Harper et le cirque des rêves de Cerrie Burnell

Harper et le cirque des rêves de Cerrie Burnell.

Albin Michel Jeunesse, collection Mes premiers Witty, février 2017, 176 pages, 9,90 €, ISBN 978-2-22639-226-8. Harper and the Circus of Dreams (2016) est traduit de l’anglais par Mickey Gaboriaud et illustré (en noir et blanc) par Laura Ellen Anderson.

Genres : littérature anglaise, jeunesse, fantastique.

Cerrie Burnell naît le 30 août 1979 à Petts Wood au sud-est de Londres (Angleterre). Elle étudie le théâtre à la Manchester Metropolitan University et elle a joué non seulement pour le théâtre mais aussi pour la télévision. Elle est actrice, chanteuse, autrice (pour la jeunesse et le théâtre) et elle a travaillé pour la chaîne pour enfants CBeebies de la BBC (en montrant son handicap, son bras droit s’arrêtant au coude). Plus d’infos sur son site officiel.

Laura Ellen Anderson naît en 1988 dans l’Essex (Angleterre) mais vit à Londres. Elle étudie l’illustration à l’University College Falmouth et en sort diplômée en 2010. Elle est autrice et illustratrice (albums, romans) depuis 2011. Elle est connue pour sa série Amelia Fang et le comics Evil Emperor Penguin. Plus d’infos sur son site officiel.

Alors que Harper est sur le toit de la résidence Haute-Tour avec son chat Minuit et qu’elle s’apprête à jouer du violoncelle, elle entend hurler Fumée, la louve de son ami Nate. « C’était une compagne sauvage, qui avait de la sagesse dans le cœur et de la pleine lune dans ses hurlements. Mais ce soir, quelque chose semblait la troubler. » (p. 9). Freddy et sa sœur Lisette les rejoignent sur le toit et tous s’envolent grâce au parapluie rouge magique (voir Harper et le parapluie rouge de Cerrie Burnell). Alors que l’équipage s’est arrêté sur un étrange nuage, « une fille vêtue d’une cape de neige » (p. 18) arrive à toute vitesse et une tempête de glace oblige Harper à reconduire tout le monde sur Haute-Tour.

Les lecteurs apprennent ce qui est arrivé à Harper durant la Tempête terrifiante cinq ans auparavant. « Bien sûr, il arrivait parfois, tard dans la nuit, que Harper se demande qui étaient ses parents, et où ils pouvaient bien se trouver. Mais, avec Minuit qui lui tenait compagnie et tous les habitants de la résidence de Haute-Tour qui veillaient sur elle, il était rare qu’elle en éprouve du chagrin. » (p. 29).

Le lendemain, alors qu’elle joue du piccolo auprès de Minuit, Harper fait la connaissance d’Étournelle, la fille aux oiseaux qui vole sur les nuages. « J’ai grandi dans un cirque, révéla Étournelle avec un sourire. Le vent nous porte à travers le monde. » (p. 37), « Je déclenche de violentes tempêtes afin que le Cirque des rêves puisse arriver en toute discrétion. » (p. 38).

Pour la première fois, Harper et ses amis, Freddy, Lisette, Nate et Fumée – suivis par Minuit – vont traverser la ville car ils veulent aller au cirque et ainsi « revenir avec plein d’histoires à raconter » (p. 49). Et, soudain, le chapiteau rouge et or apparaît flottant sur les nuages. « La petite troupe entra dans le chapiteau rouge et or. Et dans une nouvelle aventure. » (p. 62).

Après avoir lu le premier tome, Harper et le parapluie rouge, dans lequel j’a pu faire connaissance de Harper, ses voisins et les animaux qui vivent avec eux, j’étais ravie d’avoir emprunté en même temps ce tome 2 ! Un tome 3, Harper et la forêt de la nuit, est paru en octobre 2017 et je veux absolument le lire. Bizarrement, il y a deux autres titres parus en anglais, Harper and the Fire Star et Harper and the Sea of Secret mais pas (encore) traduits en français…

C’est vraiment un très bon roman jeunesse, joliment illustré, avec du mystère, de l’humour, de nouveaux personnages surprenants dans le monde du cirque, un monde magique, presque féerique, et poétique, et un secret dévoilé !

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio 2023 (case n° 18, un livre dont vous auriez aimé être le personnage principal, le personnage de Harper est très attirant même si j’aurais le vertige avec le parapluie !), British Mysteries 2023 (pour le côté mystère et surnaturel), Challenge lecture 2023 (catégorie 6, un livre dont l’un des personnages principaux est un chat ou un chien, le chat Minuit et Harper sont les personnages principaux), Jeunesse & young adult #12, Littérature de l’imaginaire #11, Petit Bac 2023 (catégorie Bâtiment pour Cirque), Tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines 2023 (Angleterre).

Harper et le parapluie rouge de Cerrie Burnell

Harper et le parapluie rouge de Cerrie Burnell.

Albin Michel Jeunesse, collection Mes premiers Witty, septembre 2016, 160 pages, 9,50 €, ISBN 978-2-22632-855-7. Harper and the Scarlet Umbrella (2015) est traduit de l’anglais par Mickey Gaboriaud et illustré (en noir et blanc) par Laura Ellen Anderson.

Genres : littérature anglaise, jeunesse, fantastique.

Cerrie Burnell naît le 30 août 1979 à Petts Wood au sud-est de Londres (Angleterre). Elle étudie le théâtre à la Manchester Metropolitan University et elle a joué non seulement pour le théâtre mais aussi pour la télévision. Elle est actrice, chanteuse, autrice (pour la jeunesse et le théâtre) et elle a travaillé pour la chaine pour enfants CBeebies de la BBC (en montrant son handicap, son bras droit s’arrêtant au coude). Plus d’infos sur son site officiel.

Laura Ellen Anderson naît en 1988 dans l’Essex (Angleterre) mais vit à Londres. Elle étudie l’illustration à l’University College Falmouth et en sort diplômée en 2010. Elle st autrice et illustratrice (albums, romans) depuis 2011. Elle est connue pour sa série Amelia Fang et le comics Evil Emperor Penguin. Plus d’infos sur son site officiel.

Harper est douée pour la musique et elle aime son chat noir, Minuit. Elle vit à la résidence de Haute-Tour avec sa grand-tante Suzie dans la cité des Nuages mais, lorsque celle-ci « habilleuse en chef de l’Opéra des Pays-Bas » (p. 9) s’absente, Harper monte chez Élise Caraham, la voisine du dessus, une vieille dame bizarre. Alors qu’elle accompagne Suzie sur le toit, Harper voit son parapluie emporté et… se casser. Depuis l’hélicoptère, Suzie lui lance « Ma chérie, prends le parapluie rouge. Il t’a été laissé par… » (p. 13) mais Harper n’entend pas la fin.

Cependant elle est ravie de pouvoir enfin utiliser le parapluie rouge enfermé depuis toujours dans une cage à oiseaux et veut le montrer à son chat. « Minuit, viens voir mon incroyable parapluie ! Mais Minuit est introuvable. » (p. 18). Pire, il n’a pas touché à son bol de crème, n’a pas joué avec la souris à la menthe poivrée et ne répond pas au son du piccolo dont joue Harper… alors qu’habituellement il suit toujours la fillette. Harper se sent alors « terriblement seule » (p. 21) et c’est à ce moment-là que le parapluie rouge montre sa magie !

