Thérapie de Sebastian Fitzek

Thérapie de Sebastian Fitzek.

L’Archipel, collection Suspense, novembre 2008, 286 pages, ISBN 978-2-8098-0110-1, cette édition n’existe plus mais c’est celle-ci que j’ai lue. Édition en poche, Le livre de poche, novembre 2009, 320 pages, 8,90 €, ISBN 978-2-25312-736-9. Réédition pour L’opé 30 ans, L’Archipel, septembre 2021, 300 pages, 10 €, ISBN 978-2-8098-4229-6. Die Therapie (2006) est traduit de l’allemand par Pascal Rozat.

Genres : littérature allemande, roman policier, premier roman.

Sebastian Fitzek naît le 13 octobre 1971 à Berlin (Allemagne) où il vit. Il étudie la médecine vétérinaire puis le Droit. Il devient rédacteur en chef de Berliner Rundfunk, une radio privée fondée en janvier 1992. Son premier roman, Thérapie, est d’abord refusé par les éditeurs mais il paraît enfin et connaît un grand succès. Suivent Ne les crois pas (2007-2009), Tu ne te souviendras pas (2008-2010), Le briseur d’âmes (2008-2012), Le chasseur de regards (2011-2014), L’inciseur (2012-2015), Le somnambule (2013-2017), Passager 23 (2014-2018), Le colis (2016-2019), Le cadeau (2019-2021), L’accompagnateur (2020-2022), Playlist (2021-2023). Plus d’infos sur son site officiel (en allemand et en anglais).

Le docteur Viktor Larenz est un célèbre psychiatre de Berlin. Sa fille de 12, Joséphine (Josy), est malade mais aucun médecin ou spécialiste ne peut dire ce qu’elle a. Ce jour-là, elle entre dans le cabinet du docteur Grohlke, allergologue, mais elle n’en ressort pas. Pire, Josy n’avait pas rendez-vous, le docteur Grohlke ne l’a pas reçue depuis un an et le remplaçant de Maria, l’assistante qui était à l’accueil, n’existe pas ! « Désemparé, il [Larenz] regarda autour de lui et eut l’impression que son monde tournait au ralenti. » (p. 18-19).

Dans sa « clinique de Wedding, spécialisée dans les troubles psychosomatiques, […] réservée à ses patients les plus difficiles » (p. 21), c’est le docteur Larenz qui est alité… « les bras et les jambes immobilisés par des sangles élastiques. » (p. 21) ! Seul le docteur Martin Roth lui rend visite. Depuis neuf jours il est en état de parler et son confrère le questionne, « Et si vous me racontiez tout ? […] Tout. Votre histoire. Comment vous avez découvert ce qui était arrivé à votre fille. Les raisons de sa maladie. Décrivez-moi l’ensemble des événements. Depuis le début. » (p. 23-24).

Quatre ans après la disparition de Josy, Bunte (un magazine allemand) a sollicité Viktor Larenz pour une interview. Il s’est alors rendu dans la maison de sa famille sur l’île de Parkum (en mer du Nord) avec Sindbad (un golden retriever que son épouse, Isabel, a trouvé sur un parking près d’un lac) pour répondre aux questions de l’interview. Mais il y est dérangé par une inconnue, Anna Spiegel, autrice de livres pour enfants, enfin ancienne autrice puisqu’elle a été déclarée schizophrène, soignée pendant 4 ans à la clinique psychiatrique de Dahlem qui malgré son excellence et les différents traitements a aggravé son cas… C’est pourquoi elle n’a ni écrit ni lu les journaux depuis bientôt 5 ans. Bien que la schizophrénie soit sa spécialité, pourquoi son confrère a-t-il conseillé à cette patiente de le consulter alors qu’il a vendu son cabinet et n’a plus exercé depuis 4 ans ?

Évidemment, vous vous doutez que je ne peux en dire plus ! Il vous faut lire ce roman pour découvrir ce qui est arrivé à Josy et à son père. Toutefois, jai noté cet extrait qui m’a beaucoup plu, « Tu sais quoi, Viktor ? L’espoir, c’est comme un éclat de verre planté dans ton pied. Tant qu’il reste enfoncé dans ta chair, il te fait souffrir à chaque pas. Tandis que si on te l’enlève, ça saignera pendant un moment, ça prendra un bout de temps avant que la plaie soit guérie, mais, au bout du compte, tu pourras réapprendre à marcher normalement. C’est ce qu’on appelle faire le deuil. Et je crois que tu devrais finir par t’y mettre. » (Kai Strathmann, détective privé, devenu ami, p. 73).

Ça m’a fait sourire : « Où que l’on regarde, on ne voyait que des pins, des hêtres et des boulots. » (p. 83) et un lecteur – ou une lectrice – précédent a corrigé en écrivant « bouleaux » ! De plus, « Ne le prends mal, Viktor » (p. 97), il manque ‘pas’.

À part ces deux erreurs, j’ai dévoré ce roman incroyable et tellement bien écrit et maîtrisé pour un premier roman ! Un suspense énorme ! Et je compte bien lire d’autres titres de Sebastian Fitzek en espérant que les médiathèques les ont achetés et conservés.

Lu pour Les feuilles allemandes, je le mets aussi dans Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 23, un livre sur le thème de la santé mentale ou maladie mentale), Challenge lecture 2023 (catégorie 4, un roman dont le titre est en un seul mot, 2e billet), Petit Bac 2023 (catégorie Maladie/Mort pour Thérapie), Polar et thriller 2023-2024, Tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines (Allemagne).

Béton rouge de Simone Buchholz

Béton rouge de Simone Buchholz.

L’Atalante, collection Fusion, janvier 2022, 240 pages, 19,90 €, ISBN 979-10-3600-100-0. Beton rouge (2017) est traduit de l’allemand par Claudine Layre.

Genres : littérature allemande, roman policier.

Simone Buchholz naît le 10 mars 1972 à Hanau près de Francfort. Elle étudie la littérature et la philosophie à Würzburg en Bavière puis le journalisme à l’école Henri Nannen à Hambourg (où elle vit avec sa famille) et devient autrice dès 2003. Plus d’infos sur son site officiel (natürlich auf Deutsch).

La procureure générale, Chastity Riley arrive sur une scène de crime. Une cycliste est morte sur le bitume. Délit de fuite… Le commissaire principal Vito Calabretta, son supérieur, mène l’enquête.

Le lendemain, « Un homme en cage devant le siège du plus gros groupe de presse hambourgeois. » (p. 17). L’homme est nu et a été torturé. C’est Tobias Rösch, le « directeur des ressources humaines » (p. 30). Riley est sur place et Ivo Stepanovic des Affaires spéciales la rejoint avec son équipe.

Deux jours après, c’est au tour de Leonhard Bohnsen d’être nu et torturé dans une cage identique. Il est « le directeur de publication du services Magazines. » (p. 68). Les cadres de Mohn & Wolff vont-ils tous être torturés et encagés les uns après les autres ?

