La vie qui commence d’Adrien Borne

La vie qui commence d’Adrien Borne.

JC Lattès, janvier 2022, 240 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-70966-875-0.

Genres : littérature française, roman.

Adrien Borne naît le 18 juin 1981 à Rueil-Malmaison (région parisienne). Il étudie l’histoire puis le journalisme à Paris. Il est journaliste (RTL, RMC, LCI) et romancier.

Après avoir eu un coup de cœur pour le premier roman, Mémoire de soie, j’ai eu très envie de lire le nouveau roman d’Adrien Borne.

Gabriel est seul à la maison (avec le chat), il mange une glace devant la télévision, Pantani explose l’Alpe d’Huez (alors je pense que c’est juillet 1997, bon sang ça va faire 25 ans, que de souvenirs !). « 12 ans. Seul à la maison, l’été. 12 ans. La liberté. Une glace, le Tour de France. » (p. 13). Mais, soudain, la sonnette retentit, « Je déteste qu’on sonne à la porte. » (p. 16), ça sonne une deuxième fois, c’est peut-être important. « ‘Bonjour Gabi.’ Il est planté là. » (p. 16).

La colo, plus de trois heures de bateau, une île, la plage, des chalets, sept chambres individuelles par chalet, une pour chaque enfant, une pour le mono, Gabriel est dans un des chalets avec les garçons de son âge, des chambres individuelles, il est dans ‘la chambre verte’ (c’est le titre de la première partie du roman), le mono c’est Yannick, celui qui l’a vu malade sur le bateau et puis la salle commune pour les repas, six enfants par table, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, les adultes sur une estrade. « La main dans la main, à la rigueur. La main dans le machin, hors de question. Le machin dans le machin, c’est l’expulsion. Et autant j’ai les idées larges sur bien des choses, mais sur ce point, aucune exception. » (la directrice, p. 30).

Et un événement inattendu… « Quand il s’invite dans ma chambre, alors que le soleil se lève à peine, à quelques minutes du réveil de tous les autres, les défenses sont affaiblies. » (p. 50). « C’est pour ça qu’il faudrait prévenir et se souvenir. Pour bâtir des châteaux débonnaires. Je n’ai pas eu le temps. » (p. 51). « Me viennent des mots nouveaux, le saccage, le carnage, des mots de jamais. Me viennent des questions, combien ? Quelques minutes ? Moins de cinq ? » (p. 53). Ensuite c’est la cohue dans la tête de Gabriel, les mots se suivent sans ponctuation, il ne comprend pas ce qui lui est arrivé (p. 54-55) mais il entend le haut-parleur pour le petit-déjeuner. Doit-il parler à quelqu’un de ce qu’il s’est passé mais que s’est-il passé ? Il ne sait pas… Peut-être que c’est quelque chose de normal qu’il ne connaissait pas encore et que ce n’est pas la peine d’en parler.

Comme vous le voyez, c’est tout en pudeur qu’Adrien Borne raconte. Si ce n’était pas tellement affreux et triste, je dirais que le texte est très beau… en tout cas, très bien écrit.

Heureusement, belle journée, excursion, jeu de piste, carte postale reçue de son grand-père, « Je me couche fatigué, bien fatigué. […] Et puis il est revenu le lendemain matin. Et puis il est revenu le lendemain matin. Et puis il est revenu le lendemain matin. Trois fois de suite. Trois fois de plus. […] Je dis rien, c’est décidé. […] Maintenant je vais pas dire. Pas maintenant. Pourquoi plus maintenant que la première fois ? » (p. 61). « Pourquoi il m’a choisi moi, parfois je me demande si c’est une marque d’attention, même si l’attention je crois savoir que ça peut pas reposer sur la tristesse. » (p. 62). Il y a des passages dans lesquels Gabriel vrille vraiment (p. 62-63 par exemple), comment peut-il comprendre, comment peut-il ne pas avoir peur de devenir handicapé (il a mal aux jambes, aux genoux, partout), comment peut-il ne pas avoir les yeux dans le vide, comment peut-il se construire ?

En tout cas, il est rentré de colo depuis trois jours, il est donc devant la télé à regarder Pantani suer et pédaler et ça sonne à la porte, c’est lui ! « ‘Bonjour Gabi.’ Il est planté là. […] Je ne te dérange pas j’espère. Comment vas-tu ? » (p. 77), mais quel enfoiré !!! Comment sait-il où habite Gabriel ? Comment sait-il qu’il serait seul la journée ? Comment peut-il oser venir narguer l’enfant dont il a abusé ? Gabriel réussit à fermer la porte mais… il n’y a personne à qui parler, personne pour raconter ce qu’il a vécu… et lorsque ses parents rentrent à la maison, il est déjà trop tard… « 12 ans et je ne suis déjà plus tout à fait, plus un enfant justement. Je m’enterre au jour. Au grand jour. » (p. 85).

Vingt ans après, Gabriel est à Tonnerre pour aider son grand-père maternel, Lucien, 76 ans, à vider sa maison pleine de livres, de ses travaux et de sculptures. « Nous avons tout le mois de juillet pour ranger ce qui doit l’être avant la mise en vente de la maison. » (p. 109). Mais Gabriel trouve une photo cachée derrière un tableau, « Un homme trois quarts dos, équipé de bouteilles de plongée. Au recto : Michel Falco, juin 1956, Tonnerre. » (p. 125). Son grand-père aurait-il quelque chose à raconter ? Lui qui ne bouge plus du troisième étage de sa maison avec une vue plongeante sur ‘la fosse’ (titre de cette deuxième partie). Trois semaines après, alors que Lucien roule en ambulance vers la résidence médicalisée qui doit l’accueillir, Gabriel roule dans le TGV qui le ramène à Paris. « Je sais désormais que l’on se déterre de son vivant, Lucien m’a montré la voie. » (p. 163). Mais que va déterrer Gabriel ? « J’ai tout oublié depuis si longtemps. J’essaie de ne pas tomber. […] Cicatrices d’amour, cicatrices d’horreur. Une photo, une montre, un frère. […] Le mutisme d’un vieil homme en pleine lumière et en miroir le pressentiment d’un ravage. » (p. 164). Gabriel va-t-il pouvoir remonter à ‘la surface’ (titre de la troisième partie) ? « Pour être victime d’un sort il faut savoir, savoir qu’un sort nous a été jeté. » (p. 170).

