Quatre soldats d’Hubert Mingarelli

Quatre soldats d’Hubert Mingarelli.

Seuil, collection Cadre rouge, janvier 2003, 208 pages, 15,20 €, ISBN 978-2-02053-804-6.

Genres : littérature française, roman.

Hubert Mingarelli : lire sa bio sur Une histoire de tempête et sur L’homme qui avait soif (avec photo et hommage).

J’ai tellement de retard dans la publication de mes notes de lectures que j’en publie une un dimanche ! Et j’espère tenir le rythme ces prochaines semaines.

Orphelin, Bénia, le narrateur a quitté Dorovitsa pour Kaliazine où il a travaillé dans une scierie. « J’étais seul dans le monde et le soir je mangeais en regardant le fleuve. Il y avait des bateaux à fond plat qui remontaient le courant. Dans le soleil couchant les coques brillaient. Sur le pont les coques étaient comme des fantômes. » (p. 7-8).

Il a ensuite rejoint l’Armée rouge où il a rencontré Pavel, un gars très astucieux, puis Kyabine, un Ouzbek grand et costaud. Les trois soldats fuient avec leur régiment devant les Roumains puis les Polonais, droit vers l’Est, « notre commandant nous a réunis et nous a dit que nous devions quitter le front, nous replier dans la forêt, construire des cabanes et attendre le printemps. » (p. 13).

Pour construire leur cabane dans la forêt, Bénia, Pavel et Kyabine s’associent avec Sifra Nédatchine, un jeune soldat. « Quant nous avons fini de construire notre cabane, nous l’avons contemplée fièrement dans la lumière du feu qui brûlait au centre de la clairière. Nous en avons fait le tour en nous félicitant, puis nous sommes entrés tous les quatre dedans et j’ai pensé : voilà, j’ai fini d’être seul dans le monde, et j’avais raison. » (p. 15-16).

Les quatre hommes sont inséparables. Mais, un jour, le sergent Ermakov leur impose une toute jeune recrue, Kouzma Evdokim, de Vsevolojsk. « On était silencieux. On était chacun avec nos pensées. Les miennes étaient que le gosse Evdokim ne nous gênait pas beaucoup. En tout cas, pas autant que nous l’avions redouté au début. Quoi que nous fassions il nous suivait et parlait peu. Je savais que nous l’intimidions. » (p. 109).

Ainsi les quatre soldats accueillent Evdokim et lui écrit tout dans son carnet. « Oui, c’est vrai, ça va aller, Kyabine, parce qu’on va tout le temps rester ensemble. De l’entendre dire par Sifra, aussi doucement, ça nous a tous fait du bien. Il y avait si peu de mots qui sortaient de la bouche de Sifra d’habitude que ceux-là avaient porté.. » (p. 159).

Quatre soldats est, malgré la dureté de la vie en temps de guerre, une belle histoire d’amitié et de complicité entre ces quatre hommes vraiment différents mais réunis durant l’automne 1918 et l’hiver 1918-1919, et leur envie de vivre, et même parfois de passer du bon temps (ils jouent aux dés, fument des cigarettes roulées, vont se baigner à l’étang…). Comme les trois mousquetaires étaient quatre, par une prouesse littéraire, les quatre soldats d’Hubert Mingarelli sont cinq mais leur destin n’est pas aussi glorieux que celui des mousquetaires. Il en reste de la nostalgie, de la tristesse… Que sont devenus les personnes qu’on a connues, qu’on a aimées…

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 20, un livre avec de la neige sur la couverture), Challenge lecture 2023 (catégorie 55, une livre avec une maison sur la couverture), Départements français en lecture (l’auteur est né en Meurthe et Moselle) et Un genre par mois (en novembre, amour ou amitié, ici c’est amitié).

Au vent mauvais de Kaouther Adimi

Au vent mauvais de Kaouther Adimi.

Seuil, collection fiction & Cie, août 2022, 272 pages, 19 €, ISBN 978-2-02-150356-2.

Genres : littérature franco-algérienne, roman.

Kaouther Adimi naît en 1986 à Alger en Algérie mais lorsqu’elle a 4 ans, sa famille s’installe à Grenoble en France. Elle aime aller à l’école et fréquenter la bibliothèque. En 1994, elle retourne à Alger pour étudier à l’université (lettres modernes et management des ressources humaines), elle commence à écrire et participe au concours de l’Institut français. En 2009, elle écrit son premier roman et revient à Paris. J’ai d’ailleurs découvert cette autrice avec ce premier roman, L’envers des autres, paru chez Actes Sud en 2011 et qu’une blogueuse (dommage son blog n’est plus approvisionné) m’avait envoyé. Ses autres romans, Des ballerines de papicha (2010), Des pierres dans ma poche (2015), Nos richesses (2017) et Les petits de décembre (2019) sont publiés aux éditions Barzakh. Elle écrit aussi des nouvelles, du théâtre, des scénarios (elle reçoit plusieurs prix littéraires entre 2011 et 2020) et revient en 2022 avec son nouveau roman, Au vent mauvais.

