La librairie Morisaki de Satoshi Yagisawa

La librairie Morisaki de Satoshi Yagisawa.

Hauteville, collection Romans, septembre 2023, 192 pages, 16,95 €, ISBN 978-2-38122-239-4. Morisaki shoten no hibi serif; »>森崎書店の日々 (2010) est traduit du japonais par Deborah Pierret-Watanabe.

Genres : littérature japonaise, premier roman, feel good.

Satoshi Yagisawa 八木沢 里志 naît en 1977 dans la préfecture de Chiba. Il étudie à la Nihon Daigaku (la plus grande université japonaise). La librairie Morisaki est son premier roman et a été adapté au cinéma.

Shinjuku, Tokyo. Takako n’en revient pas ! Elle est au restaurant avec Hideaki qu’elle fréquente depuis un an et il lui annonce, avec désinvolture, qu’il va se marier l’année prochaine avec sa petite amie ! Une collègue qui travaille dans la même entreprise qu’eux et avec qui il est depuis deux ans et demi. « Mais tu sais, Takako, on pourra toujours se voir de temps en temps, a-t-il ajouté avec un sourire. » (p. 9).

Takako, à 25 ans, a l’impression de n’avoir encore rien fait de sa vie et son monde s’effondre car elle est très amoureuse de Hideaki. Elle donne sa démission. « Lors de mon dernier jour au bureau, Hideaki m’a joyeusement dit que, même si je démissionnais, rien ne nous empêchait d’aller manger un bout ensemble, un de ces quatre. » (p. 11-12). Takako dort pendant un mois puis écoute un message de son oncle Satoru qui a « hérité de la librairie fondée par mon arrière-grand-père à Jinbôchô » (p. 13-14).

J’ai visité ce quartier, Jinbôchô et j’ai aimé les nombreux libraires et bouquinistes implantés sur Yasukuni-dôri alors que ce roman s’y déroule me met en joie. « La vue de toutes ces librairies alignées avait de quoi donner le vertige. » (p. 19, Takako) et « Ici, c’est le plus grand quartier des bouquinistes au monde. » (p. 23, Satoru). Par contre, je ne savais pas que Jinbôchô était considéré comme le Quartier latin de Tokyo (ou alors j’ai oublié).

Après des débuts difficiles durant l’été et beaucoup de sommeil, Takako se met soudain à lire. Quand même, avec tous ces livres d’auteurs japonais modernes autour d’elle ! « Il arrive parfois qu’un événement imprévu ouvre une porte dont on ignorait l’existence. C’est précisément ce que j’ai ressenti, à cette étape de ma vie. » (p. 53).

Je ne vous raconte pas ce que Takako va vivre, simplement que… « Les livres ont joué un rôle essentiel dans ma transformation bien sûr, mais j’y ai aussi rencontré tellement de personnes, appris tellement de choses… j’ai enfin commencé à apercevoir ce qui était important dans la vie. Voilà pourquoi mon séjour à la librairie Morisaki restera à jamais gravé dans mon cœur. » (p. 121).

J’ai noté quelques titres de livres cités dans ce roman. Jusqu’à la mort d’une certaine fille de Muro Sasei (p. 51). Un paysage intérieur de Kajii Motojiro (p. 54). Écolière de Dazai Osamu (p. 58). L’Amitié de Mushanokoji Saneatsu (p. 136). Musashino de Kunikida Doppo (p. 143). Je ne sais pas s’ils sont traduits en français mais on ne sait jamais.

Comme pour beaucoup de romans feel good, l’histoire peut paraître simple ou simpliste voire cousue de fil blanc. Ce n’est pas le cas, déjà parce que l’auteur s’attache beaucoup aux relations humaines et parle beaucoup de littérature et des bienfaits de la lecture. C’est pourquoi je vous conseille cette agréable lecture. Par contre il y a un chat sur la couverture mais pas dans le roman…

Pour Un mois au Japon et Challenge lecture 2024 (catégorie 12, un livre dont le titre comporte 4 mots, le titre japonais est Morisaki shoten no hibi), Lire en thème, les saisons (ce roman se déroule en été), Monde ouvrier et mondes du travail (pour découvrir le travail dans une librairie d’occasion à Tokyo) et Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Librairie).

La bibliothèque des rêves secrets de Michiko Aoyama

La bibliothèque des rêves secrets de Michiko Aoyama.

Nami, mai 2022, 352 pages, 19 €, ISBN 978-2-49381-602-3. お探し物は図書室まで Osagashimono wa toshoshitsu made (2020) est traduit du japonais par Alice Hureau.

Genres : littérature japonaise, roman.

Michiko Aoyama 青山美智子 naît le 9 juin 1970 dans la province d’Aichi au Japon. Elle fréquente le Lycée Seto Nishi de la préfecture d’Aichi puis étudie à l’Université privée de Chukyo toujours à Aichi. Elle est journaliste (elle a étudié un an en Australie puis a travaillé deux ans pour un journal de Sydney). De retour au Japon, elle s’installe à Tokyo où elle travaille comme journaliste puis elle vit à Yokohama (avec son mari et leurs enfant) et commence une carrière d’autrice (nouvelles et romans). La bibliothèque des rêves secrets est son premier roman paru en France mais pas son premier roman paru au Japon : Un jeudi saveur chocolat 木曜日にはココアを est paru en 2017. (Source Wikipédia Japon).

Mot de l’éditeur (un éditeur que je n’ai encore jamais lu mais j’avais repéré les romans avec leurs belles couvertures colorées !) : « Symbole du mouvement perpétuel de la vie, Nami signifie vague en japonais. C’est aussi la maison d’édition qui donne vie à une littérature de l’intime. Une littérature qui nous parle de nos joies, de nos peines, de nos défis et de nos choix. » (p. 1). Voici Nami en kanji (idéogramme) 波 et vous pouvez devinez les vagues (la clé sur la gauche), le kanji de l’eau 水 (au-dessous) et ce qui représenterait le littoral donc le sol (en haut).

Mais entrons dans le roman !

