seraient-elles « devenues différentes de ce qu’elles avaient toujours été » (p. 45) ? Mais il n’y a pas que les chaussettes ! « Il n’était pas fou, tout de même » (p. 48).

La visite – « Débranche-moi ! Maintenant » (p. 53), supplie Léna. C’est l’histoire de quatre femmes issues de l’homogenèse qui vivent ensemble (Alma, Léna, Fania et la narratrice) et qui ont un fils de trois ans, Chalim. Chacune fait ce qu’elle a à faire ; la narratrice, elle, est autrice et dessinatrice ; elle fait vivre la famille. Mais, aujourd’hui, leur « nouveau voisin doit passer prendre un café avant midi. Un étranger dans la maison. » (p. 55).

Une histoire vraie – Dans une gare, en descendant de l’escalator, une femme tombe. Personne ne s’arrête sauf un professeur. Cela ne lui porte pas chance… Et en dit long sur la société dans laquelle il (on) vit.

Le cœur – Chaque hiver, monsieur et madame M. partent en Asie ou la vie est moins chère. Mais, au retour, monsieur M. a « l’air fatigué et même malade. » (p. 79). L’hiver suivant, le cœur de monsieur M. allant au plus mal, le couple part en Chine pour la greffe d’un nouveau cœur. Mais « Il ne se sentait pas bien, il avait des vertiges et ne cessait d’écouter battre son nouveau cœur. Il lui semblait que les battements étaient différents, poussifs, un peu comme si monsieur M. était en train de courir, de fuir. » (p. 81).

Le Transfugium – Une femme part rendre visite à sa sœur aînée, Renata, au Transfugium. Elle est accueillie par le Dr Choï. Renata a demandé une transfugation et elle doit « terminer les formalités » (p. 98) mais elle n’y comprend rien (et, à vrai dire, moi non plus).

La montagne de Tous-les-Saints – Zurich, sous la neige en mai. La narratrice, psychologue, âgée et malade, est là pour une mission : « soumettre un groupe d’adolescents à un test » (p. 114). Elle va travailler avec Victor et Dany ; le programme prévoit « l’analyse de l’influence du capital social sur l’évolution de l’individu (dit-il), et/ou l’interférence de l’éventail des variables du milieu social sur les futurs succès professionnels (dit-elle) » (p. 120) sur des enfants adoptés. Pendant son temps libre, elle passe son temps avec les bonnes sœurs âgées. Cette histoire est plus mystérieuse et mystique.

Le calendrier des fêtes humaines – Ilon le Masseur est un excellent masseur, un raikone, le masseur attitré de Monokikos. Mais il ne pourra pas transmettre son art et son don à un fils car, veuf, il n’a qu’une fille de seize ans, Oresta. « Il s’inquiétait pour son avenir et, s’il savait parfaitement qu’elle ne pourrait pas prendre sa suite, il lui enseignait tout de même son art. » (p. 148). Dans la première partie, le lecteur a l’impression que cette histoire se déroule dans l’Antiquité mais la deuxième partie vient contredire cette idée.

Pour cette lecture commune consacrée à Olga Tokarczuk, dans le cadre du Mois Europe de l’Est, j’ai privilégié ce recueil de nouvelles, pensant qu’il serait plus abordable (facile et rapide à lire) qu’un gros roman mais je suis un peu dans l’expectative… Je n’ai vu aucune histoire qui sortait du lot, que ce soit dans le passé, le présent, le futur, et ce, même si l’autrice traite de nombreux thèmes. Et, justement, c’est peut-être trop hétéroclite pour attirer l’attention, la mienne en tout cas, ou alors ce n’était pas le bon moment pour lire ces dix nouvelles…

Mais, bien que mon avis général soit mitigé, le style est quand même agréable et les histoires toutes différentes ont tout de même un intérêt littéraire et philosophique. L’autrice parle aussi bien de l’Histoire humaine que des relations avec le monde qui nous entoure, de la relation (ou la non-relation) avec l’environnement et les animaux, de la solitude, de l’âpreté de la vie, de choses qui nous dépassent, etc. Le tout de manière assez froide et sombre mais toujours avec intelligence et avec une imagination immense. Ainsi, je vais voir quels titres proposent les autres participants à la LC pour noter celui (ou ceux) qui m’attirera (m’attireront) le plus afin de le(s) lire mais plus tard car j’ai déjà énormément de livres en ce moment.

Pour ABC illimité (lettre T pour nom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 22, un recueil de nouvelles, 2e billet), Challenge lecture 2023 (catégorie 17, un livre avec des voyages dans le temps, ici pas de voyages avec une machine à voyager dans le temps mais avec une machine littéraire qui emmène le lecteur, au fil des histoires, dans le passé, le présent et le futur), Littérature de l’imaginaire #11, Tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines (Pologne).

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On dirait que l’aube n’arrivera jamais de Paolo Rumiz

On dirait que l’aube n’arrivera jamais – Cahier de non-voyage de Paolo Rumiz.

Arthaud, août 2020, 208 pages, 13 €, ISBN 978-2-0815-1960-2. Il veliero sul tetto. Appunti per una clausura (2020) est traduit de l’italien par Béatrice Vierne.

Genres : littérature italienne, récit, témoignage.

Paolo Rumiz naît le 20 décembre 1947 à Trieste (Italie). Il est journaliste, écrivain et grand voyageur. Il a reçu de nombreux prix littéraire et plusieurs de ses titres sont parus en français, Aux frontières de l’Europe (2011), L’ombre d’Hannibal (2012), Pô, le roman d’un fleuve (2014), Le phare, voyage immobile (2015), La légende des montagnes qui naviguent (2017), Comme des chevaux qui dorment debout (2018), Appia (2019) dont j’ai entendu parler mais c’est la première fois que je lis cet auteur.

« Pendant le confinement, je me suis évadé, je l’avoue. J’ai scié les barreaux et hop, dehors. » (p. 11) « […] en me donnant des visions panoramiques de l’avenir. Et surtout en éveillant ma conscience d’être un privilégié uniquement parce que j’avais un toit sur ma tête et un garde-manger plein. Mais le vrai, le superbe don de cette pandémie, qui n’a pas été qu’une catastrophe, mais aussi un précieux avertissement, ce fut l’occasion de réfléchir. » (p. 11-12).

