Le chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie

Le chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie.

Le Tripode, août 2023, 240 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-369-0.

Genres : littérature française, roman.

Dimitri Rouchon-Borie naît le 3 août 1977 à Nantes. Il étudie la philosophie et les sciences cognitives puis devient journaliste et chroniqueur judiciaire. Il est aussi romancier, nouvelliste et travaille pour le quotidien breton Le Télégramme. Du même auteur : le document Au tribunal, chroniques judiciaires (La Manufacture de livres, 2018). Comme je suis Le Tripode, j’avais déjà repéré les titres de cet auteur parus dans cette maison d’éditions mais je ne m’étais pas encore lancée : Le démon de la colline aux loups (janvier 2021, premier roman, plusieurs prix littéraires), Ritournelles (mai 2021, nouvelles) et Fariboles (juin 2022, nouvelles).

Le début du roman. « Regardez-moi cette gueule de crasse qu’est de retour ! Le Père s’avance, son visage se fend d’un sourire. Il range son canif, jette le bout de bois qu’il était en train d’épointer, écarte les bras. – Ça, c’est de la carne de mon sang, ça s’en va pas pour de bon à la première misère. Nom de nom mon fils, t’es beau comme si t’étais plus neuf qu’avant ! Il attrape Gio et le serre contre lui. – Fais voir ton pansement, où c’est qu’ils t’ont esquinté, qu’il dit, solennellement, en prenant du recul. » (p. 11).

Gio, 20 ans, a été gravement blessé par un cousin, même un membre de la famille peut trahier… « […] une longue cicatrice en creux, à l’arrière du crâne, un sillon, dans la chair meurtrie. À l’hosto, en soins intensifs, c’était le dossier Sauvez-Gio-Belco. » (p. 12).

Gio a passé six mois à l’hôpital, il revient près de sa famille, il a besoin de se reposer mais… « Fiston, t’as pris un tournevis dans la caboche, ça peut pas faire du bon bricolage. Tout ce que t’as gagné c’est que ça t’a dévissé le ciboulot peut-être pour toujours. Ta mère veut pas y croire. Pour elle, t’es une sorte de miracle. Elle organise une messe demain. Laisse-la croire. Laisse-la espérer, mais toi, te trompe pas d’affaire. T’as des comptes à régler. Vas te reposer. Demain, on va faucher ici et là pour dégager les alentours, ça te fera du bien de poser droit. Et ensuite on discutera de l’honneur et des représailles, et de tout ce qui s’ensuit. » (p. 14).

Après être monté dans un train de marchandises, Gio, Papillon et Dolores arrivent dans une ville inconnue. Ils ne sont pas les bienvenus mais ils n’ont nulle part où aller… « Il reste rien que la mort, et tous les jours elle me souffle des flammes au cul. » (p. 80). Ils sont recueillis par Grand-Mère et apprennent que cette ville est la capitale.

« Du temps a passé depuis qu’il l’a quittée avec ses yeux. Mais parfois, même le temps, c’est pas assez. » (p. 148). Gio va traverser la vie avec des épreuves et des rencontres (boxe avec Henrique, fresque avec des craies, un chien…). « Mais voilà qu’il entend gémir encore. Dehors, le chien est toujours là, assis à la même place, tête basse avec les yeux du pardon qui se posent ici ou là, et qui donnent l’impression de négliger l’homme alors qu’ils s’assurent de sa présence et de son intérêt. Le chien, c’est un bâtard avec un poil brun et un peu gris, et noir, enfin il a quelque chose du loup et du chien mais on ne saurait dire quelle part a pris le dessus. De grands yeux noirs et c’est sans doute beaucoup plus doux que tout ce qu’il a rencontré ces derniers mois. » (p. 185).

