Les Forteresses de Gurshad Shaheman

Les Forteresses de Gurshad Shaheman.

Les solitaires intempestifs, septembre 2021, 160 pages, 15 €, ISBN 978-2-84681-621-2.

Genres : littérature franco-iranienne, théâtre.

Gurshad Shaheman naît à Téhéran. Lorsqu’il a 10 ans, il vient en France avec sa mère et sa jeune sœur de 5 ans pour voir un oncle. Deux ans après, ils reviennent et restent en France. Il étudie à l’École régionale d’acteur de Cannes et Marseille. Il est auteur et metteur en scène.

4 personnages : les voix de Jeyran, Shady, Hominaz « toutes trois nées au début des années 1960, à Mianeh, une petite ville de l’Azerbaïdjan iranien » (p. 7) et sur scène, le fils auquel les récits des trois femmes sont adressés. « Le fils écoute en silence. Parfois, il chante. » (p. 7). Ici, le fils s’appelle Gurshad, comme l’auteur, « Mais libre au metteur en scène de retirer ce prénom ou de le remplacer par celui de son choix. » (p. 7).

À tour de rôle, les trois sœurs racontent leurs souvenirs avec leur grand-mère, Khâm-maman, ou leurs parents (surtout leur père), leurs études : Jeyran part étudier le droit à Téhéran, Hominaz a été mariée à 18 ans et n’a pas fait d’études supérieures, Shady entre à la fac de Tabriz.

Leur père n’apprécie pas les bondieuseries, il ne veut pas que ses filles se voilent mais il les laisse libres. « Il était progressiste / pour son époque / Il était vraiment progressiste » (Hominaz, p. 16).

Mais, en 1977, Jeyran, commence à manifester avec d’autres étudiants de la fac de droit de Téhéran. « On réclamait le départ du shah / On voulait une démocratie » (Jeyran, p. 28). Or, entre temps, Jeyran s’est mariée et a un fils d’un an, le fils auquel les trois sœurs racontent leurs souvenirs. Quant à Shady et ses amies étudiantes, elles ont été enlevées, frappées, enfermées « dans la grande prison de Tabriz » (p. 44) et encore frappées, fouettées…

C’est, qu’après le départ du shah, les partisans de la gauche n’ont pas trouvé de terrain d’entente et les islamistes en ont profité pour prendre le pouvoir (je me rappelle très bien des infos en 1979). Et il y a eu des atrocités : par exemple les quartiers avec les bars, cabarets, cinémas et les débits de boissons incendiés, les maisons closes aussi avec les femmes et leurs enfants à l’intérieur… « Toutes assassinées en un jour / Une opération coup de poing » (Jeyran, p. 52). En ordre bien réglé, du sud au nord de Téhéran, du petit matin à la tombée de la nuit… « J’étais sur le balcon et je regardais / Tout flambait / […] / J’ai été prise de sanglots / C’est ce jour-là / Devant ce nuage noir / Que j’ai compris que tout était perdu / C’en était fini de nous / La démocratie était vaincue / Tout / Tous nos efforts / Tout ce sang versé / Toute cette fougue / Cette jeunesse / Nos espoirs / Tout nous était volé / Le pays était maintenant tombé aux mains d’une nouvelle race de voyous / Une nouvelle tyrannie / Avec sa meute de fanatiques / Sanguinaires et sans scrupule / Une vraie invasion / Comme si une troupe ennemie avait pris la cité d’assaut / Comme si ces gens-là n’étaient pas les enfants de cette même ville » (Jeyran, p. 52-53, mon passage préféré). Puis « les grandes exécutions des années 1980 » (Shady, p. 54). Shady qui raconte plus loin le passage en France, le retour en Iran puis l’exil en Allemagne. Il y a aussi l’Iraq qui déclare la guerre à l’Iran, personne n’a compris pourquoi (8 ans de guerre, c’est long…).

Ce que Gurshad chante : p. 60-61, Quand tu me reviens en mémoire (Sən yadıma düşəndə) interprétée par Elmira Rəhimova ; p. 104-105, Ô amour (Ay qiz) interprétée par Islam Rzayev et p. 146-147, La forteresse (Bu qala daşli qala) interprétée par Ahmet Kala (des chansons traduites de l’azéri par l’auteur que vous pouvez écouter ci-dessous).

J’ai beaucoup aimé cette pièce dramatique et j’aimerais la voir jouer sur scène. Le texte est écrit comme en vers libre, pratiquement sans ponctuation (quelques virgules mais aucun point), cela donne tout un lyrisme dans l’instabilité du pays, les violences faites aux femmes et les aléas de la vie. Le récit des trois sœurs séparées (Iran, France, Allemagne) est poignant mais elles sont des forteresses !

J’ai lu ce texte il y a presque un an mais j’ai tellement de retard dans la publication des nombreuses notes de lectures… J’en ai un souvenir encore vivace et je vous conseille vivement ce témoignage bouleversant même si vous n’aimez pas le théâtre (certaines personnes aiment le voir mais pas le lire, alors si vous avez l’occasion de voir/entendre cette pièce, n’hésitez pas !).

Pour ABC illimité (lettre F pour titre), Challenge lecture 2024 (catégorie 41, un livre qui comporte des flashbacks), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Forteresses), Tour du monde en 80 livres (Iran).

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht

La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht.

L’Arche, collection du Répertoire, 1959, 112 pages, épuisé mais d’autres éditions sont parues y compris une intégrale du théâtre de cet auteur. Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui (1941) est traduit de l’allemand par Armand Jacob. Cette pièce a été écrite en collaboration avec Margarete Steffin et elle est sous-titrée Parabole dramatique.

Genres : littérature allemande, théâtre, Histoire.

Bertolt Brecht naît le 10 février 1898 à Augsbourg en Bavière dans l’Empire germanique (1871-1918). Il naît dans une famille bourgeoise (son père est propriétaire d’une fabrique de papier). En 1914, il a 16 ans et il est déjà publié. Il étudie la philosophie puis la médecine mais il est mobilisé pour la Première guerre mondiale. Cependant il n’arrête pas d’écrire, en particulier des écrits pacifistes. Après la guerre, il écrit des pièces – la plus célèbre étant sûrement L’Opéra de quat’sous – et rencontre un succès international. Mais il est devenu marxiste dans les années 20 et, avec la montée du nazisme, ses pièces sont de plus en plus souvent interdites. Bertolt Brecht et son épouse – Helene Weigel, une actrice (1900-1971) – quittent l’Allemagne et s’exilent au Danemark (tout comme Thomas Mann, il est déchu de sa nationalité allemande) puis en Suède, en Finlande et enfin en Californie aux États-Unis. Il continue d’écrire des pièces et aussi des scénarios pour Hollywood. Lorsqu’il revient en Europe à la fin des années 1940, il vit en Suisse puis en Allemagne mais à Berlin-Est où il fonde avec Helene Weigel le Berliner Ensemble. Il meurt le 14 août 1956 à Berlin-Est en RDA (République démocratique allemande, 1949-1990). Il laisse à la postérité de nombreux articles de journaux et une cinquantainre de titres (pièces de théâtre mais aussi du ballet et de la poésie).

Margarete (Émilie Charlotte) Steffin naît le 21 mars 1908 à Rummelsburg dans le Land de Berlin. Issue d’une famille d’ouvriers, elle travaille dès 14 ans (compagnie de téléphone puis théâtre et revue Rote). Grâce à Bertolt Brecht et Hélène Weigel, elle devient actrice de théâtre mais elle est aussi autrice, critique littéraire et traductrice du russe et des langues scandinaves. Elle meurt le 4 juin 1941 à Moscou (tuberculose).

Dans le prologue, le Bonimenteur fait son discours d’ouverture et parle des scandales et des gangsters qui secouent la ville de Chicago. « Chers spectateurs, nous présentons / – Vos gueules un peu, dans le fond ! / Chapeau là-bas, la petit’ dame ! – / Des gangsters l’historique drame : / Stupéfiante révélation / Sur le scandal’ des subventions ! » (p. 7) ou l’art d’alpaguer la foule ; et annonce les gangsters qui participeront au spectacle dont Arturo Ui. Le « grand style tragique » et le « réel authentique » (p. 8) seront bien sûr respectés. Musique forte et crépitement de mitraillette, l’ambiance est assurée.