En cherchant Minuit dans l’immeuble, Harper se rend compte que Katarina, la minette de la famille brésilienne a disparu, ainsi que Ludo, le matou de la famille allemande, Flocon, le chat de l’école de danse, Memphis et Tallulah, les chats d’Élise Caraham. En fait, tous les habitants de la résidence ont un chat qui a disparu sauf la famille Nathanielson car Nate, malvoyant avait recueilli ce qu’il pensait être un chiot mais qui s’est révélée être « une louve, qui ne l’avait jamais plus quitté » (p. 37). Les chats auraient-ils été envoûtés par la musique de minuit ? « Au douzième coup de minuit, une étrange musique retentit et tous les chats la suivent, chuchota Élise. La plupart ne reviennent jamais. » (p. 35).

Accompagnée par ses jeunes voisins, Nate et sa louve Fumée, Freddy et sa sœur Lisette, Isabella la danseuse, Harper se rend à L’Inoubliable, la salle de concert qui se situe à la cave, avec des instruments de musique pour faire croire qu’ils sont des musiciens. Tous seront utiles, même Lisette qui préfère les souris aux chats.

Ce premier tome de Harper est une belle histoire d’amitié et d’aventure ou la musique et le handicap ont une place importante. J’ai bien aimé le dessin double page (p. 78-79) qui montre tous les chats avec le chef d’orchestre fou et ils ont chacun un instrument miniature pour jouer. « Oui, confirma Harper à voix basse. Les roux sont aux cuivres, les noirs aux bois, les blancs et gris aux cordes et les tigrés aux percussions. » (p. 80). Les enfants pourront-ils libérer les chats ?

Pour ABC illimité (lettre H pour titre), Jeunesse & young adult #12, Littérature de l’imaginaire #10, Petit Bac 2022 (catégorie Couleur pour Rouge), Voisins Voisines (Angleterre).

Zov de Pavel Filatiev

Zov – L’homme qui a dit non à la guerre de Pavel Filatiev.

Albin Michel, novembre 2022, 224 pages, 19,90 € (*), ISBN 978-2-22648-101-6. Zov (2022) est traduit du russe par Gisèle Tokarev. (*) « L’intégralité des droits d’auteur seront reversés à des ONG venant en aide aux victimes de la guerre en Ukraine. » (site de l’éditeur et 4e de couverture).

Genres : littérature russe, témoignage, Histoire.

Pavel (Olegovitch) Filatiev (Павел Олегович Филатьев) naît le 9 août 1988 à Volgodonsk dans l’oblast de Rostov dans le sud de la Russie. Élevé dans une famille de militaires, il s’engage et participe à la guerre en Tchétchénie à la fin des années 2000 puis donne sa démission et élève des chevaux pendant 10 ans. En février 2022, il est parachutiste basé en Crimée et son unité est envoyée dans le centre de l’Ukraine pour faire la guerre. C’est cela qu’il raconte dans Zov. Son livre écrit en russe est disponible librement et gratuitement sur les sites Vkontakte et Gulagu.net (voir ci-dessous) et, depuis août 2022, Pavel Filatiev est exilé à Paris.

J’ai voulu lire ce livre après avoir vu / entendu l’auteur invité au 28’ par Élisabeth Quin sur Arte le 22 novembre [lien vers l’émission, voir les 13 premières minutes).

Introduction de l’éditeur : « Dans ce livre, Pavel Filatiev ne décrit que les événements dont il a été témoin et auxquels il a participé dans les deux premiers mois de la guerre en Ukraine en tant que membre du 56e régiment d’assaut aéroporté. Il n’a pas souhaité porter de jugement sur la suite de la guerre puisqu’il n’en a pas été un témoin direct. » (p. 6). À noter qu’Albin Michel est le premier éditeur à publier Zov en dehors des deux plateformes russes qui l’ont mis en ligne librement en langue russe, l’auteur l’a mis en ligne sur sa page Vkontakte ou VK (l’équivalent de FB en Russie) avant de quitter la Russie et le fondateur de l’association Gulagu.net l’a aussi mis en ligne librement.

Introduction de l’auteur. « Alors que j’écris ces lignes, je suis revenu du front ukrainien depuis un mois et demi. Oui, je sais bien qu’il ne faut pas employer le mot ‘guerre’ parce qu’il est interdit en Russie, mais je continuerai à le faire malgré tout. Que les choses soient claires : j’ai trente-trois ans et, toute ma vie, j’ai dit ce que je pensais, même si c’était à mes dépens, je ne suis pas ‘comme il faut’ et je ne peux rien y faire. Donc, c’est la guerre, l’armée russe tire sur l’armée ukrainienne qui riposte, obus et roquettes explosent sur le territoire ukrainien. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu le bruit que font un obus ou une roquette lorsqu’ils s’approchent de vous. Sinon, vous ne savez pas ce que vous perdez : sentir l’air vibrer et siffler de façon inoubliable, sentir ses entrailles se retourner et sa respiration s’arrêter. Ensuite, si la chance est de votre côté, entendre l’explosion et vous dire que vous avez eu du bol d’être resté entier et de ne pas avoir reçu un éclat d’obus. Dans le cas contraire, ce n’était pas votre jour. Bref, c’est un sacré truc… Pendant ce temps, des militaires meurent des deux côtés et des civils aussi, ceux qui ont le ‘bonheur’ de vivre là où un certain monsieur a eu l’idée de commencer une guerre et de l’appeler ‘opération spéciale’. Sans oublier, bien sûr, tout ce qui va avec : la faim, les maladies, les nuits sans sommeil, le manque d’hygiène, un taux d’adrénaline qui dérape sans arrêt, épuisant les ressources de l’organisme pour lui donner force, rapidité et vitesse de réaction. Ce n’est que plus tard, quant on quitte les zones de combat, vidé, pressé comme un citron qu’on réalise qu’on a bousillé sa santé à jamais. Il y a aussi la pression morale exercée par la conscience sur l’âme et le cœur – si ces mots ont un sens pour vous. Alors, sans le vouloir, on se demande pourquoi et au nom de quoi on est là. Dans quel but on risque sa vie, on corrompt son karma qui n’était peut-être déjà pas au meilleur de sa forme. Je vais vous raconter dans quelles conditions j’ai pu voir cette guerre et dans quelles circonstances je m’y suis retrouvé.Je suis conscient que j’engage ma responsabilité en diffusant des informations sur mon activité militaire mais me taire serait laisser le nombre de victimes continuer à augmenter. » (p. 7-8).

