Célestopol 1922 d’Emmanuel Chastellière.
L’homme sans nom, mars 2021, 416 pages, 21,90 €, ISBN 978-2-918541-71-4. Sur le site de l’éditeur, il est possible de charger librement la nouvelle Une nuit à l’opéra Romanova (3 parties).
Genres : littérature française, science-fiction, nouvelles.
Emmanuel Chastellière naît en 1981 à Aubenas (en Ardèche) et s’intéresse très jeune aux littératures de l’imaginaire. Il étudie l’Histoire et se lance dans l’aventure Fantasy en 2000 avec Elbakin.net : j’ai l’impression de suivre ce site depuis ses débuts sans connaître les noms de ses créateurs. D’ailleurs je pense avoir découvert Emmanuel Chastellière en tant que traducteur (La chute de la Maison aux Flèches d’Argent d’Aliette de Bodard) avant de le découvrir en tant qu’auteur car c’est cette traduction qui m’a donné envie de le lire. Plus d’infos sur son site et son blog Un mot après l’autre ainsi que sur sa page FB et la page FB de Célestopol.
Vous vous rappelez que j’avais lu et aimé Célestopol (en libretto parce que je ne l’avais pas trouvé aux éditions de l’instant…). Eh bien, voilà, je me lance enfin dans Célestopol 1922 ! Comme pour chaque recueil de nouvelles que je lis, j’aime bien faire un topo et donner un ou deux extraits de chaque nouvelle avant de donner mon avis général sur le livre (le billet est donc un peu long).
Toungouska – Janvier 1922. Ça commence bien puisqu’Arnrún et Wojtek (mes personnages préférés de Célestopol) sont de retour mais… une petite faute page 10 : « Wojtek préféra ne pas rien dire », ne rien dire, c’est mieux (j’espère qu’il n’y aura pas d’autres fautes, vous savez que je n’aime pas ça…). Je rappelle qu’Arnrún est une mercenaire islandaise et Wojtek un ancien soldat dans un corps d’ours qui parle. Ils sont tous deux envoyés en Sibérie (sur Terre donc) par le duc Nikolaï, ‘le prince de la Lune’, car il y a eu un accident en 1908 et une partie de la forêt avait brûlé.
Mon rossignol – On retourne à Célestopol sur la Lune. Alissa une ouvrière qui voudrait faire avancer les droits sociaux et Milan, un député au Parlement, se revoient après huit ans. Mais il n’est pas sûr d’être réélu et de pouvoir faire quelque chose pour elle et ses camarades. D’autant plus que, sur Terre, en Russie, l’impératrice Glorianna a fait passer « par les armes un certain Lénine et ses comparses, après des mois de remous et une prétendue tentative d’assassinat. » (p. 37). Mais la politique n’est pas une tendre amie… Et si Milan la trahissait de la même façon qu’à la fin de leurs études ?
Sur la glace – Pour un gala de patinage au Grand Palais de Céléstopol, le duc Nikolaï invite Victor un grand patineur (et son épouse Colette) mis aux bans de la société par l’impératrice Glorianna. C’est Ajax le majordome automate de Nikolaï qui accompagne partout Victor et, en l’observant s’entraîner sur un étang gelé loin des yeux, il comprend ce qu’a vécu le patineur. Quand le sport et la politique ne font pas bon ménage…
Memento mori – Une famille juive de Bessarabie s’est exilée à Célestopol mais la mère est morte et le père, Joseph Ackerman, médecin très occupé quoique mal payé, n’arrive pas à gérer ses deux filles, Judith 16 ans et Azra 10 ans. La seule chose qui compte pour lui, le memento mori, le petit mausolée consacré à sa défunte épouse. La seule chose qui compte pour les filles, sortir, voir du monde mais elles n’en ont pas le droit. Un cruel drame familial.
