Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine

Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine.

Folio, octobre 1996, 272 pages, plus au catalogue de cet éditeur depuis 2017, ISBN 978-2-07-040062-X.

Genres : littérature franco-russe, roman.

Andreï Makine (Андрей Ярославович Макин, Andreï Yaroslavovitch Makine) naît le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Il apprend le français dès l’âge de 4 ans avec une vieille dame puis durant ses études. Il étudie la littérature française contemporaine à l’université de Kalinine (ou Tver) puis à l’université de Moscou et devient professeur de philologie à l’Institut pédagogique de Novgorod. Il s’installe en France en 1987, demande l’asile politique et est naturalisé Français. Il enseigne, devient écrivain et reçoit de nombreux prix littéraires. Depuis 2016, il est à l’Académie française.

« […] pourquoi l’un de nous avait-il été propulsé sous des blocs de glace, dans la débâcle effrénée d’un grand fleuve qui avait broyé son corps, le rejetant irrémédiablement mutilé ? Tandis que l’autre, moi… Oui, je murmurais le nom de ce fleuve – Amour – en plongeant dans sa sonorité fraîche comme dans un corps féminin rêvé, conçu d’une même matière souple, douce et brumeuse. » (p. 16).

Le narrateur, Dimitri (que ses amis appellent Juan), et Outkine (qui vit maintenant de l’autre côté de l’Atlantique) ont grandi dans un village de Sibérie, près de la taïga et du tumultueux Oleï qui se jette dans le fleuve Amour, avec « l’éternité hivernale » (p. 30) qui recouvrait les isbas de neige, les beaux printemps où la rivière sortait de son lit, et « le soleil déversait l’odeur chaude de la résine de cèdre » (p. 30).

Un jour Outkine trouve une Kharg-racine, comment a-t-il fait, cette plante étant le secret des femmes yakoutes ? Peut-être parce qu’Outkine était estropié, il voyait les choses différemment ? Cette plante semble féminine, « très agréable au toucher […] peau veloutée […] bulbe aux contours sensuels […] mystérieux intérieur […] liquide rouge comme le sang » (p. 31), « beauté inattendue et déroutante » (p. 32).

Juan et Outkine ont un autre ami, Samouraï, un peu plus âgé. « Outkine nous regarda tous des deux avec un visage crispé et s’écria d’une voix fêlée : – Mon oncle a raison quand il dit que l’homme est l’animal le pus cruel sur cette terre ! » (p. 55).

Il y a de la sensualité dans ce roman, un « vertige enivrant » (p. 64), la langueur de la nature, les corps nus (sauna brûlant, neige glacée…), la beauté (réelle ou imaginée) des corps féminins, le désir d’amour, les odeurs… Mais qu’est-ce que la vie, l’amour, la mort pour des ados de 14 et 16 ans ?

Le récit commence en février mais de quelle année ? On sait que c’est à l’époque de Brejnev car il est en couverture des journaux (il y a aussi des cosmonautes). Les trois jeunes hommes vont à Nerloug (la plus grande ville de cette région de Sibérie) pour voir au cinéma L’Octobre rouge un film avec Belmondo, Le Magnifique (sorti en France en 1973) et le parti fête ses 70 ans : l’Union soviétique a été proclamée le 30 décembre 1922 et le Parti communiste de l’Union soviétique en 1925 donc l’année où se déroule Au temps du fleuve Amour est sûrement 1975. Quoique… ça parle du 103e anniversaire de Lénine (p. 159) et il est né le 10 avril 1870, une incohérence ?

« – C’est ça, l’Occident ! Oui, l’Occident était né dans le pétillement du champagne de Crimée, au milieu d’une grande isba noyée dans la neige, après un film français vieux de plusieurs années. C’était l’Occident le plus vrai, car engendré in vitro, oui, dans ce verre à facettes lavé de flots entiers de vodka. Et aussi dans notre imagination vierge. Dans la pureté cristalline de l’air de la taïga. L’Occident était là. […] Nos premiers pas en Occident. » (p. 113). Ce film, ils vont le revoir 17 fois, histoire de s’en imprégner et surtout de tout comprendre parce que des choses occidentales leur échappent bien sûr ! Cette deuxième partie est, en tout cas, une belle déclaration d’amour à Jean-Paul Belmondo !

Avec ses quatre parties différentes et complémentaires (la taïga et le rude hiver, la découverte de l’Occident avec les films de Belmondo et le voyage en train en Extrême-Orient, l’histoire d’Olga et le départ, et New York, les 3e et 4e parties étant bien plus courtes), Au temps du fleuve Amour est un roman d’apprentissage riche, voluptueux, avec une intense âme russe. L’insouciance de l’adolescence, l’immensité et la rudesse de la taïga, la blancheur de la neige – et de tout ce qu’ils ont à découvrir – apportent aux trois jeunes une envie inéluctable d’autre chose, d’aventure, d’ailleurs. Les descriptions des personnages et des paysages sont une grande réussite. Il y a du romantisme, de la nostalgie, un roman typiquement russe bien qu’Andreï Makine soit naturalisé français et écrive en français. D’ailleurs Andreï Makine a-t-il mis un peu de lui, un peu de ses souvenirs et de sa jeunesse dans Dimitri, peut-être même dans un peu de chacun des trois jeunes qui rêvent d’amour et d’Occident ?

Pour le Challenge lecture 2024 (catégorie 45, un livre d’un auteur russe), Lire en thème 2024 (catégorie Hiver), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Fleuve Amour), Tour du monde en 80 livres 2024 (Russie) et Un genre par mois (en janvier, littérature contemporaine).

14 réflexions sur “Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine

    • Ah, c’est la couverture du poche, tu peux le lire en broché sinon cet auteur Russe écrit en français et tu vas bien trouver un titre qui t’intéressera dans sa bibliographie 😉

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