Certains (journalistes, critiques) démontent le livre – sans doute sans l’avoir réellement lu ou sans l’avoir lu entièrement – en disant que l’auteur fictionnalise son histoire… Et alors ? C’est son livre, il écrit ce qu’il veut ! Mais je me rends compte, en lisant son introduction qu’il mêle témoignage (qui semble sincère) et humour ce qui me convient très bien, histoire de ne pas lire que des horreurs…

L’auteur raconte les « Deux mois de boue, de faim, de froid, de sueur, la mort omniprésente. » (p. 11) qu’il a vécus avant d’être évacué car sa blessure à l’œil s’était infectée, « deux mois en première ligne » (p. 13). Lors de l’évacuation en bus, il a pu « réfléchir à ces deux derniers mois de ma vie, à ce qu’ils représentaient, à quoi ils m’avaient servi ; je me demandais si j’avais fait quelque chose de bien ou de mal, pourquoi j’avais participé à cette aventure et comment je m’étais retrouvé là-bas. Depuis ce moment, un monologue intérieur fait de mauvaise conscience, de patriotisme et de bon sens ne s’arrête pas. » (p. 13). En lisant le récit de Pavel Filatiev, je ressens bien ce qu’il a vécu, ses questionnements, sa prise de conscience et je ne remets pas en cause son patriotisme car chacun a le droit (je ne parle pas de devoir) d’aimer son pays, sa langue, son histoire, sa culture quels que soient les événements.

À propos de ses questionnements, je voudrais encore citer cet extrait : « Si l’on s’en tient aux réponses toutes faites, je suis un militaire, un parachutiste obligé d’obéir aux ordres, qui n’a pas le droit d’avoir peur et de ne pas partir à la guerre quand elle est déclarée, je dois servir le bien de mon pays et défendre le peuple de Russie. Mais le bon sens s’en mêle, soulignant les contradictions et soulevant des questions. » (p. 13-14). Je ne vois ni romantisme ni patriotisme exacerbés, simplement un homme intelligent qui réfléchit et qui est lucide. Et je pense que le livre va continuer dans cette voie.

En se questionnant, Pavel Filatiev répond avec discernement à des questions importantes comme « L’Ukraine menaçait-elle la Russie ? », « Si nous n’avions pas attaqué l’Ukraine, elle nous aurait attaqué ? », « L’Ukraine est gangrenée par le nazisme et la population russe est discriminée ? » (p. 14-16) et ses réponses sont bien différentes de celles assénées par le Kremlin, les médias russes et que les Russes se répètent pour se convaincre !

« […] je veux tout raconter avec sincérité, sans cacher les émotions et les pensées qui me traversent. » (p. 22), il donne aussi des informations militaires et je comprends qu’il ait demandé l’asile politique en France car, en Russie, c’est le peloton d’exécution qui l’attend…

En tout cas, dès le début des combats, c’est un sacré bordel ! Qui tire, les Russes ou les Khokhols (« nom péjoratif que les Russes donnent aux Ukrainiens », note p. 28) ? Que veulent dire les fusées de signalisation rouges ou blanches ? Personne ne le sait ! Désorganisation, communications coupées (il le répète plusieurs fois, c’est un peu embêtant pour les lecteurs mais sûrement que pour les soldats c’est très grave car ils sont vraiment coupés du monde et ne savent absolument rien), pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments, manque de sommeil, froid, du matériel obsolète, aucune organisation… Des Russes qui tirent sur des Russes… « Qui répondra de ces morts et de ces blessés ? » (p. 72).

« Il est temps que je vous explique mon rapport à la guerre. Comme n’importe quel militaire doué de bon sens, j’ai une opinion négative de la guerre. Bien sûr, tout ce qui est lié aux activités militaires me plaît, comme à la majorité des hommes, parce que j’ai baigné dedans toute mon enfance. Mais, comme on dit, ‘ceux qui parlent haut et fort de la guerre sont ceux qui ne la feront pas’. » (p. 97). Je comprends que, pour beaucoup d’hommes, l’armée c’est une famille, la camaraderie, et pour certains sûrement aussi l’obéissance, une façon de les canaliser. « D’une façon générale, je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de cette guerre contre l’Ukraine, je n’y vois pas la moindre raison et je dirais même que j’étais contre le rattachement de la Crimée (c’est d’ailleurs en Crimée que j’écris ces lignes) […]. De plus, les Ukrainiens sont le peuple le plus proche des Russes […]. Mon arrière-grand-père, à qui je dois mon prénom Pavel, était un koulak d’Ukraine. Il a fait la première guerre mondiale (qui d’ailleurs n’a rien apporté d’autre à notre pays que mort et souffrance), […]. Depuis un siècle, le pouvoir est passé de main en main et, aujourd’hui, son arrière-petit-fils Pavel est expédié dans sa patrie d’origine pour y sacrifier sa santé, encore un fois pour rien. » (p. 97-98). Qui peut douter de la sincérité de l’auteur ? Et plus loin, lorsqu’il parle de l’état de santé de son père, militaire, invalide à cinquante-deux ans qui n’a droit à aucune aide, je peux vous dire qu’il n’est pas tendre envers les décideurs, « […] l’État l’avait tout simplement oublié, comme beaucoup d’autres qui avaient laissé leur peau et leur santé, non pas pour des yachts, des palais et du luxe, mais pour assurer un avenir heureux à leur grand pays et à son peuple qui avait tant souffert. Ce peuple dont les ancêtres avaient vaincu le fascisme et lui avaient laissé en héritage la devise : ‘Pourvu qu’il n’y ait pas de guerre !’ » (p. 116).

Sûrement mon passage préféré. « Même si presque tout le pays sait que l’armée russe est une vraie maison de fous, on trouve toujours des gens comme moi pour s’y engager en pensant que ce n’est peut-être pas si mal, que les choses se sont arrangées. » (p. 160). « Malheureusement, il y en a aussi qui sont tout à fait satisfaits de la façon dont les choses s’y passent, qui consacrent toute leur vie à faire carrière, qui ont obtenu le grade de commandant ou mieux et qui, à l’approche de la retraite, ne veulent pas tout perdre. C’est sur eux que tient ce système pourri. Ce sont eux qui ont cru qu’avec le bordel qui règne au ministère de la Défense nous pourrions envahir l’Ukraine en trois jours… » (p. 161).

Alors, ce n’est pas de la ‘grande littérature’ – l’auteur le sait et le dit lui-même, « Je ne suis pas un écrivain et j’ai décidé de publier un livre dans lequel je raconte la réalité de la guerre. Mon récit va être lu par le monde entier. » (p. 211), bon peut-être pas en Corée du Nord ! – mais c’est un témoignage très intéressant, que dis-je c’est le seul témoignage d’un soldat russe sur la guerre qui fait encore rage en Ukraine ! « Une longue confession » écrit le journal Le Monde. À lire donc, si vous êtes curieux, si vous souhaitez avoir un autre son de cloche que celui officiel. C’est homme a dit non à la guerre et il raconte le pourquoi du comment en prenant tous les risques. Et en fin de volume, il exhorte le peuple russe à ne plus être attentiste, à raisonner et à dire également non à la guerre, non à l’ignominie, non à ceux qui gouvernent et ne pensent qu’à l’argent et à leur bien-être. J’espère que Pavel Filatiev pourra être apaisé (et soigné) et heureux en France.

À lire : Le Don paisible de Mikhaïl Cholokhov que l’auteur conseille page 201. Je vois que l’intégrale est parue chez Omnibus.

À écouter : Wrong Side Of Heaven de Five Finger Death Punch, un groupe de metal états-unien formé en 2005, à Las Vegas dans le Nevada, par le guitariste d’origine hongroise Zoltán Báthory et le batteur Jeremy Spencer avec Iva Moody au chant, un groupe que je ne connaissais pas et que je découvre (vidéo ci-dessous), un titre conseillé par l’auteur page 204.