C’est la crise à Chicago, les affaires ne rapportent plus, les denrées peinent à arriver, les commerces mettent la clé sous la porte (crise des choux-fleurs !) et les gangsters ne peuvent plus… travailler, les docks devant être construits manquant de budget. « Toute morale est morte. La crise est de morale aussi bien que d’argent. […] Morale, où donc es-tu au moment du malheur ? » (Mulberry, p. 12).

Notez l’humour : « J’ai couru de Caïphe à Pilate : Caïphe ? / Absent pour plusieurs jours, Pilate ? Dans son bain. / De ses meilleurs amis on ne voit que les fesses ! » (Sheet, p. 15). « L’argent est cher en ce moment. » (Flake, p. 16) et « Oui, et surtout / Pour qui en a besoin. » (Sheet, p. 16).

Pendant la conversation, apparaît Arturo Ui, pas très apprécié, « Ce type nous assiège de propositions […] / Le revolver en main. On rencontre aujourd’hui / Beaucoup d’hommes pareils à Arturo Ui, / Qui couvrent notre ville et semblent une lèpre / Qui lui ronge les doigts, et les mains et les bras. / D’où cela vient, nul ne le sait. Mais on devine / Que cela vient d’un gouffre insondable. Ces vols, / Ces rapts, ces extorsions, ces chantages, ces crimes. / […]. » (Flake, p. 17).

De son côté, le vieil Hindsborough, élu à la mairie, a raflé la mise et Hindsborough Junior est ravi ; le vieux représente un peu Dieu le père et Junior est d’ailleurs écrit le Fils et réponds la plupart du temps « Oui, Père. », c’est le côté irrévérencieux de Bertolt Brecht. Mais tout le monde est corruptible…

Quant à Arturo Ui, par manque de travail, ses hommes deviennent oisifs et cela « surtout leur fait beaucoup de mal. » (Roma, p. 23) et il déprime… « La gloire du gangster ne dure qu’un matin. / Le peuple est inconstant, et déjà il se tourne / Vers les vainqueurs nouveaux. […]. » (Ragg, p. 26).

Le lecteur va donc croiser Hindsborough, Gobbola, Gori… des noms qui ressemblent à von Hindenburg, Goebbels, Göring… À la fin de chaque scène, un panneau explicatif apparaît et, à la fin de la scène IV, il y est écrit : « Dans le cours de l’automne 1932, le parti d’Adolf Hitler et les S.A. sont à la veille d’une banqueroute et menacés de dissolution. Les élections de novembre sont très défavorables aux nazis. Par contre le nombre des voix qui se sont portées sur les deux partis ouvriers, communiste et socialiste, s’est accru considérablement. » (p. 30). Vous voyez le parallèle entre Arturo Ui et Adolf Hitler et entre les Gardes du Corps d’Ui et les S.A. ? Mais, tout comme l’ascension d’Arturo Ui, celle d’Adolf Hitler était résistible, c’est-à-dire qu’elle aurait vraiment pu être évitée.

Lorsque Arturo Ui et son fidèle lieutenant Ernesto Roma font irruption dans sa maison, le vieil Hindsborough est sous le choc. « Ainsi, de la violence ? » (p. 34) mais Roma lui répond « Oh que non, cher ami ! Juste un peu d’insistance. » (p. 34) ou le nouveau langage. Tiens, que vous disais-je ci-dessus : Ui vient ‘prier’ le vieil Hindsborough bien qu’il « n’aime pourtant guère prier » (p. 35). Bref, Ui a « pris [sa] décision », il veut être « protecteur. Contre toute menace. Par la force qu besoin. » (p. 35), ben voyons, il annonce la couleur ! « Payer ou bien fermer. Tant pis si quelques faibles / Risquent de succomber : c’est la loi naturelle. / […] moi qui vous respecte à l’extrême […] » (Ui, p. 36). Extrême, le mot est dit… et Ui ne s’arrête pas là… « (Hurlant :) En ce cas je l’exige / En tant que criminel ! Je possède les preuves ! / […] Je vous préviens ! Ne me poussez donc pas / À des extrémités funestes ! […]. / Plus d’amis ! C’est de l’histoire ancienne ! Vous n’avez plus d’amis aujourd’hui, et demain / Rien que des ennemis. S’il est pour vous sauver / Quelqu’un, c’est moi, Arturo Ui ! Moi, moi ! » (Ui, p. 37). Le personnage vociférant, rugissant est, je trouve, très ressemblant. En plus, il veut se donner un air respectable et apprend à bien se tenir, bien marcher, bien parler et même à bien s’asseoir pour plaire « aux petites gens » (p. 53), tout un programme qui malheureusement fonctionne… Arturo Ui est prêt, bien entouré quoique de peu d’hommes au début, il va dénoncer la délinquance, expliquer que c’est « le chaos qui règne » (p. 56), faire peur sous prétexte de la défense « des citoyens honnêtes » (p. 56), du travail et de la paix alors qu’il n’appelle qu’à la haine de l’autre. Voilà, tout est clair, le sort en est jeté, la messe est dite… Vous savez que Hitler aimait les enfants, eh bien voilà une petite orpheline avec sa maman, jeune veuve, qui vient témoigner pour Arturo Ui, un bienfaiteur selon la maman mais elle s’emmêle les crayons : sa fille a d’abord six ans et, dans la phrase suivante, elle a cinq ans (Fleur des Quais, p. 61), MDR, bonjour la crédibilité ! Quant au feu inopiné et au procès fantoche contre Fish, un ouvrier au chômage, c’est… sans commentaire ! La peste noire est là et va tout contaminer… Tout ça pour des choux-fleurs (enfin, dans la pièce de Bertolt Brecht), je ne mangerai plus les choux-fleurs de la même façon après avoir lu ce texte !

Chicago (dans les années 20 et 30, une ville industrielle, à forte croissance démographique, à forte immigration, à forte ségrégation aussi, à fortes tensions sociales, à fort chômage et à forte délinquance, et donc capitale du crime et de la prohibition) était idéale pour symboliser l’Allemagne. Quant à Cicero (une ville en banlieue de Chicago, fief d’Al Capone), elle est dans la pièce plus « discrète » mais représente bien l’Autriche, qui préfère se taire et faire profil bas. Et Ui n’en a pas finit, « […] Et j’ai, moi, de plus vastes projets / Pour l’avenir. » (p. 76). Même le complot contre Hitler, je veux dire contre Ui, et l’envahissement des territoires voisins y sont !

Je sais que j’ai déjà crié au génie pour Klaus Mann (Correspondance avec Stefan Zweig et Contre la barbarie) mais Bertolt Brecht est très bon aussi, excellent même ! Une partie des vers est en alexandrins (dont j’ai parlé récemment, décidément mes lectures sont liées !) et Brecht fait preuve de beaucoup d’humour dans cette pièce épique et je comprends pourquoi elle est sous-titrée Parabole dramatique. Elle raconte, en la personne d’Arturo Ui (on appelle ça la distanciation), l’ascension d’Adolf Hitler au pouvoir (entre 1929 et 1938), ascension qui aurait pu être évitée mais on ne peut refaire l’histoire… Par ce principe de distanciation, l’auteur met en parallèle le trust des choux-fleurs en crise et la crise économique mondiale qui éreinte l’Allemagne entre les deux guerres, la destruction des commerces à Chicago et la Nuit de cristal (destruction des magasins juifs), l’incendie de l’entrepôt (et des maisons avoisinantes) et l’incendie du Reichstag, entre autres.