Voici donc le journal de bord de Paolo Rumiz, le cahier de ce non-voyage, ou plutôt de ce voyage intérieur (chez lui et en lui-même). Les Italiens sont confinés chez eux (l’auteur vit à Trieste), la frontière avec la Slovénie est fermée (l’auteur fait normalement du vélo) et ses voyages en Europe sont annulés, l’auteur n’a plus qu’à écrire, « […] j’ai tout le temps voulu à ma disposition. Il n’y a rien de plus beau qu’un ouvrage que l’on commence. » (p. 18). « J’ai décidé de m’autoconfiner strictement. Je ne bougerai pas de chez moi. J’ai soixante-douze ans, catégorie ‘à risques’, et je dois donner l’exemple. » (p. 19).

Mais ses yeux restent ouverts sur le monde et sur ce qu’il se passe dans sa ville (Trieste), ses voisins grâce aux balcons, les hôpitaux et les personnels soignants, sa mère morte loin de lui et de ses petits-fils, les idées fascistes qui prolifèrent, ses conversations au téléphone, ses comparaisons entre les comportement en Italie et les comportements dans les autres pays d’Europe (voir ci-dessous), les souvenirs qui remontent à la surface, les violences domestiques qui explosent, et les oiseaux qu’il observe… « […] l’homme s’aperçoit qu’il n’est rien au milieu de que qui l’entoure, mais en même temps, il s’aperçoit que sa centralité contribue à garantir la continuité du monde. » (p. 33) et il n’a pas sa langue dans sa poche, « […] on ne reste pas chez soi uniquement pour soi, mais aussi pour les autres. Ce qui différencie vraiment les gens, c’est de le comprendre. La liberté, ce n’est pas faire ce qu’on veut. » (p. 38).

Parfois il s’inquiète. « Et l’Europe, elle restera debout ? Car enfin, l’Europe, la voici réunie uniquement par la peur. C’est désormais le couvre-feu général. Tout le monde aura dansé jusqu’au bout. L’Espagne par gaieté, les Allemands pour raisons économiques, la France drapée dans sa grandeur, l’Angleterre à cause du cynisme d’une classe dirigeante composée de privilégiés. » (p. 49-50), bien vu ! « Comment peut-on ne s’apercevoir de la réalité que lorsqu’elle se transforme en urgence ? Je tremble pour cette Union au sein de laquelle je n’entends aucune voix s’élever pour donner une information calme, autorisée, univoque. Tout le monde avance en ordre dispersé. Au Sud, nous péchons par imprévoyance, mais au Nord ils pèchent par arrogance. » (p. 64). Je précise que l’auteur écrit tout ça en mars 2020, à chaud et ça me rappelle que le livre que j’avais lu en mai 2020 était aussi d’un auteur italien, Contagions de Paolo Giordano.

Le printemps arrive (29 mars). « J’ai de ma fenêtre des visions extraordinaires. D’un seul et même coup d’œil, les Alpes, la fin de la Méditerranée, l’Europe centrale, les terres du couchant apportant les vents de l’Atlantique […]. » (p. 72).

Jour après jour, Paolo Rumiz livre ses pensées, ses idées pour un monde meilleur, un monde laïque dans lequel chacun serait libre et égal aux autres. Il ne croit pas aux dirigeants et aux nations mais aux Européens, oui, aux jeunes en particulier. Il raconte aussi son quotidien, le plaisir de cuisiner, d’écrire, de regarder par la fenêtre, d’être en contact avec les amis de partout grâce à internet. Avec finesse, il raconte les désordres, les absurdités mais aussi les belles choses, la magie du rêve et de l’imaginaire, et il y met de la poésie et de l’humour. Il raconte le libraire qui a reçu l’autorisation de livrer des livres, « Le monde s’est arrêté et quand l’angoisse s’unit à la quarantaine, les livres deviennent importants, ils tiennent compagnie, ils font voyager. » (p. 107). L’auteur parle aussi de poésie, de musique, d’écologie… Une belle lecture, inspirante.

Vous allez me dire que les confinements sont terminés, que le covid est en bout de course et qu’il n’est peut-être pas très utile de lire ce livre maintenant, après coup, mais, justement, après cette lecture, le lecteur peut s’interroger : qu’est devenu « le monde d’après » ? Est-il comme on l’espérait ? Meilleur, plus juste, plus sain ? « un monde de sobriété bienvenue, dans le respect de la finitude du monde. » (p. 126). Ou tout est revenu comme avant et cela n’aura finalement pas servi à grand-chose sauf pour quelques penseurs ?

Je note quelques titres, au cas où, pour les lire : Les somnambules de Christopher Clark que l’auteur mentionne page 45, Le déclin de l’Occident d’Oswald Spengler mentionné page 65, Pougatchev de Sergueï Essenine dont l’auteur publie une poésie page 86, Les œufs fatidiques de Boulgakov cité page 114 et Pèlerin parmi les ombres de Boris Pahor cité page 177.

Pour ABC illimité (lettre O pour titre), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 4, une (auto)biographie), Challenge lecture 2023 (catégorie 54, un livre tiré d’une histoire vraie), Petit Bac 2023 (catégorie Moment de la journée pour Aube, 2e billet), Tour du monde en 80 livres (Italie).

À l’orée du danger de Cyril Dion

À l’orée du danger – Poèmes de Cyril Dion.

Actes Sud, collection Domaine français, mars 2022, 96 pages, 10 €, ISBN 978-2-330-16401-0.

Genres : littérature française, poésie.

Cyril Dion naît le 23 juillet 1978 à Poissy dans les Yvelines (Île de France). Il étudie l’art dramatique mais s’engage « pour l’humanité et la paix dans le monde ». Il crée avec Pierre Rabhi le Mouvement Colibris en 2006 pour « une société écologique et solidaire », cofonde le magazine Kaizen en 2012 et codirige la collection Domaine du possible chez Actes Sud. Il est militant écologiste et réalisateur (je vous ai parlé de ses films Demain, 2015 et Après demain, 2018 mais c’est la première fois que je le lis). Plus d’infos sur son site officiel.

Comment résumer de la poésie ? Voici quelques extraits, parmi mes passages préférés, suivis d’un avis tout simple mais j’espère que tout ça vous donnera envie de lire ce joli recueil.

« […] c’est ici que notre histoire débute […] / alors que l’abîme ne fut jamais si proche […] » (p. 7).

