Tant de chiens de Boris Quercia

Tant de chiens de Boris Quercia.

Asphalte, novembre 2015, 208 pages, 21 €, ISBN 978-2-918767-55-8. Perro muerto (2017) est traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi.

Genres : littérature chilienne, roman policier.

Boris Quercia naît le né 31 août 1967 à Santiago au Chili. Il étudie le théâtre à la prestigieuse Université du Chili et fonde le Teatro Provisorio. Il est comédien, réalisateur, scénariste, producteur et… romancier. Il est surtout connu pour la série policière Santiago Quiñones (3 tomes entre 2014 et 2016). Tant de chiens, le 2e tome, reçoit le Grand prix de littérature policière 2016.

Une maison de San Luis à Quilicura (aire urbaine de Santiago). Santiago Quiñones et Heraldo Jiménez se font tirer dessus aux pistolets mitrailleurs par des narcos. Jiménez est blessé, au moins deux fois, et Quiñones ne peut pas faire grand-chose d’autant plus que « les types du gang lâchent les chiens. Des rottweilers, des diables noirs qui bavent et grognent férocement. » (p. 7-8).

Quiñones est à l’enterrement de son collègue ; il ne veut pas rentrer chez lui, ça ne va plus avec Marina… Il se rend à Nouvelle Lumière parce que Jiménez en était membre et y rencontre Yesenia Casales, qu’il a connue lorsqu’elle était enfant. Sait-elle qu’il est devenu policier ? Elle lui dit « J’ai besoin de tuer quelqu’un. » (p. 18) et elle lui explique pourquoi (effectivement, je comprends…). « Tuer n’est pas facile, même si on est prêt à le faire, ni gratuit, même si on le croit. La douche du matin ne sera jamais suffisante pour nous sortir de la tête les fantômes qui ont grandi pendant la nuit dans nos cauchemars. Mais il y a des gens qui méritent la mort et il faut bien que quelqu’un s’en occupe, même si personne ne veut. » (p. 26).

Mais Quiñones n’a pas pu tuer l’homme, au contraire c’est lui qui a été blessé… « Si tu es un chien de narco, tu es là pour sauter au cou du premier flic qui entrouvre la porte ; si tu es un chien de flic, tu es à l’aéroport pour trouver de la came. Personne n’en a rien à foutre, un jour tu respires, le lendemain tu crèves. Remuer la queue ou utiliser un téléphone portable, ce n’est pas très différent. Je me sens comme un chien blessé qui lèche ses plaies. […] Quelle connerie, d’être un homme et de vivre comme un chien ! » (p. 48).

Les chapitres sont courts et ce polar est un vrai page turner. C’est que Quiñones est dans un sacré merdier et qu’il est surveillé par des agents pas commodes des Affaires internes de Valparaíso d’où venait Jiménez. Participait-il à un trafic de drogues comme ils le disent ou enquêtait-il contre un commissaire véreux et pédophile ?

Pas joyeuse, la vie en Amérique latine… Je dis ça parce que, pour le Mois du polar et le Mois Amérique latine, je viens de lire Électre à La Havane de Leonardo Padura qui était plus violent et plus sombre. Tant de chiens est peut-être plus philosophique mais tout aussi sordide. L’auteur montre que ceux qui ne peuvent pas se défendre (les pauvres, les enfants, etc.) sont bousillés dans leur âme ou dans leur chair et que ceux qui ont le pouvoir s’en sortent (presque) toujours.

L’auteur parle plusieurs fois des Mapuches, « Peuple de la Terre », peuple autochtone du Chili (et d’Argentine aussi) devenu minorité ethnique (4 % de la population selon le recensement officiel de 2022, source Wikipédia), de leurs conditions de vie et de leur niveau d’étude inférieurs aux Chiliens modernes. C’est pourquoi je mets aussi cette lecture dans Lire (sur) les minorités ethniques.

Quant à Santiago Quiñones, c’est un homme malmené par la vie (père parti lorsqu’il était enfant, alcool, drogues, problèmes de couple) et donc un peu paumé mais je l’ai trouvé attachant et intègre dans son travail de policier. Avec un brin d’humour (je pense que vous avez remarqué le jeu de mots dans le titre) et un minimum d’espoir (un gentil chien, un beau lever de soleil…), l’auteur délivre des événements affreux tout en captivant ses lecteurs. Et la traduction de ce roman noir est, à mon avis, une réussite.