Tomoka Fujiki a 21 ans, elle a grandi à la campagne mais elle a étudié et elle vit à Tokyo où elle est vendeuse à Éden, un grand magasin de prêt-à-porter féminin. Pourtant elle trouve sa vie insignifiante et craint de vieillir sans avoir rien fait de sa vie… Je précise que, dans la tradition japonaise, les femmes doivent être mariées avant l’âge (fatidique) de 30 ans mais les mentalités évoluent. « […] c’était intéressant de relire une fois adulte un livre découvert dans son enfance. On repérait de nouveaux éléments. » (p. 38) et « C’était une autre manière de voir les choses. » (p. 41).

Ryô Urase a 35 ans, il habite dans la préfecture de Kanagawa (capitale Yokohama) et il travaille comme comptable chez un fabricant de meubles mais « que [son] supérieur soit incompétent et [sa] subordonnée démotivée [lui] était insupportable. » (p. 81) et il n’a qu’une envie, démissionner et ouvrir un magasin de brocantes. Il s’ouvre à sa petite amie, Nina et j’aime beaucoup sa réponse, « Voilà, c’est ça ! Et je suis sûre que les choix faits grâce à cet enthousiasme seront plus justes que ceux qui reposent sur la raison. » (p. 136).

Natsumi Sakitani a 40 ans et elle est « employée au service documentation d’une maison d’édition » (p. 144) mais, avant la naissance de sa fille, elle était membre du service éditorial pendant plus de dix ans… « Je me sentais au bord du précipice, j’avais l’impression que je ne valais plus rien. » (p. 148). En même temps, son mari accumule « plus d’heures supplémentaires et de voyages d’affaires pour son entreprise » (p. 149). Cette phrase m’a touchée, « La plus grande chose que tu aies accomplie, c’est ta naissance. Rien de ce que tu vis ensuite n’est aussi dur que cet événement extraordinaire. Mais tu y as résisté, alors tu peux tout surmonter. » (p. 166).

Hiroya a 30 ans, adorant les mangas il a étudié dans une école d’art mais il est sans emploi et vit chez sa mère. Son rêve était de devenir un grand dessinateur. Il n’est pas retourné dans son lycée depuis 12 ans mais, lors de l’ouverture de leur capsule temporelle, il revoit Seitarô qui rêvait de devenir écrivain. « Chacun avait sa propre histoire… » (p. 277).

Masao Gonno a 65 ans, il a occupé un poste de chef de service commercial dans une entreprise pendant 42 ans et il est maintenant retraité. Or il n’a plus tous les contacts qu’il avait en travaillant ; il n’a pas de centres d’intérêts et son épouse travaille encore. « Que ferais-je de ma vie, dès demain ? » (p. 280).

Quel est le lien entre ces cinq Japonais qui ne se connaissent pas ?

En ce qui concerne le bien-être et le feel good, les Japonais sont différents des Européens, je dirais même des Occidentaux ; ils abordent ces thèmes d’une façon et d’une écriture différentes mais qui sont agréables et donnent à réfléchir. Ici, c’est particulièrement le monde du travail qui est ‘décortiqué’ par l’autrice et j’ai beaucoup aimé ces histoires et cette histoire. Mais pas que, il y a aussi les relations humaines, les liens qui nous lient ainsi que la bienveillance (la bibliothécaire, Sayuri Komachi) et la poésie de la vie.

Lu pour Un mois au Japon, ce joli roman va aussi dans Challenge lecture (catégorie 1, un roman avec un ou des livre(s) sur la couverture) et Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour bibliothèque).

L’ami arménien d’Andreï Makine

L’ami arménien d’Andreï Makine.

Grasset, janvier 2021, 216 pages, 18 €, ISBN 978-2-246-82657-6.

Genres : littérature franco-russe, roman.

Andreï Makine (Андрей Ярославович Макин, Andreï Yaroslavovitch Makine) naît le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Il apprend le français dès l’âge de 4 ans avec une vieille dame puis durant ses études. Il étudie la littérature française contemporaine à l’université de Kalinine (ou Tver) puis à l’université de Moscou et devient professeur de philologie à l’Institut pédagogique de Novgorod. Il s’installe en France en 1987, demande l’asile politique et est naturalisé Français. Il enseigne, devient écrivain et reçoit de nombreux prix littéraires. Depuis 2016, il est à l’Académie française.

Après la publication de ma note de lecture pour Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine, Rachel m’a parlé de L’ami arménien dans sa PàL (Pile à lire) et nous avons décidé d’une lecture commune. Je rajoute le lien vers son Instagram.

Le narrateur (une partie de l’auteur) a 13 ans, il vit dans un orphelinat de Sibérie et suit des cours de menuiserie avec Vardan. Il devient ami avec lui, qui est moqué par les autres enfants. Cependant, il apprend beaucoup de Vardan, d’un an son aîné. « Le malheur et la déchéance d’un être rendaient inacceptable toute la fourmilière humaine. Oui, tout entière ! » (p. 23).

Un jour, s’enfuyant devant des agresseurs, les deux adolescents courent jusqu’au quartier le « Bout du diable » surnommé le « royaume d’Arménie » et le narrateur fait la connaissance de Servan, « un vieil homme de grande taille » (p. 28), de Chamiram la mère de Vardan et de Gulizar qui va voir son mari en prison.

Que fait là cette dizaine d’Arméniens, logés dans un quartier désert de Sibérie où vivent principalement d’anciens prisonniers ? Ils se sont rapprochés de membres de leur famille « incarcérés dans l’attente d’un procès » (p. 20) dans la prison toute proche « sur les rives de l’Ienisseï » (p. 31), « à cinq mille kilomètres du Caucase » (p. 33).

Au fur et à mesure de ses visites, Chamiram raconte l’histoire du peuple arménien. « Puis, soudain, elle s’interrompait, le regard perdu dans ses souvenirs, ses mots butant sur un secret ou un aveu dont je ne devinais pas encore la douleur. » (p. 63).

Peu à peu l’auteur apprend ce qui est arrivé aux Arméniens et les événements qui ont relié Chamiram et Vardan. « Cinquante ans plus tard, […] ce visage, au milieu du ruissellement et des feuilles dorées, reste toujours d’une clarté très vivante parmi tout ce que j’ai vécu, depuis. » (p. 151).