« […] Je parle à l’exaltation de ma peine / à la force créatrice / née de la plaie, / de la crainte / et de la nostralgie. […] » (p. 15).

« […] à l’intérieur de la pièce qui me sert de bureau / que je ne quitterai plus / pendant sept ou huit heures / pendant sept ou huit ans / pendant / combien / de temps ? » (p. 34).

« Curieuses régions de nos esprits / curieuses contrées troublées par l’absence / Douloureux éveils / de nos instants de voyage. » (p. 81).

« Alors nous y voilà. / Le plus grand défi de tous les temps. / Qui pour mobiliser le courage ? / Qui pour réchauffer la peur bleue ? / Qui pour éventer les mensonges / et ranimer le souffle ? / Nous ne voulons plus de promesses, / nous voulons la parole. » (p. 92).

Cyril Dion propose de la poésie libre, sans titres (sauf pour quelques poèmes), de trois lignes à trois pages. Il aborde beaucoup de thèmes, écologie, pollution, internet (et la place des écrans), monde du travail, dépendance, consommation et consumérisme, animaux, humanité, liberté, guerre, etc. mais ne tombe pas dans le pessimisme aggravé et, avec une pointe d’humour, donne un peu d’espoir. Cyril Dion délivre ses messages en toute simplicité mais fait mouche et emporte ses lecteurs dans un monde (une humanité) ‘désastre’ tout en rêvant au meilleur. C’est à la fois beau, désespérant mais en tout cas engagé.

Pour ABC illimité (lettre C pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 17, un livre d’un auteur français, il y en aura d’autres dans l’année !), Challenge lecture 2023 (catégorie 21, un livre d’un auteur qu’on a jamais lu) et Les départements français en lecture (pour Yvelines, 2e billet).

Le Club des amis 1 de Sophie Guerrive

Le Club des amis 1 de Sophie Guerrive.

2024, septembre 2020, 56 pages, 12 €, ISBN 978-2-901000-44-0.

Genres : bande dessinée française, jeunesse.

Sophie Guerrive naît le 29 août 1983 à Marseille. Elle étudie les Arts décoratifs à Aix en Provence et à Strasbourg. Ses autres titres chez 2024 : Capitaine Mulet (2016), Tulipe (2016), Les voyages de Tulipe (2017), Tulipe et les sorciers (2019). D’autres titres chez Warum : Girafes, Chef Magik tomes 1 et 2, Delcourt : Crépin et Janvier, Ion : Marines, Médiévales, Batailles, entre autres. Elle est membre créatrice du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme.

Crocus est un petit serpent qui parle aux plantes. Sa maman lui dit qu’il est assez grand pour découvrir le monde et se faire des amis. « Tu verras… Le monde n’est pas si grand qu’il paraît… Ne t’inquiète pas. Je reste ici. Méfie-toi des voitures et des méchants. » (la BD n’est pas paginée).

Mais « Où aller ? Où sont les amis ? ». Crocus rencontre Tulipe, un ourson qui parle aux arbres et qui se prépare à hiberner avec sa maman.

Mais tout à coup tous les trois se réveillent, de la fumée partout ! La cheminée est bouchée par une oiselle, Violette. Elle n’aime pas les grands voyages alors elle n’est pas partie en migration avec sa famille et se retrouve toute seule… Et voilà une nouvelle amie pour le Club des amis !

Lorsque le printemps arrive, tout craque, la neige, les arbres, la rivière, la nature revit mais Tulipe disparaît dans une grotte ! Heureusement tout se termine autour d’un bon repas avec les amis de Crocus !

Au printemps, j’ai déjà lu et apprécié Tulipe de Sophie Guerrive, une bande dessinée philosophique dans laquelle le lecteur (adulte) retrouve Tulipe, Crocus, etc. (adultes). J’apprécie ces dessins et cet humour faussement naïf qui donne, de façon colorée, une belle leçon de tendresse et d’amitié. Le Club des amis est une bande dessinée (jeunesse) à mettre entre toutes les mains ! J’ai hâte de lire le tome 2, normalement paru en octobre 2021.

Une très belle lecture pour La BD de la semaine, Des histoires et des bulles (catégorie 22, écologie, environnement), Jeunesse young adult #11 et Les textes courts. Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

La cité du Soleil de Tommaso Campanella

La cité du Soleil de Tommaso Campanella.

Lu en numérique, 80 pages. La città del Sole ou Civitas Solis en latin. Il existe des éditions récentes en français : chez Mille et une nuit (2000, 96 pages) ci-contre et chez Aden (2016, 200 pages) ci-dessous.

Genres : littérature italienne, roman utopique.

Tommaso Campanella naît le 5 septembre 1568 à Stilo en Calabre (sud de l’Italie). Alors que sa famille est analphabète, il étudie chez les Dominicains. En 1590, il publie Philosophia Sensibus Demonstrata (théories naturalistes), il est alors accusé d’hérésie et emprisonné. À sa libération, il parcourt l’Italie, rencontre Galilée (qu’il défend), essaie de renverser le pouvoir espagnol en place en Italie et il est à nouveau condamné pour hérésie et emprisonné. Il rédige plusieurs livres dont La cité du Soleil en 1602 (version publiée en 1604) qu’il réécrit en 1613 (version publiée en 1623). Après sa libération, en 1629, il se réfugie en France et meurt le 21 mai 1639 à Paris.

Sous-titré Idée d’une république philosophique, ce roman est un dialogue entre Le Grand Maître des Hospitaliers et un hôte, un capitaine de vaisseau génois.

« L’Hospitalier – Raconte-moi, de grâce, toutes les particularités de ce voyage. » (p. 2).

« Le Génois – Tu sais déjà comment j’ai fait le tour du monde, et comment, étant parvenu à Taprobane, je fus contraint de descendre à terre, où, par crainte des habitants, je me cachai dans une forêt ; après l’avoir traversée je me trouvai dans une grande plaine, sous l’Équateur. […] Je me vis tout-à-coup au milieu d’une troupe nombreuse d’hommes et de femmes armés. La plupart d’entre eux parlaient notre langue. Ils me conduisirent aussitôt à la cité du Soleil. » (p. 2-3).

La Cité est immense, divisée en sept cercles avec des enceintes intérieures (imprenables) et comportant quatre portes (une à chaque point cardinal). Des corniches, des colonnes, des terrasses, des portiques, des escaliers… Il est regrettable que des illustrations n’accompagnent pas le texte. Mais le lecteur peut aussi imaginer !