Mon passage préféré. « Il faudrait une bonne pluie qui puisse nettoyer toute cette merde, me dit le marchand de journaux en me donnant un paquet de cigarettes, je lui dis oui pendant que je l’ouvre et j’allume une clope. Il ne sait pas qu’aucune pluie ne pourra jamais nettoyer toute cette merde, même s’il pleuvait comme pendant le Déluge. » (p. 157).

Une faute, page 134, « On la stabilisée » au lieu de On l’a stabilisée.

Encore une belle découverte pour moi qui découvre cet auteur et j’espère pouvoir lire le 1er tome de la série, Les rues de Santiago (Asphalte, 2015) et le 3e tome, La légende de Santiago (Asphalte, 2018).

Cette lecture entre aussi dans ABC illimité (lettre Q pour nom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case 14, le nom d’un animal dans le titre), Challenge lecture 2023 (catégorie 21, un livre d’un auteur qu’on n’a jamais lu, 3e billet), Petit Bac 2023 (catégorie Animal pour Chiens), Polar et thriller 2022-2023, Tour du monde en 80 livres (Chili) et Un genre par mois (que de drames pour ce challenge en février !).

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Animal de Sandrine Collette

Animal de Sandrine Collette.

Denoël, collection Sueurs froides, mars 2019, 288 pages, 19 €, ISBN 978-2-20714-974-4.

Genres : littérature française, roman noir, thriller.

Sandrine Collette naît en 1970 à Paris. Elle étudie la littérature, la philosophie (master) puis la science politique (doctorat) et devient professeur universitaire et consultante. Elle s’installe dans le Morvan avec des chevaux et écrit son premier roman, Des nœuds d’acier, publié en 2013 par Denoël qui relance la collection Sueurs froides (1972-1998). Viennent ensuite chez Denoël, Un vent de cendres (2014), Six fourmis blanches (2015), Il reste la poussière (2016), Les larmes noires sur la terre (2017), Juste après la vague (2018), Animal (2019) puis chez JC Lattès, Et toujours les forêts (2020), Ces orages-là (2021) et On était des loups (2022) soit un roman par an (et plusieurs prix littéraires). Plus d’infos sur sa page Facebook.

Mara, la trentaine (« elle aurait été incapable de donner son année de naissance » p. 10), est veuve et survit seule « Mais manger était devenu compliqué. » (p. 13). La nuit elle sort vérifier ses pièges pour avoir à manger mais elle doit faire très attention car les tigres de plus en plus nombreux – ils sont protégés et se reproduisent – font de même. Une nuit donc, en allant vérifier ses pièges, Mara voit un petit garçon attaché à un arbre, elle le libère et l’emmène dans sa cabane. La nuit suivante, c’est une fillette et elle fait de même. Mais elle sait qu’elle n’aurait pas dû… « Deux enfants sauvages. » (p. 15) de 4 ou 5 ans et elle sait qu’elle ne doit pas rester là avec eux qu’elle a appelé Nun et Nin. De mon côté, je ne sais pas si ce sont des enfants abandonnés par leurs parents qui avaient trop de bouches à nourrir ou si ces enfants sont des sacrifices faits aux tigres pour qu’ils ne s’approchent pas du village mais je verrai bien car cette introduction me plaît beaucoup !

Mara quitte donc la cabane avec les deux enfants mais, lorsqu’ils arrivent en ville, ils voient que c’est un bidonville aux « constructions précaires » (p. 17) et aux odeurs atroces, « la merde et l’humidité mélangées » (p. 17)… Ils s’installent dans une maison inoccupée, « C’était petit, sale et sombre. Mais dans ces neuf mètres carrés on logeait en général six à huit personnes, alors elle s’était tue. » (p. 18). Eh bien, je connais des personnes qui ont été enchantées de leur voyage au Népal mais, apparemment, elles n’ont pas vu ça… la misère, la violence… ou alors elles ne sont pas allées à Pokhara !

Vingt ans plus tard, un groupe d’Européens est dans le Kamtchatka pour une chasse à l’ours. Lior, une Française, son mari, Hadrien, un couple d’amis, comme eux sportifs et chasseurs, Annabelle et Gauvain, ainsi qu’Oscar un Suédois, Jonas et Vlad le vieux guide. C’est de Lior qu’on va parler, « […] la chasse, elle l’avait dans le sang depuis toujours » (p. 36), « quand elle chassait, elle était vivante » (p. 37). Je me dis, à ce moment de la lecture, que Lior, c’est Nin, je verrai si j’ai raison mais c’est logique et je sais que Lior ne va pas me plaire. Quant à Hadrien, « il n’aimait pas la chasse, et il n’aimait pas les chasseurs » (p. 38) et même s’il pense souvent à la folie, à la sauvagerie de son épouse, il est fasciné par Lior depuis leur rencontre cinq ans auparavant et il lui suffit que Lior l’aime pour qu’il la suive.