Quel beau roman / témoignage ! « Dans ma mémoire, ces visites au ‘royaume d’Arménie’ allaient constituer toute une époque, comme toujours quand les rencontres exceptionnelles et les émotions intensément neuves dilatent le temps par la vérité et la puissance de ce que nous ressentons. » (p. 90).

Mon passage préféré : l’œuf sauvé et couvé par les détenus et devenu un oisillon libre (p. 91-93).

Le passage qui m’a le plus touchée. « C’est à cet âge que j’ai compris à quel point la souriante platitude de l’adage ‘la vie continue !’ pouvait être insolemment impitoyable. Il fallait donc se résigner à une forme d’amnésie et d’insouciance, un sain réflexe de bonheur, une garantie de conformité sociale. Oui, il fallait savoir passer à autre chose, en oubliant cette poupée aux mains jointes, sur une vieille photo prise en Arménie, en 1913. » (p. 195).

L’ami arménien est un roman à la fois très beau et très triste, bien représentatif de la nostalgie et de l’âme russes même si Andreï Makine, naturalisé français, depuis quatre décennies, écrit en français. Il retranscrit parfaitement bien, longtemps après, non seulement sa nostalgie de cette enfance (je ne pense pas que le mot adolescence était utilisé en Union soviétique) et de son ami perdu mais aussi la nostalgie de ces Arméniens exilés qui ne reverraient jamais leur beau pays et qui s’attachaient à faire vivre leur foi et leurs traditions.

Comme toujours avec Andreï Makine (enfin, dans les titres que j’ai lus), l’écriture est belle, soignée, chaleureuse, touchante et il y a une chouette galerie de personnages, tous différents, qui apportent tous quelque chose au récit. J’ai vraiment été émue par ce récit (et pas seulement parce que j’ai vu récemment La promesse de Terry George sorti en 2017, c’est bizarre j’ai l’impression que j’ai oublié de le mettre dans les films vus en début d’année…).

Je vous conseille fortement ce roman que je mets dans Challenge lecture 2024 (catégorie 52, un livre qui m’a donné envie de voyager dans le pays où se déroule l’histoire, oui j’aimerais voyager en Russie mais je sais qu’il faut attendre…) et Petit Bac 2024 (catégorie Personne humaine avec Ami).

Le mage du Kremlin de Giuliano Da Empoli

Le mage du Kremlin de Giuliano Da Empoli.

Gallimard, collection Blanche, avril 2022, 288 pages, 20 €, ISBN 978-2-07-295816-8.

Genres : littérature française, roman, Histoire.

Giuliano Da Empoli naît à Neuilly sur Seine (Hauts de Seine) le 27 août 1973. Il est Français d’origine italienne et suisse. Il étudie le Droit à l’université La Sapienza à Rome et les sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est journaliste (journaux, radio), écrivain, conseiller politique, professeur de politique comparée à Sciences-Po Paris et président du think tank Volta qu’il a fondé en 2016.

« Ce roman est inspiré de faits et de personnages réels, à qui l’auteur a prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s’agit néanmoins d’une véritable histoire russe. » (p. 8).

Vadim Baranov a « démissionné de son poste de conseiller du Tsar » (p. 13) mais… « Durant les quinze années qu’il avait passées à son service, il avait contribué de façon décisive à l’édification de son pouvoir. On l’appelait le ‘mage du Kremlin’, le ‘nouveau Raspoutine’. » (p. 14).

J’aime beaucoup ce que l’auteur dit sur Nous d’Evgueni Zamiatine (p. 19-21) et, peu après son arrivée à Moscou, il est emmené en voiture et il rencontre Baranov qui va lui parler d’abord de son grand-père et de son père (très beaux passages). « Moi, ce n’est pas ce que je veux. Je l’ai pensé jadis et je continue de le penser aujourd’hui. C’est pour ça je crois qu’après la mort de mon père j’ai pris la voie opposée à celle qu’il avait tracée pour moi. » (p. 56).

Ayant quitté le monde du théâtre et étant devenu, après un chagrin d’amour, créateur et producteur d’émissions télévisées, Baranov rencontre, par l’intermédiaire de Boris Berezovsky, le jeune Vladimir Poutine dans son bureau (il est chef du FSB et Berezovsky a en tête de trouver un remplaçant à Boris Eltsine, vieux, alcoolique, mais qui s’accroche au pouvoir). Quelques jours plus tard, Baranov reçoit un appel du secrétaire de Poutine qui l’invite (le convoque) « à déjeuner mardi prochain. » (p. 96).

Ce roman est passionnant ! J’y apprends pas mal de choses (pourtant j’en lis de la littérature russe et des articles sur la Russie !). « Qui connaît la Russie sait que chez nous le pouvoir est sujet à de périodiques mouvements telluriques. Avant qu’ils ne se produisent, on peut tenter d’en orienter le cours. Mais, une fois qu’ils sont survenus, tous les engrenages de la société se repositionnent en conséquence, selon une logique aussi silencieuse qu’implacable. Se rebeller contre ces mouvements est aussi vain que serait le fait de s’opposer à la rotation de la Terre autour du Soleil. » (p. 130). Et puis, il y a plein d’anecdotes comme, tiens, Angela Merkel dans le bureau de Vladimir Poutine et Koni, la chienne Labrador du président russe (p. 203-204).

Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2022. À lire absolument !

Pour Challenge lecture 2024 (catégorie 33, un livre dont la couverture comporte une personne de dos), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Kremlin) et Tour du monde en 80 livres (Russie, 2e billet).

La maison dans les bois d’Ana Reyes

La maison dans les bois d’Ana Reyes.

Hauteville, collection Suspense, février 2024, 320 pages, 19,95 €, ISBN 978-2-38122-653-8. The House in the Pines (2023) est traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Baert.

Genres : littérature états-unienne, premier roman, roman policier.

Ana Reyes… peu d’infos sur internet. Elle étudie à la Louisiana State University et obtient un MFA (Master of Fine Arts). Elle vit avec son mari à Easthampton (Massachusetts) où elle enseigne la création littéraire. Plus d’infos sur son site officiel.

Bien qu’elle ait fait des études universitaires à Boston, Maya, 25 ans, préfère travailler dans une jardinerie. Dan, 25 ans aussi, termine ses études de droit pour devenir avocat spécialisé dans l’environnement. Maya et Dan sont ensemble depuis deux ans et demi mais elle ne lui a jamais dit qu’elle prenait des médicaments pour dormir.

