Hernani de Victor Hugo

Hernani de Victor Hugo.

Hetzel, 1889, 170 pages, lu en numérique.

Genres : littérature française, théâtre, classique.

Victor Hugo naît le 26 février 1802 à Besançon dans le Doubs. Il grandit à Paris mais la famille séjourne régulièrement en Italie et en Espagne car le père est général d’Empire. Il écrit de la poésie depuis l’adolescence et écrit dans son journal « Je veux être Chateaubriand ou rien », il est devenu Victor Hugo. Il étudie les mathématiques puis la littérature. Avec ses deux frères aînés, Abel et Eugène, il fonde en 1819 Le Conservateur littéraire, une revue royaliste. Il épouse Adèle Foucher, son amie d’enfance, en 1822 et le couple a 5 enfants. Connu pour ses grands romans, Le dernier jour d’un condamné (1829), Notre-Dame de Paris (1831), Les misérables (1862), Les travailleurs de la mer (1866) et Quatrevingt-treize (1874), Victor Hugo est aussi célèbre pour sa poésie (6 recueils entre 1828 et 1883), son théâtre (6 pièces entre 1827 et 1838) et ses opinions politiques (il œuvre pour la République, défend le droit des femmes et prononce plusieurs discours à l’Assemblée). Il crée le journal L’Événement en 1848 mais va s’exiler à Bruxelles puis sur l’île de Jersey et sur l’île de Guernesey où il se bat contre les inégalités sociales et la peine de mort. De retour en France, il est élu à l’Assemblée nationale ; il est considéré comme un des plus grands auteurs de la littérature française et comme un homme politique important (il avait l’idée d’une Europe unifiée). Il meurt le 22 mai 1885 à Paris laissant une œuvre considérable connue dans le monde entier.

Pour Les classiques c’est fantastique, le thème de ce mois d’octobre est « Victor H. vs Marcel P. » et j’ai choisi Victor Hugo parce que je le trouve plus complet et plus éclectique au niveau littéraire (cependant les deux auteurs ont en commun leur santé fragile). J’ai d’abord eu envie de lire de la poésie puis je me suis tournée vers le théâtre avec Hernani.

Que nous dit la préface rédigée en 1830 ? Art nouveau, poésie nouvelle, théâtre nouveau, Victor Hugo est non seulement engagé en politique mais il est aussi un grand défenseur de la liberté en littérature. Mais le théâtre était un risque car « le public des livres est bien différent du public des spectacles » (p. 3). L’art, la poésie, le théâtre, la littérature ont la même devise que la politique : « Tolérance et liberté. » (p. 3) car « La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète. » (p. 3).

Espagne, en 1519. À Saragosse, Doña Sol de Silva et Hernani s’aiment mais la dame est fiancée à Don Ruy Gomez de Silva, duc de Pastraña… Comment échapper à ce mariage ?

Hernani est un drame romantique en 5 actes joué pour la première fois à la Comédie Française le 25 février 1830 (publication de la pièce la même année).

Doña Sol de Silva, d’abord fiancée à Don Carlos, roi d’Espagne, doit épouser le duc de Pastraña, son vieil oncle, riche, mais qu’en bonne héroïne romantique, elle n’aime pas car elle est fidèle à Hernani.

Hernani, noble banni, est un héros romantique, un maudit. Son père a été tué par le père de Don Carlos.

« Suis-je chez Doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? Dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ? » (Don Carlos à la duègne Doña Josefa, p. 12). J’apprécie les rimes et le rythme.

Don Carlos oblige Doña Josefa (une bourse ou la lame d’un poignard) afin d’espionner les deux jeunes amants. Mais Hernani, réfugié en Catalogne, ouvre son cœur et son âme à sa bien-aimée.

« Et tout enfant, je fis
Le serment de venger mon père sur son fils.
Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles !
Car la haine est vivace entre nos deux familles.
Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or c’est en vain que les pères sont morts,
La haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue. » (p. 20).

Il y a de l’humour, par exemple quand Don Carlos, excédé d’être à l’étroit dans l’armoire, étouffant et n’entendant presque rien, ouvre la porte avec fracas. Les deux hommes se toisent mais le duc de Pastraña rentre chez lui. « Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse ! » (Doña Sol de Silva, p. 25).