Je déplore fortement cette idée que se racontent les chasseurs sur leurs proies, « tous, ils ont leur chance » (p. 46), non, devant leurs fusils, les animaux n’ont aucune chance et ils se mentent à eux-mêmes, ils mentent aux autres et ils le savent très bien ! D’ailleurs, plus loin, « Ils parlent du maintien des effectifs, de l’équilibre des espèces. Vivent dans un monde de mensonges qu’ils se servent à eux-mêmes : ils sont là pour le sang et rien d’autre, pour ce geste que nulle part ils n’ont plus le droit de commettre entre eux, et dont ils rêvent tout éveillés – armer, viser, tuer. » (p. 56), voilà des mots sensés mais mon passage préféré est « et si l’ours était réellement plus intelligent qu’eux ? » (p. 76).

La chasse ne se déroulera pas comme prévu… et c’est ce qui fait tout le sel de ce roman inquiétant et violent ! J’ai aimé que les chapitres alternent entre Hadrien et l’ours, être dans la tête d’Hadrien qui poursuit Lior et être dans la tête de l’ours poursuivi par Lior. « Comment se débarrasser du petit être qui ne se laisse pas perdre. » (p. 137). Animal est un roman mi-humain mi-animal, un roman intense, dense et passionnant. Après avoir apprécié On était des loups (2022), je suis ravie de découvrir un autre roman de Sandrine Collette et je peux vous dire qu’il y aura d’autres titres !

Pour ABC illimité (lettre S pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 8, un livre qui se passe à la montagne), Challenge lecture 2023 (catégorie 4, un roman dont le titre est un seul mot), Petit Bac 2023 (catégorie Animal avec… Animal), Polar et thriller 2022-2023 (pas vraiment d’enquête mais un roman noir et thriller) et Un genre par mois (en février, du rire aux larmes, drame).

Challenge Les dames en noir 2023

Ah, super, Zofia a lancé le challenge Les dames en noir 2023 et il court du 10 janvier 2023 au 9 janvier 2024.

Infos, logo (il n’a pas changé) et inscription chez Zofia + le forum de Livraddict pour ceux qui sont inscrits sur cette plateforme.

L’objectif est toujours de lire de la littérature policière classique et contemporaine (thrillers, polars, romans noirs, etc. en romans, bandes dessinées, etc.) écrite par des femmes (même celles qui écrivent avec un pseudonyme masculin et même les romans écrits en couple).

Les niveaux
1. Karen Maitland : de 1 à 6 livres (mon choix)
2. Gillian Flynn : de 7 à 12 livres
3. Karine Giebel : de 13 à 18 livres
4. Fred Vargas : de 19 à 24 livres
5. Agatha Christie : plus de 25 livres

Les défis : trimestriels, facultatifs, voir sur Livraddict (lien ci-dessus).

Mes lectures pour ce challenge

1. Adabana 1 de Non (Kana, 2022, Japon)

2.

3.

4.

5.

6.

+ ?

On était des loups de Sandrine Collette

On était des loups de Sandrine Collette.

JC Lattès, collection Sueurs froides, août 2022, 208 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-70967-066-1.

Genres : littérature française, roman noir, nature writing.

Sandrine Collette naît en 1970 à Paris. Elle étudie la littérature, la philosophie (master) puis la science politique (doctorat) et devient professeur universitaire et consultante. Elle s’installe dans le Morvan avec des chevaux et écrit son premier roman, Des nœuds d’acier, publié en 2013 par Denoël qui relance la collection Sueurs froides (1972-1998). Viennent ensuite chez Denoël, Un vent de cendres (2014), Six fourmis blanches (2015), Il reste la poussière (2016), Les larmes noires sur la terre (2017), Juste après la vague (2018), Animal (2019) puis chez JC Lattès, Et toujours les forêts (2020), Ces orages-là (2021) et On était des loups (2022) soit un roman par an (plusieurs prix littéraires) et tant de retard pour moi (que je vais assurément rattrapé !). Plus d’infos sur sa page Facebook.

« C’est la nuit, je regarde l’enfant qui dort. Un tout petit enfant, il ne sait rien du monde, il ne sait rien faire. Un enfant ce n’est pas fait pour la vie, cette vie-là je veux dire qui est immense et brutale devant lui devant nous. » (début du roman, p. 11).