Une phrase qui interpelle : « […] nous traquons ces gens uniquement parce que d’autres que nous les ont usinés. Soyons francs, tout le système est une machine à fabriquer des monstres. Les enfants d’hier sont les salopards d’aujourd’hui, les enfants d’aujourd’hui les salopards de demain et les enfants de demain… » (p. 223), heureusement Riley ne dit pas tous les enfants…

Je ne m’attendais pas à ce genre d’enquête surprenante et j’ai beaucoup aimé, c’est percutant, brut, sans faux-semblants. Chastity Riley est une femme solitaire et quelque peu borderline ; Ivo Stepanovic est un mâle mais Riley sent qu’il a vécu des choses perturbantes dans son passé (en Croatie). Lorsque Riley et Stepanovic doivent enquêter en Bavière, ils apprennent à mieux se connaître. Je dirais que ce roman policier est un roman noir et un polar. Les chapitres sont vraiment courts (= page turner) mais le rythme est d’enfer et bien alcoolisé. Les personnages secondaires sont efficaces et, heureusement, ne servent pas de faire-valoir à Riley et Stepanovic. En tout cas, un des personnages principaux est tout simplement la ville de Hambourg avec son port et ses mouettes, ses bars et ses usines abandonnées (squattées) ! Mais le roman parle aussi de harcèlement et de violences en internat (et ensuite), des classes sociales et de la toute puissance (et du management) des patrons de la presse qui pourtant périclite. En fait, un premier tome est paru, Nuit bleue, en 2016 en Allemagne et en 2021 chez Fusion / L’Atalante, et j’ai très envie de le lire !

Lu pour Les feuilles allemandes, je mets aussi cette excellente lecture dans Les dames en noir, Polar et thriller 2023-2024 et Tour du monde en 80 livres ainsi que Voisins Voisines (Allemagne).

Les feuilles allemandes – Novembre 2023

5e édition des Feuilles allemandes en ce mois de novembre et je suis ravie d’avoir participé aux 4 précédentes éditions (2019, 2020, 2021, 2022) même si j’ai peu lu par rapport à d’autres participant(e)s. L’objectif est toujours de lire de la littérature germanique (en particulier Allemagne, Autriche, Suisse).

Toutes les infos et des idées de lecture chez Eva et Patrice (de Et si on bouquinait un peu ?) et chez Fabienne (de Livr’escapades).

Mes lectures pour ce challenge

1. Béton rouge de Simone Buchholz (Allemagne, 2017 ; L’Atalante, 2022)

2. Une enfance de paille de Lika Nüssli (Suisse alémanique, 2022 ; Atrabile, 2023)

3. Thérapie de Sebastian Fitzek (Allemagne, 2006 ; L’Archipel, 2008)

J’ai commencé Nuit bleue de Simone Buchholz mais seulement 50 pages alors je le compterai pour décembre.

Image

Le jeudi, c’est musée/expo #39 – Semaine franco-allemande

Cliquez !

Bonjour, ces deux expos étaient visibles la semaine dernière dans le cadre de la Semaine franco-allemande, pour le jumelage entre Bourg lès Valence (Drôme, France) et Ebersbach an der Fils (Bade-Wurtemberg, Allemagne).

La première expo s’intitule Ökokinderleicht et montre l’écologie vue par les enfants allemands. J’ai pu réviser mon vocabulaire !

Je suis désolée, j’ai dû réduire les photos…

Cliquez !

La deuxième expo s’intitule Deutsche Staädte und Landschaften, c’est-à-dire Villes et paysages allemands, proposée par l’Institut Goethe.

Quant au magnifique banc en bois offert par la ville jumelle, c’est un banc sanglier puisque Eber signifie sanglier en allemand.

J’ai pu un tout petit peu parler allemand (pas de pratique = beaucoup de perte…) et goûter deux très beaux gâteaux allemands, un au chocolat (mais pas une Forêt Noire) et un aux prunes, tous deux délicieux.

Nous, les Allemands d’Alexander Starritt

Nous, les Allemands d’Alexander Starritt.

Belfond, août 2022, 208 pages, 20 €, ISBN 978-2-71449-566-2. We Germans (2020) est traduit de l’anglais par Diane Meur.

Genres : littérature germano-écossaise, roman.

Alexander Starritt naît en 1985 de mère allemande et de père écossais. Il grandit en Écosse puis étudie à l’université d’Oxford en Angleterre où il vit actuellement. Il est journaliste (Daily Mail, Guardian, Newsweek, Times Literary Supplement principalement), romancier : son premier roman (non traduit en français) The Beast paraît en 2017, traducteur (Late Fame d’Arthur Schnitzler et A Chess Story de Stefan Zweig) et entrepreneur (il est un des fondateurs de la plateforme apolitical, site en anglais).

Lorsque Callum a posé des questions sur l’Allemagne et la guerre à son grand-père, celui-ci a été un peu en colère parce que les gens de sa génération n’en parle pas et parce qu’il ne se souvenait de pas grand-chose « à part quelques formules que l’on peut énoncer en prenant le café » (p. 10). Mais Meissner, veuf et n’ayant plus rien à perdre, se rappelle peu à peu et recontacte son petit-fils pour raconter, « j’ai beaucoup de temps, beaucoup de tranquillité, et rien à faire. Et, une fois mise en branle par tes questions, voilà que, lentement et poussivement d’abord, la mémoire a commencé à me revenir. » (p. 11). Le roman étant dédicacé « à la mémoire de mes grands parents bien aimés, Walter et Katharina Pretzsch » (p. 7), on se doute que l’auteur s’est inspiré (du moins un peu) de ses grands-parents maternels.

Le récit alterne entre la lettre que Meissner rédige à son petit-fils dans laquelle il raconte ce dont il se souvient et les pensées de Callum Emslie, « C’est vrai que j’avais posé à Opa des questions qui manquaient franchement de tact, lors de ce séjour. » (p. 15), « Pas une seule fois lorsque je l’ai revu après cette conversation, il n’a mentionné la longue lettre qu’il était en train d’écrire. J’imagine qu’au bout d’un moment, il l’a terminée et rangée dans un tiroir : à sa mort, mon oncle l’a trouvée parmi ses affaires, adressée à moi. » (p. 16).

Dès le début, je ressens la solennité et l’émotion de ce roman et je sais qu’il va me plaire. « […] mon grand-père a été enrôlé dans la Wehrmacht en 1940 au sortir du lycée, il a participé à l’invasion de l’Union soviétique en 1941, il a servie dans l’artillerie sur le front de l’Est pendant quatre ans puis, fait prisonnier en 1945 dans ce qui est aujourd’hui l’Autriche, il a été envoyé dans un camp de détention russe au nord-est de la mer Noire, où il est resté jusqu’en 1948. » (p. 17).

Alors que les Allemands avaient gagné en six semaines contre la France, ils pensaient faire de même en Russie, leur armée était tellement « trop perfectionnée, dotée de stratèges trop subtils pour être sérieusement mise en difficulté » (p. 19) ; Meissner avait même apporté ses manuels de chimie pour ne pas prendre de retard dans ses études (il voulait devenir un grand scientifique). « Mais envahir la Russie, c’était comme déclarer la guerre à la mer ; elle nous a tout simplement avalés. » (p. 19) et, en 1944, ce fut la débandade et le retour tragique, sans supérieurs, sans véhicules, sans matériels, en cherchant à rester en vie et à se ravitailler, « prendre des choses à des gens qui ne veulent pas les donner, telle est bien la réalité de la guerre. » (p. 34). Meissner, et sûrement d’autres de ses camarades, ressentent cette honte de prendre (des vies, de la nourriture…) pour rester en vie, de se sentir « coupable d’une chose qui ne dépendait pas de vous. » (p. 35).