L’Hospitalier est très curieux de la cité et de son gouvernement. Le souverain de cette cité est Soleil, pour les Européens c’est un Métaphysicien. Il est assisté par trois chefs, Pon, Sin et Mor, leurs noms signifiant Puissance (affaires de la guerre et de la paix), Sagesse (arts et sciences) et Amour (unions, éducation des enfants, médecine, agriculture et tout le nécessaire pour le bien-être de la population et des générations futures).

Ce peuple possède un langage (et il a même de nombreux interprètes qui connaissent les autres langues), une écriture et de grandes connaissances (en particulier de la faune, de la flore, de la géographie, de l’astronomie mais aussi du reste du monde, de ses grand noms et aussi… de ses défauts et problèmes !).

Le Génois décrit une société idéale où hommes et femmes sont égaux et apprennent les mêmes choses, où les enfants étudient tous le même programme, où tout le monde est traité de façon égale et reçoit ce dont il a besoin, une société sans jalousie, sans égoïsme, sans criminalité, sans oisiveté. Mais cette société des Solariens est-elle parfaite ?

Par contre, ça, ça me plaît bien : « Dans la cité du Soleil, […] les magistratures, les arts, les travaux et les charges étant également distribués, chacun ne travaille pas plus de quatre heures par jour. Le reste du temps est employé à étudier agréablement, à discuter, à lire, à faire et à entendre des récits, à écrire, à se promener, à exercer enfin le corps et l’esprit, tout cela avec plaisir. » (p. 33).

Au niveau de la religion, les Solariens connaissent les religions et les philosophies du monde mais ils ont leurs propres croyances. « Les Solariens attendent donc la rénovation du monde, et peut-être aussi sa destruction. Ils disent qu’il est fort difficile de décider si le monde a été créé de rien, ou des débris d’autres mondes, ou tiré du chaos ; mais ils ajoutent qu’il est vraisemblable, ou plutôt certain qu’il n’exista pas de toute éternité. » (p. 64) et « Sans les adorer, ils honorent le soleil et les étoiles, comme des êtres vivants et comme les statues, les temples, les autels animés de Dieu. » (p. 65).

Ce roman métaphysique analyse la vie, la foi, le péché, la « loi naturelle », le libre-arbitre, la vie collective et L’Hospitalier en est émerveillé ! « Dieu ! que de subtilité ! » (p. 68). À noter que deux passages parlant d’astrologie de façon inintelligible ou très obscure ont été retirés. D’ailleurs Campanella est méprisé par certains de ses contemporains (en particulier par Descartes qui refuse de le rencontrer) parce qu’il utilise trop l’astrologie. Il est pourtant un précurseur du socialisme utopique (il est influencé par les idées de Platon) et La cité du Soleil est une des premières utopies littéraires (Thomas More et Rabelais ayant précédé Campanella). Il a inspiré Ernst Jünger pour son Heliopolis en 1949. Vous pouvez lire une très bonne analyse de La cité du Soleil par Constance Mercadante dans Cahiers d’études romanes.

Pour le challenge Les classiques c’est fantastique #2, le thème de juillet est « on dirait le Sud » (littérature italienne, portugaise, espagnole, du bassin méditerranéen…) et je n’avais à ma disposition ni L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes (paru en 1605-1615 en Espagne) que je n’ai jamais lu ni Les aventures de Pinocchio de Carlo Collodi (je voulais relire ce roman de 1881) alors je me suis tournée vers un autre classique italien que je ne connaissais pas, La cité du Soleil de Tommaso Campanella (1602).

Je mets également cette lecture dans 2021 cette année sera classique, Challenge de l’été #2 (l’auteur est Italien mais emmène son lecteur sur l’île de Ceylan), Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Météo pour Soleil), S4F3 #7 et Les textes courts.

La remontrance du tigre de Park Ji-won

La remontrance du tigre – Histoires excentriques du Pavillon du Jade de Park Ji-won.

Decrescenzo, collection Microfictions, avril 2017, 192 pages, 16 €, ISBN 978-2-36727-057-9. Banggyeong-gak oejeon (XVIIIe siècle) est traduit du coréen par Cho Eun-ra et Stéphane Blois (Prix Daesan de la traduction 2018).

Genres : littérature coréenne, nouvelles, classique.

Park Ji-won naît le 5 février 1737 (période Joseon). Il est nouvelliste (en fait le terme nouvelle n’est pas utilisé, c’est plutôt le terme histoire qui est mis en avant), poète, philosophe et homme politique. Il se marie à 16 ans et étudie auprès d’un philosophe. Il fait partie du courant de pensée silhak (oserais-je dire que ce sont les Lumières du XVIIIe siècle coréen ?). Son œuvre (à l’époque écrite en chinois) ne plaît pas au roi et aux élites (un genre de Voltaire coréen !), il est donc censuré et sa carrière s’arrête en 1792. Il meurt le 20 octobre 1805. Il est traduit pour la première fois en français.

L’histoire des maquignons de chevaux (12 pages) – « On suspend toujours un rideau au-dessus des marionnettes lors d’une représentation afin de dissimuler les fils utilisés pour leur manipulation. » (p. 16). L’auteur est surnommé le « Maître des Traits d’humour ».

L’histoire de Sieur Yedeok « Vertu de l’ordure » (10 pages) – Le Vieil Eom, surnommé Sieur Yedeok par Maître Seongyul est vidangeur, il procède à « la collecte et le transport de toutes les matières fécales produites dans le voisinage. » (p. 26). Serait-il impur alors qu’il fait un excellent travail et œuvre pour le bien de tous avec de l’engrais ?

L’histoire de Min l’Ancien (18 pages) – « Un ami me parla d’un personnage remarquable nommé Min l’Ancien. […] chanteur accompli […] il excellait aussi en l’art de rapporter des récits. » (p. 38-39) et pourtant « Les récits de Min l’Ancien paraissaient déroutants et incohérents. Néanmoins, tout ce qu’il disait était sensé et chargé d’ironie. » (p. 46).

L’histoire de Gwang-mun le mendiant (8 pages + 6 pages) – Ce mendiant est lui aussi un homme pauvre mais intelligent et vertueux. « […] puisque je suis si laid, je ne dois pas supposer qu’une femme puisse être attirée par moi. » (p. 58). Cette histoire est double car il y a une suite en postface.