Comme les écrivains engagés de son époque, Bertolt Brecht appelle à toujours rester attentif, vigilant car le monde n’est pas à l’abri de telles idées et de tels gangsters. L’auteur pense à cette pièce dès 1934 (entretien avec Walter Benjamin, 1892-1940), l’écrit en 1941 alors qu’il est en exil en Finlande (en trois semaines seulement mais y apporte quelques modifications ensuite). Elle a été traduite en anglais et lue à New York en 1941 (peu de succès) puis jouée en 1958 à Stuttgart et en 1960 à Paris. La pièce a été régulièrement joué entre 1960 et 2017.

Je vous conseille fortement cette lecture, même si vous n’aimez pas spécialement lire du théâtre, parce que c’est une lecture indispensable. Je vous invite aussi à regarder / écouter la vidéo de la Compagnie Brasse de l’air ci-dessous.

Cette lecture est pour Les classiques c’est fantastique puisque, pour le mois de novembre, le thème est titre-prénom (un classique qui comporte un prénom dans son titre) et Les feuilles allemandes mais elle entre aussi dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Arturo) et ABC illimité (j’hésite entre la lettre B pour prénom ou nom et la lettre R pour titre… allez va pour B et le nom).

Hernani de Victor Hugo

Hernani de Victor Hugo.

Hetzel, 1889, 170 pages, lu en numérique.

Genres : littérature française, théâtre, classique.

Victor Hugo naît le 26 février 1802 à Besançon dans le Doubs. Il grandit à Paris mais la famille séjourne régulièrement en Italie et en Espagne car le père est général d’Empire. Il écrit de la poésie depuis l’adolescence et écrit dans son journal « Je veux être Chateaubriand ou rien », il est devenu Victor Hugo. Il étudie les mathématiques puis la littérature. Avec ses deux frères aînés, Abel et Eugène, il fonde en 1819 Le Conservateur littéraire, une revue royaliste. Il épouse Adèle Foucher, son amie d’enfance, en 1822 et le couple a 5 enfants. Connu pour ses grands romans, Le dernier jour d’un condamné (1829), Notre-Dame de Paris (1831), Les misérables (1862), Les travailleurs de la mer (1866) et Quatrevingt-treize (1874), Victor Hugo est aussi célèbre pour sa poésie (6 recueils entre 1828 et 1883), son théâtre (6 pièces entre 1827 et 1838) et ses opinions politiques (il œuvre pour la République, défend le droit des femmes et prononce plusieurs discours à l’Assemblée). Il crée le journal L’Événement en 1848 mais va s’exiler à Bruxelles puis sur l’île de Jersey et sur l’île de Guernesey où il se bat contre les inégalités sociales et la peine de mort. De retour en France, il est élu à l’Assemblée nationale ; il est considéré comme un des plus grands auteurs de la littérature française et comme un homme politique important (il avait l’idée d’une Europe unifiée). Il meurt le 22 mai 1885 à Paris laissant une œuvre considérable connue dans le monde entier.

Pour Les classiques c’est fantastique, le thème de ce mois d’octobre est « Victor H. vs Marcel P. » et j’ai choisi Victor Hugo parce que je le trouve plus complet et plus éclectique au niveau littéraire (cependant les deux auteurs ont en commun leur santé fragile). J’ai d’abord eu envie de lire de la poésie puis je me suis tournée vers le théâtre avec Hernani.

Que nous dit la préface rédigée en 1830 ? Art nouveau, poésie nouvelle, théâtre nouveau, Victor Hugo est non seulement engagé en politique mais il est aussi un grand défenseur de la liberté en littérature. Mais le théâtre était un risque car « le public des livres est bien différent du public des spectacles » (p. 3). L’art, la poésie, le théâtre, la littérature ont la même devise que la politique : « Tolérance et liberté. » (p. 3) car « La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète. » (p. 3).

Espagne, en 1519. À Saragosse, Doña Sol de Silva et Hernani s’aiment mais la dame est fiancée à Don Ruy Gomez de Silva, duc de Pastraña… Comment échapper à ce mariage ?

Hernani est un drame romantique en 5 actes joué pour la première fois à la Comédie Française le 25 février 1830 (publication de la pièce la même année).

Doña Sol de Silva, d’abord fiancée à Don Carlos, roi d’Espagne, doit épouser le duc de Pastraña, son vieil oncle, riche, mais qu’en bonne héroïne romantique, elle n’aime pas car elle est fidèle à Hernani.

Hernani, noble banni, est un héros romantique, un maudit. Son père a été tué par le père de Don Carlos.

« Suis-je chez Doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? Dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ? » (Don Carlos à la duègne Doña Josefa, p. 12). J’apprécie les rimes et le rythme.

Don Carlos oblige Doña Josefa (une bourse ou la lame d’un poignard) afin d’espionner les deux jeunes amants. Mais Hernani, réfugié en Catalogne, ouvre son cœur et son âme à sa bien-aimée.

« Et tout enfant, je fis
Le serment de venger mon père sur son fils.
Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles !
Car la haine est vivace entre nos deux familles.
Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or c’est en vain que les pères sont morts,
La haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue. » (p. 20).

Il y a de l’humour, par exemple quand Don Carlos, excédé d’être à l’étroit dans l’armoire, étouffant et n’entendant presque rien, ouvre la porte avec fracas. Les deux hommes se toisent mais le duc de Pastraña rentre chez lui. « Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse ! » (Doña Sol de Silva, p. 25).

Don Carlos, qui est le roi, convainc le vieux Pastraña qu’il est venu lui demander conseil suite à la mort de l’empereur germanique et, beau joueur envers son rival, dit que Hernani est un homme de sa suite.

« Je viens, tout en hâte, et moi-même,
Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,
Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit ! » (p. 30).

Mais Hernani est chef de brigands alors Don Carlos veut sa peau et, le lendemain soir, lui tend une embuscade avec ses hommes sous la fenêtre de Doña Sol.

« Non ! Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte !
Ah ! Pour vous au visage une rougeur me monte !
Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ?
Venir ravir de force une femme, la nuit !
Que mon bandit vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si Dieu faisait le rang à la hauteur du cœur,
Certes, il serait le roi, le prince, et vous le voleur ! » (p. 48).

Elle ne se laisse pas faire la Doña Sol, une jeune femme moderne ! Et elle ne s’arrête pas là.

« Roi Carlos, à des filles de rien
Portez votre amourette, ou je pourrais fort bien,
Si vous m’osez traiter d’une façon infâme,
Vous montrer que je suis dame, et que je suis femme ! » (p. 49).

Hernani tient tête aussi à Don Carlos mais il se rend compte qu’il ne peut entraîner Doña Sol avec lui.

« Ah ! Ce serait un crime
Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme !
[…]
— Hernani ! Tu me fuis. Ainsi donc, insensée,
Avoir donné sa vie et se voir repoussée !
Et n’avoir, après tant d’amour et tant d’ennui,
Pas même le bonheur de mourir près de lui !
— Hernani, hésitant.
Je suis banni, je suis proscrit ! Je suis funeste ! » (p. 60).

Résignée, Doña Sol accepte d’épouser le vieux duc de Pastraña… Mais un page vient faire une annonce.

« Monseigneur, à la porte,
Un homme, un pèlerin, un mendiant, n’importe,
Est là qui vous demande asile. » (p. 71).

Comme vous le voyez, rien n’est terminé ! Doña Sol pardonnera-t-elle à Hernani ? Mais il y aura d’autres rebondissements ! Par exemple, le quatrième acte se déroule au tombeau de Charlemagne à Aix-La-Chapelle et il y a un monologue de Don Carlos (scène 2) mais Hernani et les Conjurés sont là. Qui deviendra empereur ? Le cinquième acte est de retour à Saragosse pour la noce mais qui sont les mariés ?

« Écoutez l’histoire que voici.
Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ? » (p. 142).

Je vous laisse découvrir cette célèbre pièce de Victor Hugo, rythmée, dynamique, ne manquant pas d’humour et de bons mots. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi mais j’ai pensé parfois à Molière, cependant le style de Victor Hugo est plus moderne et plus romantique. Il voulait écrire non pas des tragédies classiques mais des drames romantiques. Vous pouvez consulter l’article Wikipédia sur la bataille d’Hernani car le théâtre de Victor Hugo avait ses détracteurs.