Liam, 37 ans, chasse et vend des peaux ; il a choisi cette vie à l’âge de 20 ans. En ville, il a rencontré Ava, une étudiante qui l’a suivi. Ava et Liam s’aiment mais ils vivent dans la montagne, au milieu de nulle part, à plusieurs heures de la civilisation. Pourtant ils ont un fils, Aru, bientôt 6 ans.

Un soir Liam rentre après avoir repoussé un loup de leur maison et il découvre Ava tuée par un ours, leur fils est en vie, sa mère l’a protégé en le recouvrant de son corps. « Elle était sur le ventre recroquevillée sur elle-même je ne la voyais pas vraiment, mais ce que j’ai vu c’est le sang puis les griffures qui avaient déchiré son corps et ça a été un éclair dans ma tête. C’était un ours bon sang un ours était venu pendant mon absence pendant que le loup m’éloignait. J’ai crié encore de rage et de douleur et puis je me suis relevé, j’ai regardé autour de moi, j’ai gueulé son nom j’ai hurlé à m’en crever la poitrine Aru Aru. » (p. 40).

Liam ne peut pas garder Aru avec la vie frustre qu’il mène… Du moins, c’est ce qu’il pense. Ils prennent les chevaux, Dark et Ball, pour aller en ville chez oncle Tan et tante Jo qui l’ont vu bébé mais oncle Tan refuse de prendre Aru. Alors Liam et Aru repartent… « Moi j’aimais Ava et je ne veux pas que le môme prenne sa place – comme s’il avait fait exprès. Dans ma poitrine ce n’est pas un jeu de chaises musicales et le vide qui y est n’a pas besoin d’être rempli, juste c’est du vide et je regarde le gosse et la tête me tourne. » (p. 71).

Liam a plein de choses qui se télescopent dans sa tête, il est un peu perdu, il parle – pense très vite… et le lecteur est en plein dans ses pensées, dans ses réflexions, c’est super bien fait. « […] le drame, ça peut ressembler à quelque chose de très simple. » (p. 124) mais « On va essayer c’est tout. » (p. 127).

Mon passage préféré, c’est un souvenir d’enfance, lorsqu’un des frères de Liam s’est enfoncé un hameçon de pêche dans le doigt et que leur père (un homme violent) l’a puni et attaché dehors, enfin ce n’est pas ce moment affreux que j’aime, c’est la réflexion de Liam des années après. « Dans la nuit j’ai entendu rentrer mon frère. Il s’était bien charcuté pour enlever le crochet. Je crois qu’il ne s’est plus jamais blessé à la pêche et c’est devenu le meilleur d’entre nous. Seulement à part faire des souvenirs pas trop agréables et une cicatrice qui n’a jamais disparu, est-ce que ça valait le coup franchement, parce que si ça se trouve c’était de toute façon le plus doué et la punition du père n’y est pour rien. Ça ne me viendrait pas à l’esprit d’agir avec Aru de cette façon. Je m’impatiente et je m’énerve et pourtant je ne vais pas lever la main sur lui ça me paraît insensé, comme quoi on ne reproduit pas toujours ce qu’on a vécu. Ce n’est qu’un môme, il aura bientôt six ans et à cet âge-là on n’est pas prêt pour être un adulte. S’il perd du temps à regarder un papillon quand je l’envoie chercher de l’eau c’est qu’il est capable de poésie, cette poésie il la perdra bien assez vite tout seul, la vie s’en chargera et ce n’est pas la peine de l’engueuler. » (p. 138-139).

On était des loups est un roman noir, thriller, à la fois beau et terrible. Je ne sais pas si c’est la marque de fabrique de Sandrine Collette, c’est le premier roman d’elle que je lis, pourtant j’en ai beaucoup entendu parler et je l’ai même rencontrée en 2017 aux Quais du polar à Lyon. Il était donc temps que je lise un de ses romans ! Et je peux vous dire que j’ai été impressionnée, c’est coup de cœur. L’écriture, le style, le rythme, les personnages, l’histoire, la relation entre le père et le fils, la nature, tout m’a plu dans ce roman percutant et bouleversant. L’instinct maternel ou paternel n’est pas toujours inné… et comme le lecteur ne sait pas où il se situe dans le temps et dans l’espace, il est perdu et manque de repères (comme Liam ?) ce qui donne une sacrée immersion, bravo à Sandrine Collette ! Je lirai d’autres titres de cette autrice, je lis d’ailleurs en ce moment-même Animal et j’ai aussi emprunté Des nœuds d’acier, pour l’instant 😉

