Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi

Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi.

Les éditions du Palais, mars 2021, 120 pages, 15 €, ISBN 979-10-90119-918. Préface d’Ayyam Sureau. Parution en poche en septembre 2022.

Genres : littérature franco-afghane, témoignage, poésie.

Mahmud Nasimi naît en 1987 à Jabalsaraj (dans la province de Parwan) en Afghanistan. Il étudie les sciences politiques à l’université de Kaboul. Il quitte l’Afghanistan en avril 2013, sa famille, ses amis et, au bout d’un périple long et dangereux, il arrive en France.

Mahmud n’a pas écrit ce récit en dari mais en français. « Lorsqu’il arrive en France, Mahmud Nasimi ne connaît personne et ne parle pas un mot de français. Il erre dans Paris, seul, muet parmi les sourds, invisible parmi les non-voyants. […] Au père Lachaise, il rencontre Balzac, Molière, Édith Piaf. Au cimetière de Montparnasse, Baudelaire, Sartre, Serge Gainsbourg. » (préface, p. 10). Ainsi il apprend le français.

« J’aime les livres ! Et j’aime les lire ! Mais pas depuis toujours. Jusqu’à mon arrivée en France, je leur tournais le dos. Ils n’avaient que peu d’intérêt à mes yeux. Pire, ils rimaient avec école, obligation, devoir, sanction. En découvrant la littérature française, ce jour où mes pas m’ont conduit au cimetière du Père-Lachaise, j’ai soulevé le voile qui me cachait la beauté du monde. » (p. 17).

« Avant d’arriver en France, je suis passé par plusieurs pays : l’Iran, la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique. J’ai fait un voyage inhumain et inimaginable où j’ai approché plusieurs fois la mort, simplement pour sauver ma vie. À cette souffrance incommensurable s’ajoute la souffrance morale de ces sept années perdues où je n’ai pu poursuivre mes études commencées dans mon pays. Je me heurte aujourd’hui à l’incompréhension des gens de mon âge qui comparent leur parcours universitaire et le mien. C’est une profonde peine d’être jugé au lieu d’être compris. » (p. 23).

« […] j’aime la France ! J’y suis arrivé en septembre 2017, les poches vides, le corps fatigué, le cœur blessé, mes désirs envolés. J’ai passé des jours et des nuits dans les rues, dans les parcs ou dans les gares. […] » (p. 31). Malgré l’adversité, « mes deux maîtres mots demeurent : patience et courage. » (p. 40). « La littérature, qui n’existait pas dans ma vie, est venue rompre ma solitude, elle me prend par la main pour m’accompagner chaque jour jusqu’à la fin du voyage. » (p. 45).

Á Ali, son colocataire particulièrement pessimiste. « Je lui ai expliqué calmement que la vie était un voyage fait de hauts et de bas ! Que nous portions tous quelque chose qui nous faisait souffrir. Mais que tant que nous n’abandonnions pas, il y avait de l’espoir. Que sans espoir, la vie n’avait pas de sens. Qu’il nous fallait rester positifs et garder confiance comme devant toutes les épreuves de la vie. » (p. 83).

Mon passage préféré. « S’il est un être à qui vous voulez dire que vous l’aimez, à qui vous voulez pardonner, que vous voulez revoir ou que vous voulez aider, n’attendez plus car demain n’est pas une promesse ! » (p. 100). Parce que Mahmud Nasimi n’est pas tourné que sur lui-même mais tourné vers les autres.

Quoi de mieux pour vous donner envie de lire ce témoignage que ces quelques extraits. Un témoignage, douloureux pour l’auteur, émouvant pour le lecteur, mais empli d’espoir et d’amour. Il y a une illustration en noir et blanc (p. 30) et quelques poèmes tout simples écrits par l’auteur (son amour pour Paris et la France, son enfance et sa mère, l’amitié). Des textes très tendres et sincères sur l’exil, le déracinement, la solitude, la souffrance… et une belle leçon d’espoir et de vie.

Ils l’ont lu : Belette Cannibal Lecteur, Chantal, Lucette, Papivore, d’autres ?

Pour ABC illimité (lettre N pour nom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 4, une (auto) biographie, ici plutôt un témoignage mais auto-biographique), Challenge lecture 2023 (catégorie 21, un livre d’un auteur qu’on n’a jamais lu, 4e billet), Petit Bac 2023 (catégorie Lieu pour Paris) et Tour du monde en 80 livres (Afghanistan).

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À l’orée du danger de Cyril Dion

À l’orée du danger – Poèmes de Cyril Dion.

Actes Sud, collection Domaine français, mars 2022, 96 pages, 10 €, ISBN 978-2-330-16401-0.

Genres : littérature française, poésie.

Cyril Dion naît le 23 juillet 1978 à Poissy dans les Yvelines (Île de France). Il étudie l’art dramatique mais s’engage « pour l’humanité et la paix dans le monde ». Il crée avec Pierre Rabhi le Mouvement Colibris en 2006 pour « une société écologique et solidaire », cofonde le magazine Kaizen en 2012 et codirige la collection Domaine du possible chez Actes Sud. Il est militant écologiste et réalisateur (je vous ai parlé de ses films Demain, 2015 et Après demain, 2018 mais c’est la première fois que je le lis). Plus d’infos sur son site officiel.

Comment résumer de la poésie ? Voici quelques extraits, parmi mes passages préférés, suivis d’un avis tout simple mais j’espère que tout ça vous donnera envie de lire ce joli recueil.

« […] c’est ici que notre histoire débute […] / alors que l’abîme ne fut jamais si proche […] » (p. 7).

« […] Je parle à l’exaltation de ma peine / à la force créatrice / née de la plaie, / de la crainte / et de la nostralgie. […] » (p. 15).

« […] à l’intérieur de la pièce qui me sert de bureau / que je ne quitterai plus / pendant sept ou huit heures / pendant sept ou huit ans / pendant / combien / de temps ? » (p. 34).