Une erreur – qu’on voit (trop) souvent – page 200 : « Je ne vais pas jouer longtemps le suspens. », c’est le suspense, pas l’expression en suspens qui signifie tout autre chose…

Une histoire bouleversante, dans laquelle j’ai retrouvé le style, les mots précis de l’auteur et l’émotion, ce que j’avais trouvé dans Mémoire de soie, le tout écrit de façon tellement pudique, tellement délicate, tellement pleine de justesse, sans revendication que celle littéraire. C’est puissant et ça fait mouche sans esbroufe.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 17, le thème principal est celui de l’amnésie), Challenge lecture 2022 (catégorie 58, un livre sous forme de journal intime, c’est presque un journal intime, plutôt un journal de bord, un journal de souvenirs, bon, lisez-le, vous verrez) et Petit Bac 2022 (catégorie Verbe pour Commence)

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Un libraire de Mérédith Le Dez

Un libraire de Mérédith Le Dez.

Philippe Rey, septembre 2021, 144 pages, 16 €, ISBN 978-2-84876-891-5.

Genres : littérature française, récit, roman.

Mérédith Le Dez naît en 1973 en Haute-Saône (Franche-Comté) mais elle vit à Saint-Brieuc (Bretagne). Elle est romancière et poétesse et a tenté l’édition et la librairie (expériences dont elle parle dans Un libraire).

Mérédith Le Dez rend un vibrant hommage à Jacques Allano, libraire à Saint-Brieuc en Bretagne, fondateur de la librairie Le Pain des Rêves, mort en mai 2020. « […] sur les pas du libraire et de l’ami perdu, remontons le temps. Redonnons vie à nos fantômes, fantômes de ceux que nous avons connus, êtres de chair et de sang ; et fantômes des personnages qui nous ont hantés, de papier et d’encre. » (p. 14).

Anecdotes, souvenirs, émotion. Les personnages réels et les personnages de fiction sont tous des personnages qui nous accompagnent dans notre vie.

Jacques Allano et Mérédith Le Dez (source internet)

« Jacques Allano. Un libraire. Une figure. Un personnage. Une légende. Mais un serviteur avant tout, humble et tenace : un homme qui était sorti de sa retraite pour, dans sa soixante-dixième année, reprendre du service dans cette librairie, sa vie, son œuvre, pour éviter qu’elle ne fermât, faute de successeur et faute de salariés. » (p. 19).

Dans cette librairie qu’elle fréquente depuis quinze ans et avec ce libraire qui est devenu un ami, elle va travailler pendant neuf mois, délaissant le roman qu’elle avait commencé à écrire. Neuf mois, il y a quelque chose de charnel dans la relation avec la librairie, avec les livres, avec la lecture. Parce que « ce monde, la librairie, était essentiel. » (p. 20). Oui, vous avez bien lu, essentiel.

Après la mort de Jacques, elle veut écrire, le raconter, (le rendre immortel ?), mais « Comment écrire en engageant ma seule parole pour témoigner de sa vie, toute une vie de libraire. Comment faire avec les trous, les lacunes, les mystères, les contradictions. Comment faire avec mon chagrin. » (p. 26). Ce ne sont pas des questions, ce sont des faits, Jacques est mort, Jacques s’est suicidé.

Mérédith Le Dez décide de parler de lui, de communiquer avec lui, avec des lettres. Avant chaque lettre, un extrait littéraire et de nombreux livres cités, lus pendant le confinement, parmi lesquels je repère Ténèbre de Paul Kawczak, Porc braisé d’An Yu, Mauvaises herbes de Dima Abdallah, Le dit du Mistral d’Olivier Mak-Bouchard que j’ai lus, je trouve que c’est émouvant.

Voici un extrait d’une des lettres : « Jeudi 3 décembre 2020. Cher Jacques, Les livres sont nos paysages. Pendant quelque temps, après ta mort, quand à mon tour j’ai déserté la librairie, j’ai cessé d’y voyager. J’ai cru même n’y plus revenir, définitivement rouillée, et puis peu à peu, non sans effort, le seul peut-être que j’étais capable de produire, de nouveau j’y suis entrée. » (p. 63). Et d’une autre lettre, parce que, parfois, les jours de pluie, on est plus pessimiste. « Jeudi 10 décembre 2020. Cher Jacques, […] On peut mourir de chagrin. On peut crever de solitude, c’est donc vrai, Jacques. On a beau le savoir, on a beau faire tout pour l’empêcher, c’est elle, la solitude, la mort, qui a le dernier mot. » (p. 83-84).

J’ai appris que les habitants de Saint-Brieuc s’appellent les Briochins, j’aime beaucoup, ça fait gourmand ! Mais je n’oublie pas que ce livre, ce récit douloureux est « Une tragédie du confinement, voilà ce qui s’est horriblement joué. » (p. 112). Heureusement « La littérature n’est pas morte […]. » (p. 73).

Un libraire m’a beaucoup touchée, c’est un roman fort et bouleversant, un récit ancré dans cette période difficile mais en même temps empreint d’une grande pudeur et d’une belle poésie. Repose en paix, Jacques Allano.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 30, un roman qui se passe en huis-clos, dans une librairie il n’y a pas mieux !) et Challenge lecture 2022 (catégorie 6, un livre dont le titre comporte un métier, libraire quel beau métier !).

Le doigt de Dalie Farah

Le doigt de Dalie Farah.

Grasset, février 2021, 224 pages, 19 €, ISBN 978-2-24682-411-4.

Genres : littérature française, roman.

Dalie Farah naît le 22 février 1973 à Clermont-Ferrand (Auvergne) de parents algériens exilés en France. Elle étudie la littérature et la linguistique. Elle a une spécialisation sur le XVIe siècle et la démonologie. Elle est agrégée de lettres. Alors qu’elle voulait devenir journaliste, elle se tourne vers l’enseignement et elle est prof de littérature et philosophie en lycée et prépa. Ses deux romans sont Impasse Verlaine (2019) et Le doigt (2021). Plus d’infos sur Plumes d’ailes et mauvaises graines et sur sa page FB.

Un billet commun avec Martine.

Thiers, en Auvergne, un mardi matin de janvier 2018. Perdue dans ses pensées (son cours de philo sur Jankélévitch), la prof traverse hors du passage piétons, droit vers le lycée où elle enseigne et l’automobiliste klaxonne. Elle fait alors un doigt d’honneur, « l’automobiliste surgit, se plante droit debout, la dépasse d’environ trente centimètres et d’au moins trente kilos, l’homme surplombe, rage et crie […]. » (p. 12) et elle reçoit une gifle, « Il a frappé. Très fort. » (p. 13). L’homme remonte dans sa voiture, rouge, neuve, une 208, « elle a pris une grosse claque dans la gueule […] joue gauche rouge […]. » (p. 14). Infirmerie du lycée. Urgences ? Gendarmerie ? « Elle est victime d’une agression, non ? » (p. 17) et il y a des témoins.