Don Carlos, qui est le roi, convainc le vieux Pastraña qu’il est venu lui demander conseil suite à la mort de l’empereur germanique et, beau joueur envers son rival, dit que Hernani est un homme de sa suite.

« Je viens, tout en hâte, et moi-même,
Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,
Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit ! » (p. 30).

Mais Hernani est chef de brigands alors Don Carlos veut sa peau et, le lendemain soir, lui tend une embuscade avec ses hommes sous la fenêtre de Doña Sol.

« Non ! Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte !
Ah ! Pour vous au visage une rougeur me monte !
Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ?
Venir ravir de force une femme, la nuit !
Que mon bandit vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si Dieu faisait le rang à la hauteur du cœur,
Certes, il serait le roi, le prince, et vous le voleur ! » (p. 48).

Elle ne se laisse pas faire la Doña Sol, une jeune femme moderne ! Et elle ne s’arrête pas là.

« Roi Carlos, à des filles de rien
Portez votre amourette, ou je pourrais fort bien,
Si vous m’osez traiter d’une façon infâme,
Vous montrer que je suis dame, et que je suis femme ! » (p. 49).

Hernani tient tête aussi à Don Carlos mais il se rend compte qu’il ne peut entraîner Doña Sol avec lui.

« Ah ! Ce serait un crime
Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme !
[…]
— Hernani ! Tu me fuis. Ainsi donc, insensée,
Avoir donné sa vie et se voir repoussée !
Et n’avoir, après tant d’amour et tant d’ennui,
Pas même le bonheur de mourir près de lui !
— Hernani, hésitant.
Je suis banni, je suis proscrit ! Je suis funeste ! » (p. 60).

Résignée, Doña Sol accepte d’épouser le vieux duc de Pastraña… Mais un page vient faire une annonce.

« Monseigneur, à la porte,
Un homme, un pèlerin, un mendiant, n’importe,
Est là qui vous demande asile. » (p. 71).

Comme vous le voyez, rien n’est terminé ! Doña Sol pardonnera-t-elle à Hernani ? Mais il y aura d’autres rebondissements ! Par exemple, le quatrième acte se déroule au tombeau de Charlemagne à Aix-La-Chapelle et il y a un monologue de Don Carlos (scène 2) mais Hernani et les Conjurés sont là. Qui deviendra empereur ? Le cinquième acte est de retour à Saragosse pour la noce mais qui sont les mariés ?

« Écoutez l’histoire que voici.
Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ? » (p. 142).

Je vous laisse découvrir cette célèbre pièce de Victor Hugo, rythmée, dynamique, ne manquant pas d’humour et de bons mots. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi mais j’ai pensé parfois à Molière, cependant le style de Victor Hugo est plus moderne et plus romantique. Il voulait écrire non pas des tragédies classiques mais des drames romantiques. Vous pouvez consulter l’article Wikipédia sur la bataille d’Hernani car le théâtre de Victor Hugo avait ses détracteurs.

La pièce Hernani a été jouée de nombreuses fois au théâtre aux XIXe et XXe siècles. Elle a aussi été adaptée en opéra par Giuseppe Verdi en 1844 (vidéo ci-dessous).

En plus de Les classiques c’est fantastique cité ci-dessus, cette agréable lecture entre dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Hernani), dans les deux nouveaux challenges (illimités) : ABC illimité (pour la lettre H avec Hugo) et Les départements français en lectures (pour le Doubs).

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Lundi Soleil 2022 #août (5)

Nous sommes toujours dans le huitième thème de Lundi Soleil 2022, celui d’août qui est une direction, le sud. Ouf, j’ai trouvé une dernière idée pour ce thème : l’été dans le sud poussent des melons, miam ! Celui-ci est un Sugar Baby Matisse, un melon de Murcia (dans le sud de l’Espagne), espèce cultivée depuis 1928 (il est appelé le grand-père des melons). C’est la première fois que j’en mangeais et j’ai bien aimé, il a moins de goût que le melon charentais (et la chair est un peu plus ferme) mais il était bien juteux donc rafraîchissant. Je vous souhaite une bonne semaine et vous donne rendez-vous lundi prochain avec le nouveau thème de septembre, une saison, l’automne (qui sera plus facile).