J’apprends (page 212) l’existence d’une église du ministère de la Défense russe. C’est une cathédrale en fait, la 3e plus haute église orthodoxe sur Terre (les deux autres étant la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et la cathédrale de Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg). Elle est située à Koubinka (à 75 kilomètres à l’ouest de Moscou) dans le parc Patriot (« parc d’attractions à thème militaire, créé à des fins de propagande », note p. 213, surnommé le Disneyland militaire russe…) (photo trouvée sur internet ci-contre).

Je mets cette lecture dans ABC illimité (lettre Z pour titre), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 28, un témoignage, 5e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 19, un livre dont les bénéfices sont reversés à une association), Le tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines (Russie).

Le Bureau des affaires occultes d’Éric Fouassier

Le Bureau des affaires occultes d’Éric Fouassier.

Albin Michel, mai 2021, 368 pages, 20,90 €, ISBN 978-2-22646-074-5.

Genres : littérature française, roman policier historique.

Éric Fouassier naît le 9 octobre 1963 à Saint Maur des Fossés (au sud de Paris). Il est docteur en droit et en pharmacie, professeur universitaire (histoire de la santé), membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens puis de l’Académie nationale de pharmacie et secrétaire du Grand Prix littéraire de l’Académie nationale de pharmacie. Il écrit depuis l’adolescence, des romans, des nouvelles (parfois sous le pseudonyme d’Yves Magne) et reçoit plusieurs prix littéraires. Le Bureau des affaires occultes, première enquête de l’inspecteur Valentin Verne, reçoit les prix Maison de la presse, Griffe noire du meilleur polar historique de l’année, Lire sous les étoiles, Osny & Clyde en 2021. La suite dans le tome 2, Le Bureau des affaires occultes – Le fantôme du Vicaire. Plus d’infos sur son site officiel.

Paris, été 1830. Alors que les Parisiens font la fête, un garçon d’une douzaine d’années tente d’échapper au Vicaire. Il se réfugie dans une tente mais celle-ci est remplie de miroirs et il se retrouve « prisonnier du labyrinthe de glaces » (p. 16).

Paris, automne 1830. Louis-Philippe est sur le trône, « l’enthousiasme révolutionnaire [est] retombé » (p. 17) et les Parisiens retrouvent « leur existence médiocre » (p. 18), leurs difficiles conditions de travail et leur pauvreté… Mais beaucoup de riches ont tiré leur épingle du jeu et ont fait fortune, comme l’industriel Charles-Marie Dauvergne qui veut marier son fils unique, Lucien, 25 ans, à Juliette, une jeune fille de bonne famille et bien dotée, qui finalement plaît au jeune homme. Mais madame Dauvergne retrouve son fils hébété devant un miroir et il se jette du cinquième étage.

Valentin Verne, 23 ans, orphelin, (à noter qu’il a étudié le droit et la pharmacie comme l’auteur), est « inspecteur au deuxième bureau de la première division de la préfecture de police. Le service des mœurs. » (p. 25) depuis un an. Il vit au « 21 de la rue du Cherche-Midi [dans] un vaste appartement au troisième étage. » (p. 33). Il est subitement détaché à la brigade de Sûreté (fondée par Vidocq) qui cherche à « faire œuvre de bonne police avec des gens parfaitement intègres » (p. 37).

« Valentin ne s’attendait pas le moins du monde à la tournure que prenait l’entrevue. La perspective d’être muté, même pour un temps limité, ne l’enchantait guère. Aux Mœurs, il avait tout loisir de traquer le Vicaire et n’était pas certain de pouvoir bénéficier de la même liberté à l’avenir. Cependant, si la décision de le changer de service était déjà prise, il ne servait à rien de manifester sa contrariété. Mieux valait donner l’impression d’accepter la situation de bonne grâce. » (p. 38). Et c’est sur le suicide étrange de Lucien Dauvergne qu’il doit enquêter.

D’ailleurs, après s’être mis en danger auprès des membres du Renouveau jacobin dont faisait partie le jeune Dauvergne, Valentin est sauvé in extremis par Évariste Galois (qu’il a rencontré la veille) puis apprend le suicide d’un autre jeune homme, Michel Tirancourt qui a déclaré avant de mourir « Ce sont les miroirs qui m’ont obligé. » (p. 126). Avec son supérieur, le commissaire Flanchard, chef à la Sûreté, les choses sont claires, « Si je vous suis bien, monsieur le préfet, il serait souhaitable que l’enquête de l’inspecteur Verne conclue officiellement que ces deux suicides sont bien… des suicides. Mais que si par extraordinaire il s’agissait d’autre chose, nous y mettions le holà. En toute discrétion, cela va de soi. » (p. 127).

Les détails historiques, politiques, médicaux présents dans ce roman ne sont pas là pour faire beaux, ils font bien sûr avancer le récit et donnent de l’épaisseur aux personnages et à l’enquête. D’ailleurs Paris, à cette époque, n’est pas une belle ville, tout n’est que puanteur et cloaque… J’ai bien aimé que Valentin prenne la relève de son défunt père, Hyacinthe Verne, pour débusquer le Vicaire et retrouver Damien, un orphelin enlevé et enfermé quelque part dans une des planques du Vicaire. Valentin Verne est comme un nouveau policier, plus moderne, avec des connaissances et une acuité que les autres policiers n’ont pas, les prémices de la police scientifique.

Il y a aussi une belle galerie de personnages, à commencer par Valentin Verne bien sûr, mais aussi quelques femmes qui commencent à s’émanciper comme Félicienne Dauvergne, la jeune sœur du suicidé, et surtout Aglaé Marceau, une comédienne de 22 ans qui ne laisse pas le jeune policier indifférent. Et puis, il y a Damien, cet enfant de 8 ans qui fait tout pour survivre à la violence et aux dépravations du Vicaire.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 5, un livre d’horreur avec le Vicaire), Challenge littéraire 2022 (catégorie 43, un livre dont le titre est le titre d’une série), Petit Bac 2022 (catégorie Objet pour Bureau qui est un meuble transportable), Polar et thriller 2021-2022.

La machine Ernetti de Roland Portiche

La machine Ernetti de Roland Portiche.

Albin Michel/Versilio, juin 2020, 448 pages, 21,90 €, ISBN 978-2-22645-154-5.

Genres : thriller, Histoire, science-fiction.

Laurent Portiche est diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques, docteur en philosophie et licencié en lettres. Dès le début des années 70, il est réalisateur de documentaires, de séries et d’émissions (scientifiques ou historiques) pour la télévision. Depuis 2017, il est aussi écrivain : Le retour des momies (Stock, 2017), Mémoire totale et Sagesse animale (Stock, 2018), Les enfants de Mathusalem et Harmonies (Stock, 2019), Les maladies rares (Buchet-Chastel, 2021) et la série Ernetti chez Albin Michel/Versilio, La machine Ernetti (2020), Ernetti et l’énigme de Jérusalem (2021), Ernetti et le voyage interdit (2022).