Onze ans auparavant, en avril 2007, Django, un élève du collège Albert Camus de Clermont-Ferrand l’avait frappée du poing, jetée au sol et rouée de coups de pieds devant une quarantaine de témoins. « J’ai les nerfs. » (p. 31), avait dit Django. D’abord prof au collège, la voici au lycée où elle se donne toujours à fond, le travail y a que ça ! « Le théâtre, la littérature, l’art fabriquent des miracles à l’école […]. » (p. 58).

Dalie Farah (qui utilise « elle » dans son roman plutôt que « je ») dénonce le laxisme ambiant, un élève violent qui vient au lycée avec un couteau et qui l’insulte (sale pute) mais… rien n’est fait, l’élève agit en toute impunité, pire certains (élèves et collègues) l’a croient coupable et non victime… « Aller au lycée devient pénible, angoissant. Elle ne dort pas. À découvert, vulnérable, elle a peur. Elle appelle le rectorat, demande de l’aide, du soutien. Mettez-vous en arrêt maladie, demandez une mutation. Tentez la planète Mars. » (p. 66-67).

Avec Le doigt, Dalie Farah continue sa réflexion sur la violence et l’origine de la violence ; est-ce que nous attirons la violence parce que la violence nous attire ? En tout cas, elle n’est pas du tout soutenue par sa hiérarchie. « J’en prends note : notre institution est décevante et ce n’est malheureusement pas une nouveauté. » (p. 96), pire elle est ensuite « jugée responsable de ce qu’elle subit » (p. 101)… et malheureusement encore « l’Institution allergique au désordre choisit toujours son propre intérêt. » (p. 138).

Et ce terrible constat : « la violence n’est pas née du néant. Elle a toujours été là. » (p. 155). Peut-on « Désirer la violence pour en finir avec la peur » (p. 166) ? Dans le roman, ce n’est pas une question, c’est moi qui (me) la pose ici.

J’ai rencontré Dalie Farah jeudi 27 janvier, j’ai participé à une émission radio avec elle, à une rencontre avec elle, je suis allée au restaurant avec elle. C’est une femme rayonnante, à la joie de vivre incroyable. Un très beau moment durant lequel j’ai entendu beaucoup de choses et j’aurais pu changer quelques éléments dans ma note de lecture puisque j’ai lu Impasse Verlaine et Le doigt avant cet échange mais j’ai préféré laisser tel que je l’avais ressenti au moment de ma lecture (vous pouvez de toute façon lire d’autres avis et d’autres infos sur Internet).

Si Le doigt n’est pas un coup de cœur comme Impasse Verlaine (qui m’a plus touchée), vous l’avez compris, ces deux romans sont à lire et à partager autour de vous.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 28, un témoignage, une autobiographie, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 44, un livre dont le titre contient seulement 2 mots, 2e billet), Petit Bac 2022 (catégorie Gros mot pour Doigt, qui n’est pas un gros mot mais qui en devient un quand on fait un doigt d’honneur et c’est ce que fait la prof dans ce roman) et Tour du monde en 80 livres (France).

Impasse Verlaine de Dalie Farah

Impasse Verlaine de Dalie Farah.

Grasset, avril 2019, 224 pages, 18 €, ISBN 978-2-24681-941-7.

Genres : littérature française, premier roman.

Dalie Farah naît le 22 février 1973 à Clermont-Ferrand (Auvergne) de parents algériens exilés en France. Elle étudie la littérature et la linguistique. Elle a une spécialisation sur le XVIe siècle et la démonologie. Elle est agrégée de lettres. Alors qu’elle voulait devenir journaliste, elle se tourne vers l’enseignement et elle est prof de littérature et philosophie en lycée et prépa. Ses deux romans sont Impasse Verlaine (2019) et Le doigt (2021). Plus d’infos sur Plumes d’ailes et mauvaises graines et sur sa page FB.

Née le 22 février 1973, au lieu du mois d’avril prévu, la narratrice (l’autrice) a failli mourir mais « On peut survivre à tout, quand on survit à sa mère. » (p. 9).

Dans les années 50, à Meskiana en Algérie, la mère de la narratrice naît, Djemaa ou Vendredi. « L’Algérie, c’est l’Éden de ma mère. » (p. 17). Tous les coups, tous les malheurs, elle les transforme en histoires pour s’inventer une autre vie, mais ce ne sont « rien que des histoires minuscules, injustes et absurdes qui finissent toutes dans un trou sous la poussière. » (p. 38).

La mère a 15 ans lorsqu’elle est mariée à un jeune veuf qui a 20 ans de plus qu’elle et qui l’emmène en France, « au Puy-de-Dôme auvergnat » (p. 48). Dans le village de Ponteix, Vendredi devient « la Fatima » (p. 50) et Fatima devient « une villageoise auvergnate comme les autres » (p. 59). Mais, après l’accident de son mari qui perd son travail, « on transporte les confitures de l’été passé, les valises, la marmaille encapuchonnée dans les cagoules de laine bicolore tricotées par la Solange et on arrive impasse Verlaine, bâtiment 31, appartement 622, à Clermont-Ferrand. » (p. 63, pile le code postal de la ville).

Dalie Farah raconte l’enfance battue, humiliée, obligée à travailler (elle aide sa mère, femme de ménage et elle devient son nègre, la mère étant analphabète)… Mais… « Ma mère veut une fille qui lit et qui écrit, donc une fille puissante. » (p. 76). Et heureusement il y a l’école. « Je cours pour aller à l’école. Je ne regarde pas en arrière, juste devant, tout droit » (p. 104), en fait vers l’avenir.

Mais, lors de vacances en Algérie, au hammam, la mère est d’une brutalité inouïe devant toutes les autres femmes qui ne font qu’observer… « […] la vie est belle. Il le faut. La vie me reste belle. Il le faut. » (p. 132-133).

Après l’école primaire Diderot, elle entre au collège Montferrand puis au lycée mais je vous laisse découvrir tout ça par vous-mêmes.

Je n’en dis pas plus, il vous faut absolument lire ce roman qui n’est pas qu’une autobiographie, un témoignage, c’est encore plus fort que ça, c’est intense, c’est puissant. Par certains côtés, je me suis reconnue en cette fillette, cette adolescente, qui aime l’école, qui aime lire, et cette lecture fut beaucoup d’émotions pour moi. Et pas seulement pour moi puisqu’Impasse Verlaine a reçu une dizaine de prix littéraires largement mérités.