Ils l’ont lu et l’ont tous apprécié : Alex Mot-à-mots, Alice de Ça sent le bookAude bouquine, Aurélie sur Aire(s) libre(s), Cannetille, CaroBookine, Céline de La parenthèse de Céline, Charlotte Parlotte, Ge de Collectif Polar, Joëlle, Kitty la Mouette, Krol Franca, Lilia Tak-Tak de La madeleine de livres, Lord Arsenik, Luciole, Mimi Pinson, Nathalie V., Pierre F. de Black Novel, Ray de Sang d’Encre Polars, Shangols (qui est plus critique), Yan de Encore du noir, Yvan de Brussel’s Boy, Yvan de Gruznamur, d’autres ?

Pour ABC illimité (lettre C pour nom), Les Dames en noir, Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Loups), Polar et thriller 2022-2023, Un genre par mois (en décembre, c’est histoire d’amour, il y a l’histoire d’amour entre Liam et Ava, et l’histoire d’amour entre un père et son fils).

Jours de combat de Paco Ignacio Taibo II

Jours de combat de Paco Ignacio Taibo II.

Rivages, collection Noir, mai 2000, 288 pages, 8,65 €, ISBN 978-2-7436-0626-8. Días de combate (1976) est traduit de l’espagnol (Mexique) par Marianne Millon.

Genres : littérature mexicaine, roman policier.

Paco Ignacio Taibo II naît le 11 janvier 1949 Gijón en Espagne mais sa famille (fuyant la dictature franquiste) émigre au Mexique (lorsqu’il a 9 ans). Il a les deux nationalités (espagnole et mexicaine) et il est considéré comme un écrivain mexicain. Il est journaliste, professeur universitaire d’histoire, écrivain et militant politique (socialiste). Il écrit un premier livre en 1967 mais Jours de combat (Días de combate) qui paraît en 1976 est son premier roman noir et le premier tome de la série du détective privé Héctor Belascoarán Shayne (10 tomes entre 1976 et 2005, regroupés dans Todo Belascoarán (2010). Une autre série policière avec José Daniel Fierro contient 2 tomes (1987 et 1993), plusieurs autres romans (historiques ou autres), nouvelles, biographies, bandes dessinées… Pourquoi Paco Ignacio Taibo II ? Parce que son père, Paco Ignacio Taibo I, est également écrivain mais aussi dramaturge, journaliste, gastronome et il a travaillé pour la télévision mexicaine jusqu’en 1968 (il est mort en 2008 à Mexico).

Une fois n’est pas coutume, je mets le résumé de l’éditeur. « Un beau jour, Héctor Belascoarán Shayne quitte son épouse et son emploi, loue un bureau qu’il partage avec un plombier et s’établit détective privé. Il se sent investi d’une mission : retrouver le ‘Cervo’, l’étrangleur qui assassine des femmes de conditions et d’âges variés dans les rues de Mexico. Héctor, qui se situe, selon ses propres termes, ‘dans la lignée des détectives inductifs, presque métaphysiques, à caractère impressionniste’, poursuit sa quête par des chemins détournés : il participe à un jeu télévisé sur les ‘grands étrangleurs de l’histoire du crime’, embauche une assistante diplômée en philosophie et… rencontre la fille à la queue de cheval. »

J’ai découvert quelques infos sur Héctor. Il a 31 ans. Il était ingénieur à la General Electric. Il est borgne. Son colocataire de bureau, le plombier, est Gilberto Gómez Letras. Il est Mexicain (Héctor) d’origine basque (Belascoarán, son père était un capitaine de marine basque) et irlandaise (Shayne, sa mère était une chanteuse de folk irlandaise). Il ressemble aux personnages de « Hammett pour le côté politique et de Chandler pour le côté moral, mais il fait aussi référence à Simenon pour les aspects du quotidien. » (Jean Tulard, Dictionnaire du roman policier, 1841-2005 p. 682). Il lit Les Aventuriers de Malraux (p. 15 de Jours de combat). Il a un jeune frère, Carlos Brian et une sœur Elisa.

Mais parlons un peu de ma lecture et de mon ressenti. « Il passa son arme dans sa ceinture en évitant que le viseur le gêne aux testicules puis sortit lentement dans le froid. » (p. 13). Ah ah, c’est bien un truc de mecs, ça, mais j’adore ! Je suis sûre que je vais aimer ce roman et Héctor ! Mais, j’ai une petite question : il fait froid à Mexico ? Eh bien oui, entre mi-novembre et début février, c’est apparemment la saison fraîche avec des températures entre 6 et 22°, et comme Héctor entend des chants de Noël, j’en déduis que l’histoire débute en décembre.