C’est que, même si Meissner n’était pas nazi et si Callum adorait son grand-père, il est bien conscient que « il s’est battu pour les nazis. Il a porté l’uniforme, il a tué des gens. Il a accompli les actes dont il parle ici. » (p. 40-41). Et Meissner se demande pourquoi un pays riche comme l’Allemagne est allé envahir des pays pauvres qui avaient « tant de misère, tant d’indigence » (p. 41), « les gens n’ont rien du tout, ici. » (p. 42), « À l’Est, il n’y avait que la campagne de belle. » (p. 42). Opération Barbarossa, trois millions de soldats allemands envoyés à l’Est… « certains sont restés vivants jusqu’au bout. » (p. 49).

Un roman d’une grande force, sincère et émouvant. Meissner raconte la propagande, l’épuisement, la faim, les ignominies, la naïveté (pas que chez les jeunes soldats), les barouds d’honneur (inutiles), les suicides (individuels ou collectifs)… « En commençant ma lettre, c’est vrai, je t’ai dit que je n’allais pas te raconter des atrocités. Mais ces choses-là ont une force de gravité à elles. Elles exercent leur attraction sur le fil de vos pensées. Maintenant nous y voilà. » (p. 62-63). « Les gens s’imaginent toujours que dans ce genre de situation ils n’auraient pas perdu leur humanité, eux. » (p. 64, sûrement ma phrase préférée).

L’Est… « La guerre à l’Est n’était pas comme les autres. Rien à voir avec les combats qui ont eu lieu en France, en Italie ou en Afrique du Nord. On dit parfois que la guerre à l’Est, avec sa cruauté, le génocide, c’était comme l’enfer ou comme l’apocalypse. Ça, je l’ai ressenti. Mais ce qu’on entend par là, en fait, c’est seulement qu’elle excédait toute comparaison possible. » (p. 83). « Aujourd’hui, je pense qu’aucune guerre n’est bonne. Mais, comparée à l’Est, la guerre de l’Ouest donnait et donne encore l’impression d’avoir été une campagne relativement propre, à laquelle on aurait pu être fier d’avoir participé, si ça n’avait été au service des nazis. » (p. 85). « Mais nous, les Allemands, nous savons dans notre chair – et les Polonais, les Ukraininens, les Juifs et les Russes le savent aussi – que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’Est. Et, à l’échelle des pertes russes, on peut à peine dire que les puissances occidentales ont fait la guerre. » (p. 86). Je ne pense pas que Meissner veule minimiser ce qui s’est passé à l’Ouest, il est conscient des pertes, des exactions commises, mais il donne son ressenti par rapport à ce qu’il a vécu et aussi par rapport aux chiffres. Ses phrases sont vraiment intenses et donnent à réfléchir. À l’Ouest, « Les lois de la guerre, ce paradoxe raffiné, y avaient encore cours. Des atrocités y étaient commises aussi, mais c’était une violation des règles, et non leur pure et simple abolition. Là-bas, les armées vaincus étaient autorisées à négocier les termes de leur reddition ; les prisonniers recevaient des rations américaines, fumaient des cigarettes américaines, et attendaient de rentrer chez eux. » (p. 86), c’est sûr que les prisonniers allemands n’étaient pas du tout traités de la même façon à l’Est qu’à l’Ouest (et les prisonniers soviétiques non plus d’ailleurs).

Meissner utilise très régulièrement dans sa lettre « nous, les Allemands » qui donne son titre au roman, c’est qu’il y avait une sorte de fierté, un courage et une unité dans le peuple allemand (de même chez les Russes mais différemment). Mais il veut dire aussi que ‘nous, les Allemands, nous n’étions pas tous des nazis’. J’ai apprécié l’honnêteté de Meissner, « Je n’ai pas vu les camps de la mort. Je n’ai entendu parler du Zyklon B et des fours crématoires qu’après la fin de la guerre. Mais je savais que lorsqu’on déportait les habitants d’un ghetto, c’était pour les envoyer se faire tuer. » (p. 88), c’est sûr que les gradés, les décideurs n’allaient pas parler de ce projet aux jeunes recrues de 18-19 ans envoyées sur les fronts ukrainien et russe… Mais, il reconnaît « la culpabilité collective. Je ne vois aucune faille dans ce concept […]. Même à distance, vous vous rendiez coupable, dans une plus ou moins grande mesure. » (p. 90), responsables sûrement mais peut-on être coupables (collectivement) de ce que l’on n’a pas fait, pas vu, pas su… Meissner n’arrive pas à se sentir coupable de ça mais il éprouve « une honte inextricable » (p. 90) et « La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à acquitter. » (p. 91). « Chacun de nous se dit : Ce n’est pas moi qui ai fondé le parti nazi ; je n’ai déclaré la guerre à personne, moi, je n’ai envoyé personne dans les camps. Mais nous l’avons fait. » (p. 161). Le bien, le mal…, il y a « des questions à laisser aux prêtres et aux philosophes. » (p. 199).

Callum, quant à lui, est très honnête aussi, « À l’époque où, gamin, je grandissais en Écosse, avec une vision purement hollywoodienne de ce qu’étaient les nazis et de ce qu’ils avaient fait, la germanité se bornait pour moi à de longues vacances d’été chez mes grands-parents. [dans] un village du sud-ouest agricole de l’Allemagne, au climat doux et aux odeurs de vache. » (p. 92) où Meissner, Opa (grand-père), tenait une pharmacie. Callum explique pourquoi il a interrogé son grand-père sur la guerre et sa réflexion est très instructive (elle es différente de celle d’un jeune qui serait né et aurait grandi en Allemagne).

J’ai bien aimé Ferdinand (Ferdy), le poney que les survivants de la troupe de Meissner ont récupéré, « imperturbable » (p. 61), docile et « parfaitement indifférent à notre morosité croissante. » (p. 128). Et sur la couverture, ce loup comme pour dire que l’homme est un loup pour l’homme.

Nous, les Allemands est un livre bouleversant, d’une grande honnêteté, d’une grande maturité, sans jugement hâtif, qui apprend des choses à son lecteur : il parle bien sûr des nazis et quelque peu des officiers mais surtout des jeunes soldats, retirés à leur vie simple, familiale et estudiantine (pour Meissner), de ce qu’ils ont vécu, subi, pensé, regretté et de ce qu’ils ont vécu ensuite, le retour pour certains, les camps pour d’autres, pour Meissner le camp puis le retour puis l’amour avec Oma (grand-mère de Callum), ainsi il pouvait encore y avoir de l’amour et de la tendresse dans leurs vies cassées. J’ai lu ce roman comme en écho de la guerre en Ukraine… (bientôt un an). Peut-être mon dernier coup de cœur de l’année, en tout cas une lecture indispensable.

Ils l’ont lu : Eve-Yeshé, Matatoune, d’autres ?

Pour Les feuilles allemandes (après avoir lu 3 titres classiques, je voulais terminer ce mois avec un roman récent), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour la virgule), Un genre par mois (en novembre, c’est du contemporain), Voisins Voisines (Écosse mais d’origine allemande) et ABC illimité (lettre N pour le titre).

Helene Fischer avec Atemlos durch die Nacht dont l’auteur parle page 136, de la country allemande. Pas du tout dans mes goûts musicaux mais pour les curieux… lol

 

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht.

L’Arche, collection du Répertoire, 1959, 112 pages, épuisé mais d’autres éditions sont parues y compris une intégrale du théâtre de cet auteur. Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui (1941) est traduit de l’allemand par Armand Jacob. Cette pièce a été écrite en collaboration avec Margarete Steffin et elle est sous-titrée Parabole dramatique.