La pièce Hernani a été jouée de nombreuses fois au théâtre aux XIXe et XXe siècles. Elle a aussi été adaptée en opéra par Giuseppe Verdi en 1844 (vidéo ci-dessous).

En plus de Les classiques c’est fantastique cité ci-dessus, cette agréable lecture entre dans 2022 en classiques, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Hernani), dans les deux nouveaux challenges (illimités) : ABC illimité (pour la lettre H avec Hugo) et Les départements français en lectures (pour le Doubs).

Gros de Sylvain Levey

Gros de Sylvain Levey.

Éditions Théâtrales, septembre 2020, 80 pages, 9,90 €, ISBN 978-2-84260-842-2.

Genres : théâtre contemporain, autobiographie, monologue.

Sylvain Levey naît en 1973 à Maisons-Lafitte dans les Yvelines. Il est comédien de théâtre et auteur (surtout pour les enfants et les adolescents).

La pièce Gros a été créée en octobre 2020 aux Quinconces – Scène nationale du Mans.

« Deux kilos neuf cent quatre-vingts. Deux mille neuf cent quatre-vingt grammes de vie. Né le deux décembre mille neuf cent soixante-treize à deux heures cinquante-cinq. Clinique Sully. Ville de Maisons-Laffitte. Département des Yvelines. France. Europe. » (p. 7). Voici comment commence le monologue de l’auteur né avec « un petit mois d’avance » (p. 7).

Un petit bébé, de moins de 3 kilos et de seulement « quarante-cinq centimètres. Cinq centimètres en dessous de la normale. Je suis petit. Banal et petit. Une crevette. Super pour commencer une vie. » (p. 9)

Un bébé qui va devenir un enfant gros. Mais pas tout de suite parce qu’en fait il n’aime pas manger, il mange très peu. « Je suis à peine plus costaud qu’un poussin au milieu d’un troupeau d’éléphants. » (p. 16), il a 3 ans et le médecin de famille, le docteur Magloire, dit qu’il est « un dépressif chronique et précoce. » (p. 17).

À l’âge de 7 ans, il commence à manger un peu plus. « Mitterrand fait déjà des miracles. » (p. 18) plaisante son oncle. Et deux ans après, « Je n’ai pas eu la sensation, cet été-là, de manger plus que d’habitude. J’avais bon appétit cela faisait plaisir à voir. J’avais bon appétit cela faisait plaisir à mes parents. J’étais heureux de faire plaisir à mes parents alors je mangeais. Tout ou presque tout. » (p. 19). Mais, ensuite, il n’a fait que grossir ! Il n’a plus été surnommé la crevette ou le moustique mais « le petit gros » (p. 20) ou « le petit bouboule » (p. 21) voire « potiron » (p. 21) ou « culbuto » (p. 22).

Il a bientôt 10 ans et son objectif est de perdre du poids parce qu’en juillet 1989, il mesure 1 m 37 et pèse 48 kilos 71 (c’est précis !) mais… « Je n’ai pas perdu un seul du maudit de sa race de petit gramme » (p. 26), logique ! Il se rend bien compte que son alimentation n’est pas idéale mais que peut manger un enfant d’autre que ce que ses parents lui donnent ? Et à l’époque, la cuisine prolétarienne n’était pas très diététique, viandes, frites, ketchup, mayonnaise, pain, beurre, produits industriels, coca cola… « J’ai vingt ans et une quinzaine de kilos en trop. […] un fardeau, un héritage familial […] des petites jambes et un gros bidon. » (p. 30).

Automne 1996, il a arrêté de grandir (1 m 57), pèse 73 kilos 62 (toujours très précis) et n’arrive pas à maigrir… Jusqu’à ce que sa vie change après avoir vu sur une affiche « ATELIER THÉÂTRE » (p. 33), « sur la porte vitrée d’un magasin de pompes funèbres » (p. 33), ça ne s’invente pas ! Depuis, il n’a pas quitté le monde du théâtre et il est heureux avec son épouse et leurs deux enfants (même s’il a peur qu’un jour son cœur lâche comme celui de son père).

Après le monologue, court mais intime, touchant, sincère, intense, Une poignée de secondes Photos de Philippe Malone (p. 45). Une belle leçon de vie à mettre entre toutes les mains, ados et adultes, et surtout si vous avez des grossophobes autour de vous !

Mon passage préféré. « J’écris pour la jeunesse parce qu’elle soigne mon pessimisme […]. Écrire pour la jeunesse c’est œuvrer pour ses propres enfants, pour l’enfant qu’on a été, qu’on aurait aimé être, pour le vieillard qu’on deviendra. Tout le monde devrait écrire pour la jeunesse mais peu sont capable en réalité de le faire. C’est l’endroit du détour, c’est l’occasion de se perdre pour oser mieux se connaître, c’est offrir une fenêtre ouverte dans un monde à l’agonie. » (p. 60).

Pour le Challenge lecture 2021 (catégorie 25, une pièce de théâtre, 3e billet, mais il rentre aussi dans la catégorie 36, un livre basé sur des faits réels), Jeunesse Young Adult #11 (l’auteur écrit pour la jeunesse), Petit Bac 2021 (catégorie Gros mot pour Gros) et Les textes courts.

Quand nous nous réveillerons d’entre les morts de Henrik Ibsen

Quand nous nous réveillerons d’entre les morts de Henrik Ibsen.

Actes Sud-Papiers, janvier 2005, 80 pages, 13,20 €, ISBN 978-2-7427-5285-0. Når vi døde vågner (1899) est traduit du norvégien par Eloi Recoing.

Genres : théâtre norvégien, classique.

Henrik Ibsen naît le 20 mars 1828 à Skien (Norvège). Ruiné par ses affaires et de mauvaises spéculations, le père Ibsen devient alcoolique et la mère se réfugie dans la religion. Le jeune Henrik est apprenti en pharmacie et fait des études de médecine mais devient finalement dramaturge et directeur artistique du théâtre de Bergen puis du théâtre de Christiana (Oslo). Puis il s’intéresse au socialisme, au syndicalisme et voyage en Europe, Copenhague (Danemark), Rome (Italie), Dresde puis Munich (Allemagne) où il écrit plusieurs pièces. Il est considéré comme un auteur libéral et réaliste. Il meurt le 23 mai 1906 à Christiania (Oslo, Norvège).

Je ne comprends absolument pas le norvégien mais le titre original ouvrirait sur une « équivoque temporelle ouvrant à la fois sur le passé, le présent et le futur. » (note liminaire, p. 5).

L’acte I se déroule dans une station balnéaire avec le maître sculpteur Arnold Rubek, son épouse Maja et l’inspecteur des bains.

Matin d’été dans le nord de la Norvège, vue sur le fjord. Le couple Rubek a pris son petit-déjeuner et boit du Champagne (lui) et de l’eau de Seltz (elle) en lisant chacun son journal mais quel silence… et quel ennui ! Car, depuis que Rubek a fini son chef-d’œuvre, Le Jour de la Résurrection, il tourne comme un lion en cage, ne trouve « aucun repos nulle part » (p. 13) et est « devenu proprement un sauvage pour finir » (p. 13). Mais le hoberau Ulfheim, chasseur d’ours, leur propose de l’accompagner à la montagne plutôt que de faire du cabotage. « Non, venez plutôt avec moi dans la montagne. Là-haut, pas de présence humaine, pas de souillure humaine. » (p. 24). Rubek a un échange avec une cliente de l’hôtel qu’il a connue par le passé, Irène, qui l’appelle Arnold.

Les actes II et III se déroulent près d’un sanatorium en montagne avec les mêmes (sauf l’inspecteur des bains).

