Voix sans issue de Marlène Tissot

Voix sans issue de Marlène Tissot.

Au Diable Vauvert, mars 2020, 272 pages, 18 €, ISBN 979-10-307-0347-4.

Genre : littérature française, roman.

Marlène Tissot naît le 10 juin 1971 près de Reims (Champagne). Elle fait des études techniques (électrotechnique, électronique et programmation informatique) mais aime la littérature et l’écriture. Elle écrit dès le début des années 2000 sur Internet, dans des fanzines et publie son premier recueil de nouvelles en 2010 et son premier roman en 2012 (chez différents éditeurs et dans plusieurs revues). Elle vit à Valence et j’ai eu la chance de la rencontrer (photo ci-dessous), par contre je travaillais donc je n’ai pas pu assister à la discussion… Plus d’infos sur son site, Mon nuage.

Marianne Gilbert (devenue Mary) a 14 ans lorsque sa mère qui n’avait jamais rien voulu voir l’envoie en pensionnat. « Personne ne peut se douter. On dirait un père normal. » (p. 11). Puis Mary devient coiffeuse et rencontre Thomas mais comment vivre une histoire d’amour sereine après ce qu’elle a subi ?

Franck Delmer travaille de nuit, il est gardien de cimetière, ce qui lui convient très bien. « Je sais que mes problèmes ne sont pas de vrais problèmes, seulement des petites douleurs que parfois, sans doute, j’invente. » (p. 24-25).

Les Voix sans issue sont ici au pluriel. Mary violée par son père. Franck tabassé par sa mère… Comment devenir des adultes équilibrés ? Comment vivre un peu de bonheur ?

Mary voit Édouard, un psychiatre. Franck se réfugie dans les médicaments et l’alcool. « J’ai tranché net, conservé la moitié la moins abîmée. » (Mary, p. 69).

Et puis Ian surgit. Il s’est toujours senti « petit. Tout petit. » (p. 76) mais un jour il voit Mary dans le salon Chez Luigi et il entre pour qu’elle le coiffe. Grâce à elle, il a enfin « Une taille humaine. » (p. 76).

Corps brisé, cœur brisé, âme brisée, tout être fracassé peut vivre la résilience et éprouver de beaux sentiments, ressentir du bonheur. Voix sans issue est un message d’espoir !

Mon passage préféré. « C’est pas ton père, c’est les souvenirs qu’il faudrait tuer. » (Franck à Mary, p. 149).

Dommage, il y a quelques fautes comme « papa m’a repoussé […] m’a simplement giflée » (p. 38), « aller au restaurent » (p. 46), « en tôle » au lieu de en taule (p. 165).

Mais Voix sans issue, le premier titre que je lis de Marlène Tissot, est un beau roman courageux, sans voyeurisme, presque poétique, que je vous conseille chaleureusement.

Je veux mettre cette lecture dans le Challenge lecture 2021 (catégorie 15, un livre féministe non seulement parce qu’il est écrit par une femme, mais aussi parce qu’il parle d’une femme brisée, et d’un homme brisé, et que la vie, l’amour, le bonheur sont possibles).

La girafe de Thomas Gunzig

La girafe de Thomas Gunzig.

In Le plus petit zoo du monde, Au Diable Vauvert, mars 2003, 196 pages, 17 €, 978-2-84626-048-0. En poche : Gallimard Folio, n° 4239, juin 2005, 192 pages, 7,50 €, ISBN 978-2-07031-096-8.

Genres : littérature belge, nouvelle.

Thomas Gunzig naît le 7 septembre 1970 à Bruxelles (Belgique). Libraire (librairie Tropismes à Bruxelles), professeur de littérature, chroniqueur radio et auteur (romans, nouvelles, poésie, théâtre, scénario, littérature jeunesse).

Cathy et Bob se disputent, comme d’habitude « remarque puis discussion puis dispute puis insultes puis départ de Bob puis retour de Bob puis tirage de tête plus ou moins long puis subtils mouvements d’approche puis réconciliation » (p. 15). Mais, cette fois, au retour de Bob, son épouse est… partie ! Et elle a eu bien raison parce que se faire traiter de « grosse conne »… Mais le lendemain matin, Bob découvre une girafe morte dans le jardin ! La police, « les pompiers, la Croix Bleue, le service « catastrophes naturelles » de la Protection civile » (p. 18), tout le monde s’en fiche et l’envoie bouler. Mais, c’est qu’elle pue la girafe morte et que les voisins se plaignent de l’odeur !

La girafe est une nouvelle de 14 pages, je dirais surréaliste et je pense que les autres nouvelles de ce recueil sont du même tonneau (enfin, ici, plutôt du même zoo). On est dans de l’humour (belge ?) noir, dans l’absurde, dans le grinçant. J’aimerais lire d’autres titres de Thomas Gunzig, un particulièrement à me conseiller ?