Genres : littérature allemande, théâtre, Histoire.

Bertolt Brecht naît le 10 février 1898 à Augsbourg en Bavière dans l’Empire germanique (1871-1918). Il naît dans une famille bourgeoise (son père est propriétaire d’une fabrique de papier). En 1914, il a 16 ans et il est déjà publié. Il étudie la philosophie puis la médecine mais il est mobilisé pour la Première guerre mondiale. Cependant il n’arrête pas d’écrire, en particulier des écrits pacifistes. Après la guerre, il écrit des pièces – la plus célèbre étant sûrement L’Opéra de quat’sous – et rencontre un succès international. Mais il est devenu marxiste dans les années 20 et, avec la montée du nazisme, ses pièces sont de plus en plus souvent interdites. Bertolt Brecht et son épouse – Helene Weigel, une actrice (1900-1971) – quittent l’Allemagne et s’exilent au Danemark (tout comme Thomas Mann, il est déchu de sa nationalité allemande) puis en Suède, en Finlande et enfin en Californie aux États-Unis. Il continue d’écrire des pièces et aussi des scénarios pour Hollywood. Lorsqu’il revient en Europe à la fin des années 1940, il vit en Suisse puis en Allemagne mais à Berlin-Est où il fonde avec Helene Weigel le Berliner Ensemble. Il meurt le 14 août 1956 à Berlin-Est en RDA (République démocratique allemande, 1949-1990). Il laisse à la postérité de nombreux articles de journaux et une cinquantainre de titres (pièces de théâtre mais aussi du ballet et de la poésie).

Margarete (Émilie Charlotte) Steffin naît le 21 mars 1908 à Rummelsburg dans le Land de Berlin. Issue d’une famille d’ouvriers, elle travaille dès 14 ans (compagnie de téléphone puis théâtre et revue Rote). Grâce à Bertolt Brecht et Hélène Weigel, elle devient actrice de théâtre mais elle est aussi autrice, critique littéraire et traductrice du russe et des langues scandinaves. Elle meurt le 4 juin 1941 à Moscou (tuberculose).

Dans le prologue, le Bonimenteur fait son discours d’ouverture et parle des scandales et des gangsters qui secouent la ville de Chicago. « Chers spectateurs, nous présentons / – Vos gueules un peu, dans le fond ! / Chapeau là-bas, la petit’ dame ! – / Des gangsters l’historique drame : / Stupéfiante révélation / Sur le scandal’ des subventions ! » (p. 7) ou l’art d’alpaguer la foule ; et annonce les gangsters qui participeront au spectacle dont Arturo Ui. Le « grand style tragique » et le « réel authentique » (p. 8) seront bien sûr respectés. Musique forte et crépitement de mitraillette, l’ambiance est assurée.

C’est la crise à Chicago, les affaires ne rapportent plus, les denrées peinent à arriver, les commerces mettent la clé sous la porte (crise des choux-fleurs !) et les gangsters ne peuvent plus… travailler, les docks devant être construits manquant de budget. « Toute morale est morte. La crise est de morale aussi bien que d’argent. […] Morale, où donc es-tu au moment du malheur ? » (Mulberry, p. 12).

Notez l’humour : « J’ai couru de Caïphe à Pilate : Caïphe ? / Absent pour plusieurs jours, Pilate ? Dans son bain. / De ses meilleurs amis on ne voit que les fesses ! » (Sheet, p. 15). « L’argent est cher en ce moment. » (Flake, p. 16) et « Oui, et surtout / Pour qui en a besoin. » (Sheet, p. 16).

Pendant la conversation, apparaît Arturo Ui, pas très apprécié, « Ce type nous assiège de propositions […] / Le revolver en main. On rencontre aujourd’hui / Beaucoup d’hommes pareils à Arturo Ui, / Qui couvrent notre ville et semblent une lèpre / Qui lui ronge les doigts, et les mains et les bras. / D’où cela vient, nul ne le sait. Mais on devine / Que cela vient d’un gouffre insondable. Ces vols, / Ces rapts, ces extorsions, ces chantages, ces crimes. / […]. » (Flake, p. 17).

De son côté, le vieil Hindsborough, élu à la mairie, a raflé la mise et Hindsborough Junior est ravi ; le vieux représente un peu Dieu le père et Junior est d’ailleurs écrit le Fils et réponds la plupart du temps « Oui, Père. », c’est le côté irrévérencieux de Bertolt Brecht. Mais tout le monde est corruptible…

Quant à Arturo Ui, par manque de travail, ses hommes deviennent oisifs et cela « surtout leur fait beaucoup de mal. » (Roma, p. 23) et il déprime… « La gloire du gangster ne dure qu’un matin. / Le peuple est inconstant, et déjà il se tourne / Vers les vainqueurs nouveaux. […]. » (Ragg, p. 26).

Le lecteur va donc croiser Hindsborough, Gobbola, Gori… des noms qui ressemblent à von Hindenburg, Goebbels, Göring… À la fin de chaque scène, un panneau explicatif apparaît et, à la fin de la scène IV, il y est écrit : « Dans le cours de l’automne 1932, le parti d’Adolf Hitler et les S.A. sont à la veille d’une banqueroute et menacés de dissolution. Les élections de novembre sont très défavorables aux nazis. Par contre le nombre des voix qui se sont portées sur les deux partis ouvriers, communiste et socialiste, s’est accru considérablement. » (p. 30). Vous voyez le parallèle entre Arturo Ui et Adolf Hitler et entre les Gardes du Corps d’Ui et les S.A. ? Mais, tout comme l’ascension d’Arturo Ui, celle d’Adolf Hitler était résistible, c’est-à-dire qu’elle aurait vraiment pu être évitée.

Lorsque Arturo Ui et son fidèle lieutenant Ernesto Roma font irruption dans sa maison, le vieil Hindsborough est sous le choc. « Ainsi, de la violence ? » (p. 34) mais Roma lui répond « Oh que non, cher ami ! Juste un peu d’insistance. » (p. 34) ou le nouveau langage. Tiens, que vous disais-je ci-dessus : Ui vient ‘prier’ le vieil Hindsborough bien qu’il « n’aime pourtant guère prier » (p. 35). Bref, Ui a « pris [sa] décision », il veut être « protecteur. Contre toute menace. Par la force qu besoin. » (p. 35), ben voyons, il annonce la couleur ! « Payer ou bien fermer. Tant pis si quelques faibles / Risquent de succomber : c’est la loi naturelle. / […] moi qui vous respecte à l’extrême […] » (Ui, p. 36). Extrême, le mot est dit… et Ui ne s’arrête pas là… « (Hurlant :) En ce cas je l’exige / En tant que criminel ! Je possède les preuves ! / […] Je vous préviens ! Ne me poussez donc pas / À des extrémités funestes ! […]. / Plus d’amis ! C’est de l’histoire ancienne ! Vous n’avez plus d’amis aujourd’hui, et demain / Rien que des ennemis. S’il est pour vous sauver / Quelqu’un, c’est moi, Arturo Ui ! Moi, moi ! » (Ui, p. 37). Le personnage vociférant, rugissant est, je trouve, très ressemblant. En plus, il veut se donner un air respectable et apprend à bien se tenir, bien marcher, bien parler et même à bien s’asseoir pour plaire « aux petites gens » (p. 53), tout un programme qui malheureusement fonctionne… Arturo Ui est prêt, bien entouré quoique de peu d’hommes au début, il va dénoncer la délinquance, expliquer que c’est « le chaos qui règne » (p. 56), faire peur sous prétexte de la défense « des citoyens honnêtes » (p. 56), du travail et de la paix alors qu’il n’appelle qu’à la haine de l’autre. Voilà, tout est clair, le sort en est jeté, la messe est dite… Vous savez que Hitler aimait les enfants, eh bien voilà une petite orpheline avec sa maman, jeune veuve, qui vient témoigner pour Arturo Ui, un bienfaiteur selon la maman mais elle s’emmêle les crayons : sa fille a d’abord six ans et, dans la phrase suivante, elle a cinq ans (Fleur des Quais, p. 61), MDR, bonjour la crédibilité ! Quant au feu inopiné et au procès fantoche contre Fish, un ouvrier au chômage, c’est… sans commentaire ! La peste noire est là et va tout contaminer… Tout ça pour des choux-fleurs (enfin, dans la pièce de Bertolt Brecht), je ne mangerai plus les choux-fleurs de la même façon après avoir lu ce texte !