Réveillée en pleine nuit, Maya regarde une vidéo et reconnaît Frank Bellamy. Maya et sa meilleure amie, Aubrey, l’avait connu l’été de leurs 17 ans et, comme la jeune femme dans la vidéo tombée morte alors que Frank parlait, Aubrey est morte devant lui sans que l’autopsie montre quoi que ce soit. Mais, depuis 7 ans, Maya est sûre que c’est Frank qui a tué Aubrey. « Elle avait perdu son amie la plus proche. Elle avait été témoin de drame, et, pourtant, jusqu’à ce jour, elle avait eu l’impression d’être passée à côté de quelque chose. Elle avait eu le sentiment de regarder un tour de magie, de comprendre qu’il s’agissait d’une illusion, mais de ne pas savoir comment le magicien s’y était pris. Cela n’avait aucun sens. Aubrey était en bonne santé et n’avait aucune maladie. » (p. 25).

Maya décide de retourner à Pittsfield chez sa mère. Les chapitres alternent entre le moment présent et les souvenirs de Maya. « […] la clé se trouvait sur une porte dans son esprit. Plus elle cherchait Frank, plus elle interrogeait de monde, plus il était évident que Maya ne trouverait jamais la réponse en dehors d’elle-même. Elle était en elle, dissimulée dans les heures dont elle n’avait plus le moindre souvenir. » (p. 167).

En fin de volume, dans les remerciements, l’autrice dit qu’elle a transformé son mémoire de master en thriller. Quelle bonne idée ! La maison dans les bois est un thriller psychologique, tendu, intense, limite angoissant et si vous aimez ce genre littéraire, je vous le conseille fortement en espérant que, comme moi, vous serez surpris !

Roman lu pour le Mois du polar qui va aussi dans ABC illimité (lettre R pour Nom), Challenge lecture 2024 (catégorie 11, un premier roman), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Maison), Polar et thriller 2023-2024, Tour du monde en 80 livres (États-Unis).

Le Bacille d’Arnould Galopin

Le Bacille d’Arnould Galopin.

1928, 123 pages (je l’ai lu en numérique). Réédité à L’arbre vengeur, juin 2011, 224 pages, 6 €, ISBN 9-782916-1417-32.

Genres : littérature française, un peu science-fiction / horreur, classique.

Arnould Galopin naît le 9 février 1863 à Marbeuf (Eure). Il écrit ce court roman « À la mémoire de [son] père, le Docteur Augustin Galopin, professeur de physiologie, élève de Claude Bernard ». C’est un auteur actuellement peu connu alors qu’il était un feuilletoniste prolifique et célèbre avant-guerre. Il meurt le 9 décembre 1934 à Paris.

« Il venait brusquement d’apparaître au coin de la rue et s’avançait d’un air las, le menton sur la poitrine, le visage enfoui dans un grand cache-nez de laine noire. […] de tous côtés, s’élevèrent des exclamations confuses : – Lui… encore lui !… – Oh ! L’horreur !… – Le monstre !… Il y eut une longue rumeur, un mouvement de recul et instinctivement tous les visages se détournèrent. Pendant quelques secondes, il demeura immobile, fixant sur ceux qui l’entouraient deux yeux jaunes, humides et luisants, puis il poussa un long soupir et se remit en marche lentement… sous les huées… » (p. 4).

Depuis un mois, l’homme s’est installé à Montrouge et se promène dans le quartier faisant peur aux passants, enfants comme adultes. Mais… « L’homme était déjà loin. Sa longue silhouette voûtée s’était fondue peu à peu dans la luminosité pâle du crépuscule, et longtemps après qu’il eut disparu, la foule demeura encore groupée sur le trottoir, maudissant cet inconnu, dont la brève apparition l’avait si étrangement remuée. » (p. 5). Pourtant il sort à la tombée de la nuit et se dissimule le plus possible… Malheureusement la curiosité des passants qui le croisent s’est transformée en malaise puis en crainte. « Puis, à la longue, la crainte avait fait place à l’aversion, l’aversion au dégoût. On avait peur de cet homme et on le détestait tout à la fois parce qu’il troublait la quiétude des gens paisibles et s’obstinait à vivre de la vie de tout le monde […]. » (p. 5).

Lorsqu’il emménagea, il n’arriva qu’à la nuit tombée et les trois déménageurs ne le virent pas mais il leur laissa un bon pourboire. « Qu’était cet être douloureux ? D’où venait-il ? Pourquoi, à son approche, détournait-on brusquement les yeux ? » (p. 10). Cet homme, c’est Martial Procas, conférencier en bactériologie à la Sorbonne, et les étudiants se ruaient à ses cours ainsi que de nombreux curieux y compris des mondaines enthousiastes qui par snobisme parlaient dans leurs salons de microbes, bactéries et bacilles ! Mais, venant d’un milieu modeste, Procas ne s’intéresse à aucune de ses admiratrices et « continuait tranquillement ses recherches sur les bacilles pathogènes. » (p. 13).

Vous découvrirez comment Procras est devenu tel qu’il est. Il fait peur à tout le monde et seul, son ami, le docteur Viardot s’occupe de lui… Il pense que, grâce à la Science, Procas peut s’en sortir. « Tant que l’on a ici-bas une tâche à remplir, on ne déserte pas son poste… ce serait une lâcheté !… » (p. 28). Procas se remet donc à la tâche. « Cependant, il n’avait plus le feu sacré… Ce qui l’avait enthousiasmé autrefois le laissait presque froid aujourd’hui. » (p. 30). Imaginez ce que vit cet homme devenu ‘monstrueux’, seul, abandonné, n’ayant plus goût à rien, attendant « l’heure de la sérénité suprême » (p. 33).