Voici comment débute le roman, « Dans la nuit du 22 septembre 1972, un vent mauvais arriva du Sahara et recouvrit Alger d’une poussière rouge, qui se déposa sur les façades des immeubles, les toits des voitures, les feuilles des palmiers et les parasols de plages. » (p. 11). Saïd se rend à la Maison de la radio où il travaille, mais le soir, il doit rencontrer ses lecteurs à la librairie car son premier roman vient de paraître. « Un petit livre ? Un grand roman, tu veux dire ! Le plus grand roman algérien ! Tout le monde en parle ! Ah, mon ami, je suis si heureux pour toi. » (le peintre, p. 12).

Flash-back, nuit du 3 février 1922. Tarek naît dans le hameau d’El Zahra, un endroit sec, sans point d’eau, et entouré de montagnes. « Quel est le premier homme à avoir eu l’idée saugrenue de s’installer ici, nul ne saurait le dire. » (p. 19). Après avoir mis son fils au monde, la mère apprend que son mari est mort sur un chantier mais elle et le nouveau-né se portent bien. Saïd qui vient de naître et dont la mère n’a pas de lait sera pris en nourrice par la mère de Tarek. Saïd et Tarek bien que très différents deviennent frères de lait et grandissent ensemble. « Les deux garçons se suffisaient à eux-mêmes, ils n’avaient pas d’autres amis. À peine toléraient-ils Leïla, leur voisine, qui les rejoignaient parfois pour une partie de cache-cache. » (p. 23). Mais à la rentrée de 1937, le père de Saïd, imam du village, envoie son fils étudier à Tunis ; les deux amis se reverront pendant les vacances. Et en janvier 1938, Leïla épouse contre son gré (elle n’a que 15 ans) « un ami de son père » (p. 25), veuf. Mais, alors que son fils a 3 mois, Leïla retourne chez ses parents. « Les jours qui suivirent, tout le village ne parla que de cela. De Leïla qui avait osé quitté son mari. Tarek vit les visages des hommes s’assombrir et fut témoin de leur rage. Il craignait pour la vie de la jeune femme […]. » (p. 34).

Je ne peux en dire plus car ce serait divulgâché… Mais je peux vous dire que vous avez pratiquement un siècle qui défile sous vos yeux, 70 ans en fait de 1922 à 1992. J’ai aimé que Tarek, pas illettré mais peu instruit, découvre le cinéma (La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, film scénarisé d’après le livre de Yacef Saâdi, sorti en salles en 1966 et ayant reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1966 puis d’autres prix cinématographiques) et l’art : « Ce que vous permet l’art, c’est d’avoir le sentiment d’être à la fois éternel et mortel, c’est quelque chose d’effrayant et de douloureux mais aussi un sentiment extraordinaire. Admirer une œuvre, c’est repousser la mort, c’est permettre à la vie de gagner. Posséder ce genre d’œuvres d’art, c’est être béni des dieux. » (p. 153). J’ai bien aimé la présence du chat noir dans la villa.

En tout cas, le roman de Saïd change le destin des trois amis d’enfance (et, plus tard, l’arrivée au pouvoir des islamistes aussi…). Peut-on écrire en toute impunité sur la vie des autres ? Kaouther Adimi s’est inspirée de la vie de ses grands-parents et le lecteur ressent qu’elle aime ses personnages, qu’elle veut leur bonheur mais l’histoire est dramatique.

Pour ABC illimité (lettre A pour nom), Challenge lecture 2023 (catégorie 24, un livre dont le titre comporte un élément météorologique) et Tour du monde en 80 livres (Algérie).

Voyage au bout de l’enfance de Rachid Benzine

Voyage au bout de l’enfance de Rachid Benzine.

Seuil, collection Cadre rouge, janvier 2022, 84 pages, 13 €, ISBN 978-2-02149-559-1.

Genre : roman franco-marocain.

Rachid Benzine naît le 5 janvier 1971 à Kénitra au Maroc. Il arrive en France à l’âge de 7 ans. Il étudie les sciences humaines et l’économie. Il est professeur, auteur et prône le dialogue entre islam et christianisme (Nous avons tant de choses à nous dire avec le père Christian Delorme en 1998) et entre islam et judaïsme (Des mille et une façons d’être juif ou musulman avec Delphine Horvilleur en 2017).

« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterré dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles. » (p. 9), c’est ainsi que débute ce court roman. Que s’est-il donc passé ? Vous allez le découvrir grâce à l’enfant, Fabien, qui raconte.

Ce qui va l’aider à tenir le coup ? La poésie et le souvenir des encouragements de son instituteur de CE2, monsieur Tannier. « Fabien tu seras un grand poète. Tu as tout pour réussir. Tes résultats scolaires sont excellents et tu as un imaginaire si créatif… » (p. 9). Mais le jour où il doit lire ses poèmes en classe, se parents lui annoncent qu’ils partent en voyage, tout est prêt, il n’y a pas à tergiverser… Son père lui a dit qu’il était trop curieux, qu’il était un kâfir (un mécréant) et qu’il allait finir en enfer… Le voyage fut long, parfois il a fallu se cacher, Fabien ne comprenait pas les langues qui étaient parlées… Et, lorsque la famille fut arrivée en Syrie, à Raqqah plus précisément, Fabien est devenu Farid. « Papa et maman, ils étaient très excités. Je les avais jamais vus aussi heureux. Ils m’ont dit que c’était le paradis ici. » (p. 12).