L’histoire du yangban lettré (10 pages) – Un yangban est un noble lettré mais celui-ci est très pauvre et, ne pouvant remboursé ses dettes, est emprisonné… Le riche homme du village, ravi, veut lui racheter son titre. « Lors de nos rencontres, je me retrouve à m’incliner et à faire mes révérences, tout pétri de respect, comme je le ferais devant un haut-dignitaire. […] Ces occasions ont été nombreuses et profondément humiliantes. » (p. 69). Mais le statut de yangban n’est pas du tout ce qu’il pensait… Une de mes trois histoires préférées.

L’histoire de Kim l’Immortel taoïste (10 pages) – Après avoir donné un fils à son épouse, le jeune Kim Hong-gi part en pèlerinage. Il devient Kim l’Immortel taoïste. Le narrateur qui souffre « d’accès fréquents de mélancolie » (p. 79) charge ses serviteurs d’une mission mais Kim l’Immortel est introuvable…

L’histoire du poète U-sang (20 pages) – U-sang est poète et « traducteur en écriture chinoise » (p. 90). Il fait partie de la délégation coréenne qui va saluer le nouveau Shogun au Japon. Les échanges se faisaient en écriture chinoise (les prononciations coréenne et japonaise étant différentes) et en poésie. Mais lorsqu’il tombe malade, encore jeune, il brûle pratiquement tous ses écrits (son épouse a pu en sauver quelques-uns). « Qui à l’avenir pourrait comprendre ces écrits ? » (p. 99). Les Coréens voyaient les Japonais laids et barbares, je pense que les Japonais voyaient les Coréens de la même façon… Une de mes trois histoires préférées.

La remontrance du tigre (20 pages) – L’auteur dit qu’il a trouvé cette histoire en Chine et qu’il l’a complétée pour qu’elle soit compréhensible. Le tigre a faim et ses chang (fantômes de ses précédentes proies) le conseillent pour son prochain repas, un docteur, une chamane, un lettré confucéen mais rien ne lui fait envie… « Une telle nourriture sera coriace et étrange. Elle ne passera pas en douceur et sera cause d’indigestion ou de nausée. » (p. 112). Y aurait-il « plus de sagesse dans la nature du tigre que dans celle des humains ? » (p. 116). Une de mes trois histoires préférées avec mon passage préféré. « Et pourtant, ces armes ne sont pas même les plus cruelles. L’homme arrache de soyeux poils et les colle ensemble au bout d’une ante pour en faire un objet en pointe. […] On trempe son extrémité dans le fluide noir du calamar et il se meut aussi bien horizontalement que verticalement. Il a la souplesse d’une javeline mais peut être aussi acéré qu’un couteau, aussi tranchant qu’un rasoir. Son bout peut être fendu comme une lance à double pointe, ou aussi droit qu’une flèche. Il peut également tendu comme un arc. S’il fait usage de cette arme, des hordes de fantômes geindront dans la nuit. Oh ! la cruauté de ces hommes qui s’entre-dévorent. Aucun autre animal n’en vient à de pareilles extrémités. » (p. 121). Voici donc la sagesse du tigre, la pire arme est celle que les humains utilisent pour écrire et ça me plaît que le titre ait été choisi pour ce recueil parce que ça met en valeur le travail d’écriture de l’auteur et les messages qu’il veut porter auprès des lecteurs.

L’histoire de Heo Saeng (24 pages) – Heo Saeng souhaite réussir un concours de fonctionnaire mais sur les 10 ans d’études, il lui en reste 3 et son épouse est mécontente de leur pauvre budget. « Tu ne peux être artisan ni marchand, alors pourquoi ne pas te faire brigand ? » (p. 129). Il quitte son épouse, emprunte dix mille nyang à monsieur Byeong, l’homme le plus riche du quartier, qu’il ne connaît même pas et monte une affaire. L’histoire est surprenante puisqu’il crée, de façon tout à fait honnête, une île utopique avec d’anciens brigands à qui il a demandé de se ranger. Il démontre que des hommes de valeur mais pauvres ne réussissent jamais le concours et ne peuvent servir leur pays alors qu’ils ont des capacités.

L’histoire d’une femme vertueuse de Hamyang, née Pak (10 pages) – Une femme doit fidélité à son mari même en cas de veuvage. Il y a donc de nombreux cas de suicide ce qui est très bien considéré par les familles. « Voilà une fidélité hautement vertueuse, mais ne peut-on pas la considérer quelque peu excessive ? » (p. 153). En fait, la vie de la femme n’est que sacrifice, même si on appelle ça la vertu et je pense qu’il est rare qu’un homme s’intéresse à la condition des femmes veuves surtout au XVIIIe siècle.

Après le Mooc XVIIIe siècle, le combat des Lumières (février-mars), j’étais ravie de lire ce livre d’un auteur coréen du XVIIIe siècle ! Et je remercie Cristie, l’organisatrice du Challenge coréen, et Decrescenzo éditeurs car j’ai reçu ce livre dans le cadre du challenge. Je l’ai choisi librement sur le site de l’éditeur, j’avoue que c’est la couverture qui m’a d’abord attirée et ensuite le genre (nouvelles) et le fait que ce soit un classique.

10 histoires (jeon) donc, 10 nouvelles qui racontent la vie d’hommes pauvres mais méritants, 10 nouvelles écrites au XVIIIe siècle en Corée par un grand écrivain qui était aussi philosophe, homme politique et artiste (calligraphie, peinture). « Le jeon désignait un récit relativement court en prose dépourvu de descriptions sinon sommaires, écrit dans l’intention de transmettre, sous certaines restrictions idéologiques, de manière plutôt linéaire et à travers quelques anecdotes seulement, jugées significatives, l’histoire de la vie d’un individu considéré exemplaire à quelque titre, et ce dans une optique didactique sinon édifiante. » explique la présentation (p. 8). J’avais déjà remarqué, dans Le rire de 17 personnes, anthologie de nouvelles contemporaines nord-coréennes, que les nouvelles étaient construites différemment en Corée qu’en Europe (où le texte me semble plus incisif et où il y a une chute) mais ces histoires peuvent être édifiantes, enrichissantes voire surprenantes pour les lecteurs occidentaux. J’ai bien aimé un certain humour, les extraits de poésie et le fait que l’auteur s’adresse parfois aux lecteurs mais je pense n’avoir pas percuté à toutes les références historiques et culturelles. Il y a heureusement dans ce recueil de nombreuses explications – à mon avis indispensables – présentation et note liminaire (au début de livre), notes (en bas de pages), répertoire, carte du Joseon (nom ancien de la Corée), notice biographique et bibliographie (en fin de volume). Je vous ai donné mes trois histoires préférées mais ne pensez pas que les autres sont moindres.