« Curieuses régions de nos esprits / curieuses contrées troublées par l’absence / Douloureux éveils / de nos instants de voyage. » (p. 81).

« Alors nous y voilà. / Le plus grand défi de tous les temps. / Qui pour mobiliser le courage ? / Qui pour réchauffer la peur bleue ? / Qui pour éventer les mensonges / et ranimer le souffle ? / Nous ne voulons plus de promesses, / nous voulons la parole. » (p. 92).

Cyril Dion propose de la poésie libre, sans titres (sauf pour quelques poèmes), de trois lignes à trois pages. Il aborde beaucoup de thèmes, écologie, pollution, internet (et la place des écrans), monde du travail, dépendance, consommation et consumérisme, animaux, humanité, liberté, guerre, etc. mais ne tombe pas dans le pessimisme aggravé et, avec une pointe d’humour, donne un peu d’espoir. Cyril Dion délivre ses messages en toute simplicité mais fait mouche et emporte ses lecteurs dans un monde (une humanité) ‘désastre’ tout en rêvant au meilleur. C’est à la fois beau, désespérant mais en tout cas engagé.

Pour ABC illimité (lettre C pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 17, un livre d’un auteur français, il y en aura d’autres dans l’année !), Challenge lecture 2023 (catégorie 21, un livre d’un auteur qu’on a jamais lu) et Les départements français en lecture (pour Yvelines, 2e billet).

Défi du 20 novembre 2022

Après une première année de l’atelier d’écriture Le défi du 20 en 2021, je continue avec les nouvelles consignes et le nouveau joli logo coloré (créé par Soène) chez Passiflore, où vous pouvez consulter toutes les infos.

En janvier c’était 1 peintre, en février 2 poètes, en mars 3 chanteurs, en avril 4 titres de livres, en mai 5 oiseaux, en juin 6 arbres, en juillet 7 légumes, en août 8 fleurs, en septembre 9 prénoms, en octobre 10 animaux et en novembre c’est mot de 11 lettres.

Pendant un moment, j’ai pensé qu’il fallait 11 mots de 11 lettres mais Passiflore m’a dit : un mot de 11 lettres, un seul OK… Mais quoi en faire… un court texte, un acrostiche (j’en ai déjà rédigé un pour le mois d’octobre avec les animaux), un poème… ? Je suis bien embêtée… En plus, des mots de 11 lettres, il y en a énormément (près de 60 000 en français mais beaucoup sont des verbes conjugués).

Après avoir hésité entre plusieurs mots, je choisis Alexandrins pour parler un peu de poésie.

La poésie en alexandrins naît dans un poème du Roman d’Alexandre de Lambert le Tort (recueil de légendes sur Alexandre le Grand). Dans ce poème épique du XIIe siècle, chaque vers contient 12 syllabes donc des alexandrins mais le terme n’est utilisé qu’au XVe siècle. Je vous passe de difficiles explications sur les deux hémistiches et vous dis simplement que chaque vers est composé de deux parties ce qui donne 6 syllabes, 1 césure, 6 syllabes. C’est bon, vous suivez ?

Les alexandrins sont cependant peu utilisés en France avant le XVIe siècle, les vers héroïques étant décasyllabiques (10 syllabes). Mais les poètes du groupe la Pléiade, en particulier le célèbre Pierre de Ronsard (1524-1585) et le moins célèbre Jean-Antoine de Baïf (1532-1589), qui sont amis, pratiquent les alexandrins qui s’imposent en poésie (au XVIe siècle) puis au théâtre (au XVIIe siècle). Les alexandrins sont d’abord classiques et vantés par Nicolas Boileau (1636-1711) puis romantiques avec le grand Victor Hugo (1802-1885) et bien sûr Paul Verlaine (1844-1996) et Arthur Rimbaud (1854-1891).

Pour l’époque moderne : au XXe siècle c’est un poète français d’origine ukrainienne, Emmanuel Lochac, né à Kiev le 27 mars 1886 et dont la famille émigre en France (à Paris) en 1894 qui remet au goût du jour les alexandrins avec ses célèbres Monostiches (1936), des poèmes très courts en un seul alexandrin. Il meurt le 10 novembre 1956 à Nice. Et en ce début de XXIe siècle, les alexandrins sont devenus des vers blancs (non rimés ou en prose) comme C’est une chose étrange à la fin que le monde de Jean d’Ormesson, (Noyelles, 2010) ou Visibles de l’espace, où nos vies s’égalisent dans En camping-car d’Ivan Jablonka (Seuil, 2018), deux livres que je n’ai pas lus.

Mais, vous voyez, les alexandrins ont encore de beaux jours devant eux et c’est tant mieux, n’est-ce pas ? D’ailleurs, j’aimerais bien lire Alexandrin ou l’Art de faire des vers à pieds, une bande dessinée de Pascal Rabaté et Alain Kokor (Futuropolis, 2017).

Vous trouverez les billets des autres participant(e)s chez Passiflore et je vous donne rendez-vous le 20 décembre avec 12 signes du zodiaque (ci-dessous, le tableau des thèmes pour 2022 mais le thème de décembre est le dernier de l’année).

Liberté sur parole d’Octavio Paz

Liberté sur parole d’Octavio Paz.

Gallimard, collection Poésie n° 75, novembre 1971, 192 pages, ISBN 978-2-07031-789-9. Poèmes traduits de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert et revus par l’auteur. Préface de Claude Roy. C’est cette édition que je lis.

Gallimard, collection Du monde entier, réédition en 1990 (apparemment bilingue), 264 pages, 14,70 €, ISBN 978-2-07072-177-1, traduction et préface de Jean-Clarence Lambert.

Genres : littérature mexicaine, poésie, classique.