Un jour, Procas recueille un chien qu’il appelle Mami, pour ‘mon ami’. « Le pauvre savant avait retrouvé un peu de tranquillité ; il recommençait à s’habituer à la vie. Tout en travaillant, il tenait de longues conversations à son chien. Il ne se sentait plus seul ; un être vivant allait et venait autour de lui, animait la maison. » (p. 48). Malheureusement pour Procas et Mami, les habitants de Montrouge sont de plus en plus excités contre ce qu’ils appellent (injustement) l’Horreur, le Satyre, l’Assassin et veulent absolument se débarrasser de lui et de son chien… « Ce sale cabot, dit le gros Nestor, je le saignerai avant peu, vous verrez ça… En attendant qu’on nous débarrasse de l’homme, je ferai toujours passer au clebs le goût du pain. » (p. 78)

Toute cette foule brutale et haineuse qui s’acharne contre Procas, c’est immonde, je ne peux même pas dire que c’est inhumain puisqu’au contraire c’est tellement humain… « À quoi tout cela devait-il aboutir ? » (p. 96). Quant à Procas, il devient malheureusement fou, fou de douleur, fou de vengeance.

En 23 chapitres qui se dévorent (le style est simple, ça déroule vite), vous allez vivre l’horreur avec Procas ! Et c’est tellement triste tout ce gâchis… mais j’ai l’impression qu’il devient le ‘père’ des savants fous, maudits, vengeurs.

Pour Les classiques c’est fantastique (en février, pile francophone), 2024 sera classique, Challenge hivernal des histoires courtes de SFFF saison 1, Challenge lecture 2024 (catégorie 21, un livre dont l’auteur a un nom de famille qui est un nom commun), Départements français en lectures (l’auteur naît dans l’Eure) et Littérature de l’imaginaire #12.

Ils étaient sept de C.A. Larmer

Ils étaient sept de C.A. Larmer.

Le cherche-midi, février 2023, 416 pages, 15,90 €, ISBN 978-2-74917-547-8. The Murder Mystery Book Club (2021) est traduit de l’anglais (Australie) par Tania Capron.

Genres : littérature australienne et de Papouasie Nouvelle-Guinée, roman policier.

C.A. Larmer (C pour Cristina) naît en Papouasie-Nouvelle-Guinée mais elle écrit depuis une ferme délabrée, au sud-est de l’Australie (Byron Bay est la ville la plus au sud-est de l’Australie) où elle vit avec son mari, leurs deux fils et un chiot effronté. Elle est journaliste internationale, éditrice, enseignante et autrice. Elle est autrice de plusieurs séries policières dont The Murder Mystery Book Club series est la dernière en date (avec, pour l’instan, 3 autres tomes parus en anglais) et un livre documentaire sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée (où elle est née). Plus d’infos sur son site officiel, sa page FB et son compte instagram.

Alicia Finley assiste pour la quatrième fois au Cercle littéraire du lundi mais elle se rend compte qu’elle n’est « pas au bon endroit » (p. 15), qu’elle n’a « rien à faire là » (p. 18) parce que l’organisatrice est guindée et que les romans contemporains choisis ne l’intéressent pas…

Alicia vit avec sa sœur Lynette et leur labrador noir, Max, à Sydney et, dans leur petite maison, il y a tout un mur de bibliothèques remplies de livres « pour la grande majorité des romans policiers classiques d’auteurs anglais. […] des auteurs de la trempe d’Agatha Christie ou de P.D. James » (p. 19).

Alors, il y a trois semaines, sous l’impulsion de Lynette, elle décide de créer son propre club de lecture, Le Club des amateurs de romans policiers. « Plus Alicia réfléchissait à ce club, plus son cœur s’emballait. Elle n’avait pas été aussi excitée depuis longtemps […]. » (p. 28). Après avoir publié une annonce en ligne avec son adresse postale, elle répond personnellement aux sept membres qu’elle a retenus : 1. Claire Hargreaves qui adore Agatha Christie et tient une boutique de vêtements vintage, 2. Dr Anders Bright qui a un profond respect pour madame Christie « qui ne commet jamais d’erreur » (p. 17), 3. Barbara Parlour « une banale cinquantenaire au foyer » (p. 18), 4. Perry Gordon fan d’Hercule Poirot qui a beaucoup d’humour et qui travaille au département de paléontologie au musée de Sydney, 5. Missy Corner la bibliothécaire qui a bien renseigné Alicia (elle n’a pas envoyé de lettre, Alicia s’est rendue à la bibliothèque), plus bien sûr Lynette qui a suggéré l’idée et Alicia, ce qui fait donc sept !

Alicia et Lynette (excellente cuisinière) ont tout préparé pour leur première réunion sous l’égide d’Agatha Christie, du thé, du café, des toasts, des scones et tout se déroule parfaitement bien mais un malaise s’installe lorsque Barbara arrive en retard. « Le silence se fit brusquement. […] Le Dr Anders parut soudain mal à l’aise et se tortilla sur son fauteuil en évitant son regard, tandis que Missy souriait jusqu’aux oreilles. » (p. 55). Mais chacun se présente et tout se passe bien.

Cependant, quelques jours après Missy manque d’être percutée par une BMW et les témoins disent que le conducteur s’est déporté exprès pour la tuer ! « Tout ça n’est qu’un incident idiot, assura-t-elle à la police arrivée peu après sur les lieux, suivie d’une ambulance. » (p. 75) mais pourquoi le conducteur a-t-il fait un délit de fuite plutôt que s’arrêter pour voir si Missy allait bien ?

Lors du deuxième rendez-vous du club chez Barbara, Alicia se rend compte que Barbara reçoit des appels téléphoniques intempestifs et que son mari, Arthur, et sa fille, Holly, sont odieux avec elle.

Et lors du troisième rendez-vous du club chezle docteur Anders, Barbara ne vient pas : elle a disparu ! Le soir, durant le dîner, Alicia s’inquiète, Missy puis Barbara… « Elle s’est fait renverser, rappelle-toi, par un dingue anonyme. Et maintenant, voilà qu’un autre membre du club disparaît, c’est quand même étrange, reconnais. […] – Qu’est-ce que tu racontes ? Tu crois que quelqu’un a décidé de s’attaquer aux membres du club et de nous tuer ? » (p. 107).

Voilà pour vous mettre dans le bain ou plutôt l’eau à la bouche (ou du thé, ce que vous voulez) ! Dès les premières pages, je sais que ce roman classé en cozy mystery va me plaire ! Comme il fait plus de 400 pages, j’espère simplement qu’il ne sera pas trop long mais le ton me plaît beaucoup et je suis très curieuse ! Évidemment, je ne peux vous en dire plus (même s’il reste les 3/4 du roman).