« Avant-propos. Aussi incroyable que cela paraisse, ce roman est basé sur une histoire vraie. Elle s’est déroulée à Rome, au Vatican. Un homme, un prêtre, aurait construit entre 1956 et 1965, en pleine guerre froide, une machine à voir dans le temps. Il s’appelait Peregrino Ernetti. Avec son « chronoviseur », le père Ernetti aurait rapporté toutes sortes d’images du passé, récent ou très lointain. Depuis, cette machine aurait été démontée sur ordre du pape Paul VI, puis dissimulée dans l’obscurité discrète d’une cave du Vatican. Pour quelle raison ? On l’ignore. À partir de là commence une histoire livrée aux seules limites de mon imagination. R.P. » (p. 9).

Mars 1938, région de Messine, nord-est de la Sicile. Ettore Majorana, 32 ans, « l’un des plus grands physiciens du vingtième siècle » (p. 11) fuit une idée « inspirée par le Diable » (p. 11).

Mars 1954. Le jeune père capucin Pellegrino Ernetti est au chevet du padre Pio. Le père Leonardo, envoyé du Pape, « un psychologue reconnu et un membre éminent de l’Académie pontificale des sciences » (p. 13), lui parle d’hypnose et de médecine psychosomatique. Il cherche un jeune assistant comme Ernetti qui a étudié l’histoire et la physique y compris la physique quantique.

Mars 1954, Vatican. Le pape Pie XII, considéré comme « un pape ‘dur’ et très conservateur » (p. 19) a arrêté l’expérience des prêtres ouvriers, « la plupart étaient rentrés dans le rang. Mais pas tous. » (p. 18). Des prêtres français manifestent pour les prêtres ouvriers, pour que l’Église soit au côté du peuple et s’engage dans une certaine libération comme le mariage des prêtres.

1955, dans le domaine de Leonardo. Le vieil homme né en 1881 fait écouter à Pellegrino une bande magnétique qu’il a enregistrée en janvier 1955. Or, ce qui est enregistré est une dispute entre son père et lui lorsqu’il avait 10 ou 11 ans, soit en 1891 ou 1892. Comment a-t-il pu « enregistrer un événement du passé » (p. 23) ?

1955, Rio, Brésil. L’évêque Montini, bras droit du pape Pie XII, doit rencontrer Alberto Pindare de Carvalho, surnommé l’Évêque Rouge, qui vit dans la plus grande favela de Rio, Rocinha, et qui appelle à une révolution sociale pour lutter contre l’asservissement des peuples par le capitalisme. Il veut créer un schisme et fonder l’Église des Pauvres avec des théologiens des pays voisins. Or l’Église catholique se bat contre le communisme et préfère éviter tout basculement politique au sein de l’Église et tout schisme que « le Saint-Siège [craint] autant que le Diable » (p. 29).

Dans ce roman, la religion rejoint donc la science, la politique et le social, la modernité donc et c’est ce qui fait sa force. Serait-ce une « réconciliation entre la science et la foi » (p. 23) ou une folie qui conduira la Chrétienté à sa perte ?

C’est pour éviter cette folie que le pape Pie XII convoque Leonardo et Pellegrino au Vatican en cet automne 1955. Le physicien Ettore Majorana que tout le monde croyait suicidé en 1938 vient de mourir dans un monastère de Calabre et Pie XII a reçu une lettre qui parle de ses travaux sur la physique quantique et les microparticules en particulier les neutrinos (qui étaient considérés comme des particules hypothétiques à l’époque). Montini, Leonardo et Pellegrino sont tenus au secret absolu et partent pour la Calabre pour récupérer « ses travaux mathématiques. Le reste, trois cents pages de calculs, […] conservé dans une caisse, dans sa cellule de Santo Stefano del Bosco. » (p. 35) puis les étudier dans le bunker des caves secrètes du Vatican.

En plus, les premiers manuscrits de la mer Morte ont été retrouvés en 1947 en Israël et des prêtres dominicains sont en train de les étudier (que vont-ils découvrir ?). Le père Hubert de Meaux, qui supervise tout ça en Galilée, envoie une de ses étudiantes, Natacha Yadin-Drori, Juive Ukrainienne, rodée au combat (entraînement de Tsahal, krav maga), récupérer le manuscrit de Dayoub volé après sa découverte, avec Thomas un archéologue français. De Meaux est lui aussi convoqué par le pape Pie XII, inquiet par toutes ces découvertes : vont-elles sauver la Chrétienté ou la mettre en danger ?

Natacha découvre dans le manuscrit récupéré quelque chose d’extraordinaire, des paroles prononcées par Jésus étaient déjà écrites par les Esséniens plus de cent ans avant sa naissance ! De leur côté, Leonardo et Pellegrino avancent dans l’étude des calculs de Majorana. « Cette histoire est vraiment abracadabrante. Avec ses équations mystérieuses, son savant un peu fou, une machine, un écran, on se croirait dans un roman de Jules Verne ! Le père Ernetti resta un moment silencieux. – Non, mon père, pas Jules Verne. Le père Leonardo le fixa surpris. – Pas Jules Verne, mais Herbert George Wells, l’auteur de La machine à explorer le temps. Ils se regardèrent interdits. Ils venaient de comprendre à quoi servait la machine de Majorana. […] – Non pas « voyager », pas se déplacer physiquement dans le temps, comme dans le roman de H.G. Wells, mais voir dans le temps. » (p. 66).

Pie XII n’a « jamais aimé la science, et encore moins la physique moderne » (p. 67) qui se mêle de ce qui ne la regarde pas… La Création a déjà été mise à mal « avec l’explosion de l’atome primitif des astronomes. Et maintenant, le voyage dans le temps ! » (p. 67). Mais il a une idée derrière la tête, « Si la machine fonctionne, nous aimerions pouvoir l’utiliser pour remonter, disons… de deux mille ans. […] Jusqu’à l’époque où a vécu et prêché notre Seigneur Jésus-Christ. […] Ce serait un grand moment dans l’histoire de la chrétienté, peut-être le plus grand […]. Nous montrerions au monde entier le visage authentique du Christ. » (p. 68).

Le lecteur est plongé dans un grand thriller, époques différentes, pays différents (principalement Italie, Israël et Brésil), personnages différents dont la personnalité et les caractéristiques se mettent en place peu à peu (mais rapidement quand même), chapitres courts (véritable page-turner) avec une grande érudition aussi bien historique que scientifique (les fers de lance de l’auteur). J’aime bien lire ce genre de romans (disons thrillers ésotériques) de temps en temps, en espérant qu’il n’y ait pas d’anachronismes et de choses trop tirées par les cheveux (je veux dire stupides et incompréhensibles qui mènent le lecteur en bateau). Ce qui n’est pas le cas ici, il y a une base historique et véridique (cette machine existerait, ça reste au conditionnel, lire l’avant-propos au début de ma note de lecture) mais l’histoire est passionnante et je ne vous en dis pas plus sinon je devrai arrêter trop souvent ma lecture pour noter des extraits !

Mais il y a de très bons passages, par exemple quand Natacha découvre avec Thomas le site de Qumrân où vivaient les Esseniens avec des rites précis avant l’arrivée de Jésus Christ, ou quand Natacha rencontre Pellegrino Ernetti pour travailler avec lui, ou quand Karol Wojtyla fait son apparition (dans le roman), avant de devenir le futur pape Jean-Paul II. Et aussi, à cette époque où les scientifiques parlent de physique quantique et de la théorie des mondes multiples (ou parallèles), imaginez ce que peut montrer une machine qui utilise des microparticules encore peu connues. Bref, ce premier tome m’a convaincue et je veux lire la suite, Ernetti et l’énigme de Jérusalem (2021) et Ernetti et le voyage interdit (2022).