Un premier meurtre, une adolescente de 16 ans avec ce message « Le Cervo assassine. » (p. 21) puis cinq autres meurtres, en peu de temps… et, à chaque fois, un message différent. « Qu’est-ce qui avait poussé l’assassin ? Pourquoi s’était-il déchaîné ? » (p. 22). Héctor lit tous les journaux, découpe des articles, arpente la ville en particulier la nuit, se dispute avec ses amis qui ne comprennent pas sa démission et sa séparation, est convoqué dans un studio de télévision « pour participer au Grand Prix des soixante-quatre mille pesos » (p. 39). Héctor s’est mis en tête d’arrêter le Cervo, le tueur étrangleur, mais « Des morts sans lien, survenues à des heures différentes, dans divers secteurs de la ville, même mode opératoire, notes similaires. » (p. 43).

Alors que son enquête n’avance pas et qu’il dîne avec Carlos et Elisa, son appartement est la cible de mitraillettes et la police débarque. « Monsieur Belascoarán, vous qui êtes quelqu’un d’intelligent, je ne comprends pas que vous vous soyez mis dans ce pétrin. Il faut laisser ces choses-là aux professionnels. Moi… je ne serais pas aller à votre usine pour vous apprendre votre métier d’ingénieur… […] Et puis, si j’étais ingénieur, je ne perdrais pas mon temps à faire ce métier… Ce métier ingrat. […] Vous nous mettez dans une situation gênante, ennuyeuse, vous savez ?… » (p. 122). « Qui était-ce ? Et ne venez pas me raconter qu’il s’agit de l’étrangleur. Les étrangleurs ne tirent pas à la mitraillette. Qui était-ce ? Héctor aussi les épaules. – Je vous ai posé une question. – Je ne sais pas. Moi non plus, je ne crois pas à cette histoire d’étrangleur. […] – J’ai bien envie de vous retirer votre licence, votre arme, et de vous mettre en prison pendant plusieurs mois, le temps de tirer tout ça au clair. – Vous ne pouvez pas, répondit Héctor en souriant. Je dois me présenter samedi à la finale du Grand Prix des soixante-quatre mille pesos. – D’accord, d’accord, dit le policier en souriant à son tour. » (p. 123). « Vous voulez que je vous dise, monsieur Belascoarán ? Moi aussi, j’aime bien les romans policiers. Bonne chance pour samedi. […] – Quelqu’un vous en veut, mon ami… […] – Mais ce n’est pas ce salaud d’étrangleur. Lui, il ne tue que des femmes, dit la tête du commandant de la police qui resurgit dans l’embrasure de la porte entrouverte pour disparaître immédiatement. » (p. 124), sûrement mon passage préféré parce qu’il y a un petit côté surréaliste. Avec « Il n’avait jamais été aussi seul, jamais aussi diaboliquement seul qu’en ce moment. Jamais aussi désespérément seul que maintenant. Dans la pièce sans lumière, où le froid circule allégrement, s’engouffrant par la fenêtre aux vitres cassées ; dans la nuit tendue de silences et de bruits lointains, les paumes moites, Héctor Belascoarán Shayne contemple son image désolée dans le miroir brisé doucement illuminé par le néon lointain de la rue. Pourtant, c’est de sa solitude que lui vient sa force, et il en a toujours été ainsi. » (p. 124-125).

Et quelqu’un veut vraiment la peau d’Héctor puisque le restaurant chinois dans lequel il déjeune avec Elisa explose ! « Maintenant il avait un ennemi en face de lui, pas une ombre. Un ennemi qui avait quelque chose contre lui. Un ennemi intime, personnel, que l’on pouvait haïr. Maintenant on voulait sa peau. Maintenant il pouvait se défendre. Il ne s’agissait plus de jouer avec le danger, avec les ombres chinoises, avec la sensation de la mort. » (p. 148-149).

Mais, lorsque l’étrangleur envoie son journal à Héctor, il livre des informations précieuses au détective ! Il vit dans une belle maison, son chat s’appelle Emmanuel, il a un majordome, il met 21 minutes pour aller au travail en voiture (une Dodge), travail dans lequel il a des responsabilités, il joue au squash dans un club, il se veut cultivé et raffiné… Héctor pourra-t-il utiliser ces informations ? Alors qu’un imitateur sévit lors du septième meurtre. « Vais-je partager l’enfer avec ce triste imitateur ? Est-ce une astuce policière ? » (p. 197).