Le couple Rubek est au bord d’un lac de montagne. Maja va partir à la chasse avec le hobereau Ulfheim, son serviteur Lars (le valet de chasse) et les deux chiens. Mais, avant, elle a une discussion avec son époux. « […] tu es laid, Rubek. » (p. 38), « Peu à peu t’es venue cette méchanceté dans le regard. » (p. 39). En fait Maja fait une crise de jalousie à cause d’Irène. « Tu es bien difficile à satisfaire, Maja ! Bien difficile ! » (p. 44). Quant à Rubek, il est prêt à la séparation d’avec Maja puisqu’il a retrouvé Irène et il n’y a qu’elle qui peut lui redonner l’inspiration, du moins le pense-t-il. « Tu as la clef ! Tu es la seule à l’avoir ! (Suppliant). Aide-moi – à revenir à la vie ! » (p. 59).

Vous le voyez le tiret dans l’extrait ci-dessus ? Henrik Ibsen en utilise de nombreux pour marquer l’hésitation ou l’interruption. D’autant plus qu’Irène n’est pas sur la même longueur d’ondes que Rubek. « (impassible, comme avant). Rêves creux – inutiles – rêves morts. Notre vie commune ne connaîtra pas de résurrection. » (p. 59). Mais aussi bien Maja que Rubek devraient prendre garde à leur petit jeu car « au début, rien n’est dangereux. Mais, tout à coup, on arrive à un étranglement et alors, impossible d’avancer ou de reculer. » (p. 70).

Sous-titré : un épilogue dramatique en trois actes, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts est la dernière pièce d’Ibsen. Rédigée en 1899, elle est publiée en 1900 et jouée au Hoftheater à Stuttgart (Allemagne) le 26 janvier 1900.

Rubek est un grand artiste reconnu dans le monde entier mais il a perdu de sa superbe depuis qu’il ne crée plus rien et Maja, sûrement plus jeune, s’ennuie avec lui… Chacun va se laisser tenter de son côté, Maja par l’aventure bien plus excitante que la prison dorée dans laquelle elle a l’impression de vivre, Rubek par le passé qui le rattrape mais lui échappe. L’auteur se reconnaît-il en Rubek ? Je ne sais pas. Je ne connais que trop peu l’œuvre de Henrik Ibsen pour l’affirmer ou l’infirmer. J’ai bien aimé (même si je n’ai pas grand-chose de plus à dire) et je lirai d’autres de ses pièces dans le futur (si vous avez un titre incontournable à me conseiller !).

Pour 2021, cette année sera classique, Challenge de l’été #2 (voyage en Norvège, dans une station balnéaire puis au bord d’un lac de fjord et en montagne), Challenge lecture 2021 (catégorie 25, une pièce de théâtre, 2e billet), Challenge nordique et Les textes courts.

Quand viendra la vague d’Alice Zeniter

Quand viendra la vague d’Alice Zeniter.

L’Arche, collection Scène ouverte, août 2019, 80 pages, 13 €, ISBN 978-2-85181-964-2.

Genres : littérature française, théâtre, science-fiction.

Alice Zeniter naît le 7 septembre 1986 à Clamart (Hauts de Seine). Elle publie son premier roman à l’âge de 16 ans, Deux moins un égal zéro (2010). Elle étudie à l’École normale supérieure. Elle enseigne le français en Hongrie puis à l’université Sorbonne Nouvelle. Elle est connue comme romancière mais elle est aussi dramaturge, scénariste et traductrice. Parmi ses titres : Jusque dans nos bras (Albin Michel, 2010), Sombre dimanche (Albin Michel, 2013), Juste avant l’oubli (Flammarion, 2015), L’art de perdre (Flammarion, 2017, plusieurs prix dont le Goncourt des lycéens), Je suis une fille sans histoire (L’Arche, 2021, essai).

La scène : une île envahie par l’eau. Sur un rocher. Les personnages : Mateo et Letizia en couple, une femme, un homme, un mouflon sur deux jambes.

Mateo. L’optimisme. « Je suis debout parce que, debout, j’aurai pied plus longtemps. » (p. 13).

Letizia. Le pessimisme. « J’ai froid j’ai faim j’ai mal au dos je ne veux pas faire l’effort de penser. » (p. 15).

Plus l’eau montera, plus l’espace sera restreint sur cette île de six hectares avec un petit bois et une bergerie qui ont appartenu au père de Mateo.

Y aura-t-il assez de place sur ce sommet pour accueillir les humains et les animaux de l’île ? Mateo et Letizia ne sont pas d’accord sur l’attitude à adopter.

Arrive une femme, elle a perdu son mari, ses enfants, sa maison, tout, mais serait-elle dérangée, elle pense que les poissons sont responsables de la montée des eaux (expansion de territoire). C’est, à mon avis, une façon de nier la responsabilité des humains.

Arrive un homme, un promoteur qui voulait acheter l’île à Mateo après la mort de son père, un sale type qui pense s’en tirer avec des proverbes… Mais Mateo n’est pas aussi compatissant que Letizia.

Mateo. « Pourquoi quarante mille vaches qui font meuuuuuuuuh seraient-elles inférieures à un homme en train de se plaindre ? » (p. 39).

Au bout de quelque temps, Letizia et Mateo ont de l’eau jusqu’aux genoux…

Letizia veut toujours sauver les gens, elle voudrait qu’on dise d’elle qu’elle est « quelqu’un de profondément bon » (p. 48).

Mais Mateo. « Et maintenant que l’eau monte par leur faute, il faudrait encore les sauver ? Il faudrait que toi et moi, on fasse preuve d’une belle morale universelle et qu’on laisse un salaud comme ça venir vivre avec nous ? » (p. 50).

Arrive un mouflon sur deux jambes, sûrement sur ses pattes arrières, il a pu s’adapter même s’il a eu du mal à se redresser…

L’eau monte de plus en plus, elle est vraiment sale, et « le silence est massif » (p. 67).

Dans la postface intitulée « Vous faites aussi du théâtre ? », question souvent posée à Alice Zeniter, elle explique comment elle est entrée dans le monde du théâtre et sa relation avec le théâtre.

Cette fable écologique et dystopique est une comédie dramatique dans laquelle Mateo et Letizia sont confrontés à la montée des eaux bien sûr mais aussi à l’effondrement de l’humanité et à leurs valeurs, leurs idéaux, leur pouvoir. En fait, quand viendra la vague, il sera trop tard, c’est maintenant qu’il faut réfléchir, changer, s’adapter à la planète et pas l’inverse. Le petit pouvoir qu’ont Mateo et Letizia, au sommet de leur île recouverte par les eaux, est bien futile et inutile… Une pièce à lire de toute urgence !

Pour les challenges Littérature de l’imaginaire #9, S4F3 #7 et Les textes courts.

La guerre des salamandres de Karel Čapek au théâtre

La guerre des salamandres de Karel Čapek.

L’avant-scène théâtre, décembre 2018, n° 1453-1454, 168 pages (80 pages pour La guerre des salamandres), 16 €, ISBN 978-2-7498-1436-0. Válka s Mloky (1936) est traduit du tchécoslovaque par Claudia Ancelot (en 1960) et adapté pour la mise en scène de Robin Renucci par Évelyne Loew.

Genres : littérature tchécoslovaque, science-fiction, théâtre.

Karel Čapek naît le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice en Bohème. Il étudie à Brno puis à Berlin (philosophie) et à Paris (Lettres). Il est francophile (il traduit Apollinaire et Molière), amateur de musique ethnique et de photographie. Il meurt le 25 décembre 1938 à Prague. Du même auteur : La mort d’Archimède, L’empreinte et R.U.R..

L’avant-scène théâtre est une revue bimensuelle qui présente « une pièce, un dossier, une actualité ». Ici, le numéro est double puisque deux pièces sont proposées, R.U.R. que j’ai déjà lue et La guerre des salamandres que je suis ravie de pouvoir enfin lire.

Prague. Chaleur estivale. Salle de rédaction du Lidové noviny, le grand journal du soir. Des journalistes vont interviewer Van Toch, un capitaine au long cours originaire de Bohème et qui, depuis plus de trente ans, « navigue du côté de Java, de Sumatra, des îles de la Sonde, de ce côté-là. » (p. 18). La journaliste Valenta Tchanik dirige l’interview et Julian Krakatit prend les photos (le lecteur les retrouvera tout le long).