Je n’ai pas percuté où se situait ce roman (quelque part en Europe de l’Est ? Ça parle de tabac russe p. 118) ni vraiment à quelle époque (mais ça parle de guerre, de Grande Épopée et de communisme à Cuba). Ce que je peux dire, c’est que ce roman est noir, mais qu’il s’en dégage une lumière incroyable, et que l’écriture de Dimitri Rouchon-Borie est époustouflante (je veux lire ses autres titres !). Sans donner de leçon, l’auteur et Gio donnent aux lecteurs une incroyable leçon de vie. Bien sûr cette lecture sombre peut affliger certains lecteurs mais ce serait vraiment dommage de passer à côté de Gio parce qu’il y a en lui une forme d’onirisme et de poésie exacerbés au milieu de cette violence, cette brutalité, sans qu’il s’en rende compte lui-même.

Je mets cette lecture puissante dans ABC illimité (lettre D pour prénom), Challenge lecture 2024 (catégorie 12, un livre dont le titre comporte 4 mots), Petit Bac 2024 (catégorie Animal pour Chien).

Les nuages de Juan José Saer

Les nuages de Juan José Saer.

Le Tripode, octobre 2020, 224 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-226-6. Las nubes (1997) est traduit de l’espagnol (Argentine) par Philippe Bataillon.

Genres : littérature argentine, roman.

Juan José Saer naît le 28 juin 1937 à Serodino dans la province de Santa Fe en Argentine (sa famille est Syrienne, originaire de Damas). Il étudie à l’Université national du Littoral et devient écrivain dès 1960 puis il s’installe à Paris en 1968 et devient professeur (à l’université de Rennes, entre autres). Il laisse à la postérité plus de 30 œuvres (recueils de nouvelles, romans, essais) dont, pour l’instant, moins de 20 sont traduites en français (Seuil, Le Tripode, Flammarion, Verdier). Il meurt le 11 juin 2005 à Paris en France. Autres titres de l’auteur publiés par Le Tripode : L’ancêtre (2014), Glose (2015), Le fleuve sans rives (2018) et L’enquête (2019).

Résumé de l’éditeur (site et 4e de couv) : « Argentine, 1804 : le docteur Weiss, adepte de la nouvelle psychiatrie parisienne, fonde une maison de santé pour malades mentaux. Les « aliénés » y sont traités avec humanité et l’établissement acquiert une réputation aux quatre coins de la Vice-Royauté du Río de la Plata. Son disciple, Real, reçoit une mission déraisonnable : convoyer de Santa Fe à Buenos Aires une caravane de fous. Il y a un jeune homme mélancolique, une nonne nymphomane, un dandy maniaque et deux frères qui souffrent de délire linguistique. À cet hôpital ambulant se joignent un guide, deux soldats, trois prostituées. Mais la pampa est immense, désespérément vide, et la civilisation lointaine. Au cours de la traversée du désert, la frontière entre folie et normalité devient plus que trouble… ». Comme je m’intéresse à l’histoire de l’aliénisme (psychiatrie), vous comprendrez aisément que ce roman ne pouvait que m’intriguer mais je suis vraiment déçue de ne pas avoir pu le lire pour le Mois espagnol et sud-américain

Paris vidée de ses habitants, été, chaleur excessive. Pigeon Garay reçoit de son ami Tomatis (qui vit en Argentine), un manuscrit (enfin ‘un disket’) intitulé Les nuages.

Le mémoire est rédigé par le docteur Real, un Argentin, qui a étudié à Madrid chez les Franciscains puis à Paris à la Salpêtrière avec le docteur Weiss avant de retourner dans son pays. En août 1804, il convoie, avec trois cavaliers dont un guide, Osuna, un groupe d’aliénés de Santa Fe à Buenos Aires soit (j’ai cherché sur internet près de 800 km (moins de 10 heures en voiture à notre époque mais imaginez il y a plus de 2 siècles avec des ‘fous’ et des chariots en bois !). « […] je suis le docteur Real, spécialiste des maladies qui affligent non pas le corps mais l’âme. » (p. 20).