Une belle lecture que je ne peux que vous conseiller – si vous vous intéressez à l’histoire, à la culture et à la littérature coréennes – et que je mets bien sûr dans le Challenge coréen mais aussi dans 2021, cette année sera classique, Challenge lecture 2021 (catégorie 19, un recueil de nouvelles), Petit Bac 2021 (catégorie Animal), Projet Ombre 2021 et Les textes courts.

Bartleby le scribe de José-Luis Munuera

Bartleby le scribe de José-Luis Munuera.

Dargaud, Hors collection, février 2021, 72 pages, 15,99 €, ISBN 978-2-50508-618-5.

Genres : bande dessinée espagnole, adaptation d’un classique états-unien.

José-Luis Munuera naît le 21 avril 1972 à Lorca dans la région de Murcie (Espagne). Il étudie les Beaux-Arts à Grenade. Il est fan d’Astérix, de Spirou et Fantasio et aime le dessin humoristique. Du même auteur : Les Potamoks avec Joann Sfar, Merlin avec Joann Sfar puis Jean-David Morvan, Sir Pyle S. Culape avec Jean-David Morvan, Nävis avec Jean-David Morvan et Philippe Buchet, Spirou et Fantasio avec Jean-David Morvan, Les Campbell, Zorglub… Il est scénariste et dessinateur. Son blog n’est plus mis à jour depuis octobre 2007.

Cette bande dessinée sera en librairie le 19 février et je remercie NetGalley et Dargaud de m’avoir permis de la lire en avant-première.

Wall Street, New York City, fin du XIXe siècle (extrait, p. 28, ci-contre). Dans cette ville de murs de plus en plus hauts, les humains, semblants tout petits, vaquent à leurs occupations et travaillent. Bartleby est embauché en renfort de Turkey et Nippers dans un office notarial et son patron en est content. « Au début, Bartleby réalisait un nombre considérable d’écritures. Il semblait insatiable comme s’il avait été longtemps affamé de copies. Il les avalait l’une après l’autre, travaillant jour et nuit, sans relâche. » (p. 22).

Mais, lorsque le notaire lui demande de collationner et vérifier les copies, Bartleby répond « Je préférerais ne pas le faire. » (p. 24) et comme le patron insiste, Bartleby insiste aussi « Je préférerais pas. » (p. 25 et suivantes). Le jeune homme travailleur, appliqué, soigneux qui refuse de sortir du cadre de son travail devient « une menace » (p. 30) cependant le notaire fait avec car il reste satisfait de son travail.

Pourtant, un dimanche, en allant à son bureau, le notaire se rend compte que Bartleby s’y est enfermé. « Ma parole ! Cet homme mange, dort et s’habille dans mon étude ! Il vit ici ! » (p. 37). Et le notaire se pose des questions. « Dans quelle misère, dans quel isolement vit Bartleby, unique spectateur de sa propre solitude ? Qui est Bartleby ? Qu’est Bartleby ? » (p. 38). La situation devient surréaliste. Plus surprenant, Bartleby décide du jour au lendemain de ne plus travailler ! Le notaire, pourtant patient, est alors contraint de le renvoyer mais Bartleby refuse de partir, en fait il ne préférerait pas !

Bartleby le scribe, l’énigmatique, est une profonde réflexion sur la conscience, le devoir et la possibilité de « la désobéissance civile » (p. 45), de la fuite possible en tant que lutte contre l’État et le capitalisme. Les dessins de Munuera sont vertigineux et l’humain ne peut que chercher sa place dans cette immensité qui le dépasse, son utilité dans une nouvelle société moderne en pleine expansion.

Bartleby a été adapté plusieurs fois au cinéma, au théâtre et a inspiré des artistes (au cinéma et en littérature), des sociologues et des philosophes. Cette bande dessinée est une très belle adaptation de Bartleby, the Scrivener: A Story of Wall Street (1853) de Herman Melville (1819-1891) que je vais lire en mars pour une lecture commune avec Noctenbule (j’ai hâte maintenant !).

« I would prefer not to » dans la version originale, « je préférerais ne pas », comme une parole positive mais avec une possible négation… Je vous laisse compulser ce qu’en ont pensé les philosophes du XXe siècle, Deleuze et Derrida en tête.

Pour La BD de la semaine et les challenges BD, 2021, cette année sera classique et Les textes courts. Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

L’empreinte de Karel Čapek

L’empreinte de Karel Čapek.

Bibliothèque russe et slave, collection Littérature tchèque, 26 pages. Šlépěj (1917) est traduit du tchèque par Hanuš Jelínek (pour la Gazette de Prague janvier-février 1924). La couverture ci-contre est l’édition numérique des éditions Marques.

Genres : littérature tchécoslovaque, nouvelle.

Karel Čapek, je vous remets ce que j’avais écrit pour La mort d’Archimède. Karel Čapek naît le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice en Bohème. Il étudie à Brno puis à Berlin (philosophie) et Paris (Lettres). Il est francophile (il traduit Apollinaire et Molière), amateur de musique ethnique et de photographie. Il meurt le 25 décembre 1938 à Prague.

Après s’être mis à l’abri du froid et de la neige, Boura, un pèlerin, reprend sa route. Ses pas restent dans la neige et il croise un homme en sens inverse qui fait de même mais observe quelque chose. « Voyez-vous cette empreinte, là-bas ? demanda l’homme en désignant une empreinte de pied à quelque six mètres du bord de la grand’route, où ils se tenaient tous les deux. » (p. 2). Mais « l’empreinte du pied était isolée au milieu d’un champ ; il n’y en avait pas d’autre ni devant, ni derrière ; elle était nette et précise sur la surface blanche de la neige, mais aucun pas ne conduisait vers elle ni ne s’en éloignait. » (p. 3). Comment est-ce possible ? Les deux hommes cherchent une explication à cette unique empreinte au milieu du champ enneigé. « Elle était profonde et énergique […] » (p. 5). Mais pendant que chacun argumente, la neige reprend et les deux hommes se séparent sans avoir percé le mystère de l’empreinte.