Mais Van Toch a besoin d’un nouveau bateau, il a besoin de seize millions (peu importe la monnaie, c’est beaucoup d’argent !). Peut-être que l’armateur, monsieur Bondy, président du conseil d’administration de la MEAS (Métallurgie Énergie Aéronautique Services) peut l’aider ? L’auteur précise « Universal Robots, c’est lui ; le sur-carburateur à fusion nucléaire, c’est lui ; toutes ces inventions modernes qui changent notre vie, c’est lui. » (p. 21).

Max Bondy habite dans une belle propriété verdoyante à Prague mais, comme le dit son majordome, Marek, « Puissance. Élégance. Discrétion. » (p. 22). Van Toch lui propose une « affaire en or, big business » (p. 24) sur l’île de Tana Masa. Devil Bay, les Cingalais en ont peur, ils disent qu’il y a des diables qui marchent sous l’eau.

En fait, les diables sont des salamandres géantes (environ 1 mètre). Van Toch les apprivoise en leur ouvrant des huîtres, les salamandres mangent les huîtres, Van Toch garde les perles, c’est un bon plan ! Il leur apprend même à se défendre contre les requins qui font des ravages parmi leurs semblables. « C’est des bêtes intelligentes, vous savez, intelligentes, sociables, gentilles, et faciles à apprivoiser. » (p. 27).

Bondy, attiré par l’aventure et l’exotisme, accepte le marché, il achète un bateau à Van Toch (qui lui a tout de même donné plusieurs superbes perles), il l’aide à déplacer les salamandres trop nombreuses dans d’autres lagons paisibles et magnifiques où elles peuvent se reproduire sans danger, et bien sûr il amasse des perles dans les coffres de la MEAS. « Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. » (p. 31). Mais… les hommes sont pires que les requins pour les salamandres.

D’autant plus que le secret des salamandres va être éventé à cause de deux couples de tourtereaux avec papa magnat du cinéma… Leur « petit film amateur […] allait faire le tour du monde en première partie des longs métrages de papa Loeb et connaître un succès extraordinaire. » (p. 35). Et les salamandres deviennent célèbres, sont enfermées dans des zoos, participent à des émissions à la radio…

Par exemple, Andy dans sa baignoire au zoo de Londres a appris à lire, elle lit le journal chaque jour alors elle est ravie de recevoir un journaliste, qui n’est autre que Julian Krakatit. Question de Krakatit : « Combien y a-t-il de continents ? » Réponse d’Andy : « Quatre. » Question de Krakatit : « Quatre ? Peux-tu les citer ? » Réponse d’Andy : « L’Angleterre et les autres. » Question de Krakatit : « L’Angleterre et les autres ? Quels autres ? » Réponse d’Andy : « Les nazis, les bolcheviks et Paris. » (p. 39), j’adore ! Malheureusement, Andy va mal finir…

Et les choses vont empirer car sept ans après le début du big business, le capitaine Van Toch rend l’âme. Bondy déclare à ses actionnaires « Maintenant, mesdames, messieurs, je dois vous annoncer des changements radicaux. » (p. 43). Eh bien, il ne perd pas de temps… Les salamandres vont être cotées en bourse ! Avec le Salamander Syndicate, une puissante multinationale, pauvres salamandres… « Je voudrais dire, les salamandres, en premier lieu, il faudrait leur apprendre à dire non, non. Elles sont dociles, elles sont dévouées, elles sont minutieuses, on les déplace, on les utilise à tout, pour tout, partout. Nous leur causons de grandes souffrances, sans y penser, pour notre bien-être, pour notre niveau de vie. Moi je crois que quand on devient insensible à la souffrance, c’est dangereux, et c’est très dangereux pour tout le monde. » (Palméla, l’épouse de Marek, p. 51-52).

Dix ans après, les salamandres se rebellent contre les humains et déclarent la guerre. « Les salamandres ont assez construit pour vous, elles sont fatiguées, elles sont pressées, maintenant elles veulent détruire. » (Aurélia, une des deux avocates des salamandres, p. 61). Les salamandres retrouveront-elles leurs beaux lagons et leur vie tranquille ?

La guerre des salamandres est un roman satirique à la fois conte philosophie et science-fiction dystopique ici judicieusement adapté en pièce de théâtre (en 2018). Karel Čapek s’inspire de la montée du nazisme, du stalinisme et de la tension constante dans les années 30 avec les bruits d’une prochaine guerre pour parler librement de la politique, de l’économie et plus ou moins de la protection des animaux, pour condamner l’exploitation abusive des travailleurs et le totalitarisme. Ce texte est écrit en 1936 mais il y a déjà tout ce qui fera l’humanité d’après la Seconde guerre mondiale, l’hyper-capitalisme avec son intense exploitation de la planète (incluant ici le monde marin et ses créatures) jusqu’à sa destruction, la mondialisation de l’économie et du monde du spectacle. Marek, le majordome, fait figure de dinosaure en collectionnant tous les articles de presse parlant des salamandres. Ce roman ne paraît en France qu’en 1960 (aux Éditeurs français réunis) puis est réédité en 2012 (aux éditions La Baconnière) mais il n’est pas facile à trouver. Pourtant, il est à mon avis équivalent au niveau littéraire et politique à 1984 de George Orwell, à Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley et à Nous d’Evgueni Zamiatine, un chef-d’œuvre injustement méconnu donc. Toutefois, je n’ai lu ici que l’adaptation en pièce de théâtre alors je veux encore lire le roman dans son intégralité (un jour) !

Une excellente lecture pour Animaux du monde #3, 2021, cette année sera classique, Challenge lecture 2021 (catégorie 18, un livre sur l’écologie), Littérature de l’imaginaire #9, Mois Europe de l’Est (ça change, je n’avais publié que des notes de lecture russes jusqu’à maintenant), Petit Bac 2021 (catégorie Animal), Projet Ombre 2021 et Les textes courts.

R.U.R. de Karel Čapek

R.U.R. de Karel Čapek.

Rossumovi univerzální roboti sous-titré en anglais Rossum’s Universal Robots (1920) est traduit du tchécoslovaque par Hanuš Jelínek (1878-1944).

Genres : littérature tchécoslovaque, théâtre, science-fiction.

Karel Čapek naît le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice en Bohème. Il étudie à Brno puis à Berlin (philosophie) et Paris (Lettres). Il est francophile (il traduit Apollinaire et Molière), amateur de musique ethnique et de photographie. Il meurt le 25 décembre 1938 à Prague. Du même auteur : La mort d’Archimède et L’empreinte.

Le prologue se déroule dans le Bureau central de l’usine Rossum’s Universal Robots, le bureau d’Harry Domin, 38 ans, directeur général. Alors qu’il dicte le courrier à sa secrétaire Sylla, Hélène Glory, 21 ans, fille du président, entre dans son bureau. Elle veut voir la fabrication qui est normalement secrète. Alors Domin raconte. « Ce fut en 1920, que le vieux Rossum, un grand physiologiste, mais à cette époque encore un jeune savant, vint en cette île lointaine pour y étudier la faune maritime. Il essayait d’imiter par la synthèse chimique la substance vivante qu’on appelle le protoplasme et, un beau jour, il découvrit une matière qui avait absolument les qualités de la substance vivante, tout en étant de composition chimique différente. » (p. 7). En fait, le vieux Rossum était fou, il voulait créer des hommes et prendre la place de Dieu. C’est lorsque son jeune neveu, ingénieur, est arrivé que les choses ont évolué. « Ce ne fut que le jeune Rossum, qui eut l’idée d’en faire des machines de travail vivantes et intelligentes. » (p. 9). En créant le Robot, on supprime l’homme qui a besoin de repos et de divertissements, donc qui coûte cher. Mais Hélène est horrifiée lorsqu’elle apprend que Sylla est une Robote ! Elle ne comprend pas que les Robots sont fabriqués comme le sont les automobiles. En fait elle représente la Ligue de l’Humanité qui « compte déjà plus de deux cent mille adhérents » (p. 18) et les membres veulent protéger les Robots. Mais pour 150 $, chaque humain a son robot et même plusieurs !