Pour Fabien fini les copains, fini la poésie, son père porte des vêtements amples et un turban, sa mère porte un niqab « tout noir » (p. 12). Il comprend que ce n’est pas le paradis et « qu’il fallait combattre le monde entier. » (p. 14). Ses amis et son instituteur lui manquent, ses grands-parents lui manquent… « Je commençais à en avoir assez de tout ça. » (p. 14), « ça me plaisait pas du tout d’être à Raqqah. » (p. 17).

Fabien se fait de nouveaux copains, joue au foot avec eux, fréquente l’école coranique, apprend l’arabe et entre chez les lionceaux du califat (le dessin, la danse, la musique, les jeux vidéo et la télévision sont interdits). Mais, un jour, son père doit partir pour tuer des « ennemis de l’islam » (p. 21).

Fabien va raconter les humiliations, la violence, la peur, la mort de son père, les remariages forcés de sa mère, la naissance de Selim, l’adoption de « Fatima, une petite de cinq ans dont les parents et les frères et sœurs ont tous été tués dans les bombardements de la coalition » (p. 41), la dure vie dans le camp d’Al-Hol en Syrie kurde avec les interrogatoires, la surveillance, les maltraitances, les maladies… bref l’horreur totale et cette affreuse question, « À onze ans, je suis un monstre ou une victime ? » (p. 76-77).

Voyage au bout de l’enfance aurait pu s’appeler Voyage au bout de l’enfer mais c’était déjà pris. Comment peut-on emmener son enfant dans un pays en guerre, dans un pays dans lequel des cinglés endoctrinés détruisent, tuent, torturent ? C’est inadmissible de faire vivre de telles horreurs à des enfants… au nom de quoi, de qui, de la folie tout simplement, de l’orgueil sûrement aussi. L’histoire que raconte Fabien est fictive mais on sait bien que tout est vrai, malheureusement vrai et que le courage ne suffit pas…

Après avoir lu Dans les yeux du ciel (qui m’avait moyennement plu) et Ainsi parlait ma mère (que j’avais beaucoup aimé), je ne pouvais que lire ce Voyage au bout de l’enfance. Un livre bouleversant où les enfants, victimes, sont abandonnés à leur triste sort mais ils ont déjà tout perdu alors que leur reste-t-il à part la mort ? Je suis sous le choc bien sûr.

Pour À la découverte de l’Afrique, Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 31, un enfant sur la couverture, 2e billet), Les textes courts et Tour du monde en 80 livres (Maroc, puisque c’est le pays dont l’auteur est originaire qui compte même si le roman se déroule ailleurs).

La puissance des mouches de Lydie Salvayre

La puissance des mouches de Lydie Salvayre.

Seuil, collection Cadre rouge, août 1995, 176 pages, 14,70 €, ISBN 978-2-02101-525-6.

Genres : littérature française, roman.

Lydie Salvayre naît Lydie Arjona le 5 septembre 1948 à Autainville (Loir-et-Cher) dans une famille espagnole (père andalou, mère catalane, réfugiés en France). Elle étudie à Toulouse, les lettres d’abord puis la médecine et devient psychiatre mais elle écrit, publie dans des revues littéraires ainsi que ses premiers romans et gagnent des prix littéraires. Bien que je connaisse cette autrice de nom, je ne l’ai jamais lue et c’est le passionnant entretien dans Le cahier des livres n° 1 en octobre dernier qui m’a donné envie de lire un de ses romans. Parmi ceux qui étaient disponibles à la bibliothèque, j’ai choisi La puissance des mouches, son 4e roman. Elle en a publié 20 autres depuis, plus du théâtre et un scénario.

Le narrateur, 48 ans, est guide au musée de Port-Royal. Il est adepte de Pascal et développe les mêmes idées contre la vanité à l’attachement humain. Traumatisé par la mort de sa mère, il juge son père coupable de cette mort. Mais c’est lui qui est devant un juge au moment où débute ce roman. Pourquoi est-il mesquin et violent avec son épouse alors qu’il s’est juré de ne pas être comme son père ? « Je vous parle, monsieur le juge, comme vous me l’avez demandé, avec une entière liberté. » (p. 15).

Le narrateur voue un culte irraisonné à Pascal. « Pourquoi Blaise Pascal ? Mais parce qu’il a changé ma vie […]. Il a changé toute ma vie. Et ma mémoire, à sa lecture, a commencé à vivre. » (p. 25-26). Est-ce qu’il a des circonstances atténuantes avec le fait que son père battait son épouse et leurs enfants, lui et sa sœur ? Et sombre-t-il dans la folie en comparant systématiquement sa mère avec Pascal ? « Maman et Pascal se ressemblent jusque dans leur façon de penser. » (p. 33).

Les mouches qui sont puissantes dans le titre ont une place que le lecteur comprend à la lecture. « J’ai horreur des confidences. La plupart du temps, elles sentent mauvais et attirent les mouches. Et j’ai horreur des mouches. » (p. 62).

En tout cas, le narrateur se définit devant le juge « d’un naturel peureux et [qui] n’ose affronter l’ennemi face à face. » (p. 71) alors qu’est-ce qui l’a conduit là ?