Vous voulez découvrir l’univers de Thomas Gunzig ? Des nouvelles sur la revue littéraire en ligne Bon à tirer sont disponibles librement : La petite championne (n° 1, février 2001), Turbo diesel (n° 2, mai 2001), La nuit transfigurée (n° 3, novembre 2001) et des poèmes : Top chrono et autres poèmes (n° 4, février 2002) que je lirai à l’occasion.

Pour le Mois des nouvelles et le Projet Ombre 2021, ah et Animaux du monde #3 aussi.

In nomine Tetris de Jean-Paul Didierlaurent

In nomine Tetris de Jean-Paul Didierlaurent.

In Macadam, Au Diable Vauvert, septembre 2015, 176 pages, 15 €, ISBN 978-2-84626-963-6.

Genres : littérature française, nouvelle.

Jean-Paul Didierlaurent naît le 2 mars 1962 à La Bresse dans les Vosges. Il est nouvelliste et romancier. Durant l’été 2014, j’avais beaucoup aimé Le liseur du 6h27, son premier roman mais je n’ai jamais relu cet auteur depuis alors qu’il a publié des recueils de nouvelles (pour lesquels il a reçu de nombreux prix) et deux autres romans : Le reste de leur vie (2016) et La fissure (2018).

J’ai d’abord été attirée par le titre, Tetris, le jeu ? Et lorsque j’ai vu le nom de l’auteur, je me suis dit que c’était l’occasion de le lire à nouveau. Cette nouvelle fait 15 pages et je veux la présenter dans le Mois des nouvelles et dans le Projet Ombre 2021.

L’auteur confine ses lecteurs dans le confessionnal du père Philibert Duchaussoy. Lorsqu’il écoute ses ouailles, le père Duchaussoy médite. « L’absolution est au pécheur ce que la vendange est à la vigne. Le prêtre adorait collectionner analogies et métaphores et en usait plus que de raison lors de ses sermons. » (p. 10).

Vous saurez tout sur la confession et l’absolution ! Et peut-être que vous aurez, vous aussi, le « pas léger des purs » (p. 12). D’autant plus que la gourmandise ne serait plus un péché !

Pourtant il s’ennuie, le père Duchaussoy. « Il se surprenait parfois à rêver d’un aveu hors du commun. Un viol, voire un bon meurtre par exemple, qui aurait réveillé son attention émoussée. » (p. 14).

Et, ah ah, vous allez bien rire ! Alors, diabolique le Tetris ?

Trois nouvelles lues sur ma Kobo

Motus et bouche cousue d’Alexandre Jarry (2014, 23 pages + 9 pages : introduction, autres titres de l’auteur, résumés…)

Alexandre Jarry publie son premier roman en 2009 ; il utilise le numérique et l’auto-édition. Plus d’infos sur son site.

Un nounours est enfermé dans un carton depuis des années. Il est vieux, abîmé et il a la bouche cousue. Il se rappelle d’un enfant avec qui il était heureux, William, mais celui-ci l’a abandonné quand il a eu 10 ans. Un jour, une jeune fille le récupère. « Elle souriait. Elle me souriait. […] Un frémissement me parcourut jusqu’au plus profond de mon être lorsqu’elle me prit dans ses bras. Je fus saisi par la douceur de son geste. […] Sans me quitter des yeux et toujours souriante, elle me tira de ce grenier, de mon exil, pour m’emmener loin avec elle. » (p. 7). La jeune fille ne parle pas alors la peluche l’appelle Motus. En écoutant, la peluche et le lecteur apprennent des choses sur William et sur la jeune fille.

Une nouvelle saisissante, mais un peu trop courte… Toutefois, j’ai bien aimé le style et l’ambiance alors je regarderai les autres titres de cet auteur.

Lacan et la boîte de mouchoirs de Chris Simon (2013, 19 pages + 12 pages : introduction, informations, autres titres de l’auteur, résumés…)

Chris Simon est une auteur franco-américaine ; professeur de français à New York, elle décide de se consacrer à l’écriture ; elle utilise l’auto-édition. Plus d’infos sur son site.

Judith, bientôt cinquante ans, vient de se séparer de son compagnon. Elle consulte Hervé Mangin qui fut « un des derniers psychanalystes analysés par Jacques Lacan en personne ». Durant la première séance, une boîte de mouchoirs était à disposition mais ensuite… plus de boîte de mouchoirs ni sur la table basse ni sur le bureau ! « Vous ne mettez plus de mouchoirs ? Je veux dire… C’est un oubli ou vous n’y croyez… Vous… ».