Chicago (dans les années 20 et 30, une ville industrielle, à forte croissance démographique, à forte immigration, à forte ségrégation aussi, à fortes tensions sociales, à fort chômage et à forte délinquance, et donc capitale du crime et de la prohibition) était idéale pour symboliser l’Allemagne. Quant à Cicero (une ville en banlieue de Chicago, fief d’Al Capone), elle est dans la pièce plus « discrète » mais représente bien l’Autriche, qui préfère se taire et faire profil bas. Et Ui n’en a pas finit, « […] Et j’ai, moi, de plus vastes projets / Pour l’avenir. » (p. 76). Même le complot contre Hitler, je veux dire contre Ui, et l’envahissement des territoires voisins y sont !

Je sais que j’ai déjà crié au génie pour Klaus Mann (Correspondance avec Stefan Zweig et Contre la barbarie) mais Bertolt Brecht est très bon aussi, excellent même ! Une partie des vers est en alexandrins (dont j’ai parlé récemment, décidément mes lectures sont liées !) et Brecht fait preuve de beaucoup d’humour dans cette pièce épique et je comprends pourquoi elle est sous-titrée Parabole dramatique. Elle raconte, en la personne d’Arturo Ui (on appelle ça la distanciation), l’ascension d’Adolf Hitler au pouvoir (entre 1929 et 1938), ascension qui aurait pu être évitée mais on ne peut refaire l’histoire… Par ce principe de distanciation, l’auteur met en parallèle le trust des choux-fleurs en crise et la crise économique mondiale qui éreinte l’Allemagne entre les deux guerres, la destruction des commerces à Chicago et la Nuit de cristal (destruction des magasins juifs), l’incendie de l’entrepôt (et des maisons avoisinantes) et l’incendie du Reichstag, entre autres.

Comme les écrivains engagés de son époque, Bertolt Brecht appelle à toujours rester attentif, vigilant car le monde n’est pas à l’abri de telles idées et de tels gangsters. L’auteur pense à cette pièce dès 1934 (entretien avec Walter Benjamin, 1892-1940), l’écrit en 1941 alors qu’il est en exil en Finlande (en trois semaines seulement mais y apporte quelques modifications ensuite). Elle a été traduite en anglais et lue à New York en 1941 (peu de succès) puis jouée en 1958 à Stuttgart et en 1960 à Paris. La pièce a été régulièrement joué entre 1960 et 2017.

Je vous conseille fortement cette lecture, même si vous n’aimez pas spécialement lire du théâtre, parce que c’est une lecture indispensable. Je vous invite aussi à regarder / écouter la vidéo de la Compagnie Brasse de l’air ci-dessous.

Cette lecture est pour Les classiques c’est fantastique puisque, pour le mois de novembre, le thème est titre-prénom (un classique qui comporte un prénom dans son titre) et Les feuilles allemandes mais elle entre aussi dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Arturo) et ABC illimité (j’hésite entre la lettre B pour prénom ou nom et la lettre R pour titre… allez va pour B et le nom).

Image

Lundi Soleil 2022 #novembre (4)

Cliquez !

Nous sommes toujours dans le onzième thème de Lundi Soleil 2022, celui de novembre qui est une direction, l’ouest. Je remercie Rachel pour l’idée de À l’Ouest, rien de nouveau. Vous préférez lire le roman d’Erich Maria Remarque (Allemagne, 1929) ou voir le film réalisé par Lewis Milestone (États-Unis, 1930) ? Je vous souhaite une bonne semaine et vous donne rendez-vous lundi prochain pour le thème de décembre, une saison, l’hiver.

Contre la barbarie 1925-1948 de Klaus Mann

Contre la barbarie 1925-1948 de Klaus Mann.

Phébus, collection Littérature étrangère, mars 2009, 368 pages, 23,35 €, ISBN 978-2-7529-0317-4. Articles et essais traduits de l’allemand par Corinna Gepner et Dominique Laure Miermont.

Genres : littérature allemande, essais, Histoire.

Klaus Mann de son vrai nom Klaus Heinrich Thomas Mann, naît le 18 novembre 1906 à Munich en Bavière (en Allemagne). Je remets plus ou moins ce que j’ai écrit pour Correspondance 1925-1941 de Stefan Zweig et Klaus Mann. Il est issu d’une famille juive, bourgeoise et intellectuelle, son père Thomas Mann et son oncle Heinrich Mann sont écrivains, sa sœur aînée Erika et son jeune frère Golo aussi. Son premier roman, La danse pieuse, est le premier roman allemand homosexuel. Juif, homosexuel, il est bien conscient des dangers du nazisme et quitte l’Allemagne en mars 1933, d’abord pour la Tchécoslovaquie puis pour les États-Unis (où il s’enrôle dans l’armée). Il est principalement romancier, nouvelliste, journaliste et dramaturge mais aussi poète, diariste et critique littéraire. Il voyage beaucoup avec Erika, fonde une revue littéraire à Amsterdam (en Hollande), lutte contre le nazisme et le franquisme (vous pouvez lire tout ça dans sa correspondance). L’après-guerre est difficile et nombre de ses amis se sont suicidés (dont Stefan Zweig) alors il se suicide le 21 mai 1949 dans la pension de famille où il réside à Cannes. Il laisse à la postérité une œuvre incroyable, éclectique et sensible à découvrir.

« Pourquoi ce livre ? Parce que l’essayiste et inlassable chroniqueur de son temps que fut Klaus Mann est encore très mal connu en France. On se souvient du Tournant, cette prodigieuse fresque autobiographique ; du roman Mephisto qui a fait, à l’image de son héros, une carrière brillante et mouvementée ; et il y a quelques années, de son étonnant et émouvant Journal. Dans des formes et des styles très divers, ces ouvrages révèlent un écrivain engagé corps et âme dans les problèmes de son époque. Mais il est un domaine dans lequel Klaus Mann a excellé, manifestant au fil des jours toute la vivacité de son esprit et la pertinence de ses engagements : la chronique et l’essai. Son insatiable curiosité intellectuelle et sa combativité naturelle nous en ont légué plusieurs centaines, sur tous les sujets littéraires, artistiques et politiques qui agitèrent le monde entre les deux guerres et jusqu’en 1949, année de son suicide à Cannes. » (extrait de l’introduction par Dominique Laure Miermont, p. 7).