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 15, un roman de plus de 400 pages, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 31, un roman dont l’action a lieu dans une capitale européenne, ici Rome et le Vatican), Littérature de l’imaginaire #10, Petit Bac 2022 (catégorie Objet pour Machine), Polar et thriller 2021-2022 et Une semaine en Italie (avec un peu de retard). Et le nouveau Shiny Summer Challenge 2022 (menu 1 Été ensoleillé, option 1 Mort sur le Nil = policier et thriller).

La Caverne de Marina et Sergueï Diatchenko

La Caverne de Marina et Sergueï Diatchenko.

Albin Michel, mars 2009, 416 pages, 22,20 €, ISBN 978-2-22619-085-7. печтчера (Pechtchera, 2003) est traduit du russe par Antonina Roubichou-Stretz.

Genres : littérature ukrainienne, roman, fantastique.

Marina et Sergueï Diatchenko (Марина та Сергій Дяченки) sont un couple ukrainien (Kiev) mais ils vivent en Californie. Leurs romans (science-fiction, fantastique, fantasy) paraissent en ukrainien et en russe. Ils disent que les univers qu’ils créent sont du « M-realism » (du magic realism ?). Ils sont actifs depuis 1994 et de nombreuses œuvres sont parues (romans, novellas et nouvelles).

« Avertissement. Les habitants de cette ville si semblable aux nôtres vivent dans deux dimensions. Le jour, ils mènent une vie ordinaire, mais sans cruauté ni agression ; la nuit, dans leurs rêves, ils entrent dans le monde de la Caverne, et chacun d’eux s’y transforme en animal – prédateur ou proie, fort ou faible… Peut-on laisser sortir le fauve humain de l’obscure caverne ? Et surtout le faut-il ? Le monde de la Caverne est un monde fabuleux ! Un monde sans meurtre, sans violence, sans peur, un monde où point n’est besoin de fermer sa porte à clé le soir. Mais voilà… en s’endormant, nul ne sait s’il se réveillera le lendemain. » (p. 7).

Pavla Nimroberts vit avec sa sœur aînée Stefana, mariée à Vlaï et le couple a un fils, Mitika (5 ans). Elle est assistante de monsieur Myrel, surnommé Rossard, pour les émissions culturelles à la télévision. Elle va être en retard car elle vient de se réveiller et, dans son rêve, elle était une daine qui a échappé à un stark en se délaissant de sa toison mais normalement « les starks ne ratent jamais leur proie. Toute daine ne peut voir le stark qu’une seule fois dans sa vie. » (p. 10). Bizarrement le stark poursuit la daine dans les rêves suivants, comme s’il s’acharnait sur elle, ce qui est normalement impossible. « Une daine ne doit pas échapper trois nuits de suite au même stark. C’est-à-dire que, bien sûr, elle peut lui échapper trois fois… tout comme il n’est pas exclu que des graines tombées d’un sachet sur le sol y dessinent les contours de la statue de l’Inspiration. Aucune loi physique ne s’oppose à ce phénomène. Sauf que ça n’arrive jamais ! » (p. 35). Dans la Caverne, il y a des daines qui se nourrissent de mousse et des pocks qui se nourrissent de larves (proies), des bouxons, des scrolls et des starks (prédateurs) qui se nourrissent des précédents.

Et puis tout s’enchaîne pour Pavla. Apeurée, elle appelle un numéro confidentiel pour expliquer ce qui lui est arrivé et, peu après, Dod Darnets, journaliste de l’émission Les questions interdites, la contacte, puis, lorsqu’elle rencontre le réalisateur Raman Kovitch pour son travail, elle sait que c’est lui le prédateur, et il comprend que c’est elle la daine, « il avait manqué son but – lui qui ne le manquait jamais ! » (p. 58). C’est impossible ? Comment cela a-t-il pu arriver ? Est-ce même déjà arrivé ? Est-ce dangereux pour Pavla ? Kovitch peut-il être dangereux pour elle dans le monde humain ? Elle trouve de l’aide auprès de Tritan Todine du Magistère de la connaissance, expert du Centre de réhabilitation psychologique. Pavla serait-elle le cobaye d’une expérience scientifique ou sociologique ?

Mais vous, préféreriez-vous un monde comme celui-ci ? Un monde humain (aseptisé) dans lequel il n’y aurait pas de violence, pas de crimes ? Mais, en contrepartie, avec un monde nocturne, la Caverne, dans lequel les prédateurs mangent les proies (qui évidemment ne se réveillent pas au matin) mais les prédateurs le font sans violence, sans animosité, parce que c’est naturel (animal, pas humain) ? Ou préféreriez-vous un autre monde ? « un monde sans Caverne… Le monde sans Caverne, c’est la Caverne en plein jour. La Caverne maintenant et toujours. » (p. 239).

Ce roman étrange et passionnant, qui dénonce les expériences scientifiques (même celles pour la bonne cause), fait la part belle à la dramaturgie et au théâtre (création, évasion, moyen de réprimer la violence en la montrant telle qu’elle est). Il est aussi inspiré de légendes comme La Première Nuit de V. Skroï (œuvre fictive). « La grandeur des légendes, c’est leur absence d’équivoque. […] Les légendes sont… belles. Effrayantes, mais belles avant tout. Dans les légendes, les cygnes se transforment en jeunes filles et les rochers en éléphants. Dans les légendes, le petit garçon trouve un éclat de soleil dans une flaque d’eau. La légende dont vous parlez a une fin tragique. Skroï l’a remplacée par un dénouement heureux. Le seul dénouement heureux de son œuvre… » (p. 133). C’est cette œuvre, adaptée seulement trois fois en trois-cents ans (la Caverne étant devenue un sujet tabou chez les humains) que Raman Kovitch veut mettre en scène mais Pavla, considérée comme malade, est hospitalisée contre son gré. « Vois-tu, Pavla… Il y a des choses dont on ne peut parler. Qu’on peut seulement faire. » (p. 373).

Rien de rédhibitoire pour la lecture de ce roman mais trois fautes… Page 19, « bruit sonore », une redondance, un bruit ne peut être que sonore même si c’est un bruit sourd, par contre on peut dire nuisance sonore ou vibration sonore. Page 82, « justment ». Page 273, « […] à la cravache Et il se manifesta bientôt. », il manque le point après cravache.

Je lirai assurément d’autres titres du couple Diatchenko (que beaucoup de monde pense russe…), si vous en avez un incontournable à me conseiller.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 15, un roman de plus de 400 pages), Challenge lecture 2022 (catégorie 44, un livre dont le titre contient seulement 2 mots, 3e billet), Contes et légendes #4 (c’est un peu spécial mais ça parle de légendes), Littérature de l’imaginaire #10, Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Caverne) et Voisins Voisines 2022 (Ukraine).

Le cœur battant du monde de Sébastien Spitzer

Le cœur battant du monde de Sébastien Spitzer.