L’auteur attache de l’importance aux bruits, aux odeurs, au froid, aux sensations, comme pour ancrer son histoire dans le quotidien. Le lecteur découvre une ville de México froide (c’est l’hiver), dangereuse, en 1976 mais est-ce que ça a changé depuis ? Et apprend vraiment beaucoup de choses sur le Mexique. Pourquoi n’ai-je pas lu cet auteur plus tôt ? Pourtant je le connaissais de nom, je l’avais déjà vu sur des blogs dédiés aux romans policiers et aux polars. Son style est génial et son Héctor Belascoarán Shayne aussi. J’ai un peu pensé au détective privé Heredia (qui vit avec son chat Simenon) du Chilien Ramón Díaz-Eterovic. En tout cas, je suis prête à lire les tomes suivants, et ce dans l’ordre chronologique.

Dernier billet pour le Mois Amérique latine 2022 et le Mois du polar 2022 qui va aussi dans Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 21, un roman découvert grâce à un blogueur, 2e billet), Book Trip mexicain, Challenge lecture 2022 (catégorie 22, un livre dont les personnages principaux sont d’une même fratrie, avec Héctor, Carlos et Elisa, 2e billet) et Polar et thriller 2021-2022.

Un doux parfum de mort de Guillermo Arriaga

Un doux parfum de mort de Guillermo Arriaga.

Libretto, octobre 2005, 176 pages, 8,10 €, ISBN 978-2-36914-216-4. Un dulce olor de muerte (1994) est traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry.

Genres : littérature mexicaine, roman policier.

Guillermo Arriaga naît le 13 mars 1958 à Mexico et grandi dans un quartier populaire où la violence est reine. Il étudie les sciences de la communication (licence) et l’histoire (maîtrise) à l’Université ibéro-américaine. Il travaille comme professeur avant une carrière cinématographique (réalisateur, scénariste, producteur, acteur) et il est aussi écrivain de romans noirs. Ses autres romans sont L’escadron Guillotine (1991, 2006), Le bison de la nuit (1999, 2005) et un recueil de nouvelles, Mexico, quartier sud (2005, 2009).

Loma Grande, un village pauvre au Mexique. Ramón Castaños nettoie le comptoir de son épicerie quand il entend des cris à l’extérieur. Ce sont des enfants et ils ont découvert un corps au bord du champ de sorgho, celui d’Adela, poignardée. Justino Téllez, le délégué communal, ordonne que le corps soit transporté au village. Mais, suite à un quiproquo, tout le monde pense que la morte était la fiancée du jeune Ramón ! Ramón est stupéfié, « Balbutiant, il voulut démentir : – Mais non… elle… je… Il n’eut pas le temps d’en dire plus car à cet instant quelqu’un s’écria : – Voilà les rurales ! » (p. 22).

Les rurales sont la gendarmerie rurale, c’est-à-dire ici le capitaine Carmelo Lozano et ses hommes de Ciudad Mante, qui vous allez le voir sont… très efficaces ! « Dimanche 8 septembre 1991. Avons effectué une patrouille. Aucun incident grave ni délit à signaler. Le secteur est tranquille et l’ordre règne partout. (p. 30).

Suite encore à des mensonges, Ramón, le faux fiancé qui n’a pas pu démentir, est poussé à tuer celui que tout le monde pense coupable, le Gitan (de son vrai nom, José Echevern-Berriozabal). « Je vais le tuer. […] Dès que je le vois, je le tue. » (p. 70).

La population va-t-elle faire « justice » elle-même ? Heureusement un villageois plus perspicace que les autres se pose des questions et va mener sa propre enquête dans le plus grand secret.

Je n’avais encore jamais lu cet auteur (merci à Rachel pour son bon conseil) par contre, j’ai entendu parler de certains de ses films, Amours chiennes réalisé par Alejandro González Iñárritu (2000) pour lequel il est producteur, Trois enterrements réalisé par Tommy Lee Jones (2005) où il est acteur et Loin de la terre brûlée (2008) qu’il a réalisé. À l’occasion, je lirai L’escadron Guillotine et/ou Le bison de la nuit.

Il fait chaud à Loma Grande, très chaud, et on le ressent bien à la lecture de ce court roman. En plus, c’est sec, la poussière est partout. Et le corps, déposé dans une salle de classe, gonfle, empeste et attire les mouches… Vous l’aurez compris, il y a une sacrée ambiance, du genre pas envie d’aller en vacances dans ce village paumé !