Les quatre fils d’Ève de Vicente Blasco Ibáñez

Les quatre fils d’Ève de Vicente Blasco Ibáñez.

La Revue de Paris, 1922, 45 pages (lecture numérique). Los cuatro hijos de Eva (1921) est traduit de l’espagnol par Georges Hérelle.

Genres : littérature espagnole, novella, classique.

Vicente Blasco Ibáñez naît le 29 janvier 1867 à Valence (Espagne). Il étudie le droit dès 1882 et publie son premier texte dans une revue de Valence puis, à Madrid, il fonde le journal fédéraliste La Revolución en 1887 et publie Fantasías (son premier livre). Écrivain, journaliste et homme politique, il est considéré comme l’un des plus grands romanciers de langue espagnole (avec ses romans de style naturaliste, il est comparé à Émile Zola). Il fonde le blasquisme (mouvement idéologique populiste et républicain, anticlérical et qui appelle à l’insurrection) et le journal El Pueblo en 1894. Il publie de nombreux romans entre 1892 et 1929 (plusieurs sont adaptés au cinéma) et il est invité pour des conférences en Europe et en Amérique (en particulier en Argentine et aux États-Unis). Il s’exile en France en 1925 et meurt à Menton (France) le 28 janvier 1928.

Durant l’hiver en Europe, des migrants, des Espagnols et des Italiens pour la plupart, partent moissonner chaque année en Argentine. Malgré le prix du voyage, ils gagnent plus là-bas (6 pesos par jour) que dans leur pays (quelques centimes). Les propriétaires argentins [les] appellent ‘hirondelles’ » (p. 3). Le tio (oncle) Correa, un Espagnol qui travaille en Argentine depuis trente ans, est « l’oracle des moissonneurs espagnols » (p. 4), un patriarche respecté mais ce jour-là, un homme avait eu le bras broyé et il resterait handicapé à vie. Alors Correa se lamente et se plaint…

« Le mal est sans remède. Il y aura toujours des riches et des pauvres, et ceux qui sont nés pour servir les autres doivent se résigner à leur triste sort. Ma grand’mère le disait bien, et pourtant elle était une femme : c’est la faute d’Ève s’il n’y a pas d’égalité dans le monde ; et nous, qui passons rageusement notre vie à servir et à engraisser les autres, c’est la première femme que nous devons maudire pour la servitude à laquelle elle nous a condamnés. Mais quel est le mal qui n’a point pour cause les femmes ? » (p. 6). Il faut bien un(e) coupable quelle que soit l’époque…

Mais pourquoi Ève ? Remontons à l’époque où Adam et Ève sont « chassés du Paradis terrestre et condamnés à gagner leur pain à la sueur de leur front » (p. 7) et comprenons bien qu’en fait c’est Adam qui a tout fait, tout inventé, tout construit, tout travaillé ! Quant à Ève, elle mettait « au monde un enfant tous les ans, quelquefois deux, ― elle ne pouvait pas s’en dispenser, puisqu’elle avait la mission de peupler la terre, ― elle demeurait toujours aussi jolie. » (p. 10). Oui, vous avez bien lu ! Pourquoi je lis ça, moi ? Bon, c’est pour la bonne cause, grand auteur espagnol, classique, tout ça…

Alors qu’Adam est « le travailleur infatigable, le bon procréateur » (p. 11), Ève est parfois « injuste et agressive » (p. 10), surtout elle est une coquette, fantaisiste et ambitieuse qui délaisse ses enfants et devient vaniteuse… Euh, c’est plus que de l’anticléricalisme de la part de l’auteur, là, c’est de la misogynie pure et dure ! Y aurait-il quelque chose que je ne comprends pas dans cette histoire ? Bon, continuons…

Bref, un jour, un chérubin prévient Ève que, s’il ne pleut pas, le Créateur viendra leur rendre visite sur Terre. C’est pourquoi elle choisit, parmi la centaine d’enfants, ses quatre préférés « et elle les débarbouilla, les habilla le mieux qu’elle put. Puis, avec force bourrades, elle poussa tous les autres dans une étable et les y enferma sous clef, malgré leurs protestations. » (p. 23). Arrivent l’escorte, les archanges et le Seigneur avec les anges et les hauts dignitaires de la cour céleste… Le Seigneur ne veut pas revenir sur la punition qu’il a infligée à Adam et Ève mais il considère que leurs enfants sont innocents donc il veut leur faire un cadeau à chacun mais… « Quatre enfants seulement ? ― s’étonna le Seigneur. ― Je vous croyais une descendance plus nombreuse. Mes cadeaux ne me ruineront pas. Allons, petits, approchez. » (p. 27).