« Autant aller à l’essentiel : cette lettre de Klaus Mann adressée à Stefan Zweig en octobre 1930, juste après le succès électoral des nazis au Reichstag, succès étourdissant, jugé par Zweig dans un article comme un signal de la jeunesse ‘contre les lenteurs de la haute politique’. Zweig trouve ‘naturelle’ cette révolte des jeunes ; ce ne serait que pour ses goûts personnels, il n’y mettrait bien sûr pas le petit doigt, mais il est d’humeur compréhensive. Les jeunes… La réponse de Klaus Mann à l’illustre auteur est cinglante : ‘Tout ce que fait la jeunesse ne nous montre pas la voie de l’avenir. Moi qui dis cela, je suis jeune moi-même. La plupart des gens de mon âge – ou des gens encore plus jeunes – ont fait, avec l’enthousiasme qui devrait être réservé au progrès, le choix de la régression. C’est une chose que nous ne pouvons sous aucun prétexte approuver. Sous aucun prétexte.’ Toute la suite de cette réponse est un prodige d’insolence respectueuse, de lucidité ardente […]. De 1930 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Klaus Mann n’aura donc cessé de secouer le cocotier, il a vu, il a senti tout de suite que l’atmosphère n’était pas bonne du tout. » et « D’une certaine manière, Klaus Mann est une incarnation bouleversante du XXe siècle dans tout ce qu’il peut avoir à la fois d’ardent et de désespéré. » (extraits de Klaus Mann, l’antitotalitaire, la préface de Michel Crépu, p. 9 puis p. 12).

Ce recueil regroupe 67 textes extraits des 5 tomes (2200 pages en tout) parus entre 1992 et 1994 en Allemagne aux éditions Rowohlt fondées à Reinbek en 1908 et dont le siège est à Hambourg depuis 2019. La majorité de ces textes est parue du vivant de l’auteur mais une autre partie non publiée est conservée aux archives de la bibliothèque de Munich, voir sur Thomas Mann International. À noter que Klaus Mann, exilé aux États-Unis, a écrit plusieurs textes en anglais dès 1940.

Je ne peux que saluer – honorer même avec cette deuxième lecture – cet homme, Allemand de naissance et Européen de cœur, auteur et intellectuel de son temps mais aussi en avance sur son temps, sincère et intègre, un humaniste aimant le beau et la liberté, qui toute sa vie s’est battu contre la barbarie, contre les totalitarismes et qui a essayé d’ouvrir les yeux de ses contemporains… parfois plus ou moins aveugles et sourds face aux dangers. Les textes sont présentés par ordre chronologique.

Le premier jour, article paru dans 8 Uhr-Abendblatt de Berlin le 14 avril 1925, raconte le premier jour du voyage que Klaus Mann a fait à Paris au printemps 1925. Il n’a pas 20 ans et il écrit déjà des articles, en particulier littéraires, pour des journaux. « Certaines villes mettent des jours, d’autres des semaines à dévoiler leur spécificité et leur charme. Paris convainc et même subjugue en quelques heures […] émerveillé […] sortilèges de la capitale. » (p. 16). On parle ici du Paris d’il y a presque 100 ans (que, personnellement, je n’ai pas du tout ressenti comme tel au début des années 2000) et ça m’a fait penser à Ivar Lo-Johansson (Suédois) et à George Orwell (Anglais) qui, dans les années 1920, y ont vécu dans la misère, lire L’Autre Paris d’Ivar Lo-Johansson et Dans la dèche à Paris et à Londres de George Orwell mais Klaus Mann avait bien le droit de penser que Paris était « la splendeur de l’Europe » (p. 17).

Réponse à une enquête menée auprès des jeunes écrivains sur leurs tendances artistiques, article paru dans Die Kolonne en février 1930, dans lequel Klaus Mann montre que la jeunesse confond art avec actes militants et politiques. « De nos jours, tout art sans exception doit être de la ‘propagande politique’, dans l’acceptation la plus large du terme. […] c’est une méprise très en vogue, surtout à Berlin, de considérer une œuvre d’art comme légitime uniquement si elle combat […]. La valeur militante sert volontiers d’excuse à l’absence la plus flagrante de dimension artistique […]. » (p. 18) et « être conscient de sa mission militante » oui mais « renoncer à sa qualité d’artiste » non (p. 19).

Jeunesse et radicalisme, une réponse à Stefan Zweig (1931) dont j’ai déjà parlé pour Correspondance 1925-1941 de Stefan Zweig et Klaus Mann.

Est-ce l’avènement du ‘Troisième Reich’ ?, article paru dans Die Literatur en avril 1931, dans lequel Klaus Mann donne son avis sur deux essais parus aux éditions Rowohlt, Est-ce l’avènement du Troisième Reich ? de Walter Oehme et Kurt Caro et Adolf Hitler, Guillaume III de Weigand von Miltenberg. Oehme et Caro, journalistes qui quitteront l’Allemagne en 1933, demandent pourquoi un parti qui se veut socialiste se fait financer par la grande industrie donc le capitalisme, « Quelle sinistre imposture ! […] Quelle triste jeunesse ! » (p. 24) déplore Mann.

Ne rien faire…, article paru dans 8 Uhr-Abendblatt de Berlin le 19 octobre 1931, explique que le peuple allemand n’est pas paresseux mais 25 % des actifs sont au chômage à cause de la crise de 1929 et que « l’ennui est un spectre plus malfaisant que le dénuement. » (p. 26), « mise à l’écart […] amertume […] injustice sans égale » (p. 27), « Ce qui est sûr, c’est qu’à la longue, il aimera mieux faire le mal que de ne rien faire… » (p. 28).

Jumeaux de pathologie sexuelle, article paru dans Das Tagebuch le 31 décembre 1931, dans lequel Klaus Mann explique que le magazine français VU a publié un numéro spécial sur l’Allemagne et « a consacré une illustration à cette curiosité qui lui paraît typiquement berlinoise » (p. 29), la librairie de sexologie. De façon amusante, Mann montre comment le libraire allie sexualité et politique.

Munich, mars 1933, tapuscrit conservé dans le fonds Klaus Mann à Munich (cité et linké plus haut). « Le 10 mars 1933. Nous étions allés faire du ski en Suisse. » (p. 31) mais le retour à Munich est tendu… « Munich a l’air calme. Mais lorsqu’on tend l’oreille, on sent la tension, l’inquiétude de tous ces gens […], une tension qui pour beaucoup est sûrement joyeuse et confiante en l’avenir, mais pour bien d’autres désespérée. […] Munich était une oasis. Cela ne pouvait pas durer. » (p. 32). « Les conversations téléphoniques sont surveillées […]. Nombre de ceux avec qui l’ont veut prendre contact ont déjà été arrêtés […]. » (p. 33). Le 13 mars, les Mann quittent l’Allemagne.