Malgré l’adversité, malgré la maltraitance, malgré les coups, Dalie Farah se dit que la vie est belle et c’est phénoménal parce qu’elle peut tout supporter. Elle raconte la double-culture (sa mère lui a tout de même transmis des choses sur le pays d’origine, sur la famille restée là-bas), l’école, la volonté d’apprendre, de réussir. Mais elle n’a pas trempée sa plume dans la noirceur, dans la dépression, tout est lumineux, optimiste, c’est vraiment très beau. Une résilience incroyable d’autant plus qu’elle y met de l’humour et de la poésie. J’ai rencontré Dalie Farah jeudi dernier (un billet sera publié en soirée) et je peux vous dire que c’est une femme rayonnante et drôle, un pur bonheur cette rencontre.

Cette chronique de lecture est un billet binôme avec Martine (qui a aussi rencontré Dalie Farah).

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 28, un témoignage, une autobiographie), Challenge lecture 2022 (catégorie 44, un livre dont le titre contient seulement 2 mots).

Le ballet des retardataires de Maïa Aboueleze

Le ballet des retardataires : Tokyo, tambours et tremblements de Maïa Aboueleze.

Intervalles, septembre 2019, 160 pages, 16 €, ISBN 978-02-36956-082-1.

Genres : littérature française, premier roman.

Maïa Aboueleze naît en 1981 à Alençon (Normandie). Ses passe-temps : la lecture dès l’enfance et la danse à l’adolescence. Elle étudie la danse à Caen et à Angers puis le théâtre et le taïko à Paris. Elle est « une des rares Européennes à avoir pénétré le monde ultra fermé et traditionnel du taïko au Japon, et la première à avoir séjourné dans l’école la plus secrète de Tokyo. » (source : éditeur).

La narratrice, 30 ans, part au Japon pour intégrer « la plus prestigieuse école de tambours japonais de Tokyo, Kamizawa Taïko. » (p. 8). Ce témoignage est unique avec de belles phrases telles que « Les baguettes, lourdes et larges, s’abattent sur la peau de l’instrument. Rien n’est maîtrisé, ni les vibrations ni les hurlements du bois ni les baguettes elles-mêmes qui semblent avoir leur vie propre, puis un jour elles obéissent et le bruit devient son, le son devient musique et le taïko, animal sauvage, effrayant, fascinant, fait alliance avec le joueur et laisse entendre les soubresauts de la terre. » (p. 12).

Le taïko ne m’est pas inconnu puisque j’ai assisté à un concert à Ôsaka et j’avais été très impressionnée par la taille des tambours, par leur son et par le fait que deux femmes (plus petites que les tambours) jouaient. Mais c’est vrai que je n’y connaissais pas grand-chose… Le rythme est éprouvant, les douleurs physiques et les brimades constantes…

Mais ce témoignage (c’est plus un récit autobiographique qu’un roman) ne m’a pas réellement convaincue… Pourtant que de souvenirs, Tokyo, les corbeaux, le parc Ueno, les lutteurs de sumo, le thé… et les problèmes pour communiquer en anglais (pourtant tous les Japonais apprennent l’anglais).

Et il y a quelque humour. « Donc je risque de mourir à cause d’un incendie, d’un typhon, d’un tremblement de terre, d’un tsunami ou d’une éruption volcanique. » (p. 110).

Si vous êtes curieux ou si vous voulez découvrir le monde fermé du taïko, ce petit livre est peut-être pour vous.

 Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 14.

Beyrouth entre parenthèses de Sabyl Ghoussoub

Beyrouth entre parenthèses de Sabyl Ghoussoub.

L’antilope, juin 2020, 144 pages, 16 €, ISBN 978-2-37951-027-4.

Genres : littérature franco-libanaise, roman.

Sabyl Ghoussoub naît en octobre 1988 à Paris, dans une famille libanaise qui a fui la guerre au Liban. Il grandit et étudie en France puis retourne au Liban (il est Libanais et Français) où il devient directeur du Festival du film libanais à Beyrouth. Il est écrivain et photographe. Du même auteur : Le nez juif (L’antilope, 2018) que j’ai bien envie de lire et Le Liban n’a pas d’âge 1920-2020 (un ouvrage collectif à paraître aux éditions Bernard Chauveau en novembre 2020). Plus d’infos sur son site officiel

Lorsque la guerre a éclaté au Liban, les parents (du narrateur, de l’auteur) ont fui et son père a travaillé comme traducteur à Paris, c’est pourquoi le narrateur est né Libanais en France mais c’est compliqué pour lui. « Je n’acceptais pas ce qu’on m’imposait : une famille, une origine, une histoire. Une terre à porter, à représenter. » (p. 44).

« À force d’entendre parler d’Israël depuis que je suis petit, haïr ce pays à tout va, le voir condamner de tous les maux de la planète, je n’ai eu qu’une seule envie, m’y rendre. » (p. 13). Mais ses parents, outrés, l’en dissuadent. « Pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre que lorsqu’on est libanais, Israël, on n’y va pas. » (p. 15).

Lors de son voyage (il va rendre visite à son amie, Rose, à Tel Aviv), il se rend compte qu’avec son passeport libanais, c’est difficile… « […] nous sommes tous en guerre, tous ! » (p. 24). C’est que pour voyager en Israël, il a « mis Beyrouth entre parenthèses » (p. 31), c’est-à-dire sa famille et sa culture libanaises.

Le narrateur (l’auteur donc) est photographe et, au contrôle douanier à l’aéroport Ben Gourion, les Israéliens l’interrogent entre autres sur ses photographies. Le livre contient d’ailleurs une série de photographies en noir et blanc (p. 59-62). L’interrogatoire dure des heures ! « […] il va falloir que je m’habitue à vivre et à dormir dans cet aéroport, on ne saura plus quoi faire de moi, je vais rester ici éternellement. » (p. 96).

Une erreur. Deux fois, il est écrit vielle au lieu de vieille : « la vielle ville de Jérusalem » (p. 120) et « une vielle âme » (p. 121), c’est con…

À part ça, ce roman est très instructif, parfois drôle, parfois tendu… Et j’ai particulièrement aimé lorsque le photographe raconte à la soldate qui le questionne son voyage en Iran, et les relations entre le Liban et Israël vues de façon différente.

Pour le Challenge de l’été (Liban) et Petit Bac 2020 (catégorie Lieu pour Beyrouth).

Une rose et un balai de Michel Simonet

Une rose et un balai de Michel Simonet.

Éditions de la revue Conférence, collection Choses humaines, septembre 2017 (en Suisse), mars 2018 (en France), 168 pages, 20 €, ISBN 978-2-91277-197-1. Ce roman était déjà paru chez Faim de siècle en 2015 ; l’édition chez Conférence a été modifiée par l’auteur et joliment illustrée par Pierre Dupont.