Les directeurs de l’usine, eux, sont humains : « M. Fabry, ingénieur, directeur technique général de R.U.R., docteur Gall, chef du département des recherches physiologiques, docteur Hallemeier, chef du département de psychologie et d’éducation des Robots, le consul Busman, directeur commercial, et M. Alquist, architecte, chef des constructions de R.U.R. » (p. 19). Tous les autres employés sont des Robots. « Un Robot remplace deux ouvriers et demi. La machine humaine est trop incomplète, mademoiselle. Il fallait la remplacer un jour. » (p. 20). Le mot est lancé, rendement. Mais Hélène fait penser à une ravissante idiote qui n’y connaît rien du tout ! L’objectif de la R.U.R. est de fabriquer tellement de Robots que les humains n’auront plus de travail mais pourront profiter largement de tout car il n’y aura plus de misère non plus. « Le travail sera supprimé. L’homme ne fera que ce qu’il aimera faire. Il sera débarrassé des soucis et de l’humiliation du travail. Il ne vivra que pour se perfectionner. » (p. 24). Est-ce une belle idée ou le début de la fin ?

Le premier acte se déroule dans le salon d’Hélène dix ans après. Il s’en est passé des choses, en dix ans… Les Robots ont été améliorés mais il y a eu des émeutes, des Robots armées, des guerres… Harry Domin, devenu le mari d’Hélène, n’est pas inquiet. « Tout cela était prévu, Hélène. Ce n’était qu’une transition vers le nouvel état des choses, tu comprends. » (p. 37). Pourtant Hélène est terriblement angoissée, elle se doute que son mari ne lui révèle pas tout, et ce n’est pas sa Nounou qui va arranger les choses en lui lisant les guerres et les massacres publiés dans le journal… Tout va mal et le Robot Radius qu’Hélène avait placé à la bibliothèque est devenu fou, il ne veut plus de maître, il ne veut plus recevoir d’ordres, il veut devenir le maître des humains ! En plus, dans l’humanité, il se passe une chose que certains universitaires avaient prédit : les humaines ne font plus d’enfants et personne ne peut expliquer pourquoi à part en disant que des nouveaux-nés ne serviraient à rien puisque les humains ne travaillent plus. Les Robots lancent leur révolution, bref la guerre. « À tous les Robots du monde ! Nous, la première organisation de la race de Rossum’s Universal Robots, nous déclarons l’homme ennemi et proscrit dans l’univers… […] Robots du monde, nous vous ordonnons de massacrer l’humanité. Pas de quartier pour les hommes. Pas de quartier pour les femmes ! Ménagez les usines, les chemins de fer, les machines, les mines et les matières premières. Détruisez le reste. Ensuite, rentrez au travail. Le travail ne doit pas être arrêté. » (p. 60). N’est-il pas trop tard pour l’humanité ? Vous le saurez en lisant les deuxième et troisième actes !

Les bonnes intentions, ah… les bonnes intentions, ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions… Les robots s’en prennent aux humains en littérature comme en image : Metropolis de Fritz Lang (1927), 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968), Galactica de Glen A. Larson (série, 1978), Blade Runner de Ridley Scott (1982), Terminator de James Cameron (1984), Matrix de Larry et Andy Machowski (1999), I Robot d’Alex Proyas (2004), Battlestar Galactica de Ronald D. Moore (série, 2004), Real Humans de Lars Lundström (série, 2012), entre autres.

C’est la première fois que le mot robot est utilisé. C’est le frère de Karel, Josef, qui l’a inventé à partir du mot tchèque robota qui signifie travail ou corvée et du mot russe rabotat qui signifie travailler. Mais, dans une pièce écrite en 1947, Opilec, l’auteur avait utilisé le terme automaton. Robot est resté dans l’histoire.

La pièce fut jouée le 25 janvier 1921 au Théâtre national à Prague puis en 1922 à New York et ensuite en mars 1924 à la Comédie des Champs-Élysées à Paris. Du théâtre et de la science-fiction (l’histoire se déroule dans le futur), c’est assez rare et c’est pourquoi je voulais lire cette œuvre de Karel Čapek depuis longtemps !

En France, différentes éditions sont parues (mais ce n’est pas facile de les trouver). R.U.R. Rezon’s Universal Robots traduit par Hanuš Jelínek aux éditions Jacques Hébertot en 1924. R.U.R. traduit par Hanuš Jelínek aux éditions Hachette en 1961. R.U.R. Reson’s Universal Robots traduit par Jan Rubeš aux éditions de l’Aube en 1997. R.U.R. Les Robots Universels de Rossum dans l’anthologie Robot Erectus en 2012. R.U.R. Rossum‘s Universal Robots traduit par Jan Rubeš aux éditions de la Différence en 2019.

Cette pièce d’anticipation, parfaitement écrite dans une logique implacable mais dans un style simple, est empreinte de philosophie et d’humanisme. C’est que l’auteur était un réaliste qui savait rester optimiste. Si j’en ai encore l’occasion, je relirai cet auteur talentueux et passionnant.

Lu pour Les classiques c’est fantastique, R.U.R. entre aussi dans les challenges 2021, cette année sera classique, Challenge lecture 2021 (catégorie 25, une pièce de théâtre mais il aurait pu être dans les catégories 30, 39, 42, 48) et Littérature de l’imaginaire #9.

Le bourgeois gentilhomme de Molière

Le bourgeois gentilhomme de Molière.

Larousse (c’est le seul lien que j’ai trouvé et ça ne correspond pas à l’exemplaire que j’ai lu qui est plus ancien), collection Classiques, mai 1990, 232 pages, 3 €, ISBN 2-03-871303-0.

Genres : littérature française, théâtre.

Comédie-ballet (en 5 actes) commandée par le roi Louis XIV à Molière et Jean-Baptiste Lully, Molière étant un spécialiste des comédies, des farces et Lully de la musique (compositeur baroque). Le bourgeois gentilhomme est un chef-d’œuvre de la comédie-ballet (en prose et en vers), présentée pour la première fois en octobre 1670 au Château de Chambord (devant Louis XIV et la Cour).

Molière par Nicolas Mignard (1658)

Molière [je remets ce que j’avais écrit en avril 2018, lors de la relecture de Dom Juan ou le festin de pierre], pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin, naît en janvier 1622 à Paris. C’est un comédien et un dramaturge très célèbre (je vous laisse chercher plus d’infos sur Internet) et emblématique du théâtre classique. Il épouse Armande Béjart, une jeune comédienne, et le couple aura deux fils et deux filles, tous morts peu après leur naissance. Ainsi ne resteront à la postérité de Molière que ses œuvres écrites dont une trentaine de comédies parmi lesquelles Les précieuses ridicules (1659), L’école des femmes (1662), Dom Juan (1665), Le médecin malgré lui (1666), Le misanthrope (1666), L’avare (1668), Tartuffe ou l’hypocrite (1669), Les fourberies de Scapin (1670), Le bourgeois gentilhomme (1670), Les femmes savantes (1672) et Le malade imaginaire (1673) que j’ai toutes lues, relues et vues (théâtre ou adaptations au cinéma). C’est que j’aime beaucoup Molière et son humour !

Monsieur Jourdain est un riche marchand drapier. Il est marié et le couple a une fille, Lucile, en âge de se marier. Monsieur Jourdain est donc un bourgeois, riche, mais inculte et sans manière alors qu’il rêve de noblesse. Il est la risée des maîtres qu’il a embauchés mais ils aiment son argent ! « C’est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit. Il a du discernement dans sa bourse. Ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici. » (le maître de musique au maître à danser, p. 29).