Albin Michel, août 2019, 448 pages, 21,90 €, ISBN 978-2-22644-162-1.

Genres : littérature française, roman historique, roman social.

Sébastien Spitzer naît le 9 mars 1970 à Paris. Il étudie à l’Institut d’études politiques de Paris et devient journaliste puis écrivain (documents et romans). Son premier roman, Ces rêves qu’on piétine, paraît aux éditions de l’Observatoire en 2017. Puis Le cœur battant du monde et La fièvre chez Albin Michel, respectivement en 2019 et en 2020.

Londres, 1851. Pendant que les gens aisés paient pour visiter le Palais de Cristal (construit pour l’Exposition universelle), les gens pauvres comme Charlotte (qui a fui la famine en Irlande) vivent dans la misère (une profonde misère). Pourtant cette jeune femme sait coudre et ravauder, elle « sait ranger aussi, plier, laver, écrire, compter, se tenir, se taire et danser quand c’est l’heure de faire la fête au son de la flûte et du violon. Charlotte est une bonne fille d’Irlande. » (p. 17). Elle est enceinte mais son mari, Evans, et parti chercher de l’or en Amérique. Elle veut se présenter à un emploi et se rend à la gare mais elle est agressée et miraculeusement sauvée par le docteur Markus Malte.

Au même moment, Engels arrive par le train de Manchester où il y a des grèves. Il connaît Markus Malte et son regard croise celui de la jeune femme mais il a rendez-vous avec un ami surnommé le Maure, c’est-à-dire Karl Marx. Recherché par plusieurs polices d’Europe, ce dernier est réfugié dans un taudis de Soho avec son épouse, Johanna von Westphalen, une baronne prussienne déchue par sa famille, et leurs enfants.

Le lecteur suit ces trois personnages, Charlotte Evans, Markus Malte, Friedrich Engels et avec lui, Karl Marx et sa famille. Leurs chemins vont se croiser et s’éloigner mais leurs destins seront liés.

Les idées d’Engels (qui est directeur dans une entreprise industrielle que son père possède en partie, Ermen & Engels) et de Marx sont bonnes en théorie mais… (j’expliquerai plus loin). « Des mères et leurs enfants soumis quinze heures de rang à la violence des machines, aux éclaboussures d’huile, à la vapeur brûlante et à toute l’eau qu’il faut pour assouplir les fils de coton et éviter qu’ils cassent. » (p. 88-89). De par son statut, Engels fréquente des aristocrates, des banquiers… mais il ne supporte pas que l’usine impose « ses règles et sa violence » (p. 136).

Durant l’agression, Charlotte a perdu son bébé… Le docteur Markus Malte l’a recueillie chez lui et soignée. Lorsqu’elle va mieux, il lui propose d’adopter Freddy, qui vient de naître prématuré à seulement 7 mois de grossesse. Freddy est l’enfant caché de Karl Marx et de l’employée de maison, Nim Demuth. Il ne faut surtout pas que quiconque apprenne son existence.

1863. Charlotte et Freddy fuient Londres pour Manchester. Freddy a 12 ans et il devient apprenti chez le teinturier Saltz. « Il est attentif. Il apprend vite. Il est le premier sur place et le dernier parti. » (p. 161).

Mais la guerre de Sécession dure depuis plus deux ans et le coton n’arrive plus en Angleterre, ni pour les artisans comme Saltz ni pour les entreprises comme celle d’Engels. « L’article inventorie les dernières victoires du général Sherman […]. Il compare le chef yankee à un barbare détruisant tout sur son passage, non seulement ses ennemis, mais aussi les routes, les voies ferrées, les propriétés privées et surtout les champs de coton, les entrepôts et les stocks. » (p. 167).

Je ne vais pas vous résumer plus pour que vous puissiez découvrir par vous-même l’Histoire et les histoires que raconte ce très beau roman, bien écrit, bien construit, avec un suspense qui va crescendo.

Je voudrais simplement donner mon avis sur le comportement abject de Karl Marx. « Toi, Engels. Tu finances ! Débrouille-toi pour trouver de l’argent. Il faudra plus d’argent. Beaucoup plus. » (p. 175) alors qu’il vient de lire un extrait du Capital qu’il est en train d’écrire et dans lequel il vilipende l’argent et les riches mais, lui qui n’a jamais travaillé et gagné d’argent, est bien content qu’Engels paie tout (logement, nourriture…) pour lui et sa famille, le matériel dont il a besoin pour écrire, et qu’il traduise ses textes en anglais après les avoir relus et corrigés pour les envoyer à des journaux aux États-Unis. Les idées de Marx étaient peut-être remarquables mais son comportement était loin de l’être…

Et je ne suis pas la seule à penser ça. Lydia, la compagne d’Engels, aussi. « Lydia se demande toujours comment Engels peut admirer ce couple. Ils se disent près du peuple. C’est presque leur fonds de commerce. Pourtant ils le méprisent, tous les deux. Elle par son rang et lui par ses inclinations. » (p. 351-352).

Ce roman montre les gens, les pauvres (la population des quartiers mal famés, les exilés irlandais…) et les riches (les bourgeois comme Engels et Marx, et quelques aristocrates). Et aussi l’industrie anglaise et ses accointances commerciales avec l’Inde et les États-Unis, et le lecteur comprend les prémices de révolutions à venir (irlandaise, communiste…) et les exactions de la Guerre de Sécession. Rien n’est pur dans ce cœur battant du monde qu’est Londres dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle. Mais Sébastien Spitzer insuffle du romanesque, du beau (les enfants, la musique…) et livre un roman foisonnant et passionnant. J’ai maintenant très envie de lire Ces rêves qu’on piétine qui parle de Magda Goebbels (ce livre avait échappé à mon attention à sa parution).

Je mets cette lecture dans A year in England et dans Challenge lecture 2021 (catégorie 30, un livre dont l’histoire se déroule dans un pays européen, 2e billet).

La planète des chats de Bernard Werber

La planète des chats de Bernard Werber.

Albin Michel, septembre 2020, 432 pages, 21,90 €, ISBN 978-2-22645-585-7.

Genres : littérature française, science-fiction.

Bernard Werber naît le 18 septembre 1961 à Toulouse. Il mêle conte, philosophie, science-fiction ou genre policier dans ses romans et ses nouvelles. Plus d’infos sur son site officiel et sa page FB.

Après Demain les chats et Sa majesté des chats, il était logique que je lise le dernier tome de cette trilogie féline.

« Nous sommes sur le grand voilier Dernier espoir, nous avons traversé l’Atlantique en trente-cinq jours éprouvants, et face à nous surgit l’immense cité humaine qu’ils nomment New York ? » (p. 13-14). Mais la ville est envahie par les rats, peut-être cent plus qu’à Paris… !