Genres : littérature suisse, roman autobiographique, premier roman.

Michel Simonet naît le 12 février 1961 à Zurich (Suisse). Il grandit à Morat puis à Fribourg. Il étudie le commerce et la théologie. Il travaille comme comptable puis décide, par conviction, de devenir cantonnier en 1986 afin d’être au service et au contact des gens (voir la vidéo ci-dessous).

Une rose et un balai est un témoignage sur le métier de cantonnier que Michel Simonet exerce depuis trente ans ; le récit est plein de sagesse, de philosophie, de bon sens (« Celui qui a inventé le boulot aurait mieux fait de le terminer. », p. 91), de poésie (une ci-dessous) et non dénué d’humour. Ce balayeur hors normes est surnommé « le cantonnier à la rose » car une rose orne sa charrette (il dit son « char »).

L’auteur commence avec un avant-propos qu’il est bon de lire avant de se lancer dans la lecture proprement dite (sans jeu de mot, le propre, mais attention, c’est du propre suisse quand même) et un amusant poème, Itinéraire, clin d’œil à Joachim du Bellay, renommé ici Joachim du balai !

La lecture est agréable, amusante même, instructive parfois. Elle permet de découvrir de l’humain, de la vie, et puis la ville de Fribourg, à la fois « latine et germanique, depuis sa fondation, multiculturelle depuis quelques décennies » (p. 88), une ville conviviale, simple, populaire, ouverte, respectueuse.

Quelques extraits parce que je veux les garder, je veux les relire !

« C’est un travail ingrat, mais d’où la grâce n’est pas absente ; elle y affleure même à tout instant. » (p. 14).

« L’aube est en été la période douce de la journée, la plus agréable en attendant les grandes chaleurs. S’il se met à tomber quelques gouttes, de même que la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, averse de matinée n’arrête pas non plus le cantonnier. » (p. 27).

« […] je n’échangerais pas mes aurores contre des soirées tardives. » (p. 28).

« L’après-midi est aussi le moment « touristes » et l’occasion de donner des renseignements géographiques dans les deux ou trois langues que l’on a laborieusement et imparfaitement apprises au Collège. Si ce sont des Russes, des Japonais ou des Chinois, les mains et le langage de ma rose suffisent ; les appareils photos font le reste. » (p. 44).

Cette phrase m’a fait rire : « […] elle avait rendu au moins un homme heureux, celui qu’elle n’avait pas épousé. » (p. 51, en parlant d’une vieille dame qui donne chaque jour à manger aux pigeons alors que c’est interdit).

Quelles que soient les saisons et la météo : « il fait toujours un temps à mettre un cantonnier dehors. » (p. 74).

Et comme c’est la finale de Coupe du Monde (maintenant à 17 heures), je veux partager avec ceux qui aiment le foot (un sport calamiteux à mon avis, mais vous voyez je suis sympa avec ceux qui aiment le foot malgré les klaxons et les hurlements), je veux partager donc ce poème de Michel Simonet, intitulé Euro-Mundial : « Écran géant en bord de route, / Foule folle de foot. / Match au sommet, / Everest de déchets, / Shoots à la bière / Et gobalais de supparterre. / À boire et des chansons, / Canettes en boxon, / Le kop au diapason, / Et qui donne le las / En veux-tu en voilà. / Scories de fumigènes, / Terrain de jeu et mise en scène, / Ballets du ballon rond. / Du gazon au goudron, / From macadamned ! To grass. / Techniciens de deux surfaces, Footballeur, / Foot-balayeur. / But marqué, / But atteint. / But encaissé, / Char plein. » (p. 81-82). Mais on me souffle dans l’oreillette que les amateurs de foot ne sont pas amateurs de poésie, zut, j’aurais dû m’en douter, je voulais bien faire 😛

« Une utilité sociale indéniable et un rôle humain de service au sens large et ouvert constituent une grande partie du carburant qu’il convient de posséder pour remplir le réservoir de mon véhicule de fonction. Et quelle chance de travailler en Suisse où il y a une culture, je dirais presque un gène de la propreté qui est un baromètre social ! Une valeur qui n’est rien moins que résiduelle et valorise aussi le balayeur. » (p. 105). Quel entrain, quel optimisme, j’adore ! Et ce n’est pas comme ça que les fonctionnaires sont motivés en France, chaque jour les fonctionnaires entendent qu’ils sont trop nombreux et qu’ils sont payés à rien foutre ! Oserait-on dire ça à ce brave cantonnier qui pourtant se balade toute la journée ?

Et un petit dernier, sur la rose : « Ma rose. Fragile, sensible au froid et au chaud, quel pouvoir elle possède pourtant ! À la fois éphémère et signe d’éternité, elle est un symbole universel qui parle à tous, une anti-Tour de Babel, a-confessionnelle et apolitique. » (p. 145).

Quelqu’un peut-il m’aider avec le mot philoxène ? « elle [la ville] ne demande qu’à se laisser partager, si l’on veut bien être philoxène et s’en imprégner » (p. 94). Comme je ne connais pas ce mot, je l’ai cherché mais je n’ai trouvé aucune définition, que des prénoms d’hommes comme Philoxène de Cythère (poète de la Grèce antique, V-IVe siècles avant Jésus-Christ), Philoxène d’Érétrie (peintre de la Grèce antique, IVe siècle avant Jésus-Christ), Philoxène de Mabboug (théologien et évêque de l’Église d’Orient en Irak, milieu du Ve siècle) ou plus récemment Philoxène Boyer (écrivain, poète et conférencier français, 1829-1867). Rien en tant qu’adjectif ou nom commun…

Une charmante lecture que je mets dans le Challenge de l’été, Rentrée littéraire janvier 2018 et Voisins Voisines 2018 (Suisse).

Le petit terroriste d’Omar Youssef Souleimane

Le petit terroriste d’Omar Youssef Souleimane.

Flammarion, janvier 2018, 224 pages, 17 €, ISBN 978-2-0814-1242-2.

Genres : littérature franco-syrienne, roman autobiographique, récit.

Omar Youssef SOULEIMANE naît en 1987 près de Damas en Syrie. Il passe une partie de son enfance à Riyad en Arabie Saoudite où son père travaille. De retour en Syrie, il étudie, devient journaliste et poète (six recueils en arabe d’abord puis, après son exil, en français ou en bilingue pour lesquels il reçoit plusieurs prix) mais, ayant manifesté contre le gouvernement, il fuit en Jordanie et en France où il reçoit l’asile politique. Le petit terroriste est le premier livre qu’il publie hors poésie.