Le docteur Weiss était un Hollandais et « Dès que je fus arrivé, l’idée devint pour moi une évidence passionnée, et le docteur Weiss mon ami, mon maître et mon mentor. » (p. 21). Ce docteur Weiss avait prévu de s’installer en Argentine avant de rencontrer Real et ce dernier est devenu son assistant à la Maison de Santé Les Trois Acacias fondée en avril 1802 au nord de Buenos Aires, « un hôpital idéal » (p. 23) « refusant les chaînes, la prison, les cachots » (p. 23). Cette Maison, « ce fut peut-être la première de cette espèce sur tout le territoire américain » (p. 24) et durant les 14 ans de vie de la Maison, « Nous vivions en communauté avec nos fous. » (p. 33) et « les tâches domestiques [étaient] accomplies en commun » (p. 37) sur le principe du volontariat, potager et jardinage, peinture et réparations, entretien, cuisine…

Le récit est un peu difficile à lire parce qu’il n’y a pas de chapitres (donc nul endroit propice pour s’arrêter) et que la police de caractère est vraiment petite… Mais, évidemment le récit est passionnant. Ça raconte les conditions de vie du début du XIXe siècle en Argentine dans les petites villes et les villages isolés, conditions spartiates, le dangereux fleuve Paraná, les relations entre les autochtones, les Blancs et les religieux, les esclaves et le mauvais alcool qui circule…

« Il vaut la peine de faire remarquer que les malades mentaux, quand ils sont une certaine éducation, ont presque toujours un penchant irrésistible à s’exprimer par écrit, tentant de canaliser leurs divagations dans le moule d’un traité philosophique ou d’une composition littéraire. Ce serait une erreur de les prendre à la légère car ces écrits peuvent être une source inestimable de renseignements significatifs pour l’homme de science qui, dans les mots écrits, a sous la main, protégées de la fugacité du délire oral et des actions fugitives, quantité de pensées mises à l’abri, semblables aux insectes immobilisés par une épingle ou à la flore séchée d’un herbier sur lesquels le naturaliste concentre son attention. » (p. 111-112).

Et puis, il y a le fleuve dont les eaux (les crues) sont comme la folie et l’inondation « insidieuse, brutale, démesurée » (p. 118) « retardait les malades que nous attendions, en provenance de Córdoba et du Paraguay, et en même temps nous confinait dans la ville. » (p. 119).

Certains habitants sont cultivés comme monsieur Parra, dont le fils, Prudencio, en état de prostration, fera partie du voyage jusqu’à la capitale. Il y aura aussi Teresita, une nonne qui a perdu la raison après avoir subi des viols par le jardinier du couvent… (jardinier qui n’a pas la même version que la mère supérieure du couvent). Monsieur Troncoso, homme riche et autoritaire qui arrive de Córdoba, et qui passe de l’excitation à la mélancolie. Et les deux malades qui arrivent du Paraguay, Juan Verde soit silencieux soit véhément (il répète toujours « le matin, le soir, la nuit » (p. 139) avec des intonations différentes) et son jeune demi-frère surnommé Verdecito (cas de démence héréditaire ?). Real raconte la rencontre et le problème de chacun de ces cinq patients et, durant le voyage de retour, il lit l’intégrale de Virgile, offerte par l’agréable monsieur Parra (l’auteur s’inspire pas mal de Virgile, Cicéron et Zénon, philosophes antiques).

Retour à Buenos Aires qui évidemment est fort compliqué (retards, intempéries, inondations, mauvais état des chemins, détours, crainte d’une attaque des Indiens conduits par le violent cacique Josesito, feu de forêt en pleine pampa…), « une laborieuse caravane, trop lente et trop longue, ralentie par de continuelles indécisions » (p. 147) avec les malades mais aussi un marchand ambulant, des soldats et des prostituées « Et enfin, dix ou douze chiens vagabonds nous suivaient avec une obstination, une indigence et une avidité semblable à celles des mouettes qui suivent le sillage des bateaux en quête de nourriture. » (p. 152), sûrement ma phrase préférée, mais j’ai aussi beaucoup apprécié le moment que Real passe seul au bord d’un étang, enfin seul avec son cheval, observant l’horizon et les animaux refoulés par la montée des eaux (p. 164-170).