Mon passage préféré. « Chaque jour, en lisant, je découvre le bonheur de penser. Car lire, c’est penser. Car lire, c’est délire. » (p. 118).

Bien qu’il parle d’autres personnages et qu’il s’adresse à un juge ou à l’infirmier de la prison, le narrateur est le seul personnage à intervenir, dans un monologue fait de questions, de réponses et parfois de souvenirs plus ou moins douloureux. Lydie Salvayre étant psychiatre, elle retranscrit parfaitement le passé et les idées du personnage, tout ce qui l’a conduit peu à peu à devenir l’homme exécrable qu’il est, le meurtrier qu’il est devenu, tout l’y poussait, indéniablement. C’est rythmé, il y a même un certain suspense mais, à aucun moment, la haine du narrateur n’est orientée vers le lecteur (qui pour lui n’existe pas), elle est orientée vers son père, vers sa femme, vers ses collègues au musée, vers les touristes ignares qu’il ne supporte plus, vers les chiens aussi, et sûrement contre lui-même car il s’en veut d’être comme il est mais il ne peut pas s’en empêcher…

J’ai l’impression que Lydie Salvayre a créé son personnage comme si elle était peintre, je ne l’ai pas apprécié cet homme, il est détestable, ignoble, mais qu’est-ce qu’il est bien dépeint, une sacrée création littéraire !

Avez-vous un autre roman de Lydie Salvayre à me conseiller ?

Je mets cette lecture dans Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 16, un livre de moins de 200 pages) et Petit Bac 2022 (catégorie Animal pour Mouches).

Le cri de l’oiseau de pluie de Nadeem Aslam

Le cri de l’oiseau de pluie de Nadeem Aslam.

Seuil, collection Cadre vert, février 2015, 288 pages, 21 €, ISBN 978-2-02-108372-9. Season of the Rainbirds (1993) est traduit de l’anglais par Claude et Jean Demanuelli.

Genres : roman anglo-pakistanais, premier roman.

Nadeem Aslam naît le 11 juin 1966 à Gujranwala (Pakistan). Il est adolescent lorsque sa première nouvelle (écrite en ourdou) est publiée dans un journal pakistanais. Mais, avec le coup d’État militaire, sa famille s’exile dans le Yorkshire en Angleterre en 1980. Il étudie la biochimie à l’université de Manchester mais abandonne pour l’écriture. Son premier roman, Season of the Rainbirds, paraît en 1993 et reçoit deux prix littéraires. Ses autres romans sont La cité des amants perdus (2006), La vaine attente (2009), Le jardin de l’aveugle (2013), Le sang et le pardon (2018).

C’est la panique au village : un coup de feu a été entendu et le juge Anwar est mort. Azhar, commissaire divisionnaire, voisin et ami du juge, va mener l’enquête mais… Petit problème, les hommes qui sont venus le matin prévenir Azhar ont vu une femme chez lui, Elizabeth Massih, une chrétienne (scandale pour la communauté !). Évidemment les deux imams (il y a deux mosquées concurrentes) s’en mêlent. En attendant, est-ce un cambriolage qui a mal tourné ou autre chose ? « Il était juge, et corrompu jusqu’à la moelle. Et, en plus, dans la politique jusqu’au cou. Ça pourrait être n’importe qui. » (p. 58).

Deux événements importants : des sacs de courriers perdus dans un accident de train il y a dix-neuf ans réapparaissent et un journaliste de la capitale vient faire un article sur la mort du juge avec un photographe (or les dessins et photographies sont interdits).

Maulana Hafeez, un des deux imams, est intrusif, il entre chez Mansoor et son épouse parce qu’ils ont une télévision alors que cinéma et télévisions sont interdits… « J’espère sincèrement que tu réfléchiras à mes paroles, dit-il à Mansoor qui le raccompagnait à la porte. Mon rôle consiste simplement à prévenir les gens des dangers qu’il y a à s’écarter du droit chemin. » (p. 75).

Par rapport au titre, il y a plusieurs oiseaux dans ce roman. Les pigeons sur le toit sont impurs, le perroquet dans sa cage est impur (dixit Maulana Hafeez) et l’aigle martial de la patrouille s’est échappé après avoir brisé sa chaîne mais c’est en fait le papiha ou koyal (oiseau migrateur de la famille du coucou) qui crie pour annoncer la mousson.