Octavio Paz naît le 31 mars 1914 à Mexico au Mexique. Il lit dès l’enfance et étudie à l’Université nationale autonome du Mexique. Il a 17 ans lorsqu’il crée sa première revue littéraire Barandal (en 1931), puis une deuxième Cahiers du val de Mexico (en 1933), date à laquelle son premier recueil de poèmes est publié. Une autre revue suivra (littéraire et politique), Vuelta, fondée en 1976 et qui s’arrête en 1998 (à la mort de Paz). Octavio Paz est profondément contre la violence et l’oppression (ce qui déplaît fortement à certains régimes politiques). Il est considéré comme le plus grand poète de langue espagnole du XXe siècle et je suis très contente de l’avoir lu. Il écrit aussi de nombreux essais et traduit de la poésie japonaise (Matsuo Bashô) et chinoise (Tchouang-tseu). Entre autres prix littéraires, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1990. Il meurt le 19 avril 1998 à Mexico.

Ce recueil Liberté sur parole contient le texte Liberté sur parole, voici comment il commence : « Là où cessent les frontières, les chemins s’effacent. Là commence le silence. J’avance lentement et je peuple la nuit d’étoiles, de paroles, de la respiration d’une eau lointaine qui m’attend où paraît l’aube. » (p. 15), c’est très beau, je suis séduite (c’est la première fois que je lis de la poésie mexicaine). « Inutile de fermer les yeux, ou de retourner parmi les hommes : cette lucidité ne m’abandonne plus. […] Là où s’effacent les chemins, où s’achève le silence, j’invente le désespoir, l’esprit qui me conçoit, la main qui me dessine, l’œil qui me découvre. […] » (p. 16).

Puis :

1. Condition de nuage (1939-1955) : Le tournesol (4 poèmes), Semences pour un hymne (12 poèmes), Pierres éparses (3 poèmes). Certains poèmes se lisent vite comme ceux de genre haïkus (3 lignes), le premier étant « Le jour ouvre la main / Trois nuages / Et ce peu de paroles. » (p. 23) et il y en a d’autres plus loin. Certains poèmes plus longs se lisent et se relisent : Octavio Paz a des éléments, des inspirations que je ne connais pas mais je comprends à peu près ce qu’il veut dire, l’amour, les jours qui se suivent, les saisons et les éléments ont de l’importance, la parole et la liberté aussi bien sûr.

2. Aigle ou soleil ? (1949-1950) : introduction (2 textes), Sables mouvants (4 poèmes), Aigle ou Soleil ? (19 poèmes). Voici comment cette section débute : « Je commence et recommence. Mais je n’avance pas. Chaque fois qu’elle atteint les lettres fatales, la plume recule : un interdit improbable me ferme le chemin. Hier, investi des pleins pouvoirs, j’écrivais sans peine […]. Aujourd’hui, je lutte seul avec une parole. Celle qui m’appartient, celle à laquelle j’appartiens […] » (p. 45). Liberté (aigle) ou manque (perte) de liberté (soleil) ? Culture hispanique (aigle) ou culture indigène (soleil) ? Octavio Paz joue sur les mots et avec les mots. J’ai ressenti un petit côté kafkaïen durant cette nuit d’insomnie par exemple : « Je me relève : il est à peine une heure. Je m’allonge, mes pieds sortent de la chambre, ma tête perfore les murs. Je m’étends dans l’immensité comme les racines d’un arbre sacré, comme la musique, comme la mer. La nuit se peuple de pattes, de dents, de griffes, de ventouses. Comment défendre ce corps trop grand ? Que font, à des kilomètres de distance mes orteils, mes doigts, mes oreilles ? Je me rétrécis lentement. Le lit craque, mon squelette craque, les charnières du monde grincent. […] » (p. 52). Qu’en pensez-vous ? En tout cas, nous avons ici de la poésie libre, en fait en prose, comme autant d’histoires surréalistes qui parlent d’amour, de folie, de nuit, de prison… « On nous dit : un sentier droit ne mène jamais à l’hiver. Maintenant, mes mains tremblent. Les mots me pendent de la bouche. Donne-moi un petit siège et un peu de soleil. » (p. 92). Je comprends que le petit siège correspond à la culture hispanique et le soleil à la culture amérindienne.

3. À la limite du monde (1937-1958) : introduction (2 poèmes), La saison violente (8 poèmes). Nous retrouvons ici de la poésie plus classique. « Dans la lumière filtrée par les feuilles, / poissons somnambules et absorbés, / passent des hommes, femmes, enfants, bicyclettes. / Ils vont tous, nul ne s’arrête. / Chacun a sa petite affaire : / le cinéma, la messe, le bureau, la mort, / se perdre en d’autres bras, / en d’autres yeux se retrouver, / se souvenir qu’on est un être vivant, l’oublier. / Personne ne veut atteindre la fin, / où la fleur est fruit, le fruit lèvres. » (p. 122). Cette partie est plus sombre, peut-être plus imaginative aussi. « […] voici l’homme qui tombe et se lève et se repaît de poussière et rampe, / l’insecte humain qui troue la pierre, qui troue les siècles et que la lumière carie, / voici la pierre cassée, l’homme cassé, la lumière cassée. » (p. 154). Je pense qu’ici, Paz est désabusé par les violences, le fascisme, les exactions politiques de tous bords…

4. Pierre de soleil (1957, traduction de Benjamin Péret) : un long poème plus note, notice, vie et œuvre d’Octavio Paz. « je cherche sans trouver, j’écris dans la solitude, / il n’y a personne, le jour tombe, l’année tombe, / je tombe avec l’instant, je tombe au fond, / invisible chemin sur des miroirs / qui répètent mon image brisée, / je marche sur des jours, des instants parcourus, / je marche sur les pensées de mon ombre, / je piétine mon ombre en quête d’un instant » (p. 163). C’est beau, c’est triste, peut-être l’auteur se cherche-t-il une place, une autre place dans ce monde…