Je ne vous dis pas le cadeau que reçoit chacun des quatre fils, oui Ève a choisi quatre fils, aucune fille… Lisez ce conte presque biblique qui vous éclairera indubitablement sur « l’absurde logique par laquelle l’humanité se laisse conduire » (p. 33) puisqu’un tout petit nombre dirige (en plus quatre n’est pas un très bon chiffre dans certains pays du monde) alors que les autres sont enfermés dans l’étable comme un troupeau honteux qu’on doit cacher… Le monde est finalement une « éternelle tragédie » (p. 36) et je comprends où le vieux Correa voulait en venir au niveau social et humain même si j’ai un peu de mal avec ce non-humour cinglant. Mais, résolument à lire, à découvrir !

Avez-vous déjà lu cet auteur espagnol ? Si oui, quel(s) titre(s) ? Je me laisserais bien tenter (un de ces jours) par le roman Les quatre cavaliers de l’Apocalypse (Los cuatro jinetes del Apocalipsis, 1916). En tout cas, vous pouvez lire Les quatre fils d’Ève sur plusieurs sites en numérique et sur Wikisource en espagnol.

Après L’œuf de cristal de H.G. Wells, un auteur anglais, hier, je continue le tour d’Europe, thème de mai de Les classiques c’est fantastique avec cet auteur espagnol que je ne connaissais pas et je mets aussi cette lecture dans 2022 en classiques, Mois espagnol et sud-américain, Petit Bac 2022 (catégorie Famille pour Fils) et Les textes courts.

Orient de José Carlos Llop

Orient de José Carlos Llop.

Chambon (Actes Sud), janvier 2022, 224 pages, 21,80 €, ISBN 978-2-330-16123-1. Oriente (2019) est traduit de l’espagnol par Edmond Raillard.

Genres : littérature espagnole, roman.

José Carlos Llop naît en 1956 à Palma de Majorque, une île des Baléares (Espagne). Il gère la bibliothèque Lluís Alemany (patrimoine de Majorque). Il est auteur (romans, poésie, essais, théâtre, nouvelles…) et traducteur. Vous pouvez lire une interview sur le site de Do, l’un de ses éditeurs en français.

« Lorsqu’on est expulsé de soi-même tout en vivant dans un pays inventé – et la passion amoureuse est un pays inventé par le désir –, l’expulsion est double. D’une part, on doit abandonner son propre monde, celui qu’on a construit et par lequel on a été construit. D’autre part, la boussole qui permettait de s’aventurer en terra incognita se dérègle. Pour combien de temps, on ne sait, mais l’avarie perdure dans le nouvel état : l’aiguille aimantée cesse de reconnaître le nord, et le sud disparaît ; et la passion s’affaiblit en perdant sa nature secrète. L’infection du quotidien. » (p. 15).

Pourquoi le narrateur est-il si pessimiste ? « Ma femme m’a mis à la porte. La phrase est vulgaire, mais le fait ne l’est pas. […] Il n’y a pas eu de cris, ni de scène […]. » (p. 16). Il vit « à présent dans un ancien couvent de moines bénédictins transformé en hôtel. » (p. 17). Il n’y a qu’un autre pensionnaire en plus de lui, Cyril Hugues Mauberley, un bibliophile anglais qui fait des recherches sur l’actrice Natacha Rambova et le peintre Federico Beltrán Masses (Majorque). Et puis il a une relation avec Miriam, une de ses étudiantes, et il se lance à corps perdu dans ses recherches sur Sophie Ravoux (juive) et Ernst Jünger (nazi).