Au village, tout le monde est impacté par le meurtre du juge, principalement Gul-Kalam le veilleur de nuit (chrétien) qui est accusé, mais aussi Nabi le coiffeur, Zafri le boucher, les femmes aussi, évidemment. En plus, un missile a été tiré, « ce serait le fils du Premier ministre qui a été pendu » (p. 252), l’état d’urgence a donc été proclamé à Lahore ; au village tout est trempé par la pluie parce que c’est la mousson et le bureau de poste du village est fermé puisque le receveur de la poste (qui a distribué les lettres perdues il y a dix-neuf ans) s’est enfui après la distribution pressentant le danger…

Le glossaire en fin de volume me dérange car ce n’est pas évident d’aller à chaque fois consulter la définition d’un mot totalement inconnu à la fin, je préfère les notes en bas de page…

Ce que je retiendrai : « Après la Partition, les hindous avaient émigré en Inde, et les musulmans, qui avaient fait le trajet inverse pour les remplacer et s’installer dans leur nouvelle patrie, avaient détruit nombre des sanctuaires de leurs prédécesseurs. » (p. 27). Combien de trésors historiques et architecturaux dynamités ?…

Mon passage préféré : « – Pourquoi est-ce que vous autres journalistes êtes toujours en quête d’insolite ? demanda Azhar en levant les épaules. Pourquoi ne pas écrire sur les choses de tous les jours ? – Le quotidien, c’est l’affaire du romancier, dit Saif Aziz en faisant tournoyer son parapluie au-dessus de leur tête. Le journaliste, lui, a pour tâche de traiter de l’extraordinaire. » (p. 177).

Ce roman n’est pas à proprement parlé un roman policier mais il y a une enquête pour découvrir qui a tué le juge Anwar, enquête qui n’avance pas et le vieux chrétien est le coupable idéal… L’auteur en profite plutôt pour aligner une sacrée galerie de personnages, tous écrasés par la religion et les interdits. Sacrée ambiance ! Ce roman se déroule dans les années 80 mais est-ce que les choses ont changé depuis ?

Je suis très contente d’avoir lu ce premier roman de Nadeem Aslam (paru plusieurs années après son écriture et sa parution en Angleterre) dans le cadre de la lecture commune du challenge Les étapes indiennes pour la fête nationale du Pakistan le 14 août. Il paraît que ses romans suivants sont encore meilleurs alors j’en lirai d’autres à l’occasion.

Ce roman entre aussi dans le Challenge de l’été #2 puisqu’il emmène ses lecteurs au Pakistan et dans Polar et thriller 2021-2022.

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Haïkus des quatre saisons avec des estampes de Hokusai

Haïkus des quatre saisons avec des estampes de Hokusai.

Seuil, octobre 2010, 128 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-02102-293-3. Haïkus traduits du japonais par Roger Munier.

Genres : littérature japonaise, poésie, classique.

Différents auteurs très connus comme Bashô, Buson, Issa, Shiki (plusieurs haïkus de chacun) et moins connus comme Chiyo-ni, Chora, Gonsui, Hashin, Kikaku, Kitô, Koyû-ni, Kubonta, Moritake, Onitsura, Saikaku, Senkaku, Shara, Taigi, Yayû, Yûsui (un ou deux haïkus de chacun).

Que dire sur ce recueil de poésie en dehors du fait que, bien sûr, il est magnifique tant au niveau des haïkus qu’au niveau des estampes. Je vais donc parler un peu du haïku et des haijin, des estampes et de Hokusai puis donner mes quatre haïkus préférés (un par saison). Hier, j’ai publié une photo qui montre un extrait de ce recueil.

Le haïku. Le haïku 俳句 est un poème japonais court se composant obligatoirement de : 1. 17 mores (syllabes pour les Occidentaux) disposées d’une certaine façon (5/7/5), 2. un kigo (un mot de saison) et 3. un kireji (une césure). Le haïku est très codifié et s’il ne comporte pas de saison ou pas de césure, ce n’est pas un haïku, c’est un muki. Ou un senryu qui parle des faiblesses humaines de façon cynique (*). Le mot haïku est créé en 1891 par Masaoka Shiki (qui fait partie des auteurs de ce recueil). Car au XVIe siècle, les Japonais utilisaient haïkaï-renga ou renga (au moins deux strophes). Et le mot hokku désigne la première strophe d’un renga. Shiki a donc contracté haïkaï et hokku pour créer haïku. Pour conclure, le haïku parle de ce qu’a vu ou ressenti son auteur durant une saison (par exemple des cerisiers en fleurs symbolisent le printemps). (*) J’ai rencontré des gens qui disent écrire des haïkus mais qui n’y parlent que de leurs problèmes personnels et existentiels, ils ont bien du mal à comprendre que ce ne sont pas des haïkus… Ces gens regardant uniquement en eux et n’observant pas du tout la Nature et les saisons !

Les haijin. Les auteurs de haïkus sont des haijin 俳人 (ou haïkistes pour les Occidentaux). Les premiers haijin vivaient au XVIe siècle : Sôkan Yamazaki (1465-1553) dit Sôkan n’est pas présent dans ce recueil mais Arakida Moritake (1473-1549) dit Moritake y est. Les haijin les plus connus sont Bashô Matsuo (1644-1694) dit Bashô, Buson Yosa (1716-1783) dit Buson dont j’ai déjà publié 66 haiku, Issa Kobayashi (1763-1828) dit Issa et Masaoka Shiki (1867-1902) dit Shiki qui représentent les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles apportant chacun des évolutions. Quatre siècles sont donc représentés dans ce recueil. À noter que le célèbre romancier et nouvelliste Natsume Sôseki (1867-1916) dit Sôseki a écrit des haïkus après sa rencontre avec Masaoka Shiki en 1887.