J’ai lu la préface de Claude Roy après avoir lu le recueil parce que je voulais un œil neuf, un œil ouvert pour cette poésie mexicaine et cet auteur que je lisais pour la première fois, pour m’en imprégner, pour essayer de comprendre par moi-même, mais c’est vrai que cette préface explique des choses sur la vie, les influences (hispaniques et indiennes, révolutions mexicaine et espagnole, ouvertures sur l’Europe, les États-Unis et l’Asie) et l’œuvre d’Octavio Paz, un auteur que je relirai, c’est sûr. Grâce à un grand-père intellectuel indigéniste, à un père avocat qui voyage aux États-Unis, à une tante française qui lui fait découvrir la littérature française, Octavio Paz est, dès l’enfance, ouvert au monde, aux autres, au passé aussi. « Vie vagabonde, entre le Mexique, les États-Unis, la France, le Japon, l’Inde. » (p. 10), il a oublié l’Espagne puisque Paz y est allé durant la révolution (1937). Je comprends mieux les inspirations de Paz, la recherche des racines indiennes comme la poésie nahuatl (Aztèque), sa philosophie, son idéalisme, le côté surréaliste (il était ami avec André Breton, entre autres), son vécu (en France, Espagne, Inde…). « L’homme n’est homme que parmi les hommes. » (p. 13).

Une très belle lecture (et découverte) pour Les classiques c’est fantastique #3 (en août, le thème est sur un air latino, chaleur et lectures qui chantent, direction la littérature classique d’Amérique du sud), mais aussi pour 2022 en classiques, Challenge lecture 2022 (catégorie 37, un livre publié l’année de notre naissance, Liberté sur parole a été publié en 1966), Les textes courts (Condition de nuage fait 42 pages avec la préface, Aigle ou soleil 72 pages, À la limite du monde 42 pages, Pierre de soleil 34 pages) et Un genre par mois (en août, un classique).

Voyage en Iran de Nedim Gürsel

Voyage en Iran – En attendant l’imam caché de Nedim Gürsel.

Actes Sud, collection Lettres turques, janvier 2022, 176 pages, 21 €, ISBN 978-2-330-16131-6. Mehdi’yi Beklerken Iran’a Yolculuk (2019) est traduit du turc par Pierre Pandelé.

Genres : littérature turque, essai littéraire, récit de voyage.

Nedim Gürsel naît le 5 avril 1951 à Gaziantep (sud-est de l’Anatolie) en Turquie mais il passe son enfance chez son grand-père à Balıkesir (région de Marmara) avant d’être interne au lycée de Galatasaray à Istanbul. Dès le début des années 70, il publie des textes dans des revues littéraires et étudie ensuite les lettres modernes à la Sorbonne à Paris (thèse de littérature comparée sur Louis Aragon et Nâzım Hikmet en 1979). Il partage son temps entre Paris (il est professeur à la Sorbonne et à l’Institut national des langues et civilisations orientales) et Istanbul. Il est auteur de nombreux romans, nouvelles, récits mais je n’ai encore jamais lu cet auteur et je suis contente de le découvrir pour le Printemps de la littérature turque.

Voici le début. « Au retour d’Iran, à l’aéroport Imam Khomeiny de Téhéran, alors que nous patientons pour passer les contrôles de rigueur, j’engage la conversation avec un compatriote. L’homme, dont tout laisse à penser qu’il est un homme d’affaires, me demande la raison de ma présence en Iran. Je lui réponds que je suis venu en touriste, découvrir le pays ; cela semble le plonger dans une certaine perplexité. ‘– Vous n’avez pas trouvé d’autre pays à visiter ? me fait-il. – Vous ne pouvez pas dire ça. C’est une pays fascinant avec une histoire plurimillénaire et un système politique unique en son genre. – Moi je dirais surtout qu’ils sont assis sur un tas d’or et passent leurs journées à glander.’ Je préfère ne pas relever. Je suis encore marqué par mon expérience de l’Iran et mes souvenirs d’enfance qui lui font écho. » (p. 9).

Dans cet essai, Nedim Gürsel raconte son voyage en Iran sur les traces des lieux saints mais aussi des Iraniens, des poètes et de la culture iranienne. Il est parti avec Tijen Burultay, responsable photo du magazine Magma et deux Iraniens. « Sans leur aide, nous n’aurions jamais pu visiter le pays d’un bout à l’autre et découvrir tant de merveilles. Pour des raisons que j’aborderai plus tard, il n’est pas aisé de voyager en Iran ; celui qui part à la rencontre de ces hommes et femmes passant supposément leurs journées ‘assis sur un tas d’or à glander’ s’en trouvera pourtant largement payé en retour. » (p. 10).

Que ceux qui se sentent déçus que je présente un auteur turc parlant de l’Iran dans le Printemps de la littérature turque ne le soient pas parce que l’auteur fait des parallèles, des comparaisons entre la Turquie et l’Iran ; il parle de ses découvertes littéraires aussi bien classiques comme la poésie d’Omar Khayyām, La chouette aveugle de Sādegh Hedāyat ou contemporaine comme le poète Saïd Fekri et Sirènes rouges de Téhéran de Shahzadeh İgual (elle a écrit son roman en turc mais il n’est pas traduit en français) et aussi de la gastronomie (les plats de riz, les confiseries et même les alcools), etc. « Je me contenterai de raconter ce que j’ai vu et compris de l’Iran à la lumière de ce que j’en savais. » (p. 11). Nedim Gürsel a un avis précis : « Je ne pense pas qu’il appartienne à l’État de se mêler de la manière dont ses citoyens s’habillent, de ce qu’ils boivent ou mangent. Mais l’Iran est un pays musulman à nulle autre pareil. Son régime est théocratique mais sa culture, son mode de vie et ses forces vives n’ont rien d’archaïque. Ce n’est pas non plus un pays du Moyen-Orient comme les autres, et j’en ai fait l’expérience tout au long de ce voyage. La culture iranienne, qui remonte à des temps immémoriaux, se réclame d’un passé impérial prestigieux et s’honore d’une littérature qui gagnerait à être connue de tous. » (p. 12).