Mais il vient d’enterrer sa mère et il découvre dans « une boîte à chaussures qui porte [son] nom […] des lettres que Sara Gorydz a envoyées à [sa] mère il y a vingt ans. » (p. 20). Des lettres mais aussi d’autres documents, des photos et des agendas annotés. Sara Gorydz, juive polonaise, a vécu en Italie avec son mari, l’écrivain Paolo Zava, et elle a travaillé pour le journal Il Gazzettino et pour le musée de Herculanum. Rosa (la mère du narrateur) et Sara ont passé des années ensemble après la Deuxième guerre mondiale.

Le narrateur passe alors en revue ses souvenirs, sa mère (Rosa), son père (Hugo, journaliste), ses grands-parents maternels partis en Guinée (sa mère y est d’ailleurs née), sa femme (Ana), ses recherches sur Ovide, et finalement la quête de l’amour. « Tout cela […], je l’ai écrit pour ne pas parler de moi-même et, ne le faisant pas, le faire quand même. S’écrire à travers les autres […]. » (p. 39). Mais dans une lettre écrite par sa mère, inachevée, il découvre un secret, un secret du temps où ses parents vivaient entre Orient et Occident, « deux façons différentes d’aimer. » (p. 43).

Professeur universitaire, le narrateur se réfère souvent à Ovide, « poète cultivé, ironique et raffiné, vivant au milieu des barbares, loin de Rome et de ceux qui l’avaient applaudi »(p. 18) et à son œuvre. Il y a aussi pas mal de références cinématographiques, avec le réalisateur espagnol Bunuel mais pas que, et des références musicales (p. 115, p. 160). Et il y a plus encore, « Je voulais être écrivain et j’avais un roman, l’histoire de ma famille. […] La volonté d’être écrivain, ou de se croire écrivain, engendre autant de monstres que le sommeil de la raison goyesque. » (p. 73). « Je voulais être écrivain et j’étais convaincu que l’histoire de ma famille serait un grand roman. » (p. 75).

Un roman sensuel qui parle d’amour, de désir, de passion, d’excitation, de sexualité, de désordre amoureux ou d’harmonie, de « la prodigieuse complexité de l’amour » (p. 88), un roman riche (histoire, littérature, cinéma, peinture, musique…), peut-être trop riche… J’ai moins aimé les pages 151 à 198, j’ai trouvé que ça tournait un peu en rond, mais les dernières pages sont très bien. Je lirai d’autres titres de José Carlos Llop (si vous en avez un à me conseiller !).

Mon passage préféré. « Dans l’imaginaire de toute vie se cache toujours la fuite, la disparition, l’invention d’une autre vie différente. Toujours. Et la consolation se trouve dans le cinéma, dans les chansons, dans les romans… Mais ce n’est qu’une consolation et nous le savons. » (p. 117).

Pour Challenge lecture 2022 (catégorie 33, un livre qui parle d’un secret de famille), Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Orient), Le tour du monde en 80 livres (Espagne), Voisins Voisines 2022 (Espagne) et bien sûr le Mois espagnol.

Mois espagnol et sud-américain – mai 2022

8e édition pour le Mois espagnol devenu Mois espagnol et sud-américain. (en 2019) et les auteurs lusophones (Portugal et Brésil) sont autorisés depuis l’année dernière. Infos, logos et inscription chez Sharon ici et ici.

Mes billets pour ce challenge

1. Orient de José Carlos Llop (Chambon, 2022, Espagne)

2. Les quatre fils d’Ève de Vicente Blasco Ibáñez (La Revue de Paris, 1922, Espagne)

3. Gentlemind 2 de Díaz Canales, Valero et Lapone (Dargaud, 2022, Espagne)

Lu un peu après le Mois mais je le note quand même pour ceux que ça intéresserait :

4. Les nuages de Juan José Saer (Le Tripode, 2020, Argentine)

La bibliomule de Cordoue de Lupano et Chemineau

La bibliomule de Cordoue de Lupano et Chemineau.

Dargaud, Hors collection, novembre 2021, 264 pages, 35 €, ISBN 978-2-50507-864-7.

Genres : bande dessinée française, Histoire.

Wilfrid Lupano naît le 26 septembre 1971 à Nantes (Loire Atlantique). Il étudie la littérature, la philosophie, l’anglais et se lance dans le scénario de bandes dessinées. Il reçoit plusieurs prix. Parmi ses titres : Little Big Joe (2001-2002), Alim le tanneur (2004), Le singe de Hartlepool (2012), Un océan d’amour (2014), Les vieux fourneaux (2014-2020, série en cours), entre autres. Récemment j’ai lu l’excellent Blanc autour. Plus d’infos sur The Ink Link, qu’il a cofondé avec un médecin, une experte santé autrice et une dessinatrice.