Mais, comment devenir « un honnête homme », c’est-à-dire « un homme cultivé et bien élevé » (sens du XVIIe siècle) quand on n’a pas été éduqué comme cela ?

Monsieur Jourdain apparaît, dans la scène 2, « en robe de chambre et bonnet de nuit » (p. 82)… C’est mal barré pour la bonne éducation ! D’autant plus qu’il est tombé amoureux d’une jeune marquise, Dorimène.

Mais les maîtres sont en désaccord, chacun pensant que sa matière est plus importante que celle de l’autre… « Vous êtes plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne ! » (le maître d’armes aux maîtres de musique et de danse, p. 50). Monsieur Jourdain est impuissant face à leur querelle et ils en viennent carrément aux mains ! Heureusement arrive le maître de philosophie. « Que voulez-vous apprendre ? […] Tout ce que je pourrai, car j’ai toutes les envies du monde d’être savant, et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j’étais jeune. » (p. 57). Eh bien, il est motivé, le bourgeois, et semble de bonne volonté mais… Eh oui, il y a un mais ! Il n’entend rien à la logique ; la morale ne lui convient pas (pensez donc, un homme marié, sensé marier sa fille unique, qui tombe amoureux d’une marquise !) et la physique (en fait les sciences), c’est trop compliqué pour lui ! Il finit par dire : « Apprenez-moi l’orthographe » (p. 59) alors qu’il sait lire et écrire ! On est loin du « tout » et le maître de philosophie est bien conciliant car il lui apprend les voyelles et leur façon de se prononcer ou alors il se moque de lui comme les autres maîtres…

Quand arrive le maître tailleur (acte 2 scène 5), avec le le vêtement neuf de Monsieur Jourdain, c’est le pompon et le lecteur a l’assurance que pour le bourgeois, tout n’est qu’apparence ! Il ne sera jamais cultivé, instruit, il ne sera jamais « un honnête homme »… D’ailleurs la façon dont il parle à son épouse et à sa servante, Nicole : « Taisez-vous, ma servante et ma femme ! (p. 78) et « Vous parlez toutes deux comme des bêtes, et j’ai honte de votre ignorance. » (p. 79). Quel pourceau !

Mais il aime les cajoleries et les flatteries, c’est pourquoi il prête de grosses sommes d’argent à Doriante qui se dit comte et en relation avec le roi… La somme globale est tout de même de 18000 francs, ce qui est énorme et ce qui dérange énormément Madame Jourdain qui pense à marier leur fille, Lucile, et Cléonte, qui lui fait la cour, semble un beau parti. Quant à Nicole, la servante, elle aimerait épouser Covielle, le valet de Cléonte. « C’est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis. – En vérité, madame, je suis la plus ravie du monde de vous voir dans ces sentiments : car, si le maître vous revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que se pût faire à l’ombre du leur. » (p. 97). Mais monsieur Jourdain refuse… « Tout ce que j’ai à vous dire, moi, c’est que je veux avoir un gendre gentilhomme. » (p. 112).

C’est alors que Covielle a une idée lumineuse ! Mais je vous laisse la surprise. Sachez simplement que, à la demande du roi, Louis XIV donc, Molière s’est inspiré de la fascinante visite d’un ambassadeur turc, Soliman Aga, en 1669 pour écrire sa « turquerie ».

En relisant ce bourgeois gentilhomme, une comédie-ballet en 5 actes, dont le dernier est complètement burlesque, j’ai bien ri et j’ai pensé aux nouveaux riches qui font la même chose que monsieur Jourdain : leur argent achetant tout mais leur inculture et leur grossièreté ne les lâchant pas, ils ont plutôt l’air de gros lourdauds (pour rester polie). En fin de volume, il y a une documentation thématique conséquente (pour les étudiants).

Une (re)lecture bien agréable et divertissante pour Les classiques, c’est fantastique ! (théâtre en juin) que je mets bien sûr également dans Cette année, je (re)lis des classiques. Lisez ou relisez Molière, c’est vraiment très bien !

La dispute de Marivaux

La dispute de Marivaux.

Folio Plus Classiques, n° 181, décembre 2009, 144 pages, 5,70 €, ISBN 978-2-07039-662-7.

Genres : littérature française, théâtre, XVIIIe siècle.

Marivaux, de son vrai nom Pierre Carlet de Chamblain de, naît le 4 février 1688 à Paris, dans une famille noble originaire de Normandie. Il est journaliste, romancier (La voiture embourbée, Le bilboquet, La vie de Marianne et Le paysan parvenu, entre autres) et philosophe mais il est plus connu en tant que dramaturge : il écrit des pièces pour le Théâtre italien de Paris et pour la Comédie française. Il est possible de lire ses œuvres sur WikiSource. De son pseudonyme sont nés les mots « marivauder » et « marivaudage ».

Cette pièce est « représentée pour la première fois par les comédiens français ordinaires du roi, le lundi 19 octobre 1744 » (p. 5) ; Marivaux a 56 ans.

Après une dispute (« discussion, débat plus ou moins âpre et violent », p. 9), un homme fait construire en forêt une maison entourée de hauts murs pour faire une expérience : quatre bébés y sont placés, deux garçons et deux filles, et sont élevés par un couple, une femme Carise et un homme Mesrou, mais ils grandissent sans jamais se voir. Dix-huit ans plus tard vient le moment de découvrir le résultat de cette expérience : après leurs rencontres, qui commettra le premier – ou la première – l’inconstance et l’infidélité, un homme ou une femme ?

Le Prince, fils de l’homme qui a monté cette expérience, emmène sa bien-aimée Hermiane qui soutient que la femme n’est ni inconstante ni infidèle au contraire de l’homme. Depuis le sommet des remparts, sans se faire voir, ils observent comme si c’était un spectacle.

Le lecteur fait d’abord la connaissance d’Églé, une belle jeune femme, qui rencontre Azor, un beau jeune homme : après un moment de surprise, ils se plaisent mais doivent se séparer quelque temps. Arrive alors Adine qui se trouve bien plus belle qu’Églé et qui vante les charmes de son Mesrin qu’Églé ne connaît pas mais qu’elle va rencontrer bientôt.

Églé parlant d’Azor à Carise : « il veut que ma beauté soit pour lui tout seul, et moi je prétends qu’elle soit pour tout le monde. » (p. 35).

La pièce est plutôt comique surtout quand Azor et Mesrin sautent tous les deux tant ils sont contents mais quel sera le résultat de cette expérience sur l’élan amoureux, sur l’amour et sur sa constance ?

En complément de cette curieuse comédie en prose (1 acte avec 20 scènes), deux dossiers en fin de volume.

Le premier intitulé Du tableau au texte d’Alain Jaubert sur la Jeune femme au tricorne (vers 1755-1760), œuvre intrigante du Vénitien Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770) qui illustre la couverture du livre. Il est possible d’analyser ce tableau mais, sur la jeune femme qui pose, on ne sait rien !

Le deuxième intitulé Le texte en perspective de Sylvie Dervaux-Bourdon comporte six chapitres. 1- Mouvement littéraire : Marivaux face aux Lumières naissantes. 2- Genre et registre : une pièce plurielle. 3- L’écrivain à sa table de travail : l’écriture, une quête incessante. 4- Groupement de textes : figures d’ingénus au théâtre, XVIIe-XVIIIe siècles. 5- Chronologie : Marivaux et son temps. 6- Éléments pour une fiche de lecture.

Ces dossiers sont enrichissants non seulement pour les professeurs et les étudiants mais aussi pour tous les lecteurs curieux de théâtre et du XVIIIe siècle ! Après le rationalisme de Descartes (1596-1650), les Lumières se veulent plus philosophiques, plus « éclairés », plus tolérants et plus ouverts.

Comme j’ai terminé cette lecture de la Semaine à 1000 pages hier soir à 23 heures (soit une heure avant la fin du marathon), j’ai rédigé dans la foulée cette note de lecture que je mets dans Cette année, je (re)lis des classiques #3 et aussi dans Lire en thème de février puisque l’auteur est Français.