Quelques réflexions complémentaires. Je ne dirais pas que l’auteur est anticlérical mais il (Real en tout cas) a sa propre vision de la théologie qui diffère de la vision scientifique et médicale, ce qui est logique (sans parler de la vision théologique de Teresita rédigée dans son Manuel d’amours, hi hi hi). Quant au roman en lui-même, c’est un roman atypique, à la fois historique (l’Argentine du XIXe siècle), à la fois aventure avec ce voyage incroyable, à la fois médical avec la folie représentée sous toutes ces formes (Prudencio représenterait la philosophie, Tronsoco la richesse et le pouvoir, Teresita la religion ou plutôt le mysticisme, Juan Verde et Verdecito la famille et ses problèmes de communication), et utopique parce que c’était folie d’accomplir un tel voyage à cette époque et aussi de vouloir soigner différemment (sûrement une grande innovation en ce début de XIXe siècle). Chaque malade, chaque accompagnateur est un nuage différent à lui seul (avec ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qu’on sait – ou qu’on devine – et ce qu’on ne sait pas) et puis il y a les nuages, les vrais, c’est-à-dire les météorologiques, sur lesquels l’humain est impuissant.

Alors, ce n’est pas un roman estival parce qu’il est dense et qu’il faut vraiment se concentrer… J’aurais dû le lire plus tôt, mais je suis ravie d’avoir découvert cet auteur considéré comme un des plus grands écrivains argentins du XXe siècle, considéré autant que Jose Luis Borges (c’est dire !) et je veux lire d’autres de ses titres, peut-être L’enquête, son seul roman policier qu’il a rédigé à Paris. Et vous, connaissiez-vous cet auteur ?

Pour Challenge de l’été – Tour du monde 2022 (Argentine), Challenge lecture 2022 (catégorie 25, un roman historique), Shiny Summer Challenge 2022 (menu 3 – Sable chaud, sous menu 2 – Une oasis dans le désert = le voyage d’une vie, 2e billet) et Tour du monde en 80 livres (Argentine). Par le passé, il y a eu un Challenge Amérique du sud et Amérique latine mais je ne l’ai pas retrouvé…

Le dit du Mistral d’Olivier Mak-Bouchard

Le dit du Mistral d’Olivier Mak-Bouchard.

Le Tripode, août 2020, 360 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-239-6.

Genres : littérature française, premier roman.

Olivier Mak-Bouchard… Très peu d’infos sur lui ! Il grandit dans le Luberon et vit maintenant à San Francisco. Le dit du Mistral a reçu le Prix Première Plume 2020.

Le prologue raconte un moment de l’origine. Dieu se repose le septième jour mais fait venir à lui les 4 éléments – la Terre, le Feu, l’Eau, l’Air – pour qu’ils créent quelque chose (nan mais, oh, faudrait pas faire les faignants !). Le dialogue entre Dieu et les éléments est truculent. « Parfait, parfait. Là, je crois qu’on commence à tenir quelque chose. Oui, avec cette règle du trois, six, ou neuf, je pense qu’on tient le bon bout. Avec ce calcaire, cet ocre, ce Calavon et maintenant ce Mistral, oui, ça commence à prendre forme, réfléchit-il à haute voix. Que le Luberon soit, ordonna le Créateur. Et le Luberon fut. » (p. 19).

Les personnages. Un chat errant, blanc avec des pattes noires, surnommé Le Hussard. Un voisin, monsieur Sécaillat (Paul) et son épouse Mireille qui souffre d’Alzeihmer. Et le narrateur, paysan, et, comme son épouse Blanche part deux mois au Japon pour son travail, il va pouvoir bidouiller tranquillement – et clandestinement – avec son voisin !

Après un violent orage, monsieur Sécaillat vient chercher son voisin alors qu’ils ne sont pas spécialement proches. « Venez, y a quelque chose qu’y faut que je vous montre, m’annonça-t-il calmement. » (p. 32). Dans un champ qui sépare les mas des deux hommes, un « mur était éboulé sur 4 ou 5 mètres » (p. 34) et « Il y avait des cailloux qui n’en étaient pas, des tessons de terre cuite, des bouts de poterie. » (p. 34).