Léonard Chemineau naît en 1982 en France. Il est ingénieur de l’environnement et du développement durable. Sa première bande dessinée (il est auteur et dessinateur) paraît en 2012. Sur cette BD, il est dessinateur. Plus d’infos sur sa page FB et son tumblr.

Christophe Bouchard naît le 19 octobre 1972 à Rennes. Il est coloriste depuis 2005.

Cordoue, fin du Xe siècle. Les Omeyyades « ont fait de l’émirat d’al-Andalus un califat » (p. 3). « Cordoue est à son apogée et rayonne dans le monde entier sur les plans scientifique, politique et culturel » (p. 4) mais le calife Al-Hakam II meurt de façon suspecte et son fils, Hicham II, 11 ans et de santé fragile, est intronisé mais il vit reclus et c’est le vizir al-Mansur qui règne.

Tarid est le bibliothécaire de Cordoue depuis 40 ans mais il se trame des choses et, avec la jeune copiste Lubna, il essaie de faire sortir le plus de livres possible de la citadelle. Au même moment, Marwan se présente à l’entrée de l’Alcazar avec une mule récalcitrante et il est assommé par Lubna. Hop ! Les livres sont chargés sur la mule, « … beaucoup trop pour une telle bête » (p. 20) et Tarid s’enfuit avec la mule et de nombreux livres.

Tarid et la mule, Lubna et Marwan qui les ont rejoints, partent pour Batalyaws (Badajoz) mais le trajet n’est pas de tout repos et le vizir al-Mansur envoit des hommes armés à leur poursuite. « Je ne sais pas où tu comptes aller, Tarid… mais si tu crois qu’un rat de bibliothèque obèse peut traverser al-Andalus en échappant à mes armées… tu te berces d’illusions… » (p. 75).

Malheureusement la majorité des livres que Tarid n’a pas pu sauver sont brûlés… « Il est fini, le temps des bavardages scientifiques ! De ces sacrilèges qui éloignent le croyant du message de Dieu ! Fini le temps où l’on s’aveuglait avec cet héritage d’anciennes civilisations perdues ! Fini le temps des Grecs, des Juifs et des Chrétiens ! Assez de tout ça ! […] » (p. 88). « Rends grâce à Dieu en débarrassant le monde de ces écrits blasphématoires ! Embrase l’ultime bûcher ! – Qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu ! » (p. 89). Quelle abomination, c’est surtout la volonté du vizir ! Brûler des livres, ce n’est pas parce qu’ils dérangent un dieu quel qu’il soit, c’est parce qu’ils dérangent un ou des humains qui ne veulent pas que le peuple apprenne, étudie, s’instruise, s’élève et aussi se divertisse…

Tarid, Lubna, Marwan, et même la mule lorsqu’elle ne pense pas à les manger, ont chacun leur vision des livres et de la culture mais ils vont tout faire pour aller au bout et en sauver le plus possible au péril de leur vie. Il y a aussi de l’humour et, en particulier, une histoire entre la mule et le mathématicien Al-Khuwarizmi !

En fin de volume, une longue postface de Pascal Buresi éclaire le lecteur sur les Omeyyades, Abbassides, Chiites, sur l’esclavage musulman du Moyen-Âge, l’islam durant la période de la fin du 7e siècle au tout début du 10e siècle, la politique, les campagnes militaires… « Quoique régulièrement attaquées, les bibliothèques ne disparaissent pas, elles changent seulement de propriétaires. » (p. 263).

Cette bande dessinée, au-delà de son contenu artistique et historique, est un beau livre, relié, aux tranches bleues, avec un signet. L’histoire de cette bibliomule et de ces compagnons de route – Tarid, Lubna et Marwan – est très bien racontée et dessinée, les couleurs sont chaudes contrairement à ce que la couverture bleue (couleur froide) laisse à penser. J’ai plongé avec plaisir dans cette histoire passionnante qui m’a appris des choses intéressantes. Le savoir est inestimable et, même si certains ont voulu le détruire par le passé et d’autres veulent toujours le détruire à notre époque, il reste toujours, il grandit même, il ne cesse de vivre, de grandir et il n’a pas de prix !