Culture et ‘bolchevisme culturel’, avril 1933, tapuscrit conservé dans le fonds Klaus Mann à Munich. Dans ‘la nouvelle Allemagne’, il est plus facile d’être contre que pour, « contre le marxisme, contre le traité de Versailles, contre les Juifs » (p. 34). Le ‘bolchevik culturel’ n’est pas que le communiste, il est « motif à suspicion […] et mérite de mourir parce qu’il est ‘anti-allemand’, ‘réfractaire’, ‘judéo-analytique’, dépourvu de respect devant les bonnes vieilles traditions (à savoir les corporations étudiantes et les défilés militaires), pas ‘assez attaché à la terre’, pas assez ‘dynamique’ et de ce fait – de tous les reproches le plus épouvantable – ‘pacifiste’ ! [Il] s’est ligué avec la France, les Juifs et l’Union soviétique. […] à la fois marxiste et anarchiste (on met tout dans le même sac). Il reçoit tous les jours de l’argent des francs-maçons, des sionistes et de Staline. Il faut l’exterminer. » (p. 35). Bref, soit vous êtes un nazi convaincu et convainquant soit vous êtes un ennemi… Mann note ‘la nouvelle Allemagne’, les nouveaux idéaux et le nouveau jargon typique d’une société totalitaire. Rien de réjouissant donc dans cette nouvelle Allemagne avec des écoles respectées, libres et humanistes, fondées « sur les valeurs de fraternité et de démocratie » (note, p. 35) fermées, la science et les universités également menacées, et la « presse allemande n’existe plus, toute liberté d’expression, même la plus modeste, est réprimée avec un radicalisme remarquable (qui surpasse encore, s’il est possible, celui des Italiens). Les journaux des partis de gauche sont […] tous interdits. La ‘grande presse libérale’ est […] contrainte d’emboucher la trompette fasciste […] elle a succombé sans la moindre résistance à une mort peu glorieuse et bien méritée. […] Sont évidemment interdites les revues ayant conservé jusqu’au bout une attitude courageuse et un niveau élevé : Tagebuch et Weltbühne. Leurs éditeurs sont en fuite ou en prison. » (p. 37), et je passe sur plusieurs exactions et propagande (littérature, théâtre, cinéma, radios, musique, peinture, architecture…), ou comment niquer la culture et l’art, désinformer et tromper tout un peuple. « On le voit, rien n’est oublié […]. » (p. 40). Un titre à lire absolument parce qu’on n’est malheureusement pas à l’abri de ce genre d’idées nauséabondes et contre-productives…

Lettre à Gottfried Benn, lettre personnelle de Klaus Mann à Gottfried Benn « qui connut un bref engouement pour l’idéologie nazie entre 1933-1934 » (p. 41), qui répondit par Réponse aux écrivains en exil (diffusée à la radio le 24 mai 1933 et publiée le 26 mai 1933 dans le Deutsche Allgemeine Zeitung, et lettre publiée par Gottfried Benn dans Dopelleben en 1950). Klaus Mann questionne Gottfried Benn (auteur allemand que je ne connais pas) qui n’a pas démissionné de l’Académie dont plusieurs de ses amis, dont Heinrich Mann (l’oncle de Klaus Mann) « s’est fait honteusement renvoyer » (p. 42).

Réponse à la ‘Réponse’, 31 mai 1933, tapuscrit conservé dans le fonds Klaus Mann à Munich. Il faudrait lire Gottfried Benn pour savoir ce qu’il a répondu à la lettre de Klaus Mann mais, en tout cas, Mann écrit une réponse indignée et sincère, « les propos de Benn [sont] épouvantablement symptomatiques » (p. 46). Comment Benn peut-il décrire « Hitler comme un génie » (p. 46) ? « Comme si, pendant des années, nous n’avions pas entendu à la radio, discours après discours, les menaces proférées par une horde de sauvages contre les idéaux de l’humanité. Maintenant nous y sommes, la menace a pris le pouvoir, la barbarie est totale.  » (p. 46). « Quel avilissement d’un énorme talent – je trouve cela poignant ! […] platitude […] perfidie […] cynisme […] » (p. 47).

Die Sammlung, éditorial publié en septembre 1933 dans le 1er n° de cette revue littéraire fondée par Klaus Mann et la Suissesse Annemarie Schwarzenbach, aux éditions Querido à Amsterdam, dont j’ai déjà parlé pour Correspondance 1925-1941 de Stefan Zweig et Klaus Mann. Cent cinquante écrivains (principalement européens mais aussi des Amériques) ont participé à cette revue qui sera publiée pendant deux ans. « La présente revue sera au service de la littérature, cette chose élevée qui ne concerne pas seulement un peuple mais tous les peuples de la Terre. » (p. 50). « Une revue littéraire n’est pas une revue politique […]. Il n’empêche que cette revue aura une mission politique. Son orientation doit être dénuée de toute équivoque. Ceux qui prendront la peine de suivre les différents numéros de notre revue ne doivent douter ni de notre position à nous, les éditeurs, ni de celle de nos collaborateurs. Il faut que dès le début nous disions clairement ce que nous abhorrons et ce que nous espérons être en droit d’aimer. » (p. 51).

Gottgried Benn ou l’avilissement de l’esprit, article paru en septembre 1933 dans le 1er n° de Die Sammlung (Le Rassemblement). Suite à une lettre privée de Klaus Mann à Gottfried Benn, celui-ci répondit par une lettre ouverte intitulée Aux émigrés qu’il diffusa à la radio et publia dans un journal (voir ci-dessus). En plus de l’amitié, de l’admiration et de l’estime perdues, Klaus Mann déplore ici la platitude, l’indigence intellectuelle de Benn ce qui est « encore plus pernicieux. » (p. 53), il déplore aussi une « Allemagne violentée » (p. 54) par l’absurdité, la démagogie…

Réponse aux attaques contre la revue Die Sammlung, 14 octobre 1933, tapuscrit conservé dans le fonds Klaus Mann à Munich. Sur l’influence de leur éditeur allemand, des auteurs allemands dont le père de Klaus Mann, Thomas Mann, se sont dédits de leur collaboration littéraire. Après avoir reçu une lettre de Romain Rolland surpris par ces désistements, Klaus Mann rédige cette réponse qui n’a finalement pas été publiée. « Mais il y a des situations où il est plus convenable de se taire, même s’il serait plus profitable de parler. » (p. 56-57).

88 au pilori, article paru en novembre 1933 dans Das Neue Tage-Buch. 88 écrivains allemands ont fait allégeance au régime nazi et, à part Gottfried Benn (cité plus haut) et qui était déjà célèbre avant, « aucun des signataires n’est passé à la postérité » (p. 59). « Il se sont cloués eux-mêmes au pilori » (p. 59) écrit Klaus Mann.

À l’intérieur et à l’extérieur, article paru en novembre 1933 dans Deutsche Stimmen. « Pour un homme intellectuellement honnête, il doit être terrible de vivre dans ce pays. Il lui faut obéir aux caprices de la force et de la confusion, et ce sans relâche. » (p. 61). « L’émigration n’est pas une aventure distrayante, et ce qui nous attend risque d’être plus difficile que tout ce que nous avons vécu jusqu’à présent. Je me dis pourtant que notre situation est magnifique comparée à celle des humiliés de l’intérieur. » (p. 64).

Dimitroff, 14 décembre 1933, manuscrit conservé dans le fonds Klaus Mann à Munich. Georgi Dimitroff (1882-1949) est un communiste bulgare et un des deux accusés de l’incendie du Reichstag. Sous la pression internationale, Georgi Dimitroff et Ernst Torgler furent acquittés.

Esprit de logique, article paru en décembre 1933 dans Der Gegen-Angriff. Le régime nazi pensait que les femmes qui fumaient étaient vulgaires et leur a donc interdit de fumer jusqu’à ce « que les fabricants de cigarettes le lui permirent. Ceux-ci furent les seuls à protester. » (p. 68). J’ai envie de dire lol mais c’est un anachronisme ! L’industrie et les finances dont plus importantes que la vulgarité ou la santé, c’est logique ! Klaus Mann parle aussi de l’hypocrisie et du cynisme envers les Juifs, il ne faudrait pas « entraîner un déficit d’impôts » (p. 69).