Ces objets semblent très anciens mais monsieur Sécaillat ne veut pas que quelqu’un vienne sur son terrain pendant des mois voire des années. « Le simple fait que l’État oui qui que ce soit d’autre puisse s’arroger la propriété de son sol était hors de question. Le priver de son lopin de terre était comme lui couper un bras. » (p. 37).

Les deux hommes décident donc de creuser eux-mêmes et de ne rien dire à personne de leurs découvertes. Ils trouvent plein de pièces différentes que monsieur Sécaillat tente de remonter comme un puzzle et à plusieurs mètres de profondeur, une source d’eau ferrugineuse comme en Auvergne ! Autant dire, une source miraculeuse.

Heureusement que les mots et expressions en provençal sont traduits en bas de page.

« Surprise de fin d’année au musée municipal. » (p. 131).

« À ce stade de l’histoire, le lecteur peut décider de s’arrêter : il aura alors lu un joli conte de Noël provençal, ce qui n’est déjà pas donné à tout le monde. Mais s’il choisit de continuer sa lecture, il faut le mettre en garde. Il doit se rappeler que les légendes, si elles sont racontées pour faire rêver, introduire une part de mystère dans un monde terne, sont aussi racontées pour expliquer l’incompréhensible, démêler l’indémêlable. Il devra garder à l’esprit que toutes les légendes, sans exception, ont un fond de vérité. On ne sait jamais de quoi il retourne exactement. La part du vrai, la part du faux, bien malin celui qui arrive à les démêler. » (p. 161).

Autant vous dire que j’ai continué ce roman enchanteur et que c’est un coup de cœur. Lisez-le et vous serez transportés en Provence parmi les contes et les légendes ; offrez-le aussi et vos proches vous en seront reconnaissants ! C’est drôle, c’est enlevé, c’est génial ! Il y a les légendes du Mistral, du Cabro d’or (la chèvre d’or), Hannibal et ses éléphants, les Albiques et leurs toutouros, des balades dans la garrigue et au Mont Ventoux…

Je mets cette excellente lecture dans les challenges Animaux du monde #3 (pour le chat, Le Hussard) et Contes et légendes #2. Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 20.

Vigile de Hyam Zaytoun

Vigile de Hyam Zaytoun.

Le Tripode, janvier 2019, 128 pages, 13 €, ISBN 978-2-37055-185-6.

Genres : littérature française, premier roman.

Hyam Zaytoun est comédienne. Hypokhâgne, khâgne, art du spectacle, art dramatique, créations contemporaines au théâtre, actrice dans des films, des séries télévisées… Vigile est son premier roman. Plus d’infos sur son site, http://www.hyam-zaytoun.com/.

Une nuit d’avril, une jeune femme se réveille et se rend compte que son mari, Antoine, fait un arrêt cardiaque. En attendant les secours, « […] le geste, le geste, le geste qui sauve, répétitif. Il fait passer ma peur, occupe mon énergie, tout entière dans mes mains, dans mon dos qui s’incline, près de toi, en rythme… » (p. 14-15). Antoine et la narratrice sont les jeunes parents de Margot (6 ans) et Victor (3 ans). Après avoir géré le quotidien, la jeune femme rejoint Antoine à l’hôpital. « J’y crois. Tes yeux vont s’ouvrir, ta main se tendre vers moi dans un sourire. » (p. 30). Arrêt cardiaque, infarctus, fonctions vitales, coma, assistance respiratoire, « légume »… Des mots cliniques qui angoissent mais il faut « mettre des mots sur ce qui nous arrive. » (p. 48). La narratrice passe par plusieurs étapes : tristesse, culpabilité, colère, sentiment d’injustice. « Je suis ta vigile, ton garde du corps… » (p. 52). Mais elle va tenir le coup, grâce à la famille, aux amis, au peu d’espoir que le médecin lui a donné, et aux souvenirs (la naissance des enfants, leur rencontre, leur voyage en Inde…).