Un club de lecture avec des membres enquêteurs amateurs, du thé, des scones… So British ! Du tennis, du golf, du mystère, des comportements bizarres et donc plusieurs suspects, Agatha Christie aurait sûrement aimé ! En tout cas, j’ai apprécié les personnages, tous différents, les descriptions, le déroulé de l’enquête, les clins d’œil à l’œuvre d’Agatha Christie… « On a l’impression de découvrir sans arrêt de nouveaux petits indices qui semblent n’avoir aucun sens ou guère d’importance, et pourtant… – Et pourtant ils sont peut-être importants ! compléta Missy. Peut-être qu’à la fin, on verra qu’ils se complètent tous, exactement comme dans les romans d’Agatha. » (p. 261).

Un grand moment de plaisir en dévorant ce roman with tea of course ! J’ai très envie de lire le deuxième roman de C.A. Larmer, Le crime du SS-Orient, paru en août 2023, et sûrement les prochains lorsqu’ils seront traduit en français (parce que 400 pages en anglais, mon cerveau va surchauffer…). Vous aimez les cozy mysteries, vous aimez les enquêtes d’Agatha Christie voire sa vie, sa biographie, ou vous êtes simplement curieux de lire cette enquête d’une autrice australienne née en Papouasie Nouvelle-Guinée (pour moi, c’était la première fois que je lisais un auteur né dans cet état indépendant d’Océanie, que j’ai survolé en allant au Japon depuis l’Australie, si je retrouve une photo, je la scannerai pour vous la montrer).

En tout cas, cette excellente lecture était pour le Mois du polar et va aussi dans ABC illimité (lettre L pour Nom), Challenge lecture 2024 (catégorie 6, un classique revisité, vous l’avez compris c’est la revisite de Dix petits nègres parus en 1940 en français et devenu Ils étaient dix en 2020, d’après Ten Little Niggers en 1939 devenu And Then There Were None aux États-Unis à partir de 1940 puis au Royaume-Uni en 1985 suite au mouvement ‘wokisme’), Petit Bac 2024 (catégorie Chiffre/Nombre pour Sept), Polar et thriller 2023-2024 et Tour du monde en 80 livres (l’autrice étant née en Papouasie Nouvelle-Guinée, je vais valider ce pays car je me dis que je pourrai lire un(e) autre auteur australien mais l’autrice étant Australienne et vivant en Australie, je vais consulter Bidib).

Meurtres en série à Giverny de Christine Cloos

Meurtres en série à Giverny de Christine Cloos.

Éditions des Falaises, octobre 2022, 192 pages, 9 €, ISBN 978-2-84811-567-2.

Genres : roman policier français, premier roman policier.

Christine Cloos «  vit depuis trente ans à Giverny. Elle est peintre, sculpteur et écrivain. Elle signe ici son premier roman policier. » (source site de l’autrice).

Je remercie Sharon [lien vers sa note de lecture en 2022] qui m’a envoyé ce roman pour le Mois du polar, avec une chouette dédicace de l’autrice et deux marques-pages (un pour Meurtres en série à Giverny et un pour Aube noire à Giverny).

De plus, je découvre les éditions des Falaises situées à Rouen et d’autres titres m’intéressent bien ; je vous laisse découvrir le catalogue littérature, entre autres.

Giverny, début octobre, encore beaucoup de touristes malgré la fraîcheur. La rue Claude-Monet, la tombe de Claude Monet, l’Ancien Hôtel de Baudy, le Musée des Impressionnismes et ses jardins, les serres de la Fondation Monet, des galeries d’art, la maison de Monet, des meules de foin, des fleurs, c’est ça Giverny… pour les touristes. « Mais où étaient-ils donc tous ces Américains, Australiens, Chinois, Japonais, Russes qui avaient parcouru, la journée durant, Giverny, en quête de souvenirs à ajouter à tous ceux qui s’entassaient déjà dans leurs monstrueuses valises à roulettes ? » (p. 8). Parce que, pour les Givernois, c’est du désagrément, du chômage, le port du Havre où arrivent les cargos déchargeant la camelote chinoise, des fermes avec des odeurs pas toujours agréables (animaux, purin…), et La Guinguette, entre autres (quoi faire d’autre que boire…).

Malheureusement pour Jeanne, qui est allée y boire de la bière avec des copains et qui rentre seule en pleine nuit, elle fait une mauvaise rencontre… De même pour Serge, un écrivain qui rentre chez lui donner à manger à sa minette.

L’inspecteur Germain Delâttre, 45 ans, et sa coéquipière la lieutenant Danièle Raoul du commissariat de Vernon enquêtent mais le commissaire Mingeard leur met la pression. « Bordel, deux meurtres à une semaine d’intervalle… D’abord la nana, puis l’écrivain de mes deux… […] Et bien entendu, personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu… Je vous préviens, je veux des résultats, et vite… avant que le mot ‘meurtre’ ne se répande comme une traînée de poudre, qu’une psychose ne s’installe à Giverny et que tous les touristes foutent le camp. » (p. 29). Charmant ce commissaire…

Vu le titre, vous vous doutez évidemment qu’il y a d’autres meurtres mais « le tueur au marteau de Giverny […] courait toujours. » (p. 149).

J’ai bien aimé les belles descriptions de paysages ; Germain Delâttre qui compare tout ce qu’il voit à des acteurs ou des séquences de cinéma et Danièle Raoul qui commence à faire de même !

Comme vous le savez, lorsque je vois une faute, je le dis ! Page 56, « Danièle se laissa aller contre les cousins roses du fauteuil en rotin. » mais je peux vous dire que ça m’a bien faire rire. Malheureusement, il y en a quelques autres… Page 62, « Et bien » alors que la locution est « Eh bien ». Page 63, « Pour Danièle, s’était l’endroit idéal ». Page 69, « l’ancienne gare transformé ». Page 131, « Qu’êtes en train d’insinuer, inspecteur ? ».

Dommage, ça me gâche toujours un peu le plaisir de lecture… Mais j’ai quand même envie de lire le deuxième roman, Aube noire à Giverny. Et ce Meurtres en série à Giverny, qui l’eut cru pour ce charmant petit village touristique, bien construit (je vous avoue que je n’ai compris qui avait tué qu’à la fin), a reçu le prix Rouen Conquérant 2020.