Une nuit à l’opéra Romanova – Arnrún et Wojtek ont été embauchés pour protéger les objets à vendre à l’hôtel des ventes, je dis objets mais en fait, la salle est remplie de magiciens et prestidigitateurs qui achètent des tours. Le plus important est le dernier, le n° 50, le Miroir du monde, créé par Buatier de Kolta qui est mort récemment sur scène et l’enchère démarre à deux mille roubles. Sélim le Magnifique l’obtient pour cinq mille roubles et incite tout le monde de venir à sa nouvelle représentation à l’opéra Romanova. « Et je la conclurai… par ce tour ! » (p. 120). Après avoir livré sa malle à l’Ottoman, celui-ci les embauche pour sa propre protection jusqu’au spectacle. Une deuxième faute page 150 : « Je suis désolée, poursuivit Sélim, je n’en aurais toutefois pas pour tout le monde », c’est je n’en aurai (futur pas conditionnel). Incident diplomatique à Célestopol sur fond de magie et d’art !
Le correcteur de fortune – « Pollux […] le cheval de course le plus célèbre au monde » (p. 163) qui gagne toutes ses courses vient d’arriver quatrième au grand prix de l’hippodrome de Célestopol ! Est-ce que Vassili qui vient d’arriver sur la Lune et le ducat d’argent qui ne le quitte jamais y sont pour quelque chose ? Ensuite, il est pour la première fois au Grand Palais pour assister à une compétition d’échecs entre Boris Illivitski, le champion en titre, et un automate, « Ce n’était qu’un torse, avec des mains lui permettant de manipuler les pièces. Mais Vassili n’était pas dupe : cette apparence ne signifiait aucunement qu’il n’était pas capable de jouer, et même de bien jouer. » (p. 174). La chance va-t-elle encore lui sourire ? Une troisième faute page 180 : « Vassili […] fit aussitôt fit volte-face ».

Katarzyna – Après avoir trop bu dans un bar, Kasia, dernière cliente, est abusée par le jeune serveur. « La jeune femme s’enfonça dans les rues, étonnamment déserte cette nuit. » (p. 193). Mais, alors qu’elle est loin des quais, la brume de sélénium est étonnamment haute aussi… Pendant cinq ans, Kasia état pilote pour l’Aéropostale mais elle a arrêté de travailler il y a huit mois… Et elle boit trop, depuis que Piotr, son mari, pilote lui aussi, a disparu… « Son appareil s’était volatilisé quelques heures après le décollage. » (p. 195). Mais lorsqu’elle rentre, un message l’attend avec des coordonnées pour retrouver Piotr !
Le revers de la médaille – Bo-yeong, Coréenne, conçoit des décors en particulier pour le théâtre et vend des livres d’occasion dans sa roulotte ; son mari, Előd est restaurateur de tableaux mais il aimerait vivre de sa peinture. Elle aurait voulu être à l’inauguration de l’amphithéâtre Pierre Curie la veille au soir mais Előd l’avait invitée au théâtre et la pièce lui a déplu… Elle aime lire et tient même un salon de lecture mais… « Dans l’esprit de tout un chacun, lire, entre autres choses, demeurait un loisir frivole. Qui pouvait se permettre de se laisser aller à l’oisiveté quand la crise menaçait ? » (p. 222). Un jour, elle rencontre par hasard une dame et l’invite chez elle à son salon de lecture mais elle ne sait pas que c’est Tuppence Abberline, la maîtresse du duc Nokolaï, qui ensuite lui fera une étrange proposition.
Un visage dans la cendre – Kokorin est un voleur mais il respecte le code d’honneur des Vorovskoy Mir (le monde des voleurs). Or des Cheyennes sont arrivés à Célestopol et ils ne respectent rien… Rien à voir avec les Indiens d’Amérique, ils sont comme les Apaches, les voyous de Paris. «un code que ces ‘terreurs’ d’un genre nouveau considéraient avec un cynisme et une arrogance extraordinaires. Leurs méthodes, leur manque de discrétion… […] Ils lui étaient tombés dessus à six […] » (p. 238-239). Mais des gamins ont remarqué qu’en une nuit, les chats ont tous disparu alors que, parmi eux, un plus petit, Frigg, était leur mascotte… Kokorin va-t-il retrouver les chats ? Une quatrième faute page 244, « À parti du moment ».