Les estampes japonaises. L’ukiyo-e (浮世絵) signifiant « image du monde flottant » est une technique artistique japonaise de peinture (e) gravée sur bois créée à l’époque d’Edo (1603-1868). Sont représentés des paysages naturels (incluant les animaux) et des lieux célèbres mais aussi des personnes réelles comme des acteurs du théâtre kabuki, des lutteurs de sumô… et des femmes, des femmes belles (bijin), des courtisanes (oiran), parfois dans des scènes érotiques (« maisons vertes », Yoshiwara le quartier des plaisirs…), et aussi des créatures fantastiques comme les yôkai (fantôme, esprit, démon). Les ukiyo-e peuvent aussi être des illustrations de calendrier (egoyomi) et de cartes de vœux privées luxueuses (surimono).

Hokusai. Parmi les artistes d’estampes japonaises les plus célèbres, il y a Kitagawa Utamaro (c. 1753-1806) dit Utamaro, spécialiste des portraits (okubi-e qui signifie « image de grosse tête »), Utagawa Hiroshige (1797-1858) dit Hiroshige, spécialiste des estampes de la ville d’Edo et du Mont Fuji et Katsushika Hokusai (1760-1849) dit Hokusai et surnommé le « Vieux fou de dessin » spécialement connu pour ses vues du Mont Fuji et pour sa Grande vague de Kanagawa. Mais les estampes de ce recueil ne se limitent pas au Fuji et à la vague, elles montrent des paysages (des arbres, des fleurs, des points d’eau, des montagnes…), des animaux, des personnages (à l’intérieur ou à l’extérieur) et même des objets. Né à Edo (l’ancien nom de Tôkyô), Hokusai a vécu pratiquement toute sa vie à Asakusa (quartier que j’aime beaucoup) mais il a voyagé en particulier à Kyôto et a eu une carrière de 70 ans (durant laquelle il a régulièrement changé de nom d’artiste). Ses œuvres sont visibles dans deux musées : le Hokusai-kan à Obuse dans la préfecture de Nagano (depuis 1976) et le Sumida Hokusai Bijutsukan (Musée Sumida Hokusai) à Tôkyô (depuis 2016). À noter que sa fille cadette, Katsushika Ôi (c. 1800–c. 1866), est devenue peintre et est connue grâce à une série de manga Sarusuberi de Hinako Sugiura (3 tomes, 1983-1987) et un très beau film d’animation Sarusuberi Miss Hokusai réalisé par Keiichi Hara (2015).

Voilà, j’espère que ce billet vous a plu, vous a donné envie de lire ces haïkus et, avant de vous donner mes quatre haïkus préférés (un par saison donc, mais ils peuvent changer au gré de mes relectures et de mon humeur), je voulais vous dire que les Japonais sont fiers d’avoir quatre saisons et ont du mal à croire qu’en Europe aussi il y a quatre saisons (peut-être qu’au Japon, les saisons sont plus « marquées » qu’ici).

Printemps : Rien d’autre aujourd’hui / que d’aller dans le printemps / rien de plus (Buson).

Été : Montagnes au loin / où la chaleur du jour / s’en est allée (Onitsura).

Automne : De temps à autre / les nuages accordent une pause / à ceux qui contemplent la lune (Bashô).

Hiver : Les chiens poliment / laissent passage / dans le sentier de neige (Issa).

Pour le Mois au Japon et 2021, cette année sera classique, Challenge lecture 2021 (catégorie 55, un recueil de poèmes), Hanami Book Challenge pour le menu 1, Au temps des traditions, pour le sous-menu 4, fête traditionnelle, nature, écologie (chaque changement de saison est une fête au Japon et aussi bien les haïkus que les estampes font ici honneur à la Nature), Petit Bac 2021 (catégorie Météo, les saisons étant acceptées).

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Projet 52-2021 #14

Quatorzième semaine pour le Projet 52-2021 de Ma avec le thème poésie. Cette photo montre un extrait de Haïkus des quatre saisons illustrés avec des estampes de Hokusai, un beau livre que j’aime lire et relire. Je vous souhaite un bon week-end printanier et, si vous voulez participer, allez voir Ma !

 

Citation

Le manteau de neige de Nicolas Leclerc

Le manteau de neige de Nicolas Leclerc.

Seuil, collection Thrillers, février 2020, 352 pages, 19 €, ISBN 978-2-02142-690-8.

Genres : littérature française, roman policier, fantastique.

Nicolas Leclerc naît en 1981 à Pontarlier (Doubs). Après avoir étudié l’audiovisuel et le cinéma, il travaille pour la télévision. Le manteau de neige est son premier roman. Le deuxième, La bête en cage, est paru en janvier 2021 (j’ai hâte de le lire).

Village de Vuillefer dans le Haut-Doubs (village inventé, il existe un Vuillecin près de Pontarlier mais pas de Vuillefer). C’est l’hiver et le village est sous un manteau de neige.

Dans une ferme isolée, une vieille femme catatonique depuis plus de 20 ans se lève subitement et égorge son mari devant la chienne médusée. Étienne Devillers était un agriculteur retraité. À son enterrement, Alexandre, le fils qui n’avait plus de contact avec ses parents depuis des années, Laura son épouse, et Katia, leur fille, une adolescente qui souffre d’haptophobie (je ne savais pas ce que c’était).