Le lecteur retrouve donc les chats (Bastet, Pythagore, Angelo, Esméralda…), les humains (Nathalie, Roman Wells…) et les autres animaux comme le perroquet Champollion, le chien Napoléon ou le cochon Badinter. « En tout, nous sommes 274 passagers sur le Dernier espoir : 144 chats, 12 humains, 65 porcs et 52 chiens, un perroquet. » (p. 15). C’est qu’il y a eu beaucoup de dégâts parmi la troupe avant de quitter la France…

Pire, beaucoup de rats américains nagent, montent sur le bateau et font un carnage… Les survivants ne sont plus que sept ! Apparemment il n’y a pas en Amérique de raticide contrairement à que qu’ils espéraient… Ces sept survivants sont sauvés par des humains rescapés habitant au sommet d’un building mais ils ne sont maintenant plus que cinq… « Je crois que je déteste l’Amérique. » (p. 66). Et Bastet, toujours narratrice, déteste aussi le chat Bukowski qui a mangé Champollion…

Bastet rêve encore de devenir reine et prophète mais les rats américains sont vraiment nombreux et dangereux. « Ne pas penser à Pythagore, ne pas penser à Champollion, ne pas penser à tous mes compagnons de voyage du Dernier espoir. Ne pas penser aux rats. » (p. 95). Mais les choses peuvent-elles s’arranger ? « Quoi qu’il vous arrive, il peut encore arriver bien pire. » (p. 143). Pas très encourageant… « Il faut que je garde mon calme. J’ai un objectif à atteindre, j’ai une intention claire. » (p. 203) et, en pensant à la présidente des États-Unis, « Elle ne fait que réclamer ma soumission parce qu’elle est un être exclusivement tourné vers le pouvoir. Mais elle n’a pas de vision sur le long terme. Elle gère le présent mais pas le futur. Elle a besoin de moi et non le contraire. » (p. 204). Parfois philosophe, parfois drôle, Baster doute mais essaie d’avoir toujours des idées pour s’en sortir.

Comme dans les deux premiers tomes, Bernard Werber développe sa fiction avec des notions scientifiques ou historiques. Deux exemples. « Entre / Ce que je pense / Ce que je veux dire / Ce que je crois dire / Ce que je dis / Ce que vous avez envie d’entendre / Ce que vous croyez entendre / Ce que vous entendez / Ce que vous avez envie de comprendre / Ce que vous croyez comprendre / Ce que vous comprenez / Il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. / Mais essayons quand même. » (Edmond Wells, p. 374). « Marc Aurèle est l’unique cas d’empereur philosophe. Né en 121 après Jésus-Christ à Rome, il accéda au pouvoir suprême à quarante ans et se montra bon politicien, fin stratège, mais aussi écrivain et homme de sagesse. Sous son règne, l’Empire romain connut son apogée […]. » (p. 395) dans « Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Volume XIV ». Vous vous rappelez que Bastet a accès à cet ESRA grâce à son troisième œil implanté.

Bastet et les survivants réussiront-ils à sauver le monde des rats ? La planète des chats est, malgré l’hécatombe parmi nos amis humains et animaux, une bonne conclusion à cette histoire. Je rappelle ce que j’ai dit précédemment, ce n’est pas de la grande littérature mais il y a de beaux moments, l’auteur ainsi que Bastet se montrent enjoués, c’est parfois émouvant, et le tout est agréable à lire.

Voilà, trilogie terminée ! Je lirai peut-être un autre titre de Bernard Werber un de ces jours (avez-vous un très bon titre à me proposer ?).

Pour Animaux du monde #3 (chats, rats…), Challenge lecture 2021 (catégorie 13, un livre dont le titre comprend le nom d’un animal avec chats), Littérature de l’imaginaire #9, Petit Bac 2021 (catégorie Animal avec chats) et Printemps de l’imaginaire francophone 2021.

Un câlin pour ma colère de Fifi Kuo

Un câlin pour ma colère de Fifi Kuo.

Albin Michel Jeunesse, septembre 2020, 32 pages, 12,50 €, ISBN 978-2-22644-278-9. The Magic Hug (2019) est traduit du chinois (Taïwan).

Genre : album illustré taïwanais.

Fifi Kuo est Taïwanaise. Elle étudie l’architecture du paysage à l’Université de Fu-Jen puis l’illustration jeunesse à la Cambridge School of Art. Du même auteur : Le bon canapé (janvier 2020). Plus d’infos sur CargoCollective.

« Je suis en colère… mais je ne sais pas trop pourquoi. » (p. 4-5) dit le petit dinosaure.

Une histoire amusante pour dédramatiser la colère et comprendre comment la calmer avec un album tout beau tout doux pour se faire plaisir.

Pour Animaux du monde #3 (les personnages sont des dinosaures) et Jeunesse Young Adult #10.

Bon sang, en commentaire Rachel me dit que c’est aujourd’hui la Journée internationale des câlins, je ne savais pas, c’est un pur hasard !!! 🙂

Madame Diogène d’Aurélien Delsaux

Madame Diogène d’Aurélien Delsaux.

Albin Michel, août 2014, 138 pages, 13,50 €, ISBN 978-2-226-25827-4.

Genres : littérature française, premier roman.

Aurélien Delsaux naît en 1981 à Lyon et grandit en Isère. Il est auteur (roman, poésie, jeunesse), comédien et metteur en scène (théâtre) et peintre. Du même auteur : Sangliers (2017), Le grand ménage de madame Cavacava (2018) et Pour Lucky (2020). Plus d’infos sur son site officiel et sur le site de la compagnie L’arbre.

Madame Diogène est une vieille femme qui ne sort plus de son appartement au 6e étage d’un immeuble. Appartement qu’elle a transformé avec tout ce qui lui tombait sous la main… « Elle a établi son terrier au centre de l’ancien séjour, à quoi plusieurs galeries mènent. Il est creusé dans la glaise des choses, et fait comme un petit hémicycle, une frêle arche de couvertures, de tissus, de vieux vêtements (ses manteaux, robes, jupes, chemisiers, culottes, bas), de boîtes à chaussures, de cartons, de cagettes, de sacs en plastique bourrés de papiers et d’emballages. » (page 13). Par un coin de fenêtre, elle observe les éboueurs pendant qu’un voisin, le Gros, tape à sa porte en la menaçant. C’est que la puanteur a atteint les appartements voisins… Les seules – très rares – visites sont celles de l’Assistante qui vient voir si elle va bien et de sa nièce qui veut la placer aux Trois-Roses. Elles n’entrent que dans le couloir de l’entrée qui est resté normal et propre. « Elle n’attend plus personne. Elle n’attend plus rien maintenant. » (page 43). L’appartement est envahi d’insectes, de vers, de souris… et des fantômes de sa vie. La vieille cherche son chat. « Elle l’a encore vu hier, elle en est sûre. » (page 64). Et par la fenêtre, elle observe encore, les grèves et les manifestations. « […] ils s’agitent encore, marchent, courent, se bousculent, se piétinent. » (page 129).

Aurélien Delsaux réussit, pour son premier roman, un coup de maître ! Très bien écrit, très bien dosé, Madame Diogène est un court roman, intense, dérangeant et parfaitement maîtrisé qui enferme le lecteur dans la solitude et la folie, avec un humour discret mais bien présent. Un prix littéraire amplement mérité : la Plume d’Or du Chapiteau du Livre 2015 (Hérault), et finaliste du Prix du premier roman et du Prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco.

Pour le Challenge lecture 2021 (catégorie 46, jeu de mots, madame Diogène s’appelle comme ça parce que Diogène vivait dans un tonneau et elle vit enfermée dans son appartement) et Petit Bac 2021 (catégorie Être humain pour madame).