Quatre heures du matin, Omar débarque à Paris, il pense à sa mère. « Voit-elle la même lune que moi ? » (p. 9). Je trouve cette phrase (cette pensée) très belle, émouvante, je sens que ce roman va me plaire. Une association d’aide aux Syriens lui a trouvé une chambre de bonne rue de Paradis. Joli nom de rue, n’est-ce pas ? Il songe aux « […] raisons qui m’ont fait venir à Paris. Comment j’ai imaginé cette ville. Comment je me retrouve là dans une réalité qui n’est pas la mienne. » (p. 10). Il est originaire d’Al-Qutayfah, une petite ville au nord de Damas, mais quand les services secrets sont venus pour l’arrêter (il est journaliste militant), il était à Homs et il a pu fuir en étant grimé en Occidental en pleine Révolution arabe à Damas. « Nous marchons des heures durant. Je n’éprouve aucun sentiment. Mon corps est derrière moi. Je suis un vide qui marche dans le néant. » (p. 19). Il devient un réfugié et transite par la Jordanie où il est considéré comme un terroriste : de réfugié il devient un étranger et demande l’asile à l’ambassade de France. « De la langue française, je ne connais que six mots. ‘Bonjour’, ‘bonsoir’, ‘au revoir’, ‘merci’, ‘pardon’ et ‘liberté’ » [ce dernier mot c’est parce qu’il connaît le poème de Paul Éluard]. Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie. » (p. 35). C’est magnifique, le pouvoir d’un mot, le pouvoir de la poésie, et voilà comment il est arrivé à Paris ! « Paris n’est pas une ville, mais un monde. Je ne sais pas où elle commence et où elle finit. Moi qui ai vécu la grande partie de ma vie dans une ville de cinquante mille habitants, je suis perdu dans un voyage dans le temps. À Paris, chaque rue est une époque. Des bâtiments, espacés de dix mètres, le sont de dix siècles. » (p. 41). Quelle belle vision de Paris ! Le roman autobiographique – ou récit comme indiqué sur la couverture – alterne entre son arrivée, sa nouvelle vie à Paris et ses souvenirs d’enfance en Syrie et en Arabie Saoudite (dont une visite à la Mecque avec son père et son petit frère). Le jeune Omar rêve d’être poète mais les poètes sont considérés à la fois comme faibles et à la fois comme dangereux et ils sont parmi les gens surveillés par la « Commission de l’obligation du bien et de l’interdiction du mal ».

Ce livre a quelque chose de spécial, indépendamment de lui, c’est le premier que j’ai lu dans mon nouvel appartement la dernière semaine d’avril et il m’a énormément plu donc j’y vois un bon signe pour mes prochaines lectures. Je dois dire que dans l’ancien appartement, je n’avais pas réellement trouvé de place idéale (bien installée, bonne lumière) pour lire… (à part le balcon quand il faisait beau et jour) mais, dans le nouvel appartement, plusieurs bonnes places se profilent déjà alors qu’il y a encore un bordel monstre. Mais c’est du livre dont je veux vous parler ici !

Il a été écrit directement en français et il est agrémenté de jolis poèmes en bilingue (français et arabe). Pourquoi le petit terroriste ? Parce qu’Omar a été éduqué (pendant 4 ans) à Riyad en Arabie Saoudite dans la pure tradition salafiste du djihadisme. « Ma famille m’a toujours appelé le petit Omar […] j’ai décidé d’en changer : je m’appellerais désormais le petit terroriste, en signe de ma découverte de la vraie religion, dans ce monde du Mal. » (p. 124). Mais Omar a lu de la poésie (dont Liberté de Paul Éluard que vous retrouverez ci-dessous) et il a commencé à se poser des questions, à s’interroger, il a voulu lire sans préjugés, il a voulu comprendre, réfléchir par lui-même, je pense que ce n’est pas unique mais c’est quand même rare avec une éducation aussi rigoriste alors bravo Omar, tout mon respect !

L’auteur défend l’idée de pouvoir critiquer la religion, toutes les religions, mais la pensée idéologique n’est pas la même partout et c’est souvent impossible (dangereux) dans certains pays et censuré dans d’autres… « Le Prophète a dit : ‘Celui d’entre vous qui voit un mal qu’il le change par sa main. S’il ne peut pas alors par sa langue et s’il ne peut pas alors avec son cœur et ceci est le niveau le plus faible de la foi. » (p. 132-133). Bon, les mentalités ont changé au fil des siècles mais globalement, le fonctionnement est vraiment différent en Occident (non seulement avec le christianisme mais aussi avec toute la philosophie) et en Asie (avec le taoïsme, le bouddhisme, etc.) : le cœur d’abord (amour, bienveillance, tolérance, etc.), la langue ensuite (dialogue, communication, philosophie, etc.) et malheureusement la main, ça peut arriver aussi, mais combien de violences et de guerres auraient été évitées avec le cœur et la parole ? Quant au terme de terroriste, pourquoi polémiquer ? Puisque les musulmans sont appelés à lutter et à terroriser l’ennemi d’Allah donc la dénomination de terroristes ne les gêne pas, au contraire ! (p. 129) et leur mot d’ordre est de combattre (p. 187-188). Je tire mon chapeau à Omar Youssef Souleimane qui explique avec pudeur et sincérité ces choses déplaisantes qu’à part les spécialistes aguerris personne n’a envie d’entendre… Mais il est d’autres choses dont il parle, avec tout autant de sincérité, et un peu d’humour, ce sont ses premiers désirs, ses premiers plaisirs, ses premiers émois amoureux et sexuels et il se demande « Pourquoi les délices occupent-ils une place si importante ? » (p. 190) alors que c’est l’enfer qui l’attend ! Mais refusant d’être terrorisé par cet hypothétique enfer et libéré des contraintes qui lui ont été inculquées, il comprend qu’il est un hérétique, un infidèle, un apostat. Lire son parcours, sa pensée, c’est, à mon avis, se libérer de certaines craintes, c’est se libérer et s’ouvrir aux autres, ouvrir son cœur, son âme, et franchement quel enfer est pavé de liberté, d’ouverture d’esprit, de cœur aimant et de belles âmes ?

Un très beau roman/récit, bouleversant, profondément intime, parfois drôle, qui m’a beaucoup émue et que je voudrais que tout le monde lise ! Oui, oui, lisez-le, tous ! Bref, un coup de cœur (peut-être le premier depuis le début de l’année). À ceux qui auront la chance d’être à Saint Malo au Festival internationsl Étonnants Voyageurs du 19 au 21 mai, vous pourrez rencontrer Omar Youssef Souleimane et vous faire dédicacer son livre !