Je continue de rattraper mon retard dans mes notes de lectures. Vigile est un roman fort, tenace (comme la vie !), violent mais sensible (rempli d’amour) : c’est ce qui m’a fait apprécier ce roman « médical ». Je n’ai pas l’habitude d’en lire mais j’ai autant apprécié que Le matin est un tigre de Constance Joly ou Principe de suspension de Vanessa Bamberger et je vous le conseille vivement.

De pierre et d’os de Bérengère Cournut

De pierre et d’os de Bérengère Cournut.

Le Tripode, août 2019, 219 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-212-9.

Genre : littérature française.

Bérengère Cournut naît en 1980. Elle a déjà écrit des contes, des textes (illustrés) pour la jeunesse et Née contente à Oraibi (Le Tripode, 2016) sur les Indiens Hopis.

Une nuit, Uqsuralik a mal au ventre, elle se lève et sort de l’igloo. « L’air glacé entre dans mes poumons, descend le long de ma colonne vertébrale, vient apaiser la brûlure de mes entrailles. Au-dessus de moi, la nuit est claire comme une aurore. La lune brille comme deux couteaux de femmes assemblés, tranchants sur les bords. Tout autour court un vaste troupeau d’étoiles. » (p. 11). Elle entend un craquement et se rend compte que la banquise se sépare ! Son père, attiré par le bruit, a le temps de lui tendre une amulette (une dent d’ourse), une peau et un harpon (mais la flèche se casse) avant que le morceau de banquise ne l’éloigne. Uqsuralik est séparée de sa famille, livrée à elle-même sur ce morceau de banquise qui dérive. Mais, tout à coup, surgissent Ikasuk (la meilleure chienne de son père) et quatre chiots, ils étaient enfouis sous un monticule de neige. « Je suis seule – avec cinq chiens fraîchement sortis du néant. » (p. 14). « Ma seule chance de survivre est de rejoindre un bout de terre, une de ces montagnes au loin. » (p. 15). « J’ignore combien d’obstacles me séparent du rivage et des autres humains. » (p. 16).

De pierre et d’os est un beau texte, bien écrit, mais j’ai vraiment l’impression que l’autrice raconte les images d’un documentaire… C’est plus un récit ethnologique qu’un roman (je n’utilise pas ethnographique car l’autrice n’a pas été sur le terrain). De plus… Les chiots attaquent et Uqsuralik ne peut pas les retenir à chaque fois… Elle est « obligée » d’en tuer un qui se jette sur elle… « Je ramène le chien encore chaud entre les murs de l’igloo, je remets la porte en place et je le dépèce. Sa viande est infecte, mais le sang tiède ramène la vie en moi. » (p. 19). J’ai déjà supporté l’ignominie dans Sauvage de Jamey Bradbury, je ne me sens pas de lire un autre livre du même genre… Je poursuis un peu en diagonale… Non seulement elle mange le chiot mais elle jette les restes aux trois autres qui, affamés, se jettent dessus… Comme les Inuits parlent peu, le livre est agrémenté de chants qui racontent leur vie, leurs peines, etc., comme Le chant du père (le premier chant) : « Aya aya ! / La nuit est tombée / Nous avons marché / La banquise s’est brisée / Aya aya ! / J’avais une fille / L’eau a ouvert sa bouche / Pour me l’enlever / […] » (p. 22).

Au bout de plusieurs jours de marche, et après avoir compris que le géant légendaire de l’île ne veut pas d’elle sur son île, elle rencontre un groupe de trois familles en traîneaux avec leurs chiens. Ils la surnomment Arnaautuq, ce qui signifie garçon manqué. Au bout de quelques saisons, naît Hila, une petite fille, mais le père Tulukaraq a disparu avec son kayak. « […] je ne suis pas en paix. » (p. 104).

Je ne sais pas si je vais continuer, il (ou elle) regarde ceci ou cela, il (ou elle) dit ceci ou cela, il (ou elle) fait ceci ou cela… Tout est tellement précis, pointilleux que la lecture en devient laborieuse… (Je l’ai finalement terminé en diagonale). Toutefois ce livre est instructif avec la vie des Inuit, les légendes, les esprits, le chamanisme… Mais ce n’est pas ce que je recherchais dans ce roman qui n’en est pas vraiment un (les 200 et quelques pages m’ont paru très longues…). Il a cependant reçu le Prix du roman FNAC. En fin de volume, il y a un cahier de photographies (en noir et blanc).