Alors, vous êtes prêts pour le voyage ? Commençons par Téhéran, ses rues, ses hôtels, ses cafés, ses écrivains avec leur nihilisme et leur mal-être, ses mémoriaux, ses palais, ses librairies et ses bouquinistes, sa censure… « Qu’on m’autorise à rappeler à cette occasion que la censure frappe également en Turquie, même si l’espace laissé à l’amour et aux mœurs y est bien plus large qu’en Iran, en littérature comme dans la vie de tous les jours. » (p. 32).

Nous continuons le voyage ? La région de Khorassan dans le nord-est de l’Iran avec Meched (la deuxième ville du pays) et la petite ville poussiéreuse de Nichapour avec le mausolée d’Omar Khayyām (XIe-XIIe siècles), « J’ai quitté atterré ce bas monde, j’ai trépassé / Mes perles de savoir jamais ne seront plus percées / Faute à la folie des ignorants / Je laisse mille idées irisées qui jamais n’auront essaimé. » (p. 49) et le mausolée de Farīd al-Dīn ‘Attār (XIIe-XIIIe siècles), « mystique auteur du Cantique des oiseaux » (p. 51), « La chaleur vient non du four, mais du feu / La grâce n’est pas une couronne, c’est une pelisse / Ce que tu cherches n’est pas à La Mecque, ni à Qods / Ce que tu cherches, quoi que tu cherches, est en toi. » (p. 55). Puis Tus qui « abrite la dernière demeure du plus grands des poètes iraniens, celui que les Iraniens considèrent comme le sauveur de la langue persane : Firdoussi, né vers 930 et mort aux alentours de 1020 après J.-C. » (p. 57), auteur du Livre des rois (Chāhnāme), « œuvre fleuve comptant pas moins de soixante mille distiques » (p. 57), œuvre que Nedim Gürsel considère comme un « immense récit ‘tolstoïen’ […] où se mêlent guerres et paix, hommes et dieux, […] partiellement inspiré du livre saint des zoroastriens, l’Avesta. » (p. 58).

Direction ensuite Hāfiz et ses jardins dans le sud-ouest de l’Iran, dans « la province du Fārs qui a donné son nom à la Perse. […] le cœur de l’Iran. » (p. 73) sur les traces de Yahya Kemal, poète et écrivain, ou plutôt sur les traces de son poème, La Mort des mystiques (1933). Persépolis, Chirāz, Ispahan… où l’auteur parle beaucoup de Pierre Loti, considéré comme un grand orientaliste (p. 117-118). Je note de lire si possible Le meilleur des jours de Yassaman Montazami dont l’auteur parle avec force (p. 140-144).

Nedim Gürsel emmène ses lecteurs dans un très beau voyage non seulement géographique et religieux mais aussi historique, mythologique, littéraire, poétique avec une plume alerte et érudite mais lisible par tous alors je vous conseille vivement ce récit de voyage sans concession si vous êtes intéressés par la Turquie et l’Iran, ou simplement curieux. J’ai de mon côté appris beaucoup de choses tant aux niveaux mythologique, historique et géographique que littéraire.

Pour le Printemps de la littérature turque bien sûr mais aussi Bingo littéraire d’Hylyirio (catégorie 28, témoignage ou autobiographie, 4e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 57, un livre dont la couverture comporte un élément météorologique, ici ciel de nuit étoilé et nuages), Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Iran), Tour du monde en 80 livres (Turquie), Un genre par mois (en juin, biographie, essai, récit de voyage…) et Voisins voisines 2022 (Turquie). Et le nouveau Shiny Summer Challenge 2022 (menu 3 Sable chaud, option 2 Une oasis dans le désert = le voyage d’une vie).

Habitant de nulle part, originaire de partout de Souleymane Diamanka

Habitant de nulle part, originaire de partout de Souleymane Diamanka.

Points, collection Poésie, février 2021, 144 pages, 7,30 €, ISBN 978-2-75788-747-9.

Genres : littérature franco-sénégalaise, poésie.

Souleymane Diamanka (dit Duajaabi Jeneba) naît le 27 janvier 1974 à Dakar au Sénégal mais il grandit à Bordeaux en France. Il parle français et peul et découvre dès le début des années 90 le rap, le hip hop et le slam. Il a à son actif 2 albums studios, L’hiver peul (2007), Être humain autrement (2016) et un album Live @ Hall Tony Garnier (2015), 5 livres (entre 2007 et 2021) et des participations en tant qu’acteur (cinéma) et comédien et auteur (théâtre). Des vidéos sur sa chaîne Youtube.

Préface « Avant-dire » d’Oxmo Puccino : « Clamer un texte, c’est lui donner vie. » (p. 12).

Parce qu’Amadou Hampaté Bâ, ambassadeur du peuple Peul a dit « En Afrique un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle » (p. 16), Souleymane Diamanka fait une entorse à l’oralité traditionnelle pour écrire. C’est un travail de conservation, de mémoire, de legs, de la part de « haal pulaar » (celui qui parle peul).

J’ai tout aimé dans ce livre – c’est un des plus beaux recueils de poésie moderne que j’ai lus – alors il ne m’est pas facile d’en sortir quelques mots pour vous livrer des extraits mais je vais faire de mon mieux parce que je veux que vous en lisiez un peu pour avoir envie de l’acheter (ou de l’emprunter) et de le lire entièrement.

« Je ne suis qu’un pauvre artiste au service de la beauté / Marchand de sentiment et de moments d’humanité » (début de Moment d’humanité, p. 29).

« J’ai attendu longtemps que le néant s’anime / Que chaque mot trouve sa phrase et que chaque phrase trouve sa rime » (p. 30).

« Même s’il est né de ma plume / si tu l’as aimé et qu’il t’a plu / ce n’est plus mon poème mais un papillon en papier » (début de Papillon en papier, p. 35).

« Vous qui survivez dans cet univers parfois si violent / Venez… je vous invite à faire le tour de la Terre / À bord de mon tapis volant » (Tapis volant, p. 49), un poème dans lequel il fait rimer ‘galerie d’art’ avec ‘regard’ et ‘éclipsé’ avec ‘yeux absorbés’, bien joué pour montrer l’importance du regard, de la vision, dans l’oralité.