Les personnages ne sont pas très fouillés mais l’auteur raconte bien la chaleur, la pauvreté, les mensonges, la corruption, la violence, les secrets bien gardés… Une chouette découverte.

Un mot bizarre « pagaïe » (p. 31), je me suis dit que c’était une erreur, que le terme exact était pagaille mais en fait les deux mots existent, pagaille étant plus récent (fin du XIXe siècle) donc je pense plus utilisé.

Comme je voulais honorer le Mois Amérique latine #2 et le Book Trip mexicain, j’ai emprunté 4 livres mexicains (un roman, deux policiers et un recueil de poésie) mais je n’ai eu, pour l’instant, que le temps de lire celui-ci… Il entre aussi des les challenges Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 21, un roman découvert grâce à une blogueuse, merci Rachel !), Mois du polar 2022, Polar et thriller 2021-2022 et Le tour du monde en 80 livres (Mexique).

Bunker d’Andrea Maria Schenkel

Bunker d’Andrea Maria Schenkel.

Actes Sud, collection Actes noirs, septembre 2010, 112 pages, 13,70 €, ISBN 978-2-7427-9217-7. Bunker (2009) est traduit de l’allemand par Stéphanie Lux. Parution en poche chez Babel Noir, n° 238, janvier 2020, 112 pages, 6,70 €, ISBN 978-2-330-12985-9.

Genres : littérature allemande, roman noir.

Andrea Maria Schenkel naît le 21 mars 1952 à Ratisbonne en Bavière (Allemagne). Ses romans sont courts (moins de 180 pages) et percutants (elle a reçu plusieurs prix littéraires), tous publiés chez Actes Sud. Tannöd (2006) soit La ferme du crime (2008), Kalteis (2007) soit Un tueur à Munich, Josef Kalteis (2009), Bunker (2009) soit Bunker (2010), Finsterau (2012) soit Finsterau (2015), Täuscher (2013) soit Tromperie (2020) et Als die Liebe Endlich War (2016) pas (encore) traduit en français.

Monika travaille chez un concessionnaire automobile. Elle ne sait pas qu’un de ses voisins l’espionne, s’introduit chez elle (il lui vole une photo d’elle jeune avec son petit frère décédé, Joachim) puis il l’enlève et l’enferme pendant cinq jours dans le moulin dans lequel il vivait enfant. Monika pense que cet homme est Hans, le seul ami de Joachim, revenu se venger.

« La pièce est plongée dans l’obscurité, la porte du bunker fermée, je suis toujours couché devant la porte sur le sol froid, prisonnier de ce trou. » (p. 12).

« J’ouvre les yeux. Je me redresse dans le lit, regarde autour de moi. Personne. […] Rien n’a changé. […] Je n’ai aucune idée de ce que je fais ici. Qu’est-ce que ce type me veut ? […] Il faut que je sorte d’ici ! […] ça doit bien être possible ! » (p. 33).

Mais, qui de Monika ou de « Hans » enferme l’autre ? Qui est le bourreau, qui est la victime ? Qui est un monstre ? Monika pense que « Hans » est dérangé mais que pense-t-il lui ?

« Je me dis qu’elle est peut-être bien folle. […] Je n’aurais pas dû l’enfermer, certaines personnes deviennent dingues, elles n’assument pas. » (p. 71-72).

En lisant ce roman, vous découvrirez ce que Monika n’assume pas…

Andrea Maria Schenkel analyse l’obscurité et la froideur de l’esprit humain et, oui, ça fait froid dans le dos ! D’autant plus qu’elle traite ça en peu de mots (et en peu de jours aussi). Toutefois ce n’est pas un roman policier, c’est un roman noir avec un petit côté thriller puisque le suspense oppressant et l’angoisse vont en s’amplifiant jusqu’à la fin. Huis-clos presque horrifique avec le point de vue du kidnappeur, le point de vue de Monika et le passé de l’un et de l’autre qui peut expliquer (mais pas excuser) le comportement de chacun.

Par contre, ne lisez pas la quatrième de couverture ! Elle en dit trop ! Elle dévoile ce que je ne dis pas…

J’ai vraiment été emballée et je veux lire d’autres titres d’Andrea Maria Schenkel, d’ailleurs j’ai emprunté Finsterau en même temps que Bunker pour Les feuilles allemandes.

Je le mets aussi dans les challenges Polar et thriller 2021-2022 et Voisins Voisines 2021 (Allemagne).