Oh la la, ma note de lecture est déjà super longue, 5 pages de traitement de texte (sûrement une des trois plus longues que j’ai rédigées) et je ne suis pas sûre que WordPress autorise les billets si longs… Je n’ai qu’une chose à dire : je continue évidemment la lecture du livre et je vous invite chaleureusement à lire ces 67 textes plus ou moins longs mais tous très enrichissants tant au niveau humain qu’historique et littéraire. Klaus Mann est un très grand écrivain que je suis vraiment contente d’avoir découvert pour Les feuilles allemandes, auteur découvert grâce à Eva et, si ce livre vous paraît trop dense, vous pouvez toujours vous replier vers Mise en garde présenté par Eva qui est une sélection peut-être plus abordable (en tout cas, plus courte) du talent de journaliste et d’essayiste de Klaus Mann, un homme intègre, investi, et ce dès son plus jeune âge. Il émanait certainement de lui, une aura, une puissance dont sont faits les grands hommes, les visionnaires, les héros, ceux qui se battent pour la vérité, la paix, la liberté, la beauté et l’art. C’était, je pense, toute sa vie, sa vocation et son style est magnifique, d’une grande précision et d’une grande beauté, avec un certain lyrisme mais ce qu’il faut, pas appuyé et ronflant, il fait preuve aussi d’humour (quand c’est possible), bref à lire, à découvrir et même à relire parce que ses textes restent (malheureusement) d’actualité près de 100 ans après. Il y a en milieu de volume un cahier de 8 pages avec des photos en noir et blanc ; j’aime beaucoup la première, Klaus Mann à Uttwil en 1926, photographié par Thea Sternheim (si je la retrouve sur internet, je la mets ci-contre).

Ce livre entre aussi dans les challenges 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Chiffre pour 1925-1948) et ABC illimité (je profite du K de Klaus pour honorer la lettre à prénom).

Les feuilles allemandes 2022

Après mes participations aux Feuilles allemandes en 2019 (1 lecture), 2020 (2 lectures + 1 un peu en retard) et 2021 (3 lectures + une courte BD allemande), je suis contente que ce mois consacré à la littérature allemande (germanique) revienne en novembre.

Plus d’infos et inscription chez Eva et Patrice et chez Fabienne avec des pistes en cas de manque d’inspiration avec aussi bien des auteurs classiques que des auteurs contemporains, tous d’écriture allemande et en provenance d’Allemagne, Autriche, Suisse voire plus loin s’ils sont issus de l’immigration.

Alors, envie de participer à ce mois ?

Mes lectures pour ce challenge

1. Correspondance 1925-1941 de Stefan Zweig et Klaus Mann (Phébus, 2014, Autriche et Allemagne)

2. Contre la barbarie 1925-1948 de Klaus Mann (Phébus, 2009, Allemagne)

3.  La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht (L’Arche, 1959, Allemagne, 1941)

4. Nous, les Allemands d’Alexander Starritt (Belfond, 2022, Écosse mais d’origine allemande)

3 titres classiques et 1 contemporain, de très bonnes pioches pour moi 🙂

Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler de Cever

Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler de Cever d’après le roman de Luis Sepúlveda.

Caurette, octobre 2021, 96 pages, 17,95 €, ISBN 979-10-96315-95-6.

Genre : bande dessinée franco-suisse, adaptation d’un roman chilien.

Cever est un Franco-Suisse né en 1959 à Bruxelles en Belgique. Biologiste, il partage sa vie entre la science et la bande dessinée. Il a aussi beaucoup voyagé. « En juin 2018, ma fille, Swann, avait laissé traîner un livre dont le titre m’a interpellé : L’Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler. Au lieu de lui demander de le ranger, je l’ai lu… En moins d’une heure… Et la magie a opéré… J’ai « vu » ce livre en BD. » (introduction, p. 2). Cever a pu contacter Luis Sepúlveda pour lui montrer ses premiers croquis et l’auteur lui a donné l’autorisation pour la BD.

Un grand chat noir, Zorbas, vit avec une agréable famille à Hambourg dans le quartier Sankt Pauli. Lorsque les parents et leur fils partent en vacances pour deux mois, le matou est content, seul maître de l’appartement à se prélasser, à prendre l’air sur le balcon et à accéder aux toits pour retrouver ses copains, « Sûr, je ne vais pas m’ennuyer… » (p. 7).

Au même moment, en Mer du Nord, près de phare de Roter Sand, un groupe de mouettes s’envole et plonge pour manger des poissons mais un chalutier déverse du pétrole dans la mer et Kengah se retrouve engluée… Elle arrive à se nettoyer plus ou moins en s’arrachant quelques plumes et à voler péniblement jusqu’au port de Hambourg avant de s’écraser sur le balcon où Zorbas profite du soleil. Kengah dit à Zorbas qu’avant de mourir, elle va pondre un œuf et elle lui fait promettre de ne pas manger l’œuf, de s’en occuper jusqu’à la naissance du poussin et… de lui apprendre à voler ! Zorbas pense qu’elle délire et promet puis part chercher de l’aide (les mimiques sur son visage sont super bien faites, extrait ci-contre).

Mais quand Zorbas revient avec les conseillers qu’il a consultés, Colonello, Secrétario et Jesaistout (qui sait tout grâce à ses encyclopédies), la mouette est malheureusement morte mais il y a un bel œuf blanc et bleu. Or « une promesse faite par un chat du port engage tous les chats du port. » (p. 34). Après avoir enterré la mouette dans un parc avec ses amis, Zorbas prend soin de l’œuf alors que les autres chats se renseignent sur comment élever un oisillon et lui apprendre à voler. Vingt jours après, le poussin naît. « Maman ! » (p. 45) crie-t-il devant Zorbas éberlué qui doit trouver de quoi nourrir le petit affamé, le protéger du voisin qui vient vérifier si tout va bien et lui remplir sa gamelle et contre les chats des toits qui veulent le manger. Zorbas décide alors de l’emmener au Bazar de Harry où vit Jesaistout.

Heureusement, Zorbas réussit à négocier avec les rats et Capitano, le chat qui a fait le tour du monde arrive pour les aider. Comme il leur dit que c’est une petite femelle, les chats décident de l’appeler Afortunada, « Nous te saluons Afortunada, la fortunée, amie des chats ! » (p. 65). Mais un mois après, les chats ne savent toujours pas comment lui apprendre à voler…

Page 59, il y a un petit message émouvant en bas de page, « 16 avril 2020, au revoir, monsieur Sepúlveda. ». J’aime beaucoup les pages 72 et 73 dans lesquelles Zorbas rassure Afortunada et lui explique pourquoi elle est différente des chats et que ceux-ci l’aiment comme elle est. En tout cas, toute la BD (qui a reçu 8 prix) est magnifique avec ses dessins en noir et blanc et plusieurs thèmes sont abordés, écologie et pollution, amitié et engagement, acceptation de la différence… Si vous voulez en savoir plus sur le roman et sur Luis Sepúlveda, vous pouvez cliquer sur le lien en haut du billet.

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Moka) et le challenge BD 2022 mais aussi pour Les adaptations littéraires, Littérature de l’imaginaire #10 (des chats, des oiseaux et un singe qui parlent, c’est bien du fantastique), Petit Bac 2022 (catégorie Verbe pour Voler), Les textes courts, Tour du monde en 80 livres (Suisse et Chili) et Un genre par mois (en octobre, c’est fantastique ou horreur).