« Si quelqu’un te parle avec des flammes / Réponds-lui avec de l’eau / Sache que le seul combat qui se gagne / C’est le duel qui devient duo / Je sais que les braves savent se battre / Et lutter pour leurs droits jusqu’à l’aube / Mais dis-leur que le paix guérit et la guerre périt » (début de Réponds-lui avec de l’eau, p. 53, vidéo ci-dessous). « La paix guérit et la guerre périt », sûrement le plus beau texte !

Souleymane Diamanka est une « voix pleine de sourires et pleine de larmes » (p. 55), avec des fulgurances comme « Prendre le temps d’écrire pour le meilleur et pour le dire » (p. 55) alors j’espère vraiment vous avoir donné envie de le découvrir, de le lire et de le partager autour de vous aussi.

Diamanka parle de l’Afrique, du peuple peul, de la nature, des animaux, de la France, des cités, de la pauvreté mais aussi de la vie, de l’amour, de la sexualité même, de l’humanité, de l’oralité et de l’écriture, « De la faune et de la flore / Des faibles et des forts / Des esprits et des espoirs » (p. 68)… Le verbe, les traditions tiennent une grande place dans plusieurs poèmes. Il est très inspiré et tout son parler n’est que poésie, poésie libre avec des rimes vraiment différentes de ce que j’ai pu lire auparavant. Des textes courts et percutants ou tendres et émouvants qui ont une belle musicalité et qui m’ont transportée… nulle part et partout ! C’est que Diamanka a bien compris qu’il était un passeur de mots, un « donneur de paroles d’honneur » (p. 83) parce que l’ancien lui a dit « Pars cueillir les mots » (p. 83).

« Le feu n’est pas éteint… il reste une braise / L’histoire n’est pas finie… il reste une phrase » (p. 92).

Mais il n’y a pas que le texte (oral ou écrit), Diamanka parle aussi des arts, la danse (dans plusieurs poèmes), les peintures rupestres (entre autres dans Graffiti-artiste de la préhistoire), des sculptures (Hommage à Ousmane Sow), ce qui montre bien son ouverture d’esprit et ce qu’il veut partager. « J’obtiendrai des notes étonnantes en faisant des vœux / Je rendrai l’amour de l’art monnaie courante en créant des lieux / Je reprendrai le fil de l’Histoire en dénouant les nœuds / Et je peindrai tout le temps en fermant les yeux » (p. 129).

Je vous le recommande même si vous n’êtes pas fondus de poésie, vraiment, c’est beau, c’est inspiré, c’est apaisant, c’est vivifiant, c’est pour tous.

Pour Les adaptations littéraires parce que livre, poésie, chansons et plus encore, et aussi À la découverte de l’Afrique (Sénégal, peuple Peul), Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 36, un livre coup de cœur, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 11, un livre qui met en scène un artiste), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour la virgule, 2e billet) et Tour du monde en 80 livres (Sénégal).

Vie et poésie de Taras Chevtchenko

Genres : littérature ukrainienne, poésie, classique.

Taras Hryhorovytch Chevtchenko (en ukrainien : Тара́с Григо́рович Шевче́нко) naît le 25 février 1814 (9 mars dans le calendrier grégorien) à Moryntsi (région de Tcherkassy, Ukraine) dans une famille paysanne. Il est orphelin jeune (sa mère meurt en 1823 et son père en 1825). Il devient serviteur à Vilnius (Lituanie) et son employeur l’envoie à l’université de Vilnius pour qu’il suive les cours du peintre Jan Rustem (1762-1835) puis à l’Académie impériale des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg avec les cours du peintre Evgeny Nikolaevich Chiriaev (1887-1945).

Taras Chevtchenko est poète, peintre, ethnographe et humaniste. Il est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne. Il est aussi une figure emblématique dans l’histoire de l’Ukraine puisqu’il marque le réveil national du pays au XIXe siècle. Sa vie et son œuvre font de lui une icône de la culture de l’Ukraine et de la diaspora ukrainienne au cours des XIXe et XXe siècles. La principale université ukrainienne porte son nom depuis 1939, c’est l’Université nationale Taras-Chevtchenko à Kiev fondée en 1834 (photo ci-dessus, dans quel état est-elle maintenant ?…).

Sa vie n’est pas de tout repos, il recueille pour la Commission d’archéologie de Kiev les monuments historiques et les traditions folkloriques de l’Ukraine mais ses poèmes satiriques et ses idées politiques subversives (il milite pour l’abolition du servage et l’égalité sociale) déplaisent au tsar Nicolas Ier qui lui interdit d’écrire et de peindre… Il est alors exilé (d’abord à Orenbourg près de la mer Caspienne puis près de la mer d’Aral au Kazakhstan puis à nouveau au bord de la mer Caspienne à Novopetrovskoïe). Mais cela lui permet d’étudier les Kazakhs et il écrit et peint en cachette.

Il laisse une œuvre culturelle, littéraire (248 poèmes) et artistique ainsi que la création de l’alphabet ukrainien (mille ans après la création de l’alphabet cyrillique). Il meurt le 26 février 1861 (10 mars dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg (Russie), surveillé par la police du tsar.

Suite à la parution de son premier recueil de poèmes, Kobzar (en ukrainien Кобзар) en 1840, il est surnommé Kobzar qui signifie barde, c’est-à-dire un artiste qui chante en s’accompagnant de la kobza (ancien instrument de musique d’Europe de l’Est)… même s’il ne jouait pas de cet instrument !

Extraits de quelques-uns de ses poèmes

Le Caucase (1845) traduit par Eugène Guillevic. Terriblement d’actualité ! « Notre âme ne peut pas mourir, / La liberté ne meurt jamais. […] La vérité se lèvera ! / La liberté se lèvera ! […] Mais les rivières pour l’instant / Coulent toutes pleines de sang. […] Beaucoup de soldats y sont morts. / Combien de pleurs ? Combien de sang ? […] Luttez ; vous vaincrez ; Dieu vous aide ! / Avec vous sont la vérité, / La liberté sacrée, la gloire ! ».