Une magnifique lecture que je mets dans les challenges Lire sous la contrainte #38 (son « è »), Petit Bac 2018 (pour la catégorie « gros mot » avec terroriste), Raconte-moi l’Asie #3 (Syrie et Arabie Saoudite) et Rentrée littéraire janvier 2018.

Illustration de Fernand Léger (1881-1955)

Liberté de Paul Éluard (1895-1952)
Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres / Sur le sable sur la neige / J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues / Sur toutes les pages blanches / Pierre sang papier ou cendre / J’écris ton nom
Sur les images dorées / Sur les armes des guerriers / Sur la couronne des rois / J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert / Sur les nids sur les genêts / Sur l’écho de mon enfance / J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits / Sur le pain blanc des journées / Sur les saisons fiancées / J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur / Sur l’étang soleil moisi / Sur le lac lune vivante / J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon / Sur les ailes des oiseaux / Et sur le moulin des ombres / J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore / Sur la mer sur les bateaux / Sur la montagne démente / J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages / Sur les sueurs de l’orage / Sur la pluie épaisse et fade / J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes / Sur les cloches des couleurs / Sur la vérité physique / J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés / Sur les routes déployées / Sur les places qui débordent / J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume / Sur la lampe qui s’éteint / Sur mes maisons réunies / J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux / Du miroir et de ma chambre / Sur mon lit coquille vide / J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre / Sur ses oreilles dressées / Sur sa patte maladroite / J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte / Sur les objets familiers / Sur le flot du feu béni / J’écris ton nom
Sur toute chair accordée / Sur le front de mes amis / Sur chaque main qui se tend / J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises / Sur les lèvres attentives / Bien au-dessus du silence / J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits / Sur mes phares écroulés / Sur les murs de mon ennui / J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir / Sur la solitude nue / Sur les marches de la mort / J’écris ton nom
Sur la santé revenue / Sur le risque disparu / Sur l’espoir sans souvenir / J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer
Liberté.
In Poésie et vérité (1942, recueil clandestin)
In Au rendez-vous allemand (1945, Éditions de Minuit)

Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Lahrer

Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Lahrer.

Quidam, août 2017, 268 pages, 20 €, ISBN 978-2-37491-063-5.

Genre : roman autobiographique.

Erwan Lahrer… Peu d’infos sur lui… Il naît dans le centre de la France (Clermont-Ferrand ?) il y a un peu plus de trente ans. Plus d’infos sur http://www.erwanlarher.com/ et sur sa page FB. Du même auteur : Qu’avez-vous fait de moi ? (Michalon, 2010), Autogenèse (Michalon, 2012), L’abandon du mâle en milieu hostile (Plon, 2013), Entre toutes les femmes (Plon, 2015), Marguerite n’aime pas ses fesses (Quidam, 2016).

Une note de lecture un peu différente pour ce roman atypique.

Un romancier, ça invente « des histoires, des intrigues, des personnages » mais l’auteur était « au mauvais endroit au mauvais moment » (4e de couverture). Je sais que je ne suis pas la seule si, en relation avec le titre, je dis « le livre que je ne voulais pas lire » mais… Une collègue a adoré le roman et me l’a chaudement recommandé et, malgré la petite réticence par rapport au thème (et aussi l’aversion pour cette couverture horrible…), j’ai eu très envie de le lire et j’ai accroché dès le début. En fait, j’avais déjà entendu parler de cet auteur mais je ne l’avais jamais lu, c’est donc mon premier Erwan Lahrer !

Ce roman parle de la soirée concert au Bataclan mais il y a une véritable bande-son dans ce roman ; du rock, du punk. « Tu écoutes du rock, bande-son de ton esprit tourmenté. Tu es cette musique entièrement, elle te constitue, ce que les adultes et la plupart de tes condisciples ne comprennent pas, eux pour qui la musique n’est qu’une distraction, un arrière-plan, un agrément sonore, décoratif. » (p. 14). « Quand arrivent la fusion et le grunge, tu es prêt. » (p. 15). J’ai été élevée dans la culture rock (mais pas que, chanson et classique aussi) et je me suis plus ou moins reconnue car j’écoute du rock depuis toujours, du punk aussi (plutôt à l’adolescence), j’aime la fusion, la musique grunge, et même le métal. Je me sens donc bien dans cette lecture, à ma place même si je n’aurais pas aimé y être !

L’auteur utilise le « tu » en parlant de lui, c’est surprenant et ça interpelle le lecteur. « Tu n’es ni sociologue, ni philosophe, ni penseur ; victime ne te confère aucune légitimité à donner ton avis branlant et ajouré à la télévision ou dans un hebdomadaire. Toutes les paroles ne se valent pas. » (p. 33). Je pense au contraire qu’un écrivain peut tout écrire : la légitimité, c’est d’abord l’éditeur qui la lui donne en publiant son livre, c’est ensuite le libraire en présentant le livre dans ses rayons et c’est enfin le lecteur qui va acheter, offrir, lire voire partager sa lecture. La légitimité est tout simplement dans l’écriture.

De plus, pressé par ses amis, l’auteur se met à écrire mais il ne veut pas délivrer un simple témoignage ou un roman, il veut faire un réel « objet littéraire » ; est-ce pour cela qu’il donne la parole aux terroristes ? Il leur a inventé des prénoms (Iblis, Éfrit, Saala, Shaitan), des vies, c’est un peu spécial mais je comprends : ces gens-là ont eu une enfance, une adolescence, ils ont même peut-être écouté de la musique, avant… D’ailleurs il n’est pas tendre avec eux mais il ne leur en veut pas, ils ont été embrigadés, trompés, abusés. « Rafales, la guerre, les HURLEMENTS, mon incrédulité, mon saisissement, BAM ! BAM ! Je ne vois rien, je n’ose tourner la tête, j’entends BAM ! BAM ! Bouge pas ! BAM ! BAM ! Ta gueule ! BAM ! BAM ! » (p. 67). Carnage… « Tu penses : survivre. Tu dois faire le mort. Inerte. Caillou. Survivre. Tu penses : vivant. Tu penses : chance. Tu penses : pas paralysé. […] Faire le mort. Inerte comme un caillou. Pour survivre. Comme Sigolène. Je suis un caillou. Je suis Sigolène. Je suis un caillou. » (p. 80). Leitmotiv, mantra, volonté de survivre au milieu de tous ces corps. Je vous renvoie moi aussi vers Le caillou de Sigolène Vinson même si je n’ai pas apprécié ce roman… « La peur. L’impuissance. Couché la gueule dans le sang qui poisse vraiment, qui sent vraiment ; et la douleur… » (p. 99).