Premier épisode de la saison 1 de 7 épisodes, suivi de deux autres saisons de 7 épisodes chacun. Cette nouvelle est agréable à lire mais je pensais que ce serait plus drôle… Pour ceux qui sont intéressés par la psychanalyse sans avoir jamais consulté de psychanalyste.

Derrière la clôture d’Isabelle Cousteil (2015, 21 pages + 1 page : introduction)

Isabelle Cousteil travaille dans « l’ingénierie et la production culturelle » ; elle est aussi auteur. Plus d’infos sur son blog.

L’auteur raconte l’histoire de Juanita de la Cruz, torera espagnole, née en 1917, qui a commencé à 14 ans, et qui s’est exilée en Amérique du Sud où elle a continué sa carrière. Dans un monde d’hommes, elle fut la première femme torera. Cette nouvelle a reçu le 2e Prix Hemingway 2015 et est disponible dans le recueil de nouvelles Leçons de ténèbres et autres nouvelles du Prix Hemingway 2015. Je ne savais pas que, chaque année, le Prix Hemingway récompensait une nouvelle de littérature de tauromachie ! Quelle horreur, moi qui déteste la corrida et les courses de taureaux ! Qu’a fait Hemingway pour mériter ce Prix à part couvrir la guerre d’Espagne ?… Je ne lirai pas les autres nouvelles de ce recueil.

Ce que je voulais dimanche dernier en lisant ces nouvelles, c’était tester la liseuse la nuit (de 23 heures à minuit) sans lumière supplémentaire. Un confort de lecture parfait ! Et j’ai pu tester, sans avoir rien réglé auparavant, la lumière orange qui permet, après la lecture, un meilleur endormissement, c’est génial. Je suis très contente de ma Kobo, je pense que je vais l’utiliser régulièrement !

Pour La bonne nouvelle du lundi, événement bloguesque mettant en avant les nouvelles organisé par Martine.

Mat, mat, mat d’Ayerdhal

Mat, mat, mat d’Ayerdhal in Scintillements, intégrale des nouvelles.

Au Diable Vauvert, novembre 2016, 708 pages, 23 €, ISBN 979-10-307-0054-1.

Genres : nouvelle, science-fiction.

Ayerdhal est né Marc Soulier le 26 janvier 1959 à Lyon. Pendant 25 ans, il a été un des principaux auteurs français de science-fiction (nouvelles et romans) – et de quelques thrillers – et a reçu de nombreux prix littéraires. Il est mort le 27 octobre 2015 à Bruxelles (Belgique). Écrivain engagé, il avait créé en octobre 2000, avec d’autres auteurs (Jean-Pierre Andrevon, Pierre Bordage, Philippe Curval, Serge Lehman, Francis Mizio et Norman Spinrad), Le Droit du serf, un groupe de réflexion pour le droit d’auteur.

Mat, mat, mat est la première nouvelle de cette intégrale et elle est inédite. « On jouait nuit et jour. La ville n’était plus qu’un échiquier. » (p. 11). Un marathon d’échecs et la finale entre les deux superchampions Alpha et Béta a lieu dans l’auditorium intergalactique. Comme il n’y a aucun temps limite de réflexion, la partie dure très longtemps, déjà plus de quatre heures. « Et pourtant la tension ne baissait pas. » (p. 12). Mais Béta n’accepte pas la défaite et s’enfuit.

Une émouvante préface de Pierre Bordage qui annonce les 37 nouvelles – écrites entre la deuxième moitié des années 80 et 2015 – dont 10 inédites, une dizaine d’interviews et une bibliographie.

Cette nouvelle, inédite donc, date de 1986, c’est la première qu’Ayerdhal ait écrite, en fait avec son frère, pour un examen d’écriture créative, sur le thème du jeu d’échecs. J’ai repéré quelques fautes comme « un millions d’effrois » (p. 16) et « Et bien » au lieu de « Eh bien » (p. 18)… mais cette histoire qui fait froid dans le dos m’a bien plu et je lirai les autres nouvelles de ce gros recueil petit à petit.

Une nouvelle pour La bonne nouvelle du lundi que je mets aussi dans les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2016, Littérature de l’imaginaire et bien sûr Printemps de l’imaginaire francophone.

Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent

[Article archivé]

Le liseur du 6h27 est un roman de Jean-Paul Didierlaurent paru Au Diable Vauvert en mai 2014 (218 pages, 16 €, ISBN 978-2-84626-801-1).

Jean-Paul Didierlaurent est né le 2 mars 1962 dans les Vosges. Il a d’abord écrit des nouvelles et Le liseur du 6h27 est son premier roman.