Le soir (1876), traduit par Émile Durand pour la Revue des Deux Mondes (3e période, tome 15, p. 941). « La mère, autour de la maison, / A couché les petits enfants ; / Elle-même dort près d’eux. / Tout bruit s’éteint… Seuls, la jeune fille / Et le rossignol veillent encore. » Bien que la construction de cette poésie soit différente, elle me fait un peu penser à un haïku.

Marianne (1876), traduit par Émile Durand pour la Revue des Deux Mondes (3e période, tome 15, p. 942-944). Marianne est fille unique, belle, et sa mère veut la marier mais elle voit Pètre, un Cosaque, en cachette. « Pourquoi pleures-tu, mon bel oiseau ? lui demandait Pètre. Elle le regardait, et, souriante : – Je n’en sais rien moi-même ! – Tu penses peut-être que je t’abandonnerai ? Non, j’irai avec toi et je t’aimerai tant que je vivrai. »

Le testament (1921), traduction anonyme. « Quand je mourrai, enterrez-moi / Dans une tombe au milieu de la steppe / De ma chère Ukraine, / De façon que je puisse voir l’étendue des champs, / Le Dniéper et ses rochers, / Que je puisse entendre / Son mugissement puissant. ».

Le destin (sans date), traduit par Myroslawa Maslow. « Nous n’avons pas été sournois, / Nous avons marché tout droit, nous n’avons pas / Un seul grain de mensonge avec nous… ».

L’Hérétique (Jan Hus) (sans date), traduit par Sophie Borschak et René Martel. « Des flots de sang coulèrent, / Éteignirent l’incendie, / Et les Germains se partagèrent / Les tristes décombres / Et les orphelins. […] Mais, dans les décombres de jadis, / L’étincelle de fraternité couvait. / Elle couvait, elle attendait / Des mains fortes et hardies. / Elles vinrent. Alors jaillit, / Du plus profond des cendres, / La belle flamme, le cœur hardi, / Les yeux d’aigle intrépides. / Tu as allumé, Ô sage, / Le flambeau de la liberté / Et de la vérité. » Jan Hus (1372-1415) est un théologien et réformateur religieux tchèque qui fut excommunié, condamné pour hérésie et brûlé sur le bûcher. Il est considéré comme le précurseur du protestantisme.

Il est possible de lire la poésie de Taras Chevtchenko dans Œuvres choisies (DNIPRO, 1978, 320 pages, traduction d’Henri Abril, Nina Nassakina et Cazimir Szymanski, version bilingue et illustrée) et dans Kobzar (Éditions Bleu et Jaune, 2015, 130 pages, traduction et annotations de Darya Clarinard, Justine Horetska, Enguerran Massis, Sophie Maillot et Tatiana Sirotchouk).

Et pour finir, le portrait d’Ira Frederick Aldridge (1807-1867), acteur sénégalais-américain, un des plus grands interprètes du théâtre de William Shakespeare, que Taras Chevtchenko a réalisé au pastel en 1858 (il a rencontré l’acteur lors de sa tournée européenne qui l’a conduit jusqu’en Russie). Vous pouvez voir d’autres peintures de Chevtchenko sur WikiArt.

J’espère que ce billet vous a plu et je le dépose dans les challenges 2022 en classiques et Les classiques c’est fantastique #2 (le thème d’avril est « les enfants du siècle », ici le XIXe siècle) et Les textes courts.

Le jeudi, c’est musée/expo #34 – Éphémère

Bonsoir, je n’ai pas eu le temps de m’occuper des photos avant donc je publie ce billet en soirée (au lieu de la programmation le matin).

Cette année, le thème (national) du Printemps des poètes est L’éphémère et je voulais vous montrer cette exposition… éphémère.

La première photo est une vue d’ensemble. La deuxième photo est un montage réalisé avec trois photos prises les unes après les autres. Vous pouvez cliquer sur les photos. Et ci-dessous il y a une vidéo (provenant du site du Printemps des poètes).

Lune n’est lune que pour le chat de Vénus Khoury-Ghata et Sibylle Delacroix

Lune n’est lune que pour le chat de Vénus Khoury-Ghata et Sibylle Delacroix.

Bruno Doucey, collection Poés’histoires, octobre 2019, 64 pages, 978-2-36229-240-8.

Genres : littérature française, littérature jeunesse, poésie.

Vénus Khoury naît le 23 décembre 1937 près de Beyrouth (Liban). Elle vit dans un village de montagne, Bcharré où est né Khalil Gibran. Elle étudie la littérature à Beyrouth, écrit ses premières poésies (Les visages inachevés, recueil paru en 1966, et Terres stagnantes, recueil paru en 1967) puis s’exile en France où elle épouse un médecin (Jean Ghata) et publie son premier roman (Les inadaptés en 1971). Suivent une trentaine de romans (je pense n’en avoir lu aucun) et autant de recueils de poésie pour lesquels elle reçoit plusieurs prix littéraires.

Sibylle Delacroix naît en 1974 à Bruxelles (Belgique). Elle étudie à l’ERG (École de Recherche Graphique) de Bruxelles. Elle illustre d’abord des contes (Barbe Bleue, son projet de fin d’études), puis des romans, des albums jeunesse et même des affiches. D’après ce que j’ai compris, les dessins de Lune n’est lune que pour le chat sont faits au crayon porte-mine. Plus d’infos sur son site officiel.

« À quoi servent les étoiles ? / À nous faire un clin d’œil quand on se sent seul. » (p. 9, in Coups de marteau dans le ciel).

Mais il n’y a pas que les étoiles et la lune. Ces poésies s’enrichissent de cormorans, de goélands, de cigognes, de navires engloutis, de cachalots, d’une grenouille qui chante faux, d’arbres… que rencontre un matou qui « à pattes de velours […] se faufile entre les mots » (p. 62). Un matou qui profite de la nuit pour « poursuivre son ombre » (p. 62) et la lune.