Jugée irresponsable, la vieille femme, Louise, va être internée et Alexandre espère disposer de la ferme comme bon lui semble. « Qu’on s’en débarrasse de cette ferme. Qu’on en finisse une bonne fois pour toute. » (p. 27). Mais Alexandre ne peut pas vendre la ferme car c’est Katia qui en hérite et elle n’a que 16 ans. Peut-être qu’à sa majorité, elle voudra la vendre…

Dans la maison, Katia a des visions. « Une crise d’angoisse ? […] Des sensations inédites qu’elle ne peut pas expliquer, qu’elle n’arrive pas à comprendre. » (p. 43). Mais elle récupère la chienne, Malaga, qui devient le seul être vivant qu’elle peut toucher.

Lucie, la sœur de Louise, qui avait recueilli Alexandre lorsqu’il avait fui de la ferme, à l’âge de 10 ans, sait sûrement des choses mais elle ne veut rien dire à Laura. « Laisse le passé là où il est. Ça n’a rien à voir avec Vuillefer. » (p. 64). Mais comment laisser le passé alors que Katia est envahie par des choses horribles ?

Ce roman parle de prison mentale, de fantômes, de poltergeist (ça faisait longtemps que je n’avais pas vu ce mot, il était très à la mode dans les années 70 et 80 au cinéma et dans la littérature !).

Les parents de Katia se décident à la faire consulter Caroline Grunwald, une spécialiste des phénomènes paranormaux. « Cette gosse, c’est un don. Il faut lui faire prendre conscience de son importance, il est hors de question de gâcher une telle aptitude. Katia a déjà plus que largement prouvé son potentiel. » (p. 137).

Katia voit en fait deux fantômes, un homme qu’elle a surnommé l’Ogre et une jeune femme rousse (qui s’appelle Camille). Elle va découvrir des « événements dissimulés par les années, oubliés ou tus, qui demeurent gravés dans la mémoire du lieu. » (p. 174) et ça va mal se finir !

Sous ce manteau de neige immaculé, l’auteur décrit le Haut-Doubs (à ne pas confondre avec le Jura, merci !), les vallées, les fermes isolées, les fruitières à comté (miam !), les tuyés (miam aussi, même si je ne mange plus que très rarement de saucisses, mais l’odeur, hum…), les gens austères avec de graves secrets de famille qui remontent à la Seconde guerre mondiale et même avant.

Comme je participe au Printemps de l’imaginaire francophone (PIF), je voudrais dire qu’il y a un renouveau d’auteurs français qui allient avec brio thriller et fantastique (voire horreur). Depuis le début de l’année, j’ai lu La princesse au visage de nuit de David Bry, La mémoire du temps de Frank Leduc, Deux gouttes d’eau de Jacques Expert et Le manteau de neige de Nicolas Leclerc, quatre auteurs que je lisais pour la première fois. Évidemment, j’ai lu des avis mitigés : ceux qui ne voulaient que du thriller ont été chamboulés par le côté fantastique et ceux qui ne voulaient que du fantastique ont été dérangés par le côté enquête. Pas de cela chez moi, j’aime les deux genres et j’aime la fusion de genres, donc aucun problème pour moi comme je le disais déjà dans ma note de lecture de La princesse au visage de nuit de David Bry. Et puis ça fait du bien d’avoir un peu peur de temps en temps, non ? Non… Eh bien, tant pis pour vous !

Je mets cette excellente lecture dans d’autres challenges : Challenge lecture 2021 (catégorie 27, un livre d’un auteur originaire de votre région de naissance, zut, il faudra que je trouve un autre roman avec une couverture rouge pour la catégorie 7 !), Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Météo pour Neige) et Polar et thriller 2020-2021.

Ainsi parlait ma mère de Rachid Benzine

Ainsi parlait ma mère de Rachid Benzine.

Seuil, janvier 2020, 96 pages, 13 €, ISBN 978-2-02143-509-2.

Genres : roman franco-marocain, premier roman.

Rachid Benzine naît le 5 janvier 1971 à Kénitra au Maroc. Il arrive en France à l’âge de 7 ans. Il étudie les sciences humaines et l’économie. Il est professeur, auteur et prône le dialogue entre islam et christianisme (Nous avons tant de choses à nous dire avec le père Christian Delorme en 1998).

Après Dans les yeux du ciel qui ne m’avait pas convaincue, j’ai quand même voulu lire Ainsi parlait ma mère parce que j’avais entendu l’auteur à 28’ (Arte) et il m’a paru sympathique.

Le narrateur, 54 ans, professeur de lettres à l’Université catholique de Louvain en Belgique, fait la lecture à sa mère, âgée (93 ans) et malade. « Ma mère ne sait pas lire. » (p. 7). Ce livre dont elle « demande la lecture à chaque moment de la journée où elle se sent disponible, où elle a besoin d’être apaisée, où elle a envie tout simplement de profiter un peu de la vie. Et de son fils. » (p. 7-8), c’est La peau de chagrin d’ Honoré de Balzac.

Quand ses parents sont arrivés à Schaerbeek, en Belgique, au milieu des années 50, la mère est restée au foyer pour élever les cinq garçons (le narrateur est le plus jeune) et le père « travaillait au pilon, près de Bruxelles. » (p. 13) alors il ramenait chaque soir des magazines et des livres. « Autant qu’il pouvait en porter. » (p. 13).