La malédiction du pharaon – Le Caire, septembre 1922. Howard Carter peint pour survivre. Par manque de subventions, les fouilles archéologiques sont arrêtées depuis deux ans : « l’Empire russe de la cruelle tsarine Glorianna et la Nouvelle-France du téméraire Napoléon IV avaient broyé l’Angleterre, littéralement ou presque. » (p. 266). Un soir, il est contacté par un inconnu, Ajax (qui n’est pas un inconnu pour le lecteur), qui lui propose un chantier… sur la Lune ! « En toute discrétion, cela va de soi. » (p. 270). Une semaine plus tard, Carter secondé par des automates découvre un chantier incroyable et des inscriptions avec un alphabet bien plus qu’antique !
Paint Pastel Princess – Chez Hécate, un bordel de luxe à Célestopol, enfin « un établissement de standing » (p. 298). Léon, le gardien, a dû mettre dehors, Igor, le chauffagiste qui essayait de violer Hilda, le nouvel automate féminin. Pélagie, une Berlinoise venue s’installer sur la Lune, est une spécialiste des masques « pour les blessés de guerre, les défigurés. […] Des dizaines de masques, bien plus élaborés, bien plus réalistes que la moyenne, qui lui avaient valu la reconnaissance de ces braves jeunes gens et l’intérêt de la maison close. » (p. 301). Léon est un vétéran de la guerre de Crimée mais il n’est pas une gueule cassée, il a perdu une main et porte une prothèse (il ne quitte jamais son gant) ; il est hanté par la colline sur laquelle sont morts presque tous ses camarades. « […] il était là, avec eux. Chaque nuit. Avec les morts, ces éclopés incapables de se faire à leur nouvelle existence, si loin de cette vie qu’ils avaient espéré retrouver. » (p. 306). Une cinquième faute page 329, « Je viendrais vous voir prochainement avec le reste. », de nouveau c’est le futur pas le conditionnel donc je viendrai.
La fille de l’hiver – Décembre 1922. Célestopol prépare Noël et « Les lumières du marché de Noël de Célestopol scintillaient gaiement sous le dôme de verre de la cité lunaire. » (p. 331). Mais les miséreux n’en profitent pas, rares sont ceux qui peuvent s’offrir un vin chaud ou un sachet de marrons… Pourtant une jeune femme en haillons s’aventure sur le marché (illustration de couverture) sous les regards stupéfaits puis méprisants des ‘honnêtes’ gens. Un policier s’approche d’elle mais elle tremble et ses propos sont inintelligibles, à part « Kocht… » et « Ni… Nikolaï » (p. 335) puis elle se met à hurler, « Un cri sauvage, vibrant de souffrance. » (p. 335) à tel point que tout le monde doit se mettre les mains sur les oreilles et à tel point que la statue gigantesque de Nikolaï se fissure et se casse ! Qui est cette fille de l’hiver qui a disparu ? Une sixième faute page 384, « Je ne me serai souvenu de rien », ce n’est pas le futur mais je ne me serais, une septième page 393, « je ne pourrais jamais rentrer chez moi. », ici c’est l’inverse, c’est je ne pourrai, et une huitième page 397, « Anastasia, dès je t’ai aperçue », il manque le que, décidément…
Danser avec le chaos – Janvier 2023, désert de Lirania. Trois jeunes femmes, Elzebeth, Aranaï et Taledine, ont volé un des grimoires sacrés des sorcières de Thran pour l’apporter au Prophète qui est annoncé. « Les Parchemins du Chaos. Tchernobog. Le Dieu Noir. Le Dieu de la Lune. » (p. 404). Mais les jeunes femmes se réveillent dans les ténèbres… « Vous avez dérobé ce qui ne vous appartenait pas […]. Vous vous êtes moquées des ouvrages sacrés de mes disciples. La nuit et l’obscurité règnent ici. Il est temps pour vous de payer le prix de votre audace. » (p. 410). Alors que le duc Nikolaï ne pense qu’à la science, il y a peut-être bien un peu de magie sur la Lune !