Un an plus tard, Boura n’est pas du tout à la conférence qu’il donne devant les membres de la Société Aristotélique… Holeček est présent et il est en fait l’homme avec qui il avait observé l’empreinte ! « Ah, oui, dit Boura content, c’était vous. Je suis très heureux, vraiment… J’ai souvent pensé à vous. Eh bien, avez-vous trouvé les autres empreintes ? » (p. 13).

Petites erreurs… « Je me souvient » (p. 8), « je ne fait que constater » (p. 11), « il gagnait à nouveaux » (p. 12), aïe, ça fait mal aux yeux…

Mais L’empreinte est une belle réflexion philosophique et métaphysique, un peu comme une parabole, sur l’âme humaine et ce qu’elle comprend (ou pas) de la réalité et de la rationalité. Un grand écrivain de la première moitié du XXe siècle à découvrir pour la sobriété et la sincérité de ses textes. Dans cette nouvelle, j’ai apprécié le côté mystérieux et j’ai quelques autres titres de Karel Čapek !

Pour le Mois des nouvelles, le Projet Ombre 2021 et 2021, cette année sera classique.

Réflexion sur la question antisémite de Delphine Horvilleur

Réflexion sur la question antisémite de Delphine Horvilleur.

Grasset, janvier 2019, 162 pages, 16 €, ISBN 978-2-24681-552-5.

Genres : littérature française, essai littéraire.

Delphine Horvilleur naît le 8 novembre 1974 à Nancy (Lorraine). Elle est écrivain, philosophe et la première femme rabbin en France. Elle a écrit plusieurs livres dont le dernier, Comprendre le monde (Seuil, 2020).

Introduction. « Pourquoi n’aime-t-on pas les Juifs ? » (p. 13). L’antisémitisme est une xénophobie différente. Les racismes « expriment généralement une haine de l’autre pour ce qu’il n’a pas : la même couleur de peau, les mêmes coutumes, les mêmes repères culturels ou la même langue. Son ‘pas-comme-moi’ apparaît au raciste comme un ‘moins-que-moi’. » (p. 13-14). « Le Juif au contraire est souvent haï, non pour ce qu’il N’A PAS mais pour ce qu’il A. On ne l’accuse pas d’avoir moins que soi mais au contraire de posséder ce qui devrait nous revenir et qu’il a sans doute usurpé. » (p. 14).

Le peuple hébreu (ou le Juif) a toujours été accusé de tout et de son contraire. Pourquoi ? Delphine Horvilleur va analyser l’antisémitisme (mot apparu au XIXe siècle) à partir des textes anciens de la tradition hébraïque (mais pas que). L’identité hébraïque naît avec Abraham qui quitte sa terre natale pour une terre inconnue : le peuple hébreu est donc un peuple de la rupture (contrairement par exemple à Ulysse qui est d’Ithaque et qui veut y retourner ce qui représente l’identité occidentale). La Chaldée est la terre paternelle, l’Égypte est la terre maternelle et, à chaque fois, le peuple hébreu part sans se retourner. Abraham représente l’identité individuelle et le peuple hébreu l’identité collective, ou peuple d’Israël.

Toutes les accusations portées contre les Juifs au cours de l’Histoire apparaissent dans Esther 3:8 : « Il y a dans toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé et à part parmi les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples et n’observant point les lois du roi. Et le roi n’a pas intérêt à les laisser là. » (p. 28-29). Voici ce que dit le conseiller Haman au roi de Perse, Assuétus. Il faut dire qu’Assuétus vient d’épouser Esther et Haman hait Mardochée, le père d’Esther. Tout ça n’est donc question que de jalousie, de haine pure, de règlement de compte, de vengeance ? Tout serait parti de ça ? Eh bien, non, l’auteur remonte encore plus loin car Haman répercute simplement la haine qu’avait son père, Agag, contre Saul, le premier roi d’Israël, et la haine de son ancêtre Amalek qui avait poursuivi et tué les retardataires durant la fuite d’Égypte. Des Hébreux qui, sortis d’esclavage, s’enfuient, vulnérables, des vieillards, des femmes des enfants qui ne sont pas préparés à se battre (Deutéronome). Et voilà, depuis Amalek, il y a chez certaines personnes une haine viscérale de l’Hébreu, du Juif. « Haman est l’héritier d’une haine ancestrale et le livre d’Esther rejoue un conflit et une violence qui trouve racine ailleurs. » (p. 32).

L’auteur remonte donc encore le fil de l’Histoire et des textes anciens. Pourquoi Amalek éprouve-t-il une telle haine ? Il est le petit-fils d’Esaü, frère jumeau de Jacob, renommé Israël, Amalek est donc Hébreu lui aussi ! Mais… Timma, sa mère, est la concubine d’Elifaz, qui n’est autre que son père. Timma est donc à la fois la sœur et la mère d’Amalek, qui est né d’une relation incestueuse, c’est pourquoi il se sent diminué, inférieur, jaloux… (Genèse et Chroniques)..

J’ai pris plein d’autres notes mais je ne vous en dis pas plus pour que vous puissiez découvrir le fil de l’Histoire, le fil de cette haine, car l’auteur explore encore d’autres pistes. Toutes conduisent soit à l’adultère, soit à l’inceste, soit à la jalousie entre frères jumeaux, en tout cas, non seulement au dépit, au rejet, à la frustration, au sentiment d’humiliation voire d’exclusion, mais aussi à l’envie, la jalousie, la haine transmises de génération en génération. C’est bien triste… Et ce qui est incroyable, c’est que Esaü détestait Jacob déjà dans l’utérus de leur mère, Rebecca : « Les fils se battaient en elle. » (Genèse 25:22). Jacob est droit alors qu’Esaü est attiré par l’idolâtrie, ils étaient déjà frères ennemis avant leur naissance !