J’aime la tendresse que raconte ces phrases ; le père qui apprend à lire en même temps que son jeune fils et qui « affectionnait particulièrement le magazine Modes et travaux dont le public cible était pourtant clairement affiché : la femme au foyer, chic et parisienne. » (p. 15). La mère qui, dans les années 70, le samedi soir, « chantait à l’unisson, des vedettes du moment […] C’était le seul moment où on la sentait vraiment heureuse, transfigurée. » (p. 28). Ah, les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier !

J’ai aimé la relation mère-fils, tout en tendresse, et en découvertes surprenantes pour le fils. « La maman d’un grand con suffisant, oui ! » (p. 58).

Un livre savoureux sur l’amour qu’une mère porte à ses enfants et qu’un fils porte à sa mère même en fin de vie. Un joli livre de souvenirs aussi. Et dans une moindre mesure, une petite analyse de La peau de chagrin de Balzac avec quelques moments amusants. « Nous avons bataillé ainsi durant des années sur des tas d’interprétations possibles de l’œuvre, des personnages, des thèmes abordés, des enjeux, des conflits. » (p. 75).

Pour le Challenge du confinement (case Contemporain). Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 17.

Dans les yeux du ciel de Rachid Benzine

Dans les yeux du ciel de Rachid Benzine.

Seuil, août 2020, 176 pages, 17 €, ISBN 978-2-02143-327-2.

Genre : roman franco-marocain.

Rachid Benzine naît le 5 janvier 1971 à Kénitra au Maroc. Il arrive en France à l’âge de 7 ans. Il étudie les sciences humaines et l’économie. Il est professeur, auteur et prône le dialogue entre islam et christianisme (Nous avons tant de choses à nous dire avec le père Christian Delorme en 1998). Du même auteur : Ainsi parlait ma mère (2020).

« […] j’aime tant mon pays. Ses gens. Grandiloquents, perdus dans leur certitude, ignorants mais généreux jusqu’à l’oubli de leurs propres désirs. Un pays, ses gens. Meurtris. Meurtris mais vivants. Et d’autant plus vivants que c’est la révolution. La nôtre. Celle de tous les espoirs. » (p. 9).

Nour est prostituée comme l’était sa mère. Sa vie n’a pas été facile… Entre les avortements de sa mère qu’elle doit pratiquer dès l’âge de 8 ans, la mort de sa mère, les viols qu’elle a subis à l’âge de 12 ans… Et puis, immédiatement après, la prostitution. « Chaque soir, l’alcool. Les coups, les gifles, les insultes, les ordres. » (p. 18). Au moment où elle raconte, elle a 40 ans et a un ami homo prostitué qui s’appelle Slimane. Et une fille de 13 ans. « Je me dégoûte chaque jour un peu plus. Et j’ai de plus en plus de mal à embrasser ma fille. Comme si je la souillais. Comme si je ne la méritais plus. » (p. 27). Sa fille, Selma a au moins la chance d’aller dans une bonne école. Nour veut une autre vie pour elle. Leur seul ami, c’est Omar, l’épicier en face de chez elles, 70 ans, que Selma considère comme un grand-père et qui lui raconte des histoires d’avant. « Je n’ai pas pu donner une histoire familiale à ma fille. J’aurais aimé. Mais je suis comme une branche coupée, d’où elle a surgi comme un bourgeon. Omar, qui lui raconte plein d’histoires d’autrefois, est devenu son ouverture sur un passé que moi j’ai condamné, comme on condamne une porte. » (p. 41). Mais Nour arrive à un triste constat : « Je n’ai ni la phobie ni le dégoût des hommes. Nous ne vivons simplement pas dans le même monde. Rien de plus. » (p. 57).

Arrive ce que les journalistes occidentaux ont appelé le « printemps arabe » et la vie change pour Nour, ses clients, Slimane et Selma. Un journaliste américain dit « là où la religion passe, la liberté trépasse. » (p. 98).

Les phrases sont courtes, percutantes et ce roman – qui ne dit pas dans quel pays il se déroule exactement mais on peut penser à un mix des pays du Maghreb – raconte des choses horribles…

Je ne vais pas m’appesantir sur cette lecture pour deux raisons :

1. J’avais très envie de lire ce livre malgré la couverture hideuse (qui fait plus penser à Nour la Schtroumpfette qu’à Nour la prostituée arabe…).

2. Ça ne me dérange pas que ce roman raconte des atrocités (elles ont eu lieu de toute façon) mais la narratrice est une femme de 40 ans et, malheureusement, ce roman manque de subtilité féminine (on sent trop que l’écriture est masculine).

Donc à lire si vous êtes curieux ou si vous voulez en savoir plus sur le « printemps arabe » même si ce livre arrive un peu tard : ça fait dix ans que cette révolution a commencé et très peu de choses ont bougé…

Ça ne m’empêchera pas de lire Ainsi parlait ma mère, son premier roman paru également en 2020 mais en janvier.

Pour les challenges 1 % rentrée littéraire 2020 et À la découverte de l’Afrique.

  Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 16.