Vous n’êtes pas convaincus ? Allez lire cet article sur le site de Dargaud avec illustrations, extraits, vidéo et d’autres infos comme la pile des livres à sauver de Lupano et celle de Chemineau.

Pour les challenges BD : La BD de la semaine et Des histoires et des bulles (catégorie 28, une BD autour de l’art parce que pour moi, le savoir et tous ces beaux livres, avec des dessins, avec de belles couvertures parfois ornées de pierres précieuses, c’est de l’art). Plus de BD de la semaine chez Noukette.

Pour les autres challenges : Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 11, une bande dessinée ou un roman graphique), Challenge lecture 2022 (catégorie 41, un livre dont le titre comporte le nom d’une ville), Jeunesse young adult #11, Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Cordoue) et Un genre par mois (le thème de janvier est fantasy ou aventure et j’ai lu cette BD le 29 janvier).

Le dernier loup de László Krasznahorkai

Le dernier loup de László Krasznahorkai.

Cambourakis, collection Irodalom, septembre 2019, 80 pages, 15 €, ISBN 978-2-36624-442-7. Az utols ó farkas (2009) est traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly.

Genres : littérature hongroise, roman court (novella).

László Krasznahorkai naît le 5 janvier 1954 à Gyula (sud-est de la Hongrie). Il étudie le Latin, le Droit puis la Littérature (thèse sur Sándor Márai) et commence à écrire. Il est écrivain (nouvelles, romans, essais, scénarios) et reçoit plusieurs prix littéraires. Du même auteur : Tango de Satan (Gallimard, 2000), Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par des chemins, à l’est par un cours d’eau (2003), La mélancolie de la résistance (Gallimard, 2006), Guerre et guerre (Cambourakis, 2013) et Seiobo est descendue sur Terre (Cambourakis, 2018). Plus d’infos sur son site officiel (en anglais).

Pour une fois, je vais mettre le résumé de l’éditeur. « Lorsqu’il reçoit, de la part d’une énigmatique fondation, une invitation à se rendre en Estrémadure afin d’écrire sur cette région en plein essor, l’ancien professeur de philosophie est persuadé qu’il s’agit d’une erreur. Pourquoi s’adresserait-on à lui, qui a renoncé à la pensée et à l’enseignement depuis des années ? Qui plus est pour aller dans cette région reculée d’Espagne ? C’est pourtant le récit de ce voyage (qu’il a donc effectué) et de l’enquête autour du dernier loup dans laquelle il s’est trouvé plongé, qu’il relate dans un bar berlinois… Le dernier loup est certainement la première novella où Krasznahorkai déploie une phrase unique sur un si long nombre de pages. Au-delà de l’impressionnante prouesse stylistique, cette phrase tout en circularités temporelles sert une réflexion subtile sur les liens entre l’homme et la nature, opérant dans le même temps une véritable entreprise d’envoûtement du lecteur qui se retrouve happé par ce récit, ne pouvant se extraire qu’au point final. »

Gloups, une phrase unique sur près de 80 pages ! Vais-je être happée ?