Les Hébreux seraient le peuple « élu » de Dieu, ils sont à part et ils dérangent. « Haman ne dit pas autre chose dans sa haine des Juifs. Il demande : ‘Pourquoi seraient-ils à part ?’ Tant qu’ils sont là, dit-il au roi, ‘il n’y aura pas d’égalité pour nous autres’. Autrement dit : tant qu’ils sont à part, ‘nous, on n’aura pas notre part’. » (p. 47). Encore l’envie, la jalousie, la volonté de posséder, d’avoir plus, de prendre aux autres ce qu’ils ont, leur biens, leur bonheur, leurs vie…

Lors de la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70, le peuple hébreu/juif est sous la domination de l’Empire romain qui considère « l’image du Juif comme source de contamination pour l’organisme qui l’accueille. ‘Sale Juif’, lui dit-on alors, pour bien raconter combien sa présence pollue et vulnérabilise : c’est lui qui fait entrer les germes pathogènes. » (p. 67). Moins de 1900 ans après… L’Hébreu/le Juif est depuis toujours une obsession ; comment est-il possible d’échapper à cette haine ? D’autant plus qu’antisémitisme et féminisme sont liés, eh oui, qu l’eut cru. Si ce thème est développé par Otto Weininger en 1903, un jeune homme qui ne supporte pas sa judéité et que Hitler admirait, Jean-Paul Sartre raconte dans L’enfance d’un chef, en 1939, le parcours de Lucien devenu antisémite et en quête de virilité avec la féminité soumise. Élisabeth Badinter développe également ce thème d’antisémitisme et anti-féminisme.

En tout cas (et je ne suis pas juive), je pense que le peuple hébreu / juif est « increvable » et fait toujours preuve d’une incroyable résilience et d’humour face à l’adversité, à la haine, à la persécution, bref face à la connerie et à la méchanceté humaines (ceux qui sont « bêtes et méchants »). Idéologies totalitaires et fondamentalismes religieux ont les mêmes obsessions, les mêmes haines : les Juifs et les femmes.

Je tiens à apporter une précision sur mon expérience : lorsque j’ai appris durant les cours d’Histoire sur la seconde guerre mondiale ce qui était arrivé aux Juifs, les camps, l’extermination, et quand j’ai vu des photos prises dans les camps ou à la Libération, j’ai été horrifiée et ma grand-mère m’a dit une chose : ces pays qui se sont débarrassés des Juifs, ce sont des pays qui se sont appauvris aux niveaux humains, culturels, scientifiques parce qu’ils ont fait disparaître des scientifiques, des médecins, des musiciens, des professeurs, des artistes, etc., ils ont fait disparaître une partie de leur âme, de leur histoire.

Réflexion sur la question antisémite est – que vous soyez croyants ou athées – un essai instructif, indispensable, riche en exemples historiques, littéraires et philosophiques. J’ai donné des exemples et des extraits pour que vous compreniez de quoi il parle exactement mais Delphine Horvilleur va bien plus loin et donne encore plus d’infos et d’explications.

J’ai une solution, toute simple, pour les racistes et les antisémites (et les misogynes puisque, apparemment, ce sont pratiquement les mêmes) : étudiez, ayez un bon métier qui vous plaît, gagnez l’argent dont vous avez besoin, pour fonder une famille, pour ce que vous souhaitez vivre, ne soyez pas envieux, jaloux, et vous aussi vous serez « plus » ! Vous serez plus instruits, sûrement plus intelligents, plus heureux, plus respectés et plus respectueux, qu’en pensez-vous, c’est une bonne idée, non plutôt que ressasser la haine depuis plus de 4000 ans ?

J’ai emprunté cet essai parce que j’ai entendu Delphine Horvilleur, sûrement sur Arte, mais peut-être aussi sur France 2 (elle est passée à la Grande Librairie mais je n’ai pas vu cette émission) et j’ai lu un billet qui m’a intriguée (par contre je n’ai pas noté le lien mais après recherche, c’était chez Cannibal Lecteur). Je suis satisfaite de ma lecture – faite en juin – (je mourrai moins bête) et j’espère vous avoir donné envie de lire cet essai.

Le Nouveau Magazine littéraire #1

Voici enfin mon billet sur Le Nouveau Magazine littéraire #1, acheté fin décembre 2017 et lu en janvier.

Présentation

Le Nouveau Magazine littéraire, janvier 2018 (mensuel), 100 pages, 4,90 €.

Ce premier numéro du Nouveau Magazine littéraire s’ouvre avec Amorces (minuscule histoire littéraire), un joli poème inédit de Patrick Chamoiseau (p. 3) et Tout reste à écrire, l’édito de Raphaël Glucksmann, le directeur du Nouveau Magazine littéraire : « Partons. Partons enfin. Partons loin. » (p. 4). Le sommaire (p. 7) est alléchant.

Contenu

Sur une douzaine de pages, « Cosmopolis » (actus, décryptages, repères) avec des infos toujours instructives.

Puis sur plus de 30 pages, un gros morceau, « les idées » (politique, économie, société), un peu trop politique et économique à mon goût (autant lire un hebdomadaire comme L’Obs ou tiens le petit nouveau ebdo !).

Sur 4 pages, une nouvelle inédite de Leïla Slimani, La confession, extrait « d’un travail en cours », un très beau texte, j’aime bien Leïla Slimani.

Ensuite, sur une trentaine de pages, le dossier « les nouvelles utopies » annoncé en couverture : très beau dossier avec 7 courtes fictions d’écrivains ou philosophes sur le monde dont ils rêvent et une conversation avec Edgar Morin, sociologue et philosophe.

Enfin, sur un peu plus de 15 pages, « notre bibliothèque » avec les parutions romans, essais, poches, romans graphiques plus quelques pages « les arts » avec cinéma, musique, expos, théâtre. Je trouve que c’est peu…

Sur une quinzaine de pages, un dossier sur La Boétie par Michel Onfray, un dossier plus large que sur le seul auteur, avec les thèmes de la servitude, de l’amitié, les émules : pas fan de Michel Onfray mais le dossier est intéressant et m’a donné envie de lire La Boétie.

Et, pour finir, le roman d’un livre avec 1984 d’Orwell à Mossoul par Delphine Minoui, auteur de Les passeurs de livres de Daraya, une bibliothèque secrète en Syrie (Seuil, septembre 2017).

Verdict

Un Nouveau Magazine bien mené mais pas si littéraire que ça… Trop tourné vers la politique à mon avis ! Tout ce qui est politique, économie, société, idées, c’est bien beau mais je veux un magazine littéraire sinon je lis Politis ou autre ! Ou Philosophie Magazine. Pour la littérature, je préfère donc Lire et Page des libraires.

Et vous, avez-vous accroché à ce Nouveau Magazine littéraire ?