Voilà, j’ai lu les 13 nouvelles de ce deuxième recueil de Célestopol et j’ai pris du plaisir à passer cette année 1922 sur la Lune. C’est ma deuxième incursion sur la Lune et j’ai été enchantée de retrouver Arnrún et Wojtek (qui étaient mes personnages préférés de Célestopol comme je l’ai dit plus haut) et j’ai bien aimé Ajax, le majordome du duc Nikolaï (qui peut-être n’apparaît pas auparavant ou alors il ne m’avait pas autant marquée qu’ici). Je passe sur les huit fautes (de grammaire ou d’inattention, citées ci-dessus) et je dis que l’ouvrage est quand même un livre soigné avec ses jolies entêtes de chapitres (une illustration genre architecture de métal et de verre qui correspond très bien à la cité lunaire). Comme dans le premier recueil, ces nouvelles de science-fiction sont spatiales (sur la Lune, sans être du space opera) et rétro-futuristes (un début de XXe siècle différent du nôtre et plus futuriste au niveau technologique) avec son côté steampunk (où la vapeur est remplacée par du sélénium, l’énergie gazeuse sur la Lune). Les nouvelles sont également plus ou moins liées entre elle, en tout cas, il y a un fil directeur qui les relie (par exemple, dans Un visage dans la cendre, c’est sûrement Joseph, le médecin de Memento mori que Kokorin voit ivre à l’auberge, et dans La fille de l’hiver, le lecteur retrouve Judith, une des deux filles de Joseph, il y a comme un petit côté Comédie humaine avec ces personnages qui (ré)apparaissent). De plus, le style de l’auteur est fluide, maîtrisé, il a toujours le mot juste, il ne s’étale pas, il écrit ce qu’il faut pour que les nouvelles aient la bonne taille et leur chute est souvent terrible. Il y a bien sûr des clins d’œil à Jules Verne, à Lovecraft, entre autres. Les sujets abordés sont souvent douloureux comme la guerre, l’espionnage, la pauvreté et la lutte sociale, l’exil, la politique, des choses que, peut-être le duc Nikolaï aurait voulu laisser sur Terre mais qui malheureusement persistent sur la Lune, mais il y a aussi de l’art, de la magie, du sport, des amitiés et même des chats. Célestopol 1922 a été nominé pour plusieurs prix littéraires en 2021 et 2022.
Ils l’ont lu : Aelinel de La bibliothèque d’Aelinel, Amanda sur Les Fantasy d’Amanda, Apophis de Le culte d’Apophis, Boudicca sur Le Bibliocosme, CélineDanaé de Au pays des CaveTrolls, Le Chien critique, Les chroniques du Chroniqueur, Dup de Bookenstock, La Geekosophe, Gromovar de Quoi de neuf sur ma pile, Karine sur ImaJnère, Lhisbei de RSF blog, Lorhkan, Lune de Un papillon dans la Lune, Maks de Un bouquin sinon rien, Nicolas sur Just a Word, Le nocher des livres, Sometimes a book, Stéphanie sur De l’autre côté des livres, Symphonie de L’imaginaerum de Symphonie, Le syndrome Quickson, Yuyine, Zina sur Les pipelettes en parlent, Zoé prend la plume, d’autres ?
Pour les challenges Littérature de l’imaginaire #10, La bonne nouvelle du lundi, Petit Bac 2022 (catégorie Chiffres pour 1922), Textes courts (nouvelles entre 14 et 60 pages) et Vapeur et feuilles de thé.
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