Au café Sparschwein, tenu par un barman hongrois, l’homme boit sa Sternburger et rit, ça doit être une erreur, « il repoussa la lettre » (p. 10), pourtant elle vient bien de cette Fondation à Madrid, mais il n’est plus professeur, il n’est plus « cet homme d’autrefois » (p. 11), mais il a besoin d’argent, va-t-il accepter ?, « c’est un vrai cauchemar » (p. 12), l’Estrémadure…, va-t-il s’y rendre ?, d’ailleurs c’est quoi cette région ?, c’est où ?, « l’Estrémadure est la partie aujourd’hui espagnole de l’ancienne Lusitanie, c’est une région limitrophe au Portugal, située au-dessus de l’Andalousie et en dessous de la Castille-et-Léon, et c’est de cette région que sont issus les conquistadors, ça alors ! » (p. 14-15), l’Estrémadure…, comment pourrait-il écrire ses pensées, son ressenti, lui qui ne pense plus, « penser à quoi ? puisque la pensée était finie » (p. 20), sur quoi va-t-il bien pouvoir écrire ?, sur les travailleurs saisonniers arabes de Navalmoral de la Mata, sur le dernier loup qui aurait péri « au sud du fleuve Duero en 1983 » (p. 23) ?, mais il n’a pas envie d’écrire et il n’ose pas le dire aux membres de la Fondation qui l’ont si bien accueilli et qui sont si gentils avec lui (et qui paient tous ses frais et une belle somme), pourtant le voyage est merveilleux, c’est que « l’Estrémadure possédait un charme particulier […], la nature était magnifique […], tout spécialement la dehesa, ce paysage très légèrement ondoyant planté de chênes verts » (p. 34), puis l’ancien professeur et sa traductrice ont rendez-vous avec José Miguel, un spécialiste des loups, dans un restaurant d’Albuquerque, « une petite ville-fantôme perchée au sommet d’une immense montagne en forme de cône qui se dressait au beau milieu d’une plaine » (p. 46), quant aux loups, ah !, il y a « quelque chose de merveilleux dans leur caractère » (p. 59), José Miguel va leur raconter une histoire émouvante, tragique, l’histoire non pas du dernier loup mais des derniers loups…

Alors, ai-je été happée ? Oui ! J’ai lu ce livre d’une traite, comme si j’étais au bar avec l’homme et le barman, comme si j’avais écouté cette histoire au lieu de la lire. Cet auteur hongrois est vraiment incroyable ; j’ai eu quelques questions restées sans réponses après la lecture de Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par des chemins, à l’est par un cours d’eau mais ici, le genre est totalement différent, c’est impressionnant, de précision et d’émotion.

Les « liens entre l’homme et la nature » dit l’éditeur, je dirais les liens entre les humains et la pensée, entre les humains et la philosophie, entre les humains et le progrès (sensé lutter contre la misère), et oui bien sûr entre les humains et la nature, nature qu’on détruit et animaux qu’on assassine sans se poser de question et souvent en toute impunité… Ce récit est bouleversant.

Ma « phrase » préférée, ou plutôt mon extrait de phrase préféré puisque le texte est une longue phrase ininterrompue : « l’amour des animaux est le seul amour qui ne déçoive jamais » (p. 60). Qui est, comme moi, d’accord avec cette phrase ?

Une très belle lecture que je mets dans Challenge Cottagecore (catégorie 2, retour aux sources, puisque l’Estrémadure est une région hors du monde, isolée, sauvage, montagneuse), Challenge lecture 2021 (catégorie 30, un livre dont l’histoire se déroule dans un pays européen, ici l’Espagne, 3e billet), Mois espagnol (l’auteur est Hongrois mais son texte se déroule dans une région espagnole peu connue), Petit Bac 2021 (catégorie Animal pour Loup), Projet Ombre 2021, Les textes courts et Voisins Voisines 2021 (Hongrie).

Mois espagnol et Mois italien – mai 2021

Comme chaque année, en mai, c’est le Mois espagnol et sud américain chez Sharon et le Mois italien chez Martine. 7e édition pour les deux challenges.

Mes précédents « Mois espagnol » : 2015 (+ bilan), 2016, 2017, 2018, 2019, 2020. Direction l’Espagne et l’Amérique du Sud ! Infos, logo et inscription chez Sharon + le groupe FB.

Mes précédents « Mois italien » : 2015, 2017, 2020. Cette année, Martine fixe l’objectif de se balader dans les 20 régions d’Italie. Infos, logos et inscription chez Martine.

Mes billets pour le Mois espagnol

1. Le dernier loup de László Krasznahorkai (Cambourakis, 2019), l’auteur est Hongrois mais l’histoire se déroule en Estrémadure, une région peu connue d’Espagne

2. Novela Negra, le polar latino (film documentaire, 2020)

Mes billets pour le Mois italien

1. Le petit loup de papier de Céline Person et Francesca Dafne Vignaga (Circonflexe, 2018), l’illustratrice de ce bel album illustré est Italienne

2. Une famille comme il faut de Rosa Ventrella (Pocket, 2020, Italie)

Deux billets pour chaque Mois. Comme chaque année, j’aurais voulu faire plus, mais…