Une lecture pas indispensable pour moi que je mets dans les challenges 1 % Rentrée littéraire 2019 et Contes et légendes 2019 (dans la rubrique Une histoire venue de loin).

Le chien de madame Halberstadt de Stéphane Carlier

Le chien de madame Halberstadt de Stéphane Carlier.

Le Tripode, avril 2019, 176 pages, 15 €, ISBN 978-2-37055-193-1.

Genre : littérature française.

Stéphane Carlier naît le 31 août 1969 à Argenteuil (Val d’Oise). Il est le fils de Guy Carlier, chroniqueur (radio, télévision), auteur et parolier. Ses romans précédents (parus au Cherche-Midi) sont Actrice (2005), Grand amour (2011), Les gens sont les gens (2013), Les perles noires de Jackie O (2016), Amuse-bouche (2017) et un feuilleton radiophonique, Trois minutes à Meudon (45 épisodes, France Inter, été 2001). Le chien de madame Halberstadt est son sixième roman et je découvre cet auteur ! Plus d’infos sur son compte Instagram.

Baptiste Roy, la petite quarantaine, n’a pas le succès escompté avec la parution de son troisième roman, Entrée dans l’hiver. Pour couronner le tout, Maxine, la femme avec qui il vivait depuis six ans, l’a quitté pour leur dentiste ! Il ne supporte plus le bruit car ses voisins du dessus, un couple avec deux enfants, sont très bruyants et sans gêne. Ses amis, qu’il avait en commun avec Maxine, l’ont abandonné, sauf Gilles, son meilleur ami, sa mère et son éditrice. « La journée passait aussi rapidement qu’une page se tourne, le soir arrivait sans que j’aie rien fait de significatif. » (p. 20). Bref, il déprime grave… « Et puis Mme Halberstadt a sonné à ma porte. » (p. 21). Madame Halberstadt, c’est sa voisine, une vieille dame qui doit être hospitalisée cinq jours pour une opération de la cataracte. « J’ai un petit service à vous demander. J’eus l’intuition que le petit service se tenait à ses pieds, portait un harnais rouge et me fixait de ses yeux globuleux. » (p. 24). Croquette est un carlin de douze ans qui, selon sa maîtresse, dort tout le temps. « Vous verrez, les animaux, ça change la vie. C’est exactement ce que je craignais. » (p. 28). Et… miracle ! Son roman commence à se vendre et il rencontre Lois qui a un dachshund, Billy.

Ce roman est une belle histoire entre un homme (Baptiste) et un animal (Croquette) et le lecteur, selon ses affinités, s’attache à l’un ou à l’autre ou aux deux. « Il se passait quelque chose, je ne pouvais plus le nier. » (p. 59). Évidemment ce n’est pas une histoire inédite mais premièrement : la couverture attire et deuxièmement : c’est vraiment bien écrit, c’est tendre et c’est drôle. Qui ne voudrait pas de Croquette à domicile ? « Bien sûr que ce chien est magique. Tous les animaux le sont. À part les trucs affreux du genre crocodile. » (p. 78).

C’est aussi une réflexion sur le travail de l’écrivain. « On peut écrire sur tout, me disais-je. Un amour déliquescent, un jeune garçon à l’école des sorciers, un appartement abandonné pendant la guerre. Les sujets n’ont pas d’importance. Ce qui compte, ce qui accroche, c’est la vérité. Ce que le livre dit de nous. Le commentaire qu’il fait de l’humanité. » (p. 91).

Un coup de cœur pour moi (qui suis pourtant plus chat) que je vous conseille fotement même si vous n’êtes pas déprimés !

Pour le challenge Rentrée littéraire janvier 2019 (et je suis surprise car, pour l’instant, je n’ai lu que des romans français !).