Ce roman, je l’ai repéré en librairie et sur la blogosphère littéraire alors j’ai hâte de le lire et j’espère qu’il me plaira ! De plus, c’est le 7e et dernier livre que je lis dans le cadre de la Reading’s week du 4 au 10 août.

Lorsque leur fils est né en 1976, les parents ne se sont pas rendus compte de la contrepèterie entre Guylain Vignolles et Vilain Guignol : « un mauvais jeu de mots qui avait retenti à ses oreilles dès ses premiers pas dans l’existence pour ne plus le quitter. » (p. 7-8). C’est le fardeau que porte Guylain, le personnage principal de ce roman et pour se faire oublier, il a appris à être transparent, insignifiant : « Se fondre dans le paysage jusqu’à se renier soi-même pour rester un ailleurs jamais visité. » (p. 9). Le matin, le célibataire de 32 ans prend le RER de 6h27 et lit pendant les vingt minutes du trajet des feuillets qu’il sort de sa serviette en cuir. Mais il lit à haute voix et, pour les passagers, c’est devenu un rituel de l’écouter : « il était le liseur […] Et à chaque fois, la magie opérait. » (p. 13). Depuis quinze ans, Guylain travaille dans une usine (la STERN, Société de traitement et de recyclage naturel) dans laquelle la Zerstor 500 broie les livres invendus. « La Chose était là, massive et menaçante, posée en plein centre de l’usine. […] Ne jamais la nommer, c’était là l’ultime rempart qu’il était parvenu à ériger entre elle et lui pour ne pas définitivement lui vendre son âme. » (p. 19). La machine monstrueuse détruit, anéantit… « La Chose était née pour broyer, aplatir, piler, écrabouiller, déchirer, hacher, lacérer, déchiqueter, malaxer, pétrir, ébouillanter. […] (elle) génocide ! » (p. 21). Pour Guylain, opérateur en chef qui doit mettre la machine en route chaque matin, la Chose commet un crime et son travail lui paraît de plus en plus difficile à supporter.

À travers ce roman, l’auteur dénonce la sur-production et le pilonnage des livres. Un roman digne de La Bête humaine d’Émile Zola : chaque soir, Guylain doit plonger dans les entrailles métalliques de la machine avec sa frontale et c’est à ce moment-là, hors des caméras de surveillance, qu’il en profite pour récupérer les « feuilles volages rabattues par le souffle contre la cloison ruisselante d’eau » (p. 49). Elle est très importante cette machine (je me demande bien si elle n’est pas l’actrice principale, du moins dans la première partie parce qu’après c’est Julie et c’est moins intéressant…), la machine donc, il y a des descriptions d’elle, de son fonctionnement et contre toute attente, c’est passionnant ! J’ai remarqué qu’il y a redondance de synonymes, comme plus haut pour la machine ou pour le patron : « Félix Kowalski ne parlait pas. Il aboyait, hurlait, beuglait, invectivait, rugissait mais il n’avait jamais su causer normalement. » (p. 27). C’est un style, ça renforce l’humour mais ça peut sûrement énerver certains lecteurs. Il y a une intéressante galerie de personnages, le patron, cité plus haut, Yvon Grimbert, qui sans sa guérite de gardien lit des alexandrins et du théâtre, Lucien Brunner, le jeune loup de vingt-cinq ans, qui prend plaisir à son travail de destruction, Giuseppe Carminetti, l’ancien opérateur en chef qui a perdu ses jambes dans la machine… Guylain est pris dans une douloureuse routine y compris le week-end (son seul compagnon est Rouget de l’Isle, un poisson rouge) mais un matin, sur le quai de la gare, Monique et Josette Delacôte lui adressent la parole : « Voilà, on voulait vous dire, on aime bien ce que vous faites. » (p. 86) et quelques jours plus tard, il trouve une clé USB oubliée dans le train. Le passage aux Glycines, avec la lecture d’Huguette Lignon, institutrice à la retraite, est très drôle. « Guylain fila, non sans avoir promis de revenir le samedi suivant. Il ne s’était pas senti aussi vivant depuis longtemps. » (p. 113).

Le liseur du 6h27 est réussi… dans sa première partie ! Avec la machine et les personnages qui ont du caractère. La deuxième partie avec les extraits du journal de Julie, dame-pipi de 28 ans à la recherche du grand amour, bof, bof… Heureusement, l’auteur a de l’humour et j’ai quand même lu jusqu’au bout parce que ce n’est pas désagréable non plus. Mais, du coup, ce n’est pas un coup de cœur pour moi… Pourtant, lisez-le et vous vous ferez votre propre opinion !

Une lecture pour les challenges Animaux du monde (pour le poisson rouge très présent), Paris, Petit Bac 2014 (catégorie Moment/Temps) et Premier roman.