« Bruit de friture dans le cosmos / qui fait rissoler des étoiles ? / l’huile brûle / baissez le feu […] À quoi servent les étoiles ? / À clouer la nuit sur la voûte du ciel. » (p. 37, in Friture d’étoiles).

Les illustrations sont superbes, elle sont toutes en double-page. Ma préférée est celle où le chat sur scène chante et le projecteur est comme une lune au-dessus de lui (p. 46-47).

Pas un coup de cœur cependant mais un joli livre pour les enfants qui aiment les chats et découvriront la poésie grâce à la balade nocturne de ce matou aventurier mais un brin triste. À découvrir si vous êtes curieux !

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 22, un livre jeunesse), Challenge lecture 2022 (catégorie 20, un livre jeunesse), Jeunesse young adult #11, Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Chat) et Les textes courts.

Défi du 20 février 2022

Après une première année de l’atelier d’écriture Le défi du 20 en 2021, je continue avec les nouvelles consignes et le nouveau joli logo coloré (créé par Soène) chez Passiflore, où vous pouvez consulter toutes les infos.

En janvier, c’était 1 peintre, eh bien en février, c’est 2 poètes. Avec le Nouvel an lunaire (faussement appelé Nouvel an chinois) et le printemps qui arrive, j’ai envie de vous parler de 2 poètes japonais, des haïkistes, c’est-à dire des poètes qui écrivent des haïkus.

Déjà, je dois vous expliquer ce qu’est un haïku, n’est-ce pas ? C’est un poème très court, en 3 vers construits chacun de 5 puis 7 puis 5 syllabes ce qui fait au total 17 syllabes (ou mores). Le haïku contient absolument un élément de saison (le kigo) sinon ce n’est pas un haïku mais un moki (c’est qu’au Japon, tout est codifié, la poésie, la peinture, le thé, etc.).

Je ne vais pas vous parler à nouveau de Buson, je vais choisir deux autres haïkistes mais quand même parmi les plus connus pour ne pas vous perdre.

Bashô 芭蕉 (qui signifie ‘bananier’, de son vrai nom MATSUO Bashô, connu donc sous son prénom, ce qui est rare pour les Japonais qui utilisent systématiquement le nom de famille), naît en 1644 à Iga-Ueno (préfecture de Mie, au sud-est de l’île Honshû). Il meurt le 28 novembre 1694 à Ôsaka (région du Kansai sur l’île Honshû). Il n’a alors que 50 ans mais il laisse à la postérité des poèmes, des carnets de voyages et une école de poésie.

Bashô, Buson, Issa et Shiki sont les quatre grands haïkistes classiques japonais parce que chacun a apporté une évolution au haïku. Petit retour en arrière : au XVIe siècle, Sôkan est célèbre pour ses haïkus comiques (voire vulgaires). Au XVIIe siècle, Bashô crée une nouvelle forme de haïku (le style s’appelle shôfû), plus dans la contemplation et l’émotion de l’observation de la Nature et des éléments naturels, bref des poèmes tout en subtilité et beauté simple (mais cela n’empêche pas l’humour). C’est que Bashô pratique le bouddhisme Zen et qu’il fonde une école de poésie (dans son ermitage de Kukagawa dès 1680). Il est aussi auteur de carnets de voyages, agrémentés de haïkus, dont le plus célèbre est Le chemin étroit du Bout-du-Monde (Oku no hosomichi 奥の細道 / おくのほそ道) rédigé en haïbun (mélange de haïkus et de prose poétique) après un voyage au printemps 1689. Six recueils de poèmes sont parus entre 1672 et 1694, ainsi que sept recueils de poèmes en kasen (Bashô et les élèves de son école) entre 1684 et 1698, et sept journaux de voyages entre 1685 et 1694 dont plusieurs sont heureusement traduits en français (recueils ou anthologies, parfois en édition bilingue). Parmi ses haïkus les plus connus, le très beau Paix du vieil étang / Une grenouille plonge / Bruit de l’eau.

Passons maintenant Buson et Issa (nés au XVIIIe siècle) pour découvrir Shiki (XIXe siècle).

Shiki 子規 (qui signifie ‘petit coucou’), de son vrai nom Masaoka Tsunenori (donc connu lui aussi sous un prénom de plume), naît le 17 septembre 1867 à Matsuyama (préfecture d’Ehime, île Shikoku) dans une famille de samouraïs. Lorsqu’il étudie la littérature à Tôkyô, il rencontre l’écrivain Natsume Sôseki. Shiki est non seulement poète mais aussi critique littéraire, journaliste dès 1892 et fondateur de la revue littéraire Hototogisu en 1897 (Hototogisu signifie ‘Coucou’ et la revue a perduré après sa mort). Auteur de haïkus (fin du XIXe siècle mais qui influenceront le XXe siècle), Shiki est considéré comme un théoricien qui a rénové le haïku et a innové avec le tanka (poème similaire au haïku mais sans rimes et contenant 31 mores sur cinq vers). De plus, il rompt (vous avez compris que l’histoire du haïku est faite de ruptures et d’innovations) avec le romantisme du XVIIIe siècle et privilégie la Nature et la liberté, il est donc le fondateur du haïku moderne. Il meurt le 19 septembre 1902 à Tôkyô, il n’a que 35 ans, mais il laisse une œuvre importante (25000 haïkus, des monographies…) et il existe des éditions françaises (recueils, anthologies, certaines en édition bilingue). Parmi ses haïkus, voici Dites-leur / que j’étais un mangeur de kakis / qui aimait les haïkus !

Je mets ce billet un peu spécial dans les challenges 2022 en classiques et Les textes courts.

J’espère que ce voyage poétique au Japon vous a plu et qu’il vous aura donné envie de (re)découvrir le haïku. Les autres billets à consulter chez Passiflore et rendez-vous le 20 mars avec le thème 3 chanteurs (ci-dessous, le tableau des thèmes pour l’année).