Pour le Mois du polar donc et aussi Challenge lecture 2024 (catégorie 43, un roman dont l’histoire parle d’un secret de famille), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Giverny), Polar et thriller 2023-2024.

Le chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie

Le chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie.

Le Tripode, août 2023, 240 pages, 19 €, ISBN 978-2-37055-369-0.

Genres : littérature française, roman.

Dimitri Rouchon-Borie naît le 3 août 1977 à Nantes. Il étudie la philosophie et les sciences cognitives puis devient journaliste et chroniqueur judiciaire. Il est aussi romancier, nouvelliste et travaille pour le quotidien breton Le Télégramme. Du même auteur : le document Au tribunal, chroniques judiciaires (La Manufacture de livres, 2018). Comme je suis Le Tripode, j’avais déjà repéré les titres de cet auteur parus dans cette maison d’éditions mais je ne m’étais pas encore lancée : Le démon de la colline aux loups (janvier 2021, premier roman, plusieurs prix littéraires), Ritournelles (mai 2021, nouvelles) et Fariboles (juin 2022, nouvelles).

Le début du roman. « Regardez-moi cette gueule de crasse qu’est de retour ! Le Père s’avance, son visage se fend d’un sourire. Il range son canif, jette le bout de bois qu’il était en train d’épointer, écarte les bras. – Ça, c’est de la carne de mon sang, ça s’en va pas pour de bon à la première misère. Nom de nom mon fils, t’es beau comme si t’étais plus neuf qu’avant ! Il attrape Gio et le serre contre lui. – Fais voir ton pansement, où c’est qu’ils t’ont esquinté, qu’il dit, solennellement, en prenant du recul. » (p. 11).

Gio, 20 ans, a été gravement blessé par un cousin, même un membre de la famille peut trahier… « […] une longue cicatrice en creux, à l’arrière du crâne, un sillon, dans la chair meurtrie. À l’hosto, en soins intensifs, c’était le dossier Sauvez-Gio-Belco. » (p. 12).

Gio a passé six mois à l’hôpital, il revient près de sa famille, il a besoin de se reposer mais… « Fiston, t’as pris un tournevis dans la caboche, ça peut pas faire du bon bricolage. Tout ce que t’as gagné c’est que ça t’a dévissé le ciboulot peut-être pour toujours. Ta mère veut pas y croire. Pour elle, t’es une sorte de miracle. Elle organise une messe demain. Laisse-la croire. Laisse-la espérer, mais toi, te trompe pas d’affaire. T’as des comptes à régler. Vas te reposer. Demain, on va faucher ici et là pour dégager les alentours, ça te fera du bien de poser droit. Et ensuite on discutera de l’honneur et des représailles, et de tout ce qui s’ensuit. » (p. 14).

Après être monté dans un train de marchandises, Gio, Papillon et Dolores arrivent dans une ville inconnue. Ils ne sont pas les bienvenus mais ils n’ont nulle part où aller… « Il reste rien que la mort, et tous les jours elle me souffle des flammes au cul. » (p. 80). Ils sont recueillis par Grand-Mère et apprennent que cette ville est la capitale.

« Du temps a passé depuis qu’il l’a quittée avec ses yeux. Mais parfois, même le temps, c’est pas assez. » (p. 148). Gio va traverser la vie avec des épreuves et des rencontres (boxe avec Henrique, fresque avec des craies, un chien…). « Mais voilà qu’il entend gémir encore. Dehors, le chien est toujours là, assis à la même place, tête basse avec les yeux du pardon qui se posent ici ou là, et qui donnent l’impression de négliger l’homme alors qu’ils s’assurent de sa présence et de son intérêt. Le chien, c’est un bâtard avec un poil brun et un peu gris, et noir, enfin il a quelque chose du loup et du chien mais on ne saurait dire quelle part a pris le dessus. De grands yeux noirs et c’est sans doute beaucoup plus doux que tout ce qu’il a rencontré ces derniers mois. » (p. 185).

Je n’ai pas percuté où se situait ce roman (quelque part en Europe de l’Est ? Ça parle de tabac russe p. 118) ni vraiment à quelle époque (mais ça parle de guerre, de Grande Épopée et de communisme à Cuba). Ce que je peux dire, c’est que ce roman est noir, mais qu’il s’en dégage une lumière incroyable, et que l’écriture de Dimitri Rouchon-Borie est époustouflante (je veux lire ses autres titres !). Sans donner de leçon, l’auteur et Gio donnent aux lecteurs une incroyable leçon de vie. Bien sûr cette lecture sombre peut affliger certains lecteurs mais ce serait vraiment dommage de passer à côté de Gio parce qu’il y a en lui une forme d’onirisme et de poésie exacerbés au milieu de cette violence, cette brutalité, sans qu’il s’en rende compte lui-même.

Je mets cette lecture puissante dans ABC illimité (lettre D pour prénom), Challenge lecture 2024 (catégorie 12, un livre dont le titre comporte 4 mots), Petit Bac 2024 (catégorie Animal pour Chien).

Échecs de Stefan Zweig

Échecs de Stefan Zweig.

Minuit, septembre 2023, 128 pages, 14 €, ISBN 978-2-7073-4890-6.

Schachnovelle, dernier texte écrit par l’auteur en exil à Rio de Janeiro (Brésil) durant les derniers mois de sa vie (de novembre 1941 à février 1942), est publié posthume en décembre 1942 au Brésil puis en 1943 en Suède, en anglais en 1944 à New York et en français la même année en Suisse. Le court roman est révisé en 1981 mais c’est une nouvelle traduction que propose Jean-Philippe Toussaint.

Genres : littérature autrichienne, d’exil en langue allemande, novella (court roman).

