Histoires fantastiques du temps jadis (Japon)

Histoires fantastiques du temps jadis.

今昔物語集 Konjaku monogatari shû est traduit du japonais et présenté par Dominique Lavigne-Kurihara.

Philippe Picquier, ça c’est la version poche ; je l’ai lu en édition brochée : juin 2002, 234 pages, 19,50 € (le prix est également en francs ! 127,91 F, il me semble qu’à l’époque, le double affichage était obligatoire), ISBN 978-2-87730-604-1.

Genres : littérature japonaise, contes, fantastique.

Ces « Histoires qui sont maintenant du passé » ont été compilées (comme l’ont été les contes de Grimm ou d’Andersen) et achevées vers 1120. En tout, il y a 1059 histoires réparties dans 31 volumes ; elles sont classées par pays : Inde, Chine et Japon. Dominique Lavigne-Kurihara en a choisi 42 classées comme suit : démons = 12, fantômes et spectres = 7, tengus = 4, renardes, renards et sangliers = 6, serpents et serpentes = 8, dieux et esprits = 5. En début de volume, il y a une instructive introduction et, en fin de volume, un répertoire de 20 pages avec tous les termes japonais expliqués et une carte pour repérer les villes où se situent les histoires.

Toutes ces créatures existaient et existent peut-être encore : on les retrouve dans les films, les séries, les mangas, la littérature, les jeux vidéo. Les Japonais sont champions pour faire entrer le fantastique dans le quotidien parce que ça fait partie de leur vie depuis toujours (lire par exemple les romans et les nouvelles de Haruki Murakami, entre autres). Les ouvertures (portes comme la célèbre Rashômon), les passages (ponts) et les embranchements (carrefours, nouvelles routes) sont très importants.

« L’origine de cette littérature est à rechercher dans les fudoki, ces monographies compilées sur ordre impérial au début des années 700, qui décrivent de façon très exhaustive une province, rapportant les vieilles légendes attachées à chacune de ses montagnes, de ses collines ou de ses rivières. » (p. 24). Puis est arrivé le Nihon Riyôiki (soit « Histoires saintes et étranges du Japon » compilé par le célèbre moine Kyôkai vers 822.

Les personnages de ces histoires sont pour beaucoup des femmes mais aussi des démons, des esprits, des animaux, quelques hommes exilés ou morts en disgrâce : tous veulent se venger. « […] les femmes seront des démons ou des fantômes terrifiants. Et qu’elles sont nombreuses à hanter ces pages ! Délaissées par un mari volage, mortes dans le plus grand dénuement ou plus banalement en couches, restées sans sépulture, elles ont connu bien plus souvent que les hommes le malheur. Alors, faut-il s’étonner qu’elles reviennent se venger, d’une vengeance qu’elles auront désirée terrible ? » (p. 20). C’est pourquoi je mets cette lecture dans Un mois au Japon durant cette semaine qui mets les femmes japonaises à l’honneur.

Les histoires commencent par « C’est maintenant du passé » : l’équivalent de notre « Il était une fois ». C’est que ces histoires doivent frapper l’imagination des auditeurs (elles étaient racontées) mais pas les terroriser.

Je ne peux pas résumer les 42 récits de ce recueil donc pour chaque catégorie, j’en ai choisi un dont je vous donne un extrait.

Dans démons – Comment le luth appelé Genjô fut dérobé par un démon (XXIV, 24). « Ce luth, c’est comme un véritable être vivant ! Si l’on en pince banalement les cordes, sans égard pour sa merveilleuse qualité, il se met en colère et garde le silence. De la même façon, quand la poussière s’est posée sur lui et qu’on ne l’a pas épousseté avec déférence, il se refuse, tout aussi furieux. Rien de plus facile que de comprendre son humeur du moment ! » (p. 61). Il faut dire que le luth Genjô est le luth impérial.

Dans fantômes et spectres – Comment le bœuf du Révérend moine Kôchi fut emprunté par une âme (XXVII, 27). « Le sixième jour après son rêve, vers l’heure du Serpent, le bœuf tout à coup rentra d’un pas paisible, venant d’on ne sait où. Il semblait s’en retourner après avoir accompli une affaire particulièrement importante. » (p. 99-100).

Dans tengus – Comment le Roi-Dragon fut capturé par un tengu (XX, 11). « En nous aidant mutuellement, nous sauverons chacun notre vie ! S’il y a encore une goutte d’eau, je vous le promets, je vous ramènerai à votre ancienne demeure. » (le Roi-Dragon au moine, p. 123).

Dans renardes, renards et sangliers – Comment, à Inamino en la province de Harima, fut tué un sanglier (XXVII, 36). « Si l’on y songe, ce sanglier qui avait vu l’homme entrer dans la cabane, n’était-ce pas dans le dessein de l’attaquer qu’il lui avait joué ce tour ? » (p. 148).

Dans serpents et serpentes – Comment, grâce au secours de Kannon, un homme de la province de Mutsu, qui prenait des faucons au nid, conserva la vie (XVI, 6). « Depuis longtemps, j’attrape les jeunes faucons qui sont faits pour voler au ciel. Je leur passe la cordelette à la patte, leur ôtant la liberté. Ces oiseaux, je les ai retenus captifs ! Et en raison de ce crime, je reçois ma rétribution dès ce monde ; ici et à l’instant, je vais mourir. » (p. 172).

Dans dieux et esprits – Comment l’âme de l’eau du Palais de l’Empereur Reizei, ayant pris une forme humaine, fut capturée (XXVII, 5). « Je suis l’âme de l’eau, dit-il, et ploc, il plongea dedans. On ne le revit plus. » (p. 201).

Une excellente lecture pour Un mois au Japon et les challenges Animaux du monde (renard, serpent, aigle, tengu…), Cette année, je (re)lis des classiques (an 1120, ça c’est du classique !) et bien sûr Contes et légendes #2 et Littérature de l’imaginaire #8. Je mets aussi ce recueil dans le Maki Project puisque ces 42 histoires sont des récits courts (contes, légendes, folklore).