« Mon pote est allé passé quatre heures en enfer, et il en est revenu. Certains de ses mots m’accrochent, me paralysent, me terrifient, me glacent. » (p. 156). « Je lui dis qu’il va falloir qu’il écrive ce qui vient de se passer, pas forcément pour être publié, mais parce qu’il faut que ça sorte, pour trouver un exutoire, exorciser les bruits, l’odeur, les cris, créer du mouvement dans le récit de ces quatre heures d’immobilité et de silence absolus à taire sa souffrance et à faire le mort. (p. 157). L’auteur ne se considère pas comme un héros, il ne s’attarde même pas sur cette actualité terroriste, il raconte tout simplement à la fois pudiquement et à la fois avec une certaine impudeur (vous comprendrez en lisant le livre), et même avec humour : alors qu’il écrivait Marguerite n’aime pas ses fesses, il est blessé à la fesse, quelle ironie du sort et imaginez comme ses amis l’ont chambré après coup ! Hôpital, rééducation, convalescence, inquiétudes (toute personnelle ! Et où sont ses santiags ?).

En général, je ne suis pas friande des romans autobiographiques mais celui-ci est vraiment différent, au-dessus du lot, il est littéraire, profond, prenant, passionnant ! Et il aide peut-être aussi un peu à comprendre. Mon passage préféré : « Lire et écrire, les deux pôles de ton existence. Tu peux vivre seul. Tu préfères, même. Mais pas sans livres. Pas sans littérature. Pas sans style. » (p. 161). Un état d’esprit qui me convient aussi.

Le petit point faible : la couverture est très moche ! En plus, elles ne sont même pas bleues, ses santiags ! Voilà, j’espère que vous ne serez pas rebutés par cette (affreuse) couverture car le roman est vraiment un ovni littéraire qu’il faut lire et le style de l’auteur est à découvrir aussi. Ainsi je sais que je lirai d’autres romans de lui.

Deux extraits supplémentaires

« C’est quelque chose, la noblesse de l’humain, la solidarité, la fraternité, quand on les autorise à éclore. » (p. 194).

« La littérature n’arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter le pari. » (p. 237).

Une lecture – indispensable – que je mets dans le challenge 1 % rentrée littéraire 2017.

Marx et la poupée de Maryam Madjidi

Marx et la poupée de Maryam Madjidi.

Le Nouvel Attila, collection Incipit, janvier 2017, 208 pages, 18 €, ISBN 978-2-37100-043-8.

Genres : premier roman, littérature franco-iranienne.

Maryam Madjidi, née en 1980 à Téhéran, quitte l’Iran en 1986 et s’installe à Paris avec ses parents. Elle étudie les Lettres à la Sorbonne et son mémoire de maîtrise en littérature comparée porte sur deux auteurs iraniens, Omar Khayyâm (poète) et Sadegh Hedayat (romancier). Elle est professeur de français ; Marx et la poupée est son premier roman, largement autobiographique.

1980, université de Téhéran. La jeune femme de 20 ans est enceinte de 7 mois mais elle doit fuir car dans l’université, il y a des hommes avec des bâtons cloutés qui frappent les étudiants. Ils insultent aussi, ils violent, ils tuent… Ils hurlent, ils déchirent les livres… Comme elle ne trouve pas la sortie, la jeune femme saute du deuxième étage. « Elle saute et je tombe. » (p. 14). « Je témoignerai de ce que mes yeux ont vu. […] Ce bébé témoignera aussi à son tour, je le sais. » (p. 16). « Je voudrais passer ma vie à récolter des histoires. De belles histoires. Dans un sac, je les mettrais et je les emporterais avec moi. » (p. 27).

C’est ce qu’a fait l’auteur, elle a emporté les histoires et elle nous les raconte. Elles ne sont pas toutes belles, mais beaucoup le sont quand même. Ses propres histoires, bien sûr, mais aussi celles de ses parents, de sa grand-mère bien-aimée, de son pays.

Pour ceux qui ont déjà lu de la littérature iranienne contemporaine (témoignages ou romans), on retrouve des mots connus comme l’horrible prison d’Evin ou le cimetière de Khâvarân. Car « Ce pays massacre ses meilleurs enfants. » (p. 39) et « Sous la torture, qu’est-ce que tu ferais, toi ? » (p. 41). Les rumeurs vont bon train, la peur s’installe, il faut partir. Vite, on enterre dans le jardin les jouets de la petite (5 ans) et les livres des parents (d’où le titre de ce roman témoignage). « Marx, Engels, Lénine, Makarenko, Che Guevara et tous les autres, le père les recouvre de terre humide. » (p. 43). Vous l’avez compris, les parents sont communistes et, s’ils étaient déjà surveillés sous le régime du Shah, le nouveau régime autoritaire n’est pas plus clément avec eux.

1986. Maryam et sa mère rejoignent le père de famille qui est à Paris depuis sept mois. Maryam a grandi en France, elle a appris la langue française, elle a suivi l’école de la République, elle a oublié en partie son pays et sa langue, elle a voyagé et vécu à Beijing en Chine, à Kerala en Inde et à Istanbul en Turquie.

« Je ne peux plus raconter mes histoires persanes. J’ai des hallucinations à la place. – Tu vas désormais les raconter autrement. » (p 84). Le récit est rempli de souvenirs, de séductions, de poésie, de nostalgie, d’histoires, il y a même une part de folie sur ce « Royaume de l’Exil » (p. 117).

Ma phrase préférée de ce très beau roman-témoignage : « Tes blessures, tes écorchures, tes cicatrices, c’est le symbole de l’Iran meurtri et abîmé. » (p. 190). J’avais 13 ans quand les journaux d’informations ont montré les images de la révolution iranienne, en 1979, et j’étais encore insouciante mais je sentais bien que les adultes autour de moi n’étaient pas rassurés. Depuis, j’ai découvert ce pays à travers des témoignages, son histoire, sa littérature, son cinéma, sa musique et je le trouve fascinant. Maryam Madjidi rend bien cette fascination, le côté attractif du pays, toute cette poésie, cette sensualité, cette histoire (l’empire perse est né au Xe siècle avant Jésus-Christ) et le côté cruel et déchirant avec les violences du XXe siècle et même ce début de XXe siècle.

Un roman émouvant, en partie autobiographique, mi-réaliste mi-conte poétique qui a reçu le Prix Goncourt du Premier roman en mai et le Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs en juin, des prix bien mérités !

Une lecture dans le cadre des 68 premières fois 2017 que je mets dans les challenges Défi Premier roman 2017, Rentrée littéraire janvier 2017 et Raconte-moi l’Asie.