Stefan Zweig – je vous remets ce que j’avais rédigé pour Correspondance 1925-1941 de Stefan Zweig et Klaus Mann – naît le 28 novembre 1881 à Vienne (alors dans l’empire d’Autriche-Hongrie). Il est bon élève en particulier en allemand, en histoire et en physique ; il étudie la philosophie et l’histoire de la littérature germanique à l’université de Vienne. Journaliste, écrivain, biographe, traducteur et dramaturge reconnu, il a de nombreux amis écrivains, artistes et intellectuels (avec qui il correspond). Il voyage beaucoup en Europe (Allemagne, Belgique, France, Italie, Pologne, Suisse…) et en Amérique (Canada, États-Unis). Bien que né dans une famille juive originaire de Moravie, l’auteur (comme ses parents et son frère aîné) ne parle pas le yiddish, ne fréquente pas la synagogue et ne parle jamais de sa judéité mais, avec la montée du nazisme, il s’exile en 1934, d’abord à Londres puis au Brésil (il est inquiet et comprend le danger mais refuse cependant de prendre position et préfère rester neutre). Mais rongé par les atrocités de la guerre, il met fin à ses jours le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil. Il laisse à la postérité une œuvre magnifique et inspirée (je n’ai pas encore tout lu).

J’ai lu Le joueur d’échecs il y a des années (trois décennies même) et je le relis dans cette nouvelle traduction à la fois pour le plaisir et pour le travail puisqu’une lecture marathon est organisée avec ce texte.

« Sur le grand paquebot qui, à minuit, devait quitter New York pour Buenos Aires régnait l’animation habituelle des dernières heures. Des gens qui ne partaient pas se bousculaient à bord pour accompagner leurs amis. De petits télégraphistes, la casquette de travers, parcouraient à toute vitesse les salons en criant des noms. On transportait des valises et des fleurs. Des enfants, poussés par la curiosité, montaient et descendaient les escaliers en courant, tandis que l’orchestre, imperturbable, jouait pour accompagner le spectacle. J’étais en conversation avec un ami sur le pont promenade un peu à l’écart de ce tumulte lorsque deux ou trois flashs jaillirent vivement à côté de nous. C’était apparemment quelque célébrité qu’on interviewait et photographiait à la hâte avant le départ. Mon ami regarda dans la direction et sourit : ‘Mais il y a un oiseau rare à bord : Czentovic.’ Et , comme il dut lire sur mon visage que je n’avais pas tout à fait compris sa remarque, il précisa : ‘Mirko Czentovic, le champion du monde d’échecs. Il a écumé toute l’Amérique d’est en ouest pour jouer des tournois, et il part maintenant en Argentine vers de nouveaux triomphes.’ » (p. 7-8).

Pourquoi vous ai-je recopié le premier paragraphe ? Pour que vous voyiez toute la qualité de la nouvelle traduction, sans fioritures, avec des virgules extrêmement bien placées et surtout avec un réalisme et une poésie dignes de Stefan Zweig, un des plus grands auteurs de tous les temps.

Mais revenons sur Mirko Czentović (dommage que l’éditeur n’ait pas respecté l’accent aigu sur le c final du nom…). Orphelin à l’âge de 12 ans, Mirko est recueilli par le curé de son petit village de la région de Banat et l’homme essaie de lui faire rattraper son retard scolaire mais l’enfant est « buté, renfermé et taciturne, [et] réticent d’apprendre » (p. 9) au point qu’à 14 ans, il compte toujours sur ses doigts et a beaucoup de mal à lire un simple texte. Pourtant Mirko fait les tâches que le curé lui demande puis retourne s’asseoir tout à sa léthargie. Mais un soir, le curé est appelé d’urgence pour les saints-sacrements et ne peut pas finir sa partie d’échecs contre le brigadier de gendarmerie. Ce dernier propose à Mirko de terminer avec lui : « Eh bien, tu veux la finir ? plaisanta-t-il, absolument persuadé que le jeune homme somnolent était incapable de bouger correctement la moindre pièce sur l’échiquier. » (p. 11) mais, surprise, Mirko gagne la partie sans « une gaffe ou une inadvertance » (p. 12) de la part du brigadier, puis une deuxième partie, puis une troisième avec le curé à son retour ! « Il jouait de façon lente, coriace, inébranlable, jamais il ne relevait son large front penché sur l’échiquier. Mais son jeu était d’une sûreté irréfutable. » (p. 12).

Le curé stupéfait conduit donc Mirko à la ville voisine et le jeune bat tous les joueurs, les uns après les autres ! Bien qu’il n’arrive pas à jouer de mémoire, ou à l’aveugle comme disent les spécialistes, car « Il lui manquait totalement la faculté de se représenter le champ de bataille dans l’espace illimité de l’imagination. » (p. 16), Mirko a une progression fulgurante et « À dix-sept ans, il avait déjà gagné une douzaine de tournois d’échecs. À dix-huit ans, il devenait champion de Hongrie, et à vingt ans, il remportait enfin le titre de champion du monde. Les grands maîtres les plus audacieux qui lui étaient tous infiniment supérieurs en capacités intellectuelles, en imagination et en témérité, succombaient devant sa logique froide et laborieuse […]. » (p. 17).

Échecs est d’une grande intensité littéraire, d’une grande puissance mentale qui s’intensifie jusqu’au paroxysme de la folie. Vous avez remarqué que je n’ai pas donné plus d’extraits, c’est parce qu’il faut lire ce roman, vivre ce voyage non seulement en paquebot mais aussi au cœur d’une histoire et d’une folie dont le lecteur est un témoin privilégié. Même si vous ne connaissez pas le jeu d’échecs, vous serez assurément happés et surpris par ce dernier texte de Stefan Zweig. Mais qui est le personnage principal de ce roman : Mirko Czentović ou le docteur B qui voyage sur le même paquebot ? Dommage qu’il soit écrit Tartakover page 8 et Tartakower page 82… Oui, je sais, je suis pointilleuse !

Une excellente (re)lecture pour moi et je suis sûre que vous pouvez le (re)lire vous aussi dans cette nouvelle traduction qui honore tout le talent et l’imagination de Stefan Zweig (bravo à Jean-Philippe Toussaint !). Coup de cœur et chef-d’œuvre !

Pour 2024 sera classique aussi, ABC illimité (lettre E pour titre), Challenge lecture 2024 (catégorie 22, un livre écrit par l’un de vos auteurs préférés, mais il entrait aussi dans la catégorie 24, un livre dont le titre comporte un seul mot, aussi bien en allemand qu’en français) et Tour du